LARRIBÈRE Jean-Marie [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né en 1892, mort en 1965 ; frère aîné de Camille Larribère ; ayant un rayonnement de médecin communiste, directeur d’une clinique d’accouchement à Oran qui remplit un rôle social très grand auprès des femmes par l’action également de ses filles militantes communistes à l’Union des femmes en 1945 et après ; apportant une aide importante aux réseaux clandestins du PCA et du FLN pendant la guerre de libération.

Suzanne Larribère, mariage
Suzanne Larribère, mariage

Les deux fils de Pierre Larribère ont grandi à Oran dans le quartier juif ; le père et la mère, chargés de famille, y exerçaient comme instituteurs. Tandis que son frère, Camille, est mobilisé en France puis étudiant en médecine, devenant propagandiste communiste, Jean-Marie Larribère devient instituteur comme ses parents, et se marie en 1919 avec une institutrice qui le restera. Ils débutent dans un petit village colonial oranais, Guyard (Aïn Touta).

L’année suivante, à la naissance de leur première fille, Lucie, pour mieux assurer un avenir familial, Jean-Marie Larribère décide de reprendre des études pour s’établir médecin. Il passe le bac et s’inscrit à la faculté d’Alger. Sa mère abandonne sa direction d’école à Oran pour l’aider. Elle prend des postes d’institutrice sur la ligne de chemin de fer d’Alger dans la vallée du Chelif puis dans la Mitidja pour être finalement nommée à Alger en 1927 quand son fils termine ses études en soutenant sa thèse de doctorat en gynécologie qui lui ouvre la possibilité d’être chef de clinique.

En cours d’études, Jean-Marie Larribère fait son service militaire au Maroc dans un régiment de tirailleurs qui prend part à la guerre des armées espagnoles et françaises contre Abdel Krim dans la guerre du Rif, vers 1924-1925. Il est médecin-lieutenant ; pour avoir manifesté son opposition à la guerre, il aurait été arrêté et dégradé. Il n’en revient pas moins réserviste. Toute la famille se retrouve à Oran en 1928, sauf son frère Camille qui est encore à Paris, s’activant aux côtés de la direction du parti communiste qui vient des Jeunesses communistes et va être destituée accusé de liens avec le groupe Barbé-Celor.

Jean-Marie Larribère peut ouvrir une clinique d’accouchement en quartier populaire, qui commence modestement en ayant trois chambres. « Au début mon père n’avait que des clientes européennes, plus tard il a eu des clientes algériennes », dit Lucie Larribère. De mémoire en 1993, celle-ci essaie de situer l’instruction politique reçue de son père. Celui-ci n’avait pas de temps pour être très présent dans l’agitation oranaise, très forte par anti-racisme et anti-fascisme face à l’ex-prêtre Gabriel Lambert, au PPF de Doriot à l’heure de la guerre d’Espagne et du secours aux réfugiés, de la continuité de l’esprit de Front populaire par le journal Oran républicain ; « il n’était pas communiste mais marxiste, il nous parlait de la doctrine marxiste ».

Il est un partisan du socialisme scientifique, de cette science du progrès et de l’homme nouveau que le socialisme construit en URSS. Le marxisme soviétique en sa version pédagogique stalinienne nourrit le milieu familial qui est fait principalement d’instituteurs. Les publications de Moscou puis du PCF s’échangent entre les frères Larribère puis entre les filles au lycée et enfin entre étudiantes et étudiants. Parmi ses filles, une sera institutrice (Aline), Lucette part faire des études de géographie à Paris, les deux autres vont entreprendre des études de médecine. La mère à son école se bat pour que les quelques fillettes algériennes ne soient pas forcées de quitter la classe pour se marier. La clinique devient un pôle d’action sociale féminine.

Après le débarquement allié à Oran en novembre 1942, la droite coloniale pétainiste et franquiste, jette encore quelques feux. Le réserviste Jean-Marie Larribère est rappelé dans l’armée française d’Afrique du Nord sur la frontière algéro-tunisienne. À son retour à Oran, le succès des municipalités France combattante, mouvement gaulliste que dominent les communistes du PCA et de la CGT, le porte au conseil municipal où il est, en 1945, adjoint au maire. Autour de la clinique, par ses filles qui militent au mouvement de l’Union des femmes d’Algérie, Union démocratique comme l’Union des jeunes animée par le PCA, par la promotion de militantes comme Gaby Gimenez, Joséphine Carmona, Abassia Fodhil*, l’espoir d’une Algérie algérienne traverse à Oran les temps d’horreur de Mai 1945 dans le Constantinois.

