LAMBERT Pierre, pseudonyme de Pierre BOUSSEL [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 9 juin 1920 à Paris (XIIe arr.), mort le 16 janvier 2008 à Champcueil (Essonne) ; syndicaliste CGT puis FO ; après plusieurs scissions de la IVe Internationale, responsable de la Commission ouvrière du Parti communiste internationaliste, soucieux depuis 1947 de la syndicalisation des travailleurs algériens de l’immigration, et dirigeant principal du PCI lié à l’action politique de Messali.

Fils du tailleur Isser Boussel et de Sorka Grimberg, émigrés juifs de Russie à Paris, Pierre Boussel était employé des postes lorsqu’il épousa le 4 avril 1940 à Paris (XIIe arr.), Suzanne Simkhovitch, sténo-dactylographe, une union dissoute le 21 novembre 1946 et suivie d’un remariage à Vincennes (Val-de-Marne) le 23 décembre 1947. Il avait adhéré aux Jeunesses communistes avant d’avoir quinze ans. Il se détourne du PCF quand, en 1936, par adhésion à la défense nationale (accord Laval-Staline de 1935), le parti abandonne « l’action anti- » (anti-militariste, anti-colonialiste, voir au nom de Laurent Casanova pour la dissolution de cette section d’agit-prop). Il devient proche de Fred Zeller qui, à la direction de l’Entente des Jeunesses socialistes de la Seine, poursuit l’action anti-militariste et internationaliste sur des positions défendues par le bolchevik révolutionnaire en exil Léon Trotski, en opposition Staline. P. Boussel demeure aux Jeunesses socialistes, puis entre à l’organisation dissidente des Jeunesses socialistes autonomes qui rejoignent, en 1938, le Parti socialiste ouvrier et paysan animé par Marceau Pivert, dont il devient un dirigeant de son propre mouvement de jeunesses (JSOP).

Il se lie alors avec les internationalistes trotskystes du Parti communiste internationaliste et prend un pseudonyme tout en restant un activiste du PSOP, pratique qui deviendra un mode de noyautage pour faire pression sur le bureau dirigeant. Cette tendance, ou fraction, trotskyste est exclue en juin 1939 des Jeunesses socialistes ouvrières et paysannes. Entré aux PTT, Pierre Boussel est parallèlement un militant actif de la CGT.

Arrêté en 1940, condamné à la prison, il réussit à s’évader. Mandaté par l’ex-parti communiste internationaliste clandestin, il participe à la reconstruction de la CGT en région parisienne. Sous pseudonyme, il a, à un moment à la Libération, la responsabilité des « Jeunes » de la CGT. Il devient et reste un dirigeant de ce que l’on nomme généralement la Commission ouvrière du PCI qui suit l’action syndicale.

Il prend le nom de Pierre Lambert en devenant membre du comité central du PCI en 1945. Ce Parti est partie prenante des ruptures ; réunifications et alliances de la IVe Internationale. Il devient l’homme fort, ou l’un des hommes forts, du PCI conduisant l’entrisme dans les partis ouvriers et constituant des noyaux tenus dans le secret dans les organisations syndicales à commencer par la CGT et plus ouvertement à la CGT-FO communément appelée Force ouvrière, FO, après 1948.

Devenu contrôleur des allocations familiales qui est sa fonction jusqu’en 1980, Pierre Boussel (Lambert) est exclu de la CGT en 1950. Il avait pris position pour Tito dans le débat syndical qui correspond au conflit stalinien au sein du mouvement communiste. Il siège au titre de FO à la Chambre syndicale de la sécurité sociale. Homme des réunions préparatoires, des interventions téléguidées et du placement des militants, il est « très introduit » non seulement auprès de la direction de FO mais aussi à la FEN et dans le syndicalisme enseignant primaire d’abord, et secondaire voire universitaire. Dans les syndicats étudiants, ses partisans, très groupés pour s’imposer ou rompre, sont connus sous le nom de lambertistes. Pierre Boussel (Lambert) dispose d’un bureau à la Bourse du travail de Paris.

Au moment de la coupure de guerre froide en mai 1947, des grèves très dures à l’usine Renault de Billancourt entraînent des ouvriers algériens qui commencent à faire nombre parmi les manœuvres puis les OS (ouvriers dits spécialisés, en fait bloqués au travail à la chaîne). Guidés par Pierre Lambert à la tête de la Commission ouvrière du PCI, les syndicalistes « trotskystes » vont activer la syndicalisation des Algériens à la CGT en s’inspirant des mots d’ordre du parti de Messali appelé encore PPA, mais qui constitue maintenant la Fédération de France du MTLD. Ces activistes se réclament aussi fortement des communistes de l’anti-impérialisme, mais se situent du côté des nationalistes dans la rivalité qui se durcit dans le mouvement national algérien et dans l’émigration ouvrière entre nationalistes et communistes.

