ALSFASSER Alphonse, Hippolyte pseudo Louis Granger

Par Jean-Marie Guillon, Jean-Pierre Ravery

Né le 21 novembre 1903 à Brest (Finistère), abattu le 26 novembre 1943 à Ramatuelle (Var) ; cordonnier ; agent des services spéciaux français SSMF/ « Travaux Ruraux » du colonel Paillole.

Selon Paul Paillole, Alphonse Alsfasser était issu d’une famille d’Alsaciens réfugiés en Algérie après la guerre de 1870-71. Il aurait été élève au Lycée Fromentin d’Alger, aurait acquis une formation de cordonnier, mais aurait « mal tourné ». Dans ses témoignages et notamment dans son ouvrage de souvenirs, Services spéciaux (1935-1945), le colonel Paillole indique qu’Alsfasser était un membre du « milieu » algérois. Mobilisé en métropole en 1939, celui-ci fut réformé temporaire le 8 janvier 1940. Pour on ne sait quelles raisons, il aurait été recherché par les Allemands. Il rejoignit la France combattante sous l’identité de Louis Granger en passant en Espagne le 13 janvier 1943. Interné à Lerida jusqu’au 24 mars, assigné à résidence à Barcelone, puis Madrid, il fut transféré en Algérie, via Gibraltar. Après avoir débarqué à Oran, il regagna Alger, où il fit la connaissance du commissaire Robert Blémant, chef de la sécurité personnelle du général Giraud, qui le présenta au commandant Paillole, commandant les services de contre-espionnage de l’armée d’armistice, repliés en Afrique du Nord en novembre 1942. Paillole, qui le recruta alors, le décrivit ainsi dans le n°35 du Bulletin de l’A.A.S.S.D.N. : « Discret, résolu, il s’était présenté à moi à El Biar à Alger pour me faire part de sa volonté de se joindre à nos réseaux métropolitains et de participer à leur lutte » pour la mémoire des siens chassés d’Alsace en 1871. Il lui aurait dit être seul et qu’il ne laisserait derrière lui aucun regret.
Paillole chargea Alsfasser de l’exécution de l’intendant de police de Toulouse Barthelet, adversaire acharné de la Résistance. Barthelet avait précédemment sévi à Lyon comme commissaire de police. Il se vantait d’avoir réussi à placer des indicateurs dans les réseaux de résistance et de préparer un vaste coup de filet. Or Toulouse avait une importance cruciale pour la Résistance et les services secrets en tant que plaque tournante vers l’Espagne. Débarqué dans la presqu’île de Saint-Tropez, à La Caissine (La Roche Escudelier, commune de Ramatuelle) par le sous-marin L’Aréthuse dans la nuit du 27 au 28 septembre 1943, Alsfasser se rendit à Perpignan pour rencontrer Bernard Arsaguet, inspecteur de la Surveillance du Territoire et par ailleurs, agent des services spéciaux. Ce dernier le conduisit à Toulouse et lui présenta Marcel Taillandier, alias « Morhange », chef d’un groupe d’action directe (GAD) contrôlé par Alger. Les deux hommes mirent l’opération au point ensemble. Le 23 octobre à 20h15, Alsfasser et un membre du groupe Mohrange, André Fontes, armés de mitraillettes américaines Thomson, abattirent Barthelet alors qu’il gravissait les marches du perron de sa villa, 8 rue Goudouli, près du pont des Demoiselles. L’attentat fit d’autant plus de bruit que le 10 octobre précédent, la résistance communiste avait exécuté le procureur général Lespinasse, qui avait requis la peine de mort contre le chef des FTP-MOI toulousains, Mendel Langer. Les membres de la haute fonction publique savaient désormais qu’ils auraient à payer le prix fort pour leurs actions contre la Résistance et Radio-Londres ne se priva pas d’y insister tandis que René Bousquet venait à Toulouse prononcer l’éloge funèbre de son ami « assassiné par les terroristes ».
Le retour en Algérie d’Alsfasser fut préparé par l’antenne locale des « Travaux ruraux » (TR), couverture du service du commandant Paillole, mais infiltrée par un agent de l’Abwehr, Max de Wilde. Les services de la Sipo-SD de Marseille furent par là informés de l’opération d’embarquement qui se préparait à l’endroit même où Alsfasser avait débarqué quelques semaines auparavant. L’interception eut lieu dans la nuit du 26 au 27 novembre 1943, alors qu’un groupe, dans lequel se trouvait la fille du général Giraud, devait embarquer sur le sous-marin La Perle. Alsfasser se serait sacrifié pour protéger le repli de ses camarades. Il fut le seul tué au cours de l’échange de coups de feu, mais deux autres candidats à l’embarquement, le capitaine de corvette Louis Pothuau et Pierre Israël* alias Pierre Mortier furent arrêtés. Le reste du groupe (plus d’une douzaine de personnes dont Monique Giraud) put s’échapper. Alphonse Alsfasser fut inhumé dans le cimetière de Ramatuelle. Homologué comme caporal de la direction de la Sécurité militaire, il reçut à titre posthume la Croix de guerre avec palme de bronze, le 18 février 1944 avec la citation suivante : « Chargé sur sa demande d’une mission particulièrement dangereuse en territoire occupé par l’ennemi, s’en est acquitté très brillamment. Surpris par une patrouille allemande alors que sa mission était terminée, s’est battu jusqu’au dernier souffle, permettant à plusieurs de ses camarades de s’échapper avec un important courrier. » Cette citation fut gravée sur sa pierre tombale. Une place Alphonse Alsfasser a été inaugurée à Ramatuelle le 31 mai 1945 avec une plaque commémorative. C’est là que le monument “ A la gloire des combattants de la Résistance des Services Spéciaux, de la Défense Nationale. A la mémoire de leurs héros morts pour France 1940–1944 ”, érigé en 1959 par l’amicale des anciens des services spéciaux de la défense nationale (AASSDN) présidée par le colonel Paillole, a été transféré. « Mort pour la France ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157879, notice ALSFASSER Alphonse, Hippolyte pseudo Louis Granger par Jean-Marie Guillon, Jean-Pierre Ravery, version mise en ligne le 4 juin 2014, dernière modification le 26 octobre 2019.

Par Jean-Marie Guillon, Jean-Pierre Ravery

SOURCES : Site internet de l’Association des Anciens des Services spéciaux de la Défense Nationale. — Brooks Richards, Flottilles secrètes, éd. Marcel-Didier Vrac, 200. — Michel Goubet, La Résistance et les années noires à Toulouse et en Haute-Garonne 1940-1944, Toulouse, Scérén/CRDP Midi-Pyrénées, 2004. — Livre d’Or du Mémorial de Ramatuelle 1939-1945, AASSDN, Paris, 2005. —Jean-Marie Guillon, La Résistance dans le Var, Université de Provence (Aix-Marseille I), 1989. — Paul Paillole, Services spéciaux (1939-1945), Robert Laffont, 1975 et Bulletin de l’A.A.S.S.S.N. n°35 et 160. — Philip John Stead, Le 2ème Bureau sous l’occupation, Fayard, 1966.

ICONOGRAPHIE : www.memorial-genweb.org

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