ROZIER Alphonse [Pseudonyme dans la résistance : Denise, Jérôme, Jean]

Par Eric Panthou

Né le 30 avril 1907 à Monteignet-sur-l’Andelot (Allier), mort le 13 février 1999 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; ouvrier électricien puis directeur de deux petites entreprises électriques ; résistant, responsable du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (FN) du Puy-de-Dôme, membre des Francs-tireurs et partisans (FTP) ; membre du PCF sous l’Occupation.

Alphonse Rozier
Alphonse Rozier
Transmis par Eric Panthou

Nommé à de hautes responsabilités au sein du Front National puis représentant des FTPF au Comité départemental de Libération du Puy-de-Dôme, n’ayant accepté d’adhérer au PCF qu’au moment de l’Occupation avant de s’en éloigner dès 1944,
Alphonse Rozier est une figure mal connue du mouvement ouvrier du Puy-de-Dôme.

Issu d’un milieu paysan, il explique dans ses mémoires son caractère indépendant et quelque peu rebelle par l’exemple de sa mère. Il a sept ans quand son père, Gilbert, est mobilisé malgré 3 enfants en bas âge. Il fut placé à sa sortie d’école chez des cultivateurs. Il regretta que sa mère Anne, née Tourret, qui avait poursuivi ses études jusqu’à dix-sept ans, n’ait pas eu plus d’ambition pour ses enfants.

Alphonse Rozier fit son service militaire dans l’infanterie de Marine en 1927 pour 18 mois. Appelé à tirer sur la foule venue manifester à Toulon en faveur de la libération de Sacco et Vanzetti, il refuse. Il est rétrogradé et affecté pendant un an en Syrie et au Liban dans une unité combattante. Il y découvre la guérilla. Cela le marqua durablement car il a pu, à cette occasion, apprécier l’efficacité de cette forme de combat opposée au combat plus statique des concentrations, comme put l’être la mobilisation du Mont-Mouchet en 1944 en Auvergne.

Après son service, il fut employé d’une compagnie électrique en montagne Bourbonnaise. En 1932, il partit travailler à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) dans une maison de commerce. Il renoua alors avec un ami d’enfance, Henri Diot, secrétaire du syndicat CGTU de la métallurgie du Puy-de-Dôme et cadre du PCF dans la région.
Avide de connaissances et d’une formation politique, Rozier fréquente dès lors régulièrement le local du PCF où il sympathisa avec Guy Périlhou le secrétaire fédéral du Puy-de-Dôme.
Il fut marqué par la manifestation du 12 février 1934 à Clermont-Ferrand. Il place celle-ci comme l’acte de naissance de la Résistance. C’est également à cette époque qu’il épousa Denise Marguerite Gandeau à Monteignet-sur-l’Andelot le 20 janvier 1934.
Il est bientôt membre du bureau de la maison de la culture créée à Clermont-Ferrand juste avant-guerre pour sensibiliser l’opinion et notamment la jeunesse étudiante à la montée du fascisme. Il retrouve là encore plusieurs intellectuels membres du PCF.

Sollicité à plusieurs occasions durant ces années d’avant-guerre pour adhérer au Parti, il refusa alors systématiquement, sa foi chrétienne l’empêchant de rejoindre une organisation athée comme le PCF. Il reconnaissait cependant que ce parti était pour lui « le plus dynamique et le meilleur défenseur du monde ouvrier ». Il ne semble pas davantage avoir rejoint la CGT alors qu’au même moment l’UD passait de 10 000 à 40 000 adhérents.