À Renault-Billancourt le syndicaliste lambertiste agissant, Daniel Renard, travaille effectivement à l’usine. Les réunions se passent éventuellement au logement d’Annie Cardinal, son épouse, qui, enseignante, répercute depuis Boulogne-Billancourt les décisions et les appels à la mobilisation, au SNI avec des relais à la FEN. L’influence communiste reste prépondérante à la CGT qui a créé la Commission nord-africaine de la région parisienne (voir aux noms de Mohamed Youkana* et Belouachrani), et dans d’autres départements. Cette tension se retrouve en effet dans les anciennes régions industrielles d’immigration algérienne parce que la syndicalisation à la CGT est forte et la figure de Messali portée par les anciens de l’ENA et du PPA, encore très ancrée.

Le soutien du PCI derrière Pierre Lambert colle de plus en plus aux prises de position de Messali en personne et bientôt en l’entourant. Pour mettre fin au succès de sa dernière grande tournée des villes algériennes, Messali est arrêté en Algérie et transféré en résidence à Niort (Deux-Sèvres) en mai 1952. Ce sont les lambertistes les plus dévoués, Madame Cardinal et sa fille Annie, épouse de Daniel Renard, qui s’occupent des deux enfants Ali et Djanina alors que leur mère, Émilie Busquant, « Mme Messali », est restée bloquée à Alger-Bouzaréah. Bien que par la suite, Messali ait plus de facilités pour accueillir ses enfants quand il est transféré, à la fin de 1954, aux Sables-d’Olonne (Vendée) près de la famille de son avocat, Yves Dechézelles, cette assistance ne faillit pas. Les échanges, et probablement l’estime, sont aussi politiques, au-delà de la connivence dans la hantise du communisme ou la détermination anti-communiste, sur fond de légitimation partagée par un discours et peut-être une foi prolétarienne devenue raison d’être.

Le congrès du PCI en juillet 1951 justifiait son choix messaliste en affirmant que « le MTLD représente en France une force prolétarienne indépendante appelée à un rôle important dans le développement de la lutte de classes ». Certes, l’essentiel est que cette force soit indépendante du PCF ; le militantisme internationaliste lambertiste n’en est pas moins de cultiver des bases ouvrières ; de là, la constance dans le travail syndical au sein de l’immigration algérienne.

Dans le partage du MTLD, Pierre Lambert se range derrière Messali du congrès de 1953 de rupture avec les partisans du comité central (centralistes établis à Alger) au congrès totalement messaliste à Hornu en juillet 1954. Pour répliquer au FLN qui a lancé l’insurrection du 1er Novembre, Messali crée le MNA en décembre 1954.

Plus qu’à ce parti qui bénéficie de l’aide pour sortir sa presse et s’abriter, c’est à la centrale syndicale qu’est l’USTA, fondée en février 1956, que vont les soins les plus grands des lambertistes. C’est à nouveau la preuve par le prolétariat, face au FLN qui s’emploie à pénétrer les bastions ouvriers par l’Amicale des travailleurs algériens (AGTA) appuyée sur l’ancienne Commission CGT, et à prendre le contrôle par le réseau des cafés et des hôtels et par les armes. Les messalistes usent des mêmes méthodes et les attentats se succèdent.

Le soutien du groupe lambertiste s’exprime longuement, surtout avec le retour de de Gaulle, sur le mot d’ordre de négociations pour en finir avec la guerre d’Algérie par une table ronde où serait représenté le MNA et présent Messali lui-même. Cette perspective est rendue caduque par les négociations d’Évian qui marquent un point de divergence entre Messali, qui ne renonce pas à chercher une voie, et Pierre Lambert, qui reste en mal de Révolution prolétarienne. Tout en perdurant dans son centralisme militaire qui se veut d’école bolchevique-léniniste, Boussel-Lambert renforce encore son anti-stalinisme au cœur des mouvements de jeunes révélés par l’engagement aux côtés des luttes de libération dans la tourmente internationale du mouvement communiste. Les liens de famille ou de relations proches sont demeurés avec ces vaincus de l’indépendance algérienne que sont les messalistes fidèles.

Candidat à l’élection présidentielle du 24 avril 1988, Boussel-Lambert arriva en huitième et dernière position avec 116 823 voix.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157793, notice LAMBERT Pierre, pseudonyme de Pierre BOUSSEL [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 28 mars 2014, dernière modification le 11 mai 2021.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. et bibliographie dans la notice du Dictionnaire du mouvement ouvrier français, Tome 33. — J. Simon, Messali Hadj (1898-1974). La passion de l’Algérie libre, Tirésias, Paris, 1998. — Journal officiel, 28 avril 1988 p. 5648. — Entretiens avec Benjamin Stora. — État civil.

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