LACOSTE Yves [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né à Fès (Maroc) le 7 septembre 1929, en France à partir de 1939 ; agrégé de géographie marié à l’ethnologue Camille Dujardin, à Alger de 1952 à 1955 ; professeur d’histoire-géographie au lycée Bugeaud ; au PCA, collaborateur de la revue Progrès (article sur Ibn Khaldoun) ; renvoyé en France, assistant à l’Institut de géographie de l’Université de Paris ; prépare en collaboration, l’ouvrage Algérie, passé et présent, en débat avec le PCF.

En 1929, la naissance d’Yves Lacoste survient à l’hôpital militaire de Fès. Son père, géologue, termine son travail de thèse qui dresse la carte géologique du Rif après avoir servi dans la guerre française (et espagnole) contre la République d’Abd-el-Krim (guerre du Rif qui a fait l’objet de la campagne antimilitariste et anticolonialiste de la CGTU en France et des Jeunesses communistes tout particulièrement). Ce père devient géologue en chef de la Société chérifienne des pétroles. La famille vit à Rabat jusqu’en 1939. Le retour en France s’effectue pour soigner la tuberculose du père qui meurt en 1942. Yves Lacoste fait ses études secondaires au Lycée Lakanal de Sceaux puis sa licence à l’Institut de géographie de Paris. Il va au Maroc faire des recherches pour son Diplôme d’Etudes supérieures sous la direction de Jean Dresch (volume Maroc du Dictionnaire pour ce grand géographe et communiste) sur la géomorphologie de la plaine du Gharb.

En 1950, Yves Lacoste et Camille Dujardin se marient. La jeune femme est née à Rouen (1er mars 1929) dans une famille d’instituteurs. Elle a connu le Maroc car, suivant son père, militant antifasciste, elle y a séjourné de 1941 à 1944. À Paris, après le lycée Molière, elle s’inscrit à l’Institut de géographie et fait son DES sur Casablanca, centre d’affaires. Yves Lacoste obtient l’agrégation de géographie en 1952. Les Lacoste sont prêts à partir poursuivre leurs recherches au Maroc. La situation étant jugée explosive, Jean Dresch fait glisser ces jeunes passionnés par l’Afrique du Nord vers l’Algérie.

Camille Lacoste enseigne dans un cours privé et Yves Lacoste au lycée Bugeaud, le grand lycée français colonial, où son cours, comparatiste, sur la France et l’Afrique du Nord dérange quelque peu les élèves « européens » d’Algérie. Étudiants à Paris, tous deux avaient adhéré au PCF. En Algérie, ils sont membres du PCA, accueillis dans le milieu des géographes communistes aux côtés d’André Prenant*.

Camille Lacoste-Dujardin trouve son terrain de recherche dans les villages de Kabylie autour de Sidi Aïch où les entraînent des amis géographes. Les Lacoste fréquentent la librairie du parti, la « Librairie nouvelle » et nouent des relations amicales avec Sadek Hadjerès, co-auteur de la brochure L’Algérie vivra, qui se prononçait sur l’histoire et la culture algérienne, celle d’une nation pluraliste. Pour la revue lancée alors par le PCA, « revue marxiste » Progrès, (il y aura six numéros), Yves Lacoste aborde l’œuvre d’Ibn Khaldoun. Il ne cessera plus d’approfondir la pensée de ce sociologue historique et politique du Maghreb, avant ces mots qualificatifs. Son article est le point de départ de son livre de 1965 (Maspero, Paris) : Ibn Khaldoun. Naissance de l’histoire, passé du Tiers-monde. La lutte d’indépendance s’affirme depuis novembre 1954. La société coloniale est en réaction qui devient ultime. En juin 1955, le proviseur du lycée signifie à Yves Lacoste qu’il n’est pas question qu’il reparaisse à la rentrée d’octobre.

Retour en France en juillet 1955, à Sceaux au sud de Paris. Camille Lacoste-Dujardin apprend le berbère kabyle aux Langues O pour se préparer à l’étude des contes et coutumes. Yves Lacoste devient un des assistants de Jean Dresch à l’Institut de géographie. Faute de retrouver le terrain en Algérie, c’est la maison qui devient le lieu de rencontres des amitiés nouées à Alger et en Kabylie. Or ces amis sont actifs à la Fédération de France du FLN qui trouve donc là un foyer pour se réunir et des secours et recours. Yves Lacoste rédige deux fascicules extrêmement pédagogiques d’histoire et de géographie de l’Afrique du Nord qui deviennent des ouvrages de base pour les cadres militants algériens et autres. Ils paraissent précisément dans les Cahiers Edsco (pour édition scolaire car destinés aux instituteurs) publiés à Chambéry mais très diffusés parmi les enseignants, sous les auspices d’André et Lucien Scève, intellectuels du PCF.

Dans l’intention de donner une explication en profondeur de la formation de la nation algérienne dans une histoire longue qui se détache de la formulation contingente de « la nation algérienne en formation » de Maurice Thorez (cf. Lucien Casanova), Jean Dresch demande à l’historien André Nouschi et aux géographes-historiens que sont Yves Lacoste et André Prenant*, de rédiger un livre à paraître aux Éditions sociales pour manifester l’engagement du PCF, sous le titre L’Algérie, passé et présent. Le manuscrit est prêt en 1959-1960, mais les éditions diffèrent la publication ; les dirigeants de la section coloniale, Léon-Feix, Elie Mignot, ne pouvant contrevenir à la thèse de Maurice Thorez, cependant abandonnée pour la forme en 1956. Jean Dresch arrache la promesse d’une édition en deux tomes. Quand le livre sort en 1961, il n’est pas fait mention qu’il s’agit du tome 1 ; il n’y aura pas de tome 2.

Depuis le vote des pouvoirs spéciaux pour le maintien de l’ordre en Algérie par les députés communistes en mars 1956, les Lacoste prennent leurs distances avec le parti communiste. Après l’indépendance, venant fréquemment en Algérie, Camille Lacoste-Dujardin poursuit ses recherches d’ethnologie en pays kabyle (et de mémoire de la guerre de libération). Yves Lacoste vient en mission. Il se consacre à la géographie du sous-développement (plusieurs ouvrages) et des évolutions du Tiers-Monde. Le nom est repris par le Laboratoire de Jean Dresch venu de l’Institut de géographie qui est partagé en 1968 entre Paris 7 et Paris 4. Yves Lacoste fonde en 1976, la revue Hérodote, revue de géographie et de géopolitique, cette vision stratégique qu’il entend donner aux relations entre États et dont il se fait le porte-drapeau. Il est professeur à l’Université de Paris 8, de Vincennes à Saint-Denis.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157743, notice LACOSTE Yves [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 26 mars 2014, dernière modification le 17 septembre 2020.

Par René Gallissot

SOURCES : Outre les nombreux ouvrages d’Yves et Camille Lacoste qui publient en outre régulièrement aux Éditions La Découverte : L’État du Maghreb, voir la contribution d’Yves Lacoste : Contre les anti-tiersmondistes et contre certains tiers-mondistes, La Découverte, Paris, 1985. Sur l’aide au FLN, témoignage de Sylvain Laboureur dans J. Charby, Les porteurs d’Espoir, La Découverte, Paris, 2004. — Échanges avec Yves Lacoste.

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