Après août 1939, il respecta la promesse faite à Henri Diot de se mettre à la disposition du PCF tant qu’il serait dans l’illégalité. Il aida alors Guy Périlhou à cacher ses archives et servit d’intermédiaire avec d’autres cadres. C’est cependant Claude Servajean, et non Rozier, qui cacha les archives de Périlhou. Démobilisé en juillet 1940, il rejoignit, à l’invitation du communiste Lucien Voulhoux, un groupe d’une trentaine de militants clermontois qui allait constituer l’un des embryons de la Résistance locale au régime de Vichy. Alphonse Rozier semble avoir quitté son emploi dans le commerce en décembre 1940. Lucien Voulhoux lui obtient un emploi qui permettait d’avoir une couverture. Embauché au Consortium Électrique du Centre, il est alors chargé de la réparation radio et du dépannage électrique de tous les bâtiments militaires de la région. Il n’avait pas d’heures fixes et changeait fréquemment de chantiers, ce qui rendait très difficile toute filature. Son patron, M. Flagel, continua plus tard à lui verser un salaire bien que Rozier ait dû rejoindre la clandestinité
Avec les deux autres jeunes avec lesquels il forma un triangle, il écrivit des slogans sur les murs, diffusa tracts et journaux clandestins. Il fut l’un des premiers à distribuer le journal Témoignage Chrétien en novembre 1941, preuve sans doute de ses liens précoces avec les milieux catholiques.

Parce que c’est un homme de confiance et parce que les principaux dirigeants locaux du PCF étaient arrêtés ou en fuite, Alphonse Rozier -pseudonymes Jérôme, Denise pour le Front National ou les FTP- est sollicité pour assurer des responsabilités. C’est sans doute dès ces premières semaines d’engagement qu’il accepte de prendre sa carte au Parti devenu clandestin. Adhérer était sans doute la condition pour pouvoir accéder aux responsabilités importantes qu’on proposa à Rozier.

Dans un courrier du 16 février 1951 (?) à l’Office départemental des Anciens combattants, il expose précisément ces états de service, indiquant avoir adhéré en 1940 au PC illégal et ce jusqu’en 1943. Au sein du Parti, d’abord simple militant, il devient très vite fin 1940 commissaire aux opérations -abréviation « OP »- pour la ville de Clermont-Ferrand. L’OP est chargé de la rédaction des tracts, de se procurer papier, encre, stencils et chargé de l’impression. Il devient ensuite OP régional, chargé de la presse, en particulier La Voix du Peuple, l’organe du PCF.

Il fit partie du premier comité directeur du Front National dans la région, en mai 1941, puis fut chargé de l’organisation du Front National de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (FN) avant d’être désigné comme représentant des FTPF et du Front national à plusieurs Comités Départementaux de Libération en 1944. Il se présente dans un rapport interne à la direction départementale du PCF en septembre 1944 comme ancien responsable du Front National dans la région, responsabilité à laquelle il accède en octobre et novembre 1943 et alors que l’organisation stagne. Dans son dossier de demande de la carte de Combattant volontaire de la résistance, il déclare avoir été membre de 1942 à 1943 du comité régional du Parti communiste, sous la direction de Pierre Girardot, affirmation qu’on ne retrouve qu’une fois dans les documents conservés par Alphonse Rozier, preuve qu’il a voulu gommer cet engagement.

Son supérieur, Pierre Girardot, dit Négro, lui ordonna de ne jamais dévoiler son appartenance au PCF lors de ses contacts. Cette consigne s’explique sans doute parce que la direction du PCF voulait pouvoir dire qu’elle ne s’appuyait pas exclusivement sur des hommes du Parti pour permettre l’essor du Front national ou des FTP. Rozier, non catalogué comme communiste et ayant des contacts au sein des catholiques était une figure qu’on ne devait pas faire passer comme homme du PCF. On peut considérer que cette tactique fut efficace puisque Rozier peut se prévaloir du soutien de Témoignage Chrétien mais aussi des dirigeants et membres de la CFTC lors d’un Comité de Libération en 1944. 400 militants sont ainsi recrutés au FN début 1944. Le Parti a fréquemment utilisé cette stratégie pour placer des hommes de confiance dans l’appareil d’autres organisations de la Résistance pour renforcer son poids. De même, certains militants rejoignirent les Mouvements Unis de la Résistance (MUR) en Auvergne, sur ordre de leur direction.

Il s’avère que Rozier n’a jamais évoqué cette adhésion, ni à ses proches, ni aux historiens qui l’ont interrogé, ni dans les centaines de pages de ses mémoires manuscrites.