La famille Larribère est plus encore le pôle du communisme, et la clinique le lieu de refuge, de recours, de secours aux emprisonnés et emprisonnées puis d’abri des réseaux clandestins à partir de 1955. Le réseau communiste d’Oran est important en collectant les médicaments puis en assurant les liaisons avec les clandestins de la région de Tlemcen, en accueillant les rescapés du maquis des Combattants de la libération en juin 1956 après la mort de Henri Maillot. La famille doit accueillir Suzanne Larribère, une des sœurs, qui arrive du Maroc où son mari, un ingénieur marocain membre du Bureau politique du parti communiste marocain, Abdelkrim Benabdallah, vient d’être abattu. La plupart de ces femmes militantes, et les filles Larribère, Aline et Paulette (sans être torturées car protégées par leur nom) vont connaître les « caves du Trésor d’Oran », puis la prison civile et les camps ; condamnées en 1957, transférées dans des prisons de France ou expulsées.

En janvier 1957, Jean-Marie Larribère s’était rendu à Alger avec l’idée de se mettre à la disposition des maquis de l’ALN. La cache du réseau communiste est investie par les paras qui lancent la « Bataille d’Alger ». Le mari de Lucette Larribère, Robert Manaranche, et leur fils Pierre sont retenus. Jean-Marie Larribère est renvoyé sur Oran. Il veille à la clinique pendant que sa femme accueille leurs petits-enfants dans une autre maison, ceux des emprisonnés et ceux de Suzanne arrivés du Maroc.

Cette semi-clandestinité dure jusqu’à la montée en puissance de l’OAS. La famille, grand-mère, mère et jeunes enfants, sont envoyés s’abriter à Paris. La clinique est détruite par l’OAS en avril 1962. Cependant, le seul malade restant, l’infirmière cachée dans une armoire avec un bébé et le docteur Larribère réfugié à l’extrémité du 2e étage, en réchappent. Il part pour Paris puis revient par Rocher Noir où siège l’Exécutif provisoire, pour rentrer à Oran faire fonctionner en quartier musulman un hôpital installé dans la maison d’un camarade communiste, soignant les blessés car les violences de l’OAS durent jusqu’en juillet 1962.

Il meurt à soixante-treize ans en 1965, en France.

C’était un suicide "camouflé" en accident. Selon Sadek Hadjérès*, il (J.-M.Larribère) ne pouvait plus supporter les limites de sa nouvelle situation d’exilé, que ce soit professionnellement, politiquement ou humainement."

Sa fille, Suzanne Benabdallah, médecin, mourut le 23 juillet 2018 en Algérie. Elle était mariée avec Benabdallah Abdelkrim, membre fondateur et dirigeant du Parti communiste marocain et du Croissant Noir, organisation de la lutte armée contre le colonialisme français, qui fut assassiné durant la lutte d’indépendance du Maroc.
Veuve, elle décida de revenir en Algérie. Elle était professeur en pédiatrie et elle voua sa vie à la sauvegarde et la préservation de la santé des enfants des milieux populaires.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157892, notice LARRIBÈRE Jean-Marie [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 6 avril 2014, dernière modification le 23 mars 2022.

Par René Gallissot

Suzanne Larribère, mariage
Suzanne Larribère, mariage

SOURCES : Notes de A. Taleb-Bendiab, arch. privées. — Interview de G. Bensoussan et N. Zannettacci par J.-L. Planche, 1976-1977. — A. Dore-Audibert, Des Françaises d’Algérie dans la guerre de libération, Karthala, Paris, 1995. — Alger républicain, juillet 2018. — Marianne Caron-Leulliez, Jocelyne George, L’accouchement sans douleur. Histoire d’une révolution oubliée, Les Éditions de l’Atelier, 2004.

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