LAMOUDI Lamine [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Secrétaire général de l’Association des Oulémas d’Algérie (1931-1935) ; rédacteur en chef de La Défense (1934-1939, hebdomadaire de cette association) ; vice-président du Congrès musulman en alliance avec le Front populaire.

Instruit dans la doctrine du réformisme musulman qui pénètre tardivement en Algérie, lettré en arabe et maniant remarquablement la langue française, Lamine Lamoudi assiste le Cheikh El Okbi dans son enseignement religieux à Biskra dans une médersa libre, à partir de 1924. Il devient, en 1931, le secrétaire général de l’Association des Oulémas. À ce moment, des protestations s’élèvent dans le monde arabe et à Genève autour de Chekib Arslan qui publie La Nation arabe, contre « le dahir berbère » qui, dans le Protectorat français au Maroc en légalisant un droit musulman coutumier, accompagne une tentative coloniale de division inspirée de politique berbère reprenant les essais au XIXe siècle de « politique kabyle » de l’administration militaire française en Algérie.

En Algérie, le débat porte sur la place des berbères dans l’histoire à la suite de la publication en 1931 par Hocine Lahmeck, dit Hesnay-Lameck, de Lettres algériennes . Dans cet ouvrage provocateur, et peut-être de commande administrative, les Berbères sont les seuls porteurs d’histoire algérienne, des origines à l’établissement de la présence française qui apporte aussi sa langue par l’école. Tout se passe sans que la moindre mention soit faite à l’islamisation. Cette présentation transhistorique est une des sources de ce qu’on appelle par la suite le berbérisme.

En langue française, Lamine Lamoudi se révèle capable de répondre par des articles défendant la place de l’islam pour un peuple défini déjà par une formule en usage dans le mouvement national au Maroc et qui sert aussi en Algérie, de peuple arabo-berbère. Le jeune secrétaire général des Oulémas est de tous les combats contre les confréries et contre les tentatives coloniales de susciter des associations rivales, en Kabylie notamment. Il se bat contre les attaques de l’administration qui veut contrôler les prêches dans les mosquées et fermer les médersas libres. Après avoir atteint son point culminant, en 1934, par l’application de mesures répressives (circulaire Michel et décret Régnier), une pause intervient en 1935. L’Association des Oulémas accepte que Lamine Lamoudi quitte son secrétariat général.

Depuis 1934, celui-ci est rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Défense, qui est l’expression de l’Association en langue française, alors que la quasi-totalité des publications liées au réformisme musulman est en arabe. Jusqu’à extinction en 1939, par sa qualité d’écriture, La Défense est le pendant « musulman » de La Voix des Humbles, la revue des instituteurs d’école française de l’« Association des instituteurs d’origine indigène ». Qui plus est, en parallèle du Front populaire, La Défense devient l’expression du Congrès musulman et joue donc un rôle politique éminent.

On pourrait dire que Lamine Lamoudi se situe dans le sillage de la circulaire Barthel (Jean Chaintron, instructeur de la Région communiste d’Algérie en 1935), qu’il connaît forcément puisque sa publication dans la presse coloniale a été retentissante. Comme la directive communiste, il soutient la constitution d’un « front musulman » agissant parallèlement au front anti-fasciste qui mobilise essentiellement les « Européens ». Il ne cesse de préconiser cette voie qui pourrait donner naissance à un parti musulman, même s’il ne passe jamais à l’acte pour ne pas briser l’alliance avec le PCA, très soupçonneux face à la manifestation d’un parti mono-communautaire. En juin 1936, aux premières assises du Congrès musulman, Lamine Lamoudi devient vice-président du comité permanent, derrière le président qui est le Dr Bendjelldoul de la Fédération des élus musulmans et aux côtés de l’autre vice-président qu’est le socialiste Belhadj.

À cette époque, Lamine Lamoudi accepte encore le compagnonnage avec le Dr Bendjelloul et la Fédération des élus musulmans. Par la suite, par conviction sociale et par pratique militante, il privilégie l’alliance avec les communistes et la CGT. Comme Ben Badis, il est adepte du militantisme syndical et il reprend le modèle des organisations de masse. Face au délire colonial et aux manifestations monstres de la droite, il défend le projet Blum-Viollette pour son ouverture à des citoyens de statut musulman. Aussi est-il rapidement en rivalité avec le choix de Messali qui entre en opposition avec le Congrès musulman et implante son propre parti, le PPA, en Algérie. La deuxième session du Congrès musulman, en juillet 1937, repose sur l’alliance des communistes et de l’Association des Oulémas dont Lamine Lamoudi est le porte parole. On sait que le Cheikh Ben Badis, qui est parfaitement bilingue comme toute sa famille instruite et de tous bords, se réserve de ne pas s’exprimer publiquement en français.

Devant l’impasse, pour ne pas dire l’abandon, puisque le projet Blum-Viollette n’est même pas présenté au parlement, Lamine Lamoudi relance l’idée de front musulman sous la forme d’un rassemblement politique qu’il faut aiguillonner. Il anime alors les Jeunesses du Congrès musulman, mouvement de jeunes qui tient des Scouts musulmans, dont il est le président. Il respecte le vœu du Congrès musulman de ne pas présenter ses propres candidats aux élections, mais il organise le soutien, est candidat lui-même, et se désiste en particulier en faveur du candidat communiste mieux placé. Évidemment la tension grandit avec le parti messaliste.

Face à la revanche coloniale en 1938 et à la déperdition tant du Front populaire que du Congrès musulman, la désillusion grandit et s’exprime dans La Défense. En 1939, la publication s’arrête. Certes, à la différence du PCA et du PPA, l’Association des Oulémas n’est pas interdite, mais elle perd en 1940 le Cheikh Ben Badis qui meurt d’un cancer. Lamine Lamoudi reste le témoin du temps de convergence du Congrès musulman et du mouvement ouvrier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157794, notice LAMOUDI Lamine [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 28 mars 2014, dernière modification le 28 mars 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. Outre-mer, Aix-en-Provence, 9H 42. — C.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine. t.2. 1871-1954, PUF, Paris 1979. — A. Merad, Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Essai d’histoire religieuse et sociale, Mouton, La Haye-Paris, 1967. — B. Stora, Dictionnaire biographique des nationalistes algériens, op. cit. — O. Carlier, Entre nation et dijhad, op. cit.

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