Rozier eut un rôle d’organisateur, chargé des contacts avec des hommes ou femmes recueillant des renseignements. Son contact avec la direction nationale du PCF était « Camille », le frère du colonel Fabien. Rozier se présentait comme un FTP « sédentaire ». Il est davantage connu comme responsable du Front national.
Plus que les opérations spectaculaires, Alphonse Rozier voulait mettre en valeur toutes ces actions de diffusion de la presse, sabotages, vols de matériel effectués par ces centaines d’hommes et femmes, ceux qu’il appelle avec fierté le peuple. Nommé à la tête du Front national fin 1943, il décide de renforcer l’organisation dans les milieux « bourgeois » dit-il : commerçants, professions intellectuelles, chez les catholiques aussi. Jean Pérus alias Vidal, l’aide dans ce travail, prenant contact avec des industriels, notamment Bergougnan (pneumatiques). Rozier cherche aussi le soutien de personnalités politiques. De par ses responsabilités, il fut l’intermédiaire entre le Front National et Alexandre Varenne, directeur du quotidien de gauche La Montagne, qui fournit du papier à la Résistance. De là naquit une amitié entre Rozier et la principale figure socialiste du département depuis le début du siècle. Rozier affirme dans un rapport interne du PCF avoir obtenu l’adhésion de Varenne au Front national. Ceci nous paraît davantage être un soutien moral et matériel plus qu’un engagement, jamais rendu public.
Rozier est présenté comme le principal contact de Roger Pinel alias « Pierre-Paul Hasard », responsable du Front national en Haute-Loire en 1944.

Les progrès dans l’organisation et le recrutement au sein du Front national étant assez lents, la direction lui demande de devenir permanent vers février 1944 et lui adjoint deux ouvriers pour renforcer l’implantation dans ce milieu, en particulier Edmond Vigier. L’aide d’un jeune paysan permet de créer des comités locaux du Front national dans les régions de Manzat, Thiers, Riom.
Rozier obtient alors le renfort de Philippe (pseudo d’Henri Saby-Viricel) pour s’occuper du Front national à Clermont-Ferrand et plus particulièrement en direction de la CGT, milieu que Rozier ne connaissait pas.

Repéré par la Milice fin avril 1944, Rozier doit fuir et rejoint la région d’Ambert avec l’accord de Girardot. Il est chargé d’organiser le Front national dans ce secteur.
C’est la période où selon les attestations fournies par Ameurlain, responsable InterRégional FTP et Louis Porte, Commissaire Technique de l’InterRégion FTP A, Rozier devint FTP, jusqu’au 27 août 1944. Il fut incorporé aux FTP comme représentant de l’état-major interrégional pour le secteur de Thiers et a par ailleurs combattu dans les rangs de la Compagnie FTP de Saint-Eloy-la-Glacière.
C’est ce départ pendant 8 jours et l’absence de contacts avec Philippe qui lui fut reproché ensuite. Rozier précise que les règles de sécurité n’étaient plus suivies assez strictement à cette époque et que jusqu’à 7 contacts avaient pu passer en une journée chez lui quelques jours avant qu’il soit obligé de fuir. Par ailleurs, il faut rappeler qu’une série d’arrestations a lieu chez les FTP après que le 30 avril le Comité militaire inter-régional (CMIR) se soit réunit à Clermont-Ferrand.

Rozier se présentait comme celui qui refusa de donner l’ordre aux FTP de rejoindre le maquis de la Margeride, en mai-juin 1944, au nom du fait qu’ils n’avaient jamais reçu les armes promises par les MUR.
Rozier a-t-il sciemment refusé d’obéir à la direction nationale du PCF lui intimant l’ordre d’engager ses hommes aux côtés des MUR, comme il le déclara à l’historien Eugène Martres ? Ou, a-t-il pris cette lourde décision sans avoir reçu le moindre ordre ou consigne, comme il l’écrit dans ses mémoires ?

Les nombreux rapports et échanges entre direction nationale et régionale du PC à cette date, présents dans le fonds Jacques Duclos, attestent bien du désaccord entre les deux parties. Mais Rozier n’est pas le principal cadre mis en cause. Son supérieur, Pierre Girardot alias Négro mais également |Victor Joannès->73291] dit Jean, placé au-dessus de Girardot en tant qu’envoyé du Comité central pour superviser l’action dans la région Loire, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Cantal et Allier, sont directement désapprouvés ; tout comme Hubert Mugnier, dit Gilbert, instructeur du Comité Central pour l’interrégion A. On leur reproche de n’avoir pas pris conscience de l’importance de l’écho de l’appel au maquis dans les milieux ouvriers qui rejoignent celui-ci par milliers en quelques jours.

Malgré l’attention portée par la direction nationale du Parti et les ordres fermes donnés pour redresser la situation, la position de la direction régionale fut respectée. Aucun des groupes de FTP de la région, hormis ceux du Cantal, ne s’engagea au Mont Mouchet et dans les gorges de la Truyère. Mais de nombreux FTP s’engagèrent soit à titre individuel soit au sein de groupes des MUR.

Ce refus de participer au maquis devant immobiliser les troupes allemandes au moment du débarquement fut considéré comme une faute politique et valut à Girardot d’être démis de ses responsabilités et déplacés. Il en fut de même de Jean (Victor Joannès), déplacé également. Les sanctions contre Rozier tombèrent un peu plus tard.
Les rapports internes conservés dans le fonds Duclos prouvent sans contestation possible l’importance des responsabilités de Rozier. Et ceci est confirmé par le fait qu’il est le cadre qui assista au plus grand nombre d’instances du Comité régional de Libération en 1944.

Rozier, aussi bien dans ses écrits que ses témoignages, affirme que dès la Libération, il s’éloigna des milieux résistants et du PCF, révolté par la justice expéditive, gêné par les abus commis, le culte de la personnalité envers Thorez. C’est la raison pour laquelle, Alphonse Rozier a toujours accordé de l’importance sur la date de fin de son action de résistant, correspondant à celle de la Libération de la région et la fin des combats. Il ne voulait pas être associé à ce qu’il considérait comme les manigances du PCF.

En réalité, si Rozier a certainement été choqué par ces faits, sa mise à l’écart a bien été une décision de la direction du PCF dont il se considère encore membre en septembre 1944. On lui reproche de s’être mis en danger courant mai 1944 et de ne pas avoir transmis de rapports à la direction dans la période suivante. Contrairement à ce que lui a fait dire en août 1944 celui à l’origine de ces sanctions, Philippe, son adjoint à la tête du Front national, Rozier n’est pas exclu du PCF et du FN. La direction a décidé de « couper » avec lui.

La mauvaise appréciation par Rozier de l’importance de la levée en masse du Mont-Mouchet et sa persistance à maintenir une position hostile aux MUR semblent être l’explication la plus crédible de cette mise à l’écart. Rozier est mis « à la base » comme il est ajouté au bas de l’un de ses courriers à la direction régionale, en septembre 1944. Ce terme voulait dire, retrait de toute ses responsabilités. Et c’est effectivement ce qui survint, Rozier ne retrouvant plus son poste au sein du secrétariat régional du Front national à son retour dans Clermont-Ferrand libéré début août 1944.

Il y a sans doute aussi des raisons d’ordres personnelles ayant motivé ces sanctions. Philippe a pris la place de Rozier à la tête du Front National. Rozier lui reproche d’avoir fait le vide autour de lui, ce qui l’a empêché de transmettre ces compte-rendus. Rozier a également déclaré à l’historien Eugène Martres que Philippe aurait commis des exactions au moment de l’Épuration, ce qui aurait amené Jean Curabet, Président du Comité Départemental de Libération, à vouloir le faire arrêter. Si ces accusations étaient fondées, Philippe en a t-il profité pour se débarrasser d’un homme gênant et ainsi renforcer sa position dans un Parti qu’il n’avait rejoint qu’en 1942 après avoir été longtemps considéré comme anticommuniste ?

Rozier se dit profondément choqué de ce que Philippe a pu dire sur lui et « demande à la direction centrale, si la direction régionale n’est pas accréditée, de statuer rapidement » sur son cas en réunissant une commission et en le confrontant à son accusateur, en présence de Girardot. Rozier conclut en demandant simplement à être considéré comme militant de base. Dès cet instant, s’il n’a pas renoncé à défendre son honneur et à rester adhérent du PCF, il a par contre déjà renoncé à briguer d’autres responsabilités.

Il fut aussi désappointé par le fait que le PCF ne trouva rien à redire au fait qu’aucun des postes de responsables administratifs ne soit attribué à la Libération aux membres du Front National, à commencer par celui de maire de Clermont-Ferrand, revendiqué pour le communiste Robert Marchadier au Comité Régional de Libération d’Aubière le 20 janvier 1944.
C’est probablement à cette époque, vers octobre 1944, qu’il décide sans doute de lui-même de s’éloigner du PCF et des milieux de la Résistance. Selon ses souvenirs manuscrits, il refusa alors la Légion d’honneur et déclara ne pas avoir déposé de dossier de reconnaissance comme ancien FFI. Il fit néanmoins une démarche en février 1947 pour savoir comment obtenir la carte de Combattant de la Résistance.
Mais en février 1951, sans doute contrarié par la réponse qui venait de lui être faite, il écrivit à l’office départemental des Anciens combattants pour dire qu’il ne tenait pas du tout à la carte de Combattant de la Résistance, l’estime de ses amis de l’époque lui suffisant. Il répond au reproche qui lui est fait de ne pas avoir fait fourni un certificat d’appartenance "modèle national", délivré par l’autorité militaire et sous la signature du général commandant la région. Il déclare alors que lui et que beaucoup de ceux qu’il a connu dans la Résistance sont "profondément dégoutés de toutes ces démarches pour se procurer une carte parfois bien gagnée". Il conclut. "Votre carte de combattant, vous pouvez la garder pour vous, je n’entre pas dans une organisation par la porte de service".

Il déposa néanmoins un dossier demandant la carte de Combattant volontaire de la Résistance fin décembre 1955. La Commission départementale donna un avis défavorable à cette attribution, en octobre 1956, tandis que la commission nationale lui accorda ce titre de CVR en février 1958. Le refus de la Commission départementale peut paraître surprenant mais la lettre de Rozier à l’office des Anciens combattants en 1951 peut aussi expliquer ce choix.
La décision a été prise à la majorité ; elle fut motivée par le fait que "l’intéressé est inconnu des membres de la Commission et son activité dans la Résistance insuffisamment caractérisée." L’intéressé n’a pu être identifié aux différents fichiers du dépôt régional d’archives FFI précise un document en date du 4 octobre 1956. Pourtant, les deux attestations de Porte et Ameurlain sont antérieures à la date de la Commission et sont explicites. En outre, Rozier ne pouvait être considéré comme inconnu alors qu’il a participé à deux réunions du Comité régional ou comité départemental de Libération. Raymond Perrier, qui avait siégé à certaines de ces instances, ne pouvait ignorer l’existence de Rozier.

Mais la coupure avec le PCF n’est pas définitive puisque selon un rapport de Guy Périlhou rédigé pour la direction nationale du PCF sur la situation du Front national dans le Puy-de-Dôme fin mars 1945, celui-ci écrit : « J’ai rencontré d’autre part, le prédécesseur de M. Philippe dans la clandestinité nommé Rozier qui est à l’heure actuelle secrétaire de France-URSS. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ce camarade a été écarté de la direction du FN car il possédait toutes les qualités requises pour ce travail. En discutant avec lui, je me suis aperçu que tous les membres du Comité directeur qui existaient lorsqu’il était responsable ont été écartés en même temps que lui et ainsi, on a laissé perdre des appuis assez importants. C’est à ce moment là en particulier qu’on a rompu avec M. Alexandre Varenne, avec M. Fabre, directeur de la Montagne, avec M. Priesley, vice-consul et peut-être d’autres. » Ainsi, Alphonse Rozier a été nommé secrétaire de l’association France URSS en 1945, une structure entièrement contrôlée par la direction du PCF. Donc, non seulement Alphonse Rozier accepte de continuer d’agir au sein d’une structure contrôlée par le PCF, mais de plus il y est nommé à une place de direction. Cependant, on ne trouve nulle trace de Rozier au congrès département des Comités France-URSS qui se tient à l’automne 1945. La lettre confirme en outre les critiques de Rozier à l’égard de l’ « épuration » à la tête du Front national au sortir de la guerre.

