LATHRACHE Mahmoud, nom francisé, appelé en Algérie AL-ATRASH MAHMOUD, pseudonymes MARAT (MURÂD), MAS’ÛD, ABÛ DÂWUD, SALIM ABBÛD, ISIDORE et d’autres [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né à Jérusalem le 31 décembre 1903 sous le nom de Mahmûd al-HÂJJ RABBÂH dit Mahmûd al-MOGHRABI (le Maghrébin) et en Algérie Mahmoud al-ATRASH en écho du nom du leader arabe de grande famille syrienne druze Sultân al-Atrash ; mort à Berlin-Est en 1981 ; ouvrier maçon entre ses missions pour l’Internationale communiste ; membre du Bureau politique du PC palestinien (1930) et du Comité exécutif de l’IC (1935), envoyé de l’IC auprès du PCA en 1938 ; rédacteur en arabe de la presse communiste algérienne dans les années 1950.

Du nom de Hâjj Rabah, le père de celui qui est nommé en Algérie Mahmoud Lathrache en transcription française, serait originaire de l’oasis de Bou-Saada dans le Sud constantinois ; il aurait rallié les groupes algériens établis autour de l’émir Abd-el-Kader en Orient dans l’Empire ottoman, en empruntant la route du pèlerinage à La Mecque, d’où le terme de Hâjj dans son nom.

Le fils, Mahmûd est ouvrier du bâtiment, dans la province de l’empire ottoman de Syrie-Palestine quand il épouse Hâlima, elle-même d’origine algérienne, et ouvrière des textiles à Damas jusqu’à son mariage. L’enfant Mahmûd était allé à l’école coranique à Jaffa (Yâfâ) à l’âge de quatre ans, et plus tard à l’école française primaire et secondaire dans cette ville, interrompant ses études en 1917, peut-être du fait de la guerre. Son instruction, certes solidement bilingue, reste cependant limitée pour accéder à des emplois de bureau. À partir de 1919, il travaille lui aussi comme ouvrier du bâtiment à Jaffa, et après des interruptions, jusqu’en 1927, en Palestine sous mandat britannique.

Mahmûd habite le quartier de Manshîya, un quartier mixte, arabo-juif. Il y découvre la présence de communistes juifs. Fin 1924, il entre en contacts réguliers avec eux et adhère aux Jeunesses communistes. En août 1925, il est envoyé à Moscou avec quelques jeunes communistes arabes, encore rares, pour se former à l’Université des peuples d’Orient. En fin de séjour, il aurait été désigné responsable des étudiants arabes (d’Orient et du Maghreb). Il porte alors le pseudonyme de Murat. De retour à Jaffa, en janvier 1926, il est membre du Parti communiste de Palestine qui a été constitué en 1923 et reconnu par l’IC en 1924. De 1926 à 1927, il est secrétaire du cercle de la Jeunesse communiste arabe de la ville, et s’efforce d’organiser les syndicats des ouvriers du bâtiment et des ouvriers du port.

Après peut-être un deuxième séjour à Moscou et sans avoir part au congrès des ouvriers arabes qui se tient à Haïfa (et un autre à Alger, voir au nom de Cazala), en janvier 1930, il est de retour en Palestine en juillet 1930 seulement. Il devient l’un des responsables du travail syndical parmi les ouvriers arabes. Au congrès du PCP à la mi-décembre 1930, il est élu au CC puis au BP et au Secrétariat du parti. Arrêté le 1er février 1931, condamné à deux ans de prison, puis placé sous surveillance policière, il se trouve mis en dehors du mouvement de grèves et de luttes contre l’occupation britannique et de la première révolte palestinienne contre la colonisation sioniste.

En avril 1933, il est mis à la disposition de la direction du PC de Syrie appelée à s’arabiser (la Syrie et le Liban sont sous mandat français). Arrêté à Damas, en mai 1935, il est reconduit en Palestine et interné pendant six mois à Jérusