Né à Courtenay (Loiret) le 6 mai 1851 ; mort en 1925 ; chansonnier.
À dix-sept ans, Bruand interrompit ses études au lycée de Sens pour gagner sa vie comme saute-ruisseau chez un avoué, puis comme apprenti chez un bijoutier. Il travailla dans la bijouterie jusqu’à 1875, date à laquelle il devint expéditionnaire à la Compagnie des chemins de fer du Nord.
Il commença à chanter dans les goguettes, puis dans les cafés-concerts. Jules Jouy, avec qui il avait écrit une « scie » à la mode, Mad’moiselle, écoutez-moi donc, l’amena au « Chat Noir ». Là il adopta le costume popularisé par de nombreux dessins, dont celui de Toulouse-Lautrec.
Tout en continuant à écrire des refrains de café-concert, il créa ses plus célèbres chansons sur les faubourgs et barrières de Paris, le plus souvent dans un style argotique : Aux Batignolles, À la Villette, À Montparnasse, etc..., ainsi que des couplets patriotiques. En 1885, lorsque Salis quitta le local du « Chat Noir », Bruant le reprit pour y fonder « Le Mirliton » où, après des débuts difficiles, la bonne société prit l’habitude de venir s’encanailler et se faire invectiver vertement par le maître de maison, l’accueil le plus aimable consistant en ce refrain qui a fait fureur depuis :
Oh ! la ! la !
Cett’ gueul’, cett’ binette.
Oh ! la ! la !
Cett’ gueul’ qu’il a.
Les auditeurs étaient ravis. Bruant était lancé. Les salons le réclamaient. Ses cachets étaient énormes pour l’époque. En 1892, il revint au café-concert et abandonna « le Mirliton » en 1895.
Il se présenta aux élections législatives de 1898 sous l’étiquette nationaliste dans le quartier de Belleville-Saint-Fargeau où il ne recueillit que 525 suffrages. Devenu riche, retiré dans ses terres à Courtenay, il revint périodiquement au café-concert. Sa dernière apparition eut lieu à « l’Empire » en 1924.
Bruant a écrit plusieurs romans feuilletons en collaboration avec Morphy, puis Arthur Bernède, tels que Fleur de Montmartre, Les Bat’ d’Af, La Loupiote. Certains de ces romans feuilletons furent mis à la scène dans le style du mélodrame.
Le monde mis en scène par Bruant est le plus souvent celui des petites « gouapes » des faubourgs, d’un naturalisme au fond assez conventionnel, mais qui a profondément marqué un genre de la chanson française pendant plus de cinquante ans. En fait, il n’a peut-être pas créé le genre, mais il a su l’exploiter avec beaucoup de ressources et de variantes. Surtout, il a su « épater le bourgeois », pour employer une expression qui est d’ailleurs de son époque.
Bruant a écrit des œuvres de caractère anti-ouvrier comme Gréviste ou Pas d’patrons, mais deux de ses chansons ont connu un certain succès dans le mouvement socialiste : Le Cantonnier et la grande dame et La chanson des canuts.
Le Cantonnier et la grande dame semble en réalité avoir été emprunté à la tradition populaire (Lucien Decombe, Chansons populaires de l’Ille-et-Vilaine, 1884) comme d’ailleurs La vigne au vin qui est une chanson de vendange d’origine très ancienne. Mais il a su assez heureusement en modifier la musique et le rythme.
Le thème de la Chanson des canuts avait été popularisé dans toute l’Europe à partir de 1892 par une pièce de Gérard Hauptman, Les Tisserands, dans laquelle avait été mis en chanson un poème de Henri Heine écrit en 1844 à la demande de Marx. Mais le texte de Bruant a au moins le mérite d’être une véritable chanson, parce que dépouillé de toute littérature et certainement d’un effet plus direct pour toucher la sensibilité du public :
Pour gouverner il faut avoir
Manteau et ruban en sautoir.
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Mais nous pauvres canuts
Sans draps on nous enterre.
Nous sommes les canuts.
Nous allons tout nus.
SOURCES : Pierre Brochon, La Chanson sociale, de Béranger à Brassens, Paris, 1961. — Guy Erismann, Histoire de la chanson, Paris, 1967. — France Vernillat et Jacques Charpentreau, Dictionnaire de la chanson française, Paris, 1968.