Au printemps 1945, il passe le concours d’inspecteur de sécurité du Bâtiment et des Travaux Publics. Il ouvre alors avec 5 ou 6 "copains" un consortium dont le siège était rue Ballainvilliers, au centre de Clermont-Ferrand. Puis il crée avec un associé, en juillet 1946, les Ateliers Électriques du Centre pour exploiter son premier brevet d’invention sur les "bobines blindées", petite entreprise ne dépassant jamais la dizaine de salariés. Pour exploiter son second brevet d’invention, il crée, seul, une seconde société : la "vibropercussion". Actionnaire majoritaire, il céda ses parts aux ouvriers au moment de sa retraite.

Alphonse Rozier se distingua par le fait qu’il embaucha des hommes qui avaient été licenciés ailleurs pour leurs convictions et actions politiques ou syndicales. La plupart étaient des membres du PCF. Il réalisa pour plusieurs d’entre eux de faux certificats de travail pour leur permettre d’être réembaucher ailleurs.
Après vingt ans de silence, Rozier décide au milieu des années soixante de s’exprimer sur son action dans la Résistance et son rôle de chef des FTPF, responsabilité qu’il considère comme incontestable, même si c’est son rôle au sein du Front national qui est mis en valeur dans les attestations ou témoignages le concernant.
Il entame alors l’écriture de ses mémoires, pour témoigner d’abord auprès de ses enfants. Il dépose aussi un dossier en vue de l’attribution de la carte du Combattant Volontaire de la Résistance. Il s’investit dans la recherche de documents, la fourniture de témoignages et plus tard par l’aide importante qu’il apporta à l’historien américain John Sweets dans ses recherches sur Clermont-Ferrand et le Puy-de-Dôme sous l’Occupation. Cette rencontre fut à l’origine d’une amitié durable entre les deux hommes et leurs proches.

Rozier fut une nouvelle fois déçu par l’attitude du PC et en particulier de Rol-Tanguy, envoyé spécialement pour régler un conflit entre résistants du département en 1970. La direction départementale de l’ANACR, avec le soutien de certains membres du Parti communiste issus de la Résistance, a alors une convergence de vues avec Émile Coulaudon, ancien chef des MUR, pour faire capoter l’exposition importante sur la Résistance qu’Alphonse Rozier et l’ANACR avaient montée. Celle-ci, bien que jugée d’une très haute qualité par plusieurs témoins, en particulier archivistes, a pu être perçue comme dangereuse pour l’image des MUR et de Coulaudon notamment. Elle mettait en valeur l’action des FTP et, à l’inverse, accordait une place limitée aux combats du Mont Mouchet qui depuis la Libération incarnent la Résistance en Auvergne. On fit alors pression pour repousser l’exposition puis pour que Rozier remette les panneaux, conservés chez lui. Ce dernier fit alors part de ses craintes de représailles contre les siens pour avoir refusé de transiger. Finalement, il cède à une injonction de l’ANACR de déplacer l’ensemble des panneaux au printemps 1969. Entreposés, contre son avis, dans un hangar appartenant à Coulaudon, les panneaux brûlent « accidentellement » quelques jours avant le début de l’exposition !
Bien qu’aucun rapport ne soit conservé aux archives, l’intention criminelle ne fit pas de doute pour les services d’incendie selon deux témoignages recueillis auprès de personnes travaillant dans l’entourage du préfet de l’époque. Cet événement, largement occulté dans la mémoire des milieux résistants de la région, eut pourtant comme première conséquence de mettre fin au projet d’ouverture prochaine d’un musée de la résistance à Clermont-Ferrand sur la base des documents et objets récoltés pour l’exposition. Il fallut attendre 1994 pour qu’un musée soit créé ici.
Malgré l’immense rancœur liée à l’échec de cette exposition et le sentiment d’injustice face à sa mise à l’écart en septembre 1944, Rozier défendit jusqu’à la fin de sa vie la mémoire et l’honneur des militants du PCF qu’il présentait comme les premiers résistants au fascisme. Il est ainsi en novembre 1972 membre de la commission de l’amicale départementale FN-FTPF du Puy-de-Dôme chargée de publier des documents et archives sur le Front national pendant la guerre.
Cette amicale, créé à la fin des années 70, suscita de nouvelles tensions dans les milieux résistants, y compris chez les anciens FTP. Certains comme Lucien Ollier, considèrent comme des diviseurs les trois hommes présentés comme à l’initiative de cette association. Celle-ci apparaissait comme concurrente de l’ANACR. Plusieurs anciens chefs FTP publièrent ainsi des tribunes dans le journal de l’ANACR pour dénoncer cette nouvelle structure.

Le fait que Rozier ne dévoila pas qu’il avait pris sa carte au PCF durant l’Occupation est aussi une marque de fidélité. Ce silence évita de dévoiler l’une des stratégies du PCF pour étendre l’influence des organisations dont il était à l’origine. En ce sens, Rozier respecta ses engagements à garder le silence sur cette adhésion et ses objectifs politiques.
Témoignent aussi de cette fidélité à la mémoire des FTP les riches archives qu’il a patiemment constituées -encouragé en cela par Alexandre Varenne dès la Libération- et les centaines de pages manuscrites qu’il a rédigées sur ce sujet. Rozier a eu l’intention d’écrire un livre sur le sujet mais il ne put aller au bout de son projet. Les documents rassemblés avaient aussi l’objectif de montrer que les rassemblements du maquis en juin 1944 comme le Mont-Mouchet ou le Vercors furent une erreur. Plusieurs historiens pensent aujourd’hui la même chose.

Veuf, Rozier se remarie après-guerre avec Paulette Labussière, ancienne étudiante de l’université de Clermont. Il eut deux enfants. Bien qu’à la tête de deux petites entreprises –il ne se considérait pas comme un patron-, il conserva ses convictions d’homme de gauche, hostile à de Gaulle et toujours fidèle à sa foi chrétienne. En dehors de son action en faveur de la mémoire des FTP, on ne décèle pas d’activité politique après-guerre. Alphonse Rozier a cependant appartenu, aux côtés de Jean Lajonchère, prêtre-ouvrier, au Comité de soutien contre la guerre d’Algérie créé alors dans le quartier de Saint-Jacques à Clermont-Ferrand. Il fut un membre actif de l’amicale des anciens FTP dont il était la « mémoire vivante », selon sa présidente, tout en étant, pour la courte période de 1967 à 1970, engagé au sein de l’ANACR.
Homme franc et tolérant, d’une grande droiture et générosité, Alphonse Rozier a toujours fui les honneurs. Il refusa deux fois la Légion d’Honneur, à la Libération puis en 1977. Il est décédé le 13 janvier 1999 à Clermont-Ferrand.

Ses archives, entièrement classées et inventoriées doivent être déposées prochainement auprès des archives départementales du Puy-de-Dôme. Elles constitueront une source précieuse pour l’histoire de la Résistance communiste dans la région et plus généralement sur les relations entre courants de la Résistance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157885, notice ROZIER Alphonse [Pseudonyme dans la résistance : Denise, Jérôme, Jean] par Eric Panthou, version mise en ligne le 6 avril 2014, dernière modification le 13 novembre 2022.

