LAMRANI Laïd [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 3 novembre 1914 à Batna, probablement exécuté au maquis à la fin de 1955 ; avocat à Batna ; membre du comité central du PCA en 1949 ; candidat du PCA aux diverses élections jusqu’en avril 1955 ; en liaison avec les maquisards de l’Aurès organisés par Mostefa Ben Boulaïd, rejoignant l’ALN en juillet 1955.

La mère, Aicha Sisbane, de famille notable de la région des oasis et de Biskra, a pour frère, Me Sisbane, lui aussi avocat à Batna, délégué financier et personnalité importante de la Fédération des élus. Du côté paternel, une certaine aisance de bourgeoisie commerçante musulmane permet au fils aîné d’aller au lycée de Constantine et de s’inscrire à la faculté de droit d’Alger, puis de Toulouse, pour obtenir la licence en droit qui ouvre la profession d’avocat. Étudiant en France, Laïd Lamrani aurait rejoint les Jeunesses communistes dans l’après Front populaire. Il est mobilisé à deux reprises en 1939-1940 et, après le débarquement allié à Alger de novembre 1942, dans l’armée française d’Afrique du Nord qui participe aux campagnes de la libération de la France. Il revient à Batna, décoré de la Croix de guerre, pour ouvrir un cabinet d’avocat en 1945. Il prend pour clerc, Kaddour Belkhoja*, un militant communiste très actif.

Dans ce moment d’exaltation de La France combattante qui fait taire la droite coloniale qui avait collaboré avec le régime de Vichy, il est élu bâtonnier de l’ordre des avocats de Batna. Il est soutenu par son collègue avocat, membre de la SFIO, qui vient d’une famille juive locale, les Guedj. Tous les autres avocats sont « européens ». Il est certes respecté comme avocat ; surtout il acquiert la réputation d’être « l’avocat des pauvres ».

Membre du PCA et rapidement promu secrétaire de la section de la ville, il se consacre à la défense des paysans, métayers et ouvriers agricoles en compagnie des frères Debabèche et de Maurice Laban qui conduisent les luttes sur les oasis autour de Biskra, et quand sévit la revanche coloniale, contre le tout puissant bachaga Bengana, homme lige de l’administration coloniale. L’avocat intervient dans les affaires de concussion de caïds et de colons.

Il est aussi le candidat communiste prenant la parole dans toute la région, du massif des Aurès aux Territoires du Sud encore sous administration militaire. Avec Mohammed Guerrouf, Maurice Laban et le vétéran Mekki Chebbah, agitateur, bête noire des autorités, il prend part très activement, aidé par son prestige, au développement des groupes communistes de paysans, en particulier dans les vallées de l’Aurès où ils vont dépasser le millier d’adhérents.

Au congrès de 1949 du PCA, il est porté au comité central alors que Maurice Laban, élu forcé depuis la salle en 1947, n’est pas reconduit. Certes Laban est communément jugé insupportable par ses apostrophes contre les dirigeants, tandis que l’avocat Laïd Lamrani fait honneur au parti. Cependant, l’étiquette de « déviation nationaliste » qui s’attache à Maurice Laban depuis le temps du Manifeste d’appel à l’indépendance du PCA clandestin en 1940-1941 et ressort périodiquement, s’étend au groupe des communistes des oasis et de l’Aurès, comprenant donc Laïd Lamrani et Mekki Chebbah. Tous deux sont cités par la Commission d’enquête qui conclut à un blâme prononcé par la direction du PCA en juillet 1953 pour « esprit de groupe », mais leur nom n’apparaît pas dans la presse du PCA. C’est Maurice Laban qui en est à son deuxième blâme, qui est vilipendé et mis à l’écart.

Très tôt, Laïd Lamrani pense que l’impasse de politique coloniale française, verrouillée par les fraudes électorales et la répression accablante, ne laissera d’autre choix que la lutte armée. Des anciens de l’OS (organisation spéciale du MTLD), organisée dans l’Aurès par Mostafa Ben Boulaïd, se retrouvent dans les groupes paysans et repartent au maquis. Laïd Lamrani se montre loyal vis à vis de la direction du PCA à Alger en participant encore à la campagne des élections cantonales en avril 1955. Dans un meeting, il fait applaudir le nouveau secrétaire du PCA, Ahmed Akkache qui en appelle à la lutte armée. Le bureau politique ne cesse ses discussions internes sur la place du PCA qui ne saurait se dissoudre et sur le ralliement à l’ALN et au FLN qui ne peut se faire qu’en tant que parti.

Son camarade Mohammed Guerrouf, également membre du comité central et qui a les contacts avec les paysans maquisards, est arrêté en février 1955. Interdit de séjour dans le Constantinois après la campagne électorale, Laïd Lamrani passe à la clandestinité. Son jeune frère, Abdelhamid Lamrani, est le secrétaire et l’adjoint immédiat du chef militaire de l’ALN dans l’Aurès qui est Mostafa Ben Boulaïd. Laïd Lamrani entre en relations directes.

Il fait rapport de ces contacts à une réunion du comité central à Alger. Les dirigeants du PCA se prononcent contre la montée au maquis de Maurice Laban, laissant, semble-t-il, aux décisions individuelles, des ralliements qui n’impliquent donc pas le parti. En juillet, Laïd Lamrani gagne le maquis, rejoint notamment depuis Constantine par Georges Raffini, cet autre ancien des Brigades internationales. Mostafa Ben Boulaïd a été capturé au printemps 1955. Il s’évade le 10 novembre pour revenir reprendre le commandement des maquisards de l’Aurès partagés en son absence par des querelles de chefs et peut-être embrigadés par des chefs de bande manipulés.

Dénonçant « la collusion du Parti communiste et du terrorisme », La Dépêche de Constantine du 24 décembre 1955 annonce à grand fracas la mort de Me Lamrani et de « l’ancien instituteur Maurice Laban », « tombés » au cours d’un combat dit de Bouyakadane ; ils avaient ralliés « les hors-la-loi » ; ils auraient été abattus par « le chef de bande Kerbaddou », désigné par ailleurs comme « européen », qui, lui, blessé et fait prisonnier, aurait fait le récit de l’accrochage.

On sait que Maurice Laban n’était pas là, mais est tué plus tard au maquis des Combattants de la libération. Laïd Lamrani et Georges Raffini ont bien disparu depuis cette fin d’année 1955. Ont-ils été exécutés au maquis ou entre bandes mal contrôlées, et comme communistes ? Pour contredire cette version, continuateur du PCA, le PAGS ne cessera de répéter, comme encore le numéro du 15 octobre 1979 dans son journal Saout el Chaab (La voix du peuple), pour faire de Laïd Lamrani son héros : « Dans l’ALN, il se bat les armes à la main et tombera en martyr de l’indépendance et du socialisme ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157795, notice LAMRANI Laïd [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 28 mars 2014, dernière modification le 29 mars 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Témoignages recueillis par A. Taleb-Bendiab. — Notes sur rapports de renseignements, arch. militaires françaises, armée de terre, Vincennes. — Liberté (PCA) et Alger Républicain, 1945-1955. — J.-L. Einaudi, Un Algérien Maurice Laban, Le cherche midi éditeur, Paris, 1999. — Ouanessa Siari Tengour, Histoire contemporaine de l’Algérie. Nouveaux objets, CRASC, Oran, 2010 et notes complémentaires transmises par courrier, faisant état des disparitions aux archives du SHAT, Vincennes.

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