Par Eric Panthou

Alphonse Rozier
Alphonse Rozier
Transmis par Eric Panthou

SOURCES : Bibliographie : John F. Sweets, Clermont-Ferrand à l’heure allemande, Paris, Plon 1996. — Eugène Martres, L’Auvergne dans la tourmente (1939-1945), Clermont-Ferrand, Editions de Borée, 1998. — Pierre Girardot, La Lavande et le Palais-Bourbon, Paris, éd. Sociales, 1980. — Gilles Lévy, A nous Auvergne !, Paris : Presses de la Cité, 1981. —Maurice Mandon, Une plume contre Vichy. Jean Rochon (1903-1944) et le journal La Montagne sous l’Occupation (1940-1944), Clermont-Ferrand, Publications de l’Institut du Massif Central, 1996. — Éric Panthou, « Des militants syndicaux dans les années noires », in Le syndicalisme dans le Puy-de-Dôme de 1864 à 2011, éd. Un deux Quatre, 2011, p. 45-54. — Nécrologie d’Alphonse Rozier, La Montagne, vendredi 19 février 1999. — Pierre Broué, Raymond Vacheron, Meurtres au maquis, Paris, Grasset, 1997 . — Henri Pailler, Philippe Artias, le résistant, [http://www.forez-info.com/mag/expos/12460-philippe-artias-le-resistant.html], consulté le 9 novembre 2016.
Archives. Archives d’Alphonse Rozier (Mémoires manuscrites, correspondance, certificats de Résistants ; etc). — Inventaire des archives d’Alphonse Rozier, par Eric Panthou, 2016, 50 p. — Lettres d’Alphonse Rozier à John Swets (archives John Swets). — Bibliothèque de Documentation Internationale et Contemporaine. Fonds Robert Aron. 17/3. - Auvergne : témoignages locaux. — Lettre manuscrite de Roger Champrobert à l’auteur, datée du 26 avril 2011. — Discours de Micheline Vaillant aux obsèques d’Alphonse Rozier. — Fonds Jacques Duclos, Musée d’histoire vivante de Montreuil : I3- A 15267. Lettre manuscrite de 4 pages. 1er juin 1944 ; I3- A 15270. Lettre manuscrite de 3 pages. 8 juin 1944, signature inconnue ; I3- A 15271 . Rapport manuscrit de 2 feuilles, non signé, 12 juin 1944. Attribué à Gilbert [Alphonse Rozier] ; I3- A 15271 . Note manuscrite de 5 feuilles, 13 juin 1944, signé H . —Archives Roger Champrobert : Lettre de Jérôme [Alphonse Rozier] au Polo régional, 17 septembre 1944, 7 pages manuscrites.— Arch. dép. Puy-de-Dôme, 2546 W 8944 : dossier nominatif d’attribution de la carte du combattant volontaire de la résistance à Alphonse Rozier .— Archives du Comité national du PCF (Paris) : Questionnaire biographique : OA/n°632 Saby Henri. Visite de Périlhou dans le Puy-de-Dôme, Paris, le 29 mars 1945. — Lettre de Lucien ollier à Philomen Mioch, 1er septembre 1978. Copie transmise par Rose Blin-Mioch. — Lettre de Roger Pinel à Philomen Mioch, 1973. Copie transmise par Rose Blin-Mioch. — État civil Monteignet (en ligne).
Témoignages. Témoignage de Paulette Rozier, son épouse, recueilli le 3 décembre 2010. — Témoignage écrit de sa fille, Annie Souliers, le 24 octobre 2010. — Entretien téléphonique avec Jean Lajonchère, le 4 juillet 2010. — Témoignage d’Eugène Martres, le 20 décembre 2009. — Témoignage de Micheline Vaillant, présidente de l’amicale des anciens FTPF du Puy-de-Dôme et ancien agent de liaison de Rozier dans la Résistance, recueilli le 26 octobre 2010. — Lettre de John Sweets à Eric Panthou, 14 novembre 2016.- « Amicale départementale (Front national FTPF)", La Montagne, 24 novembre 1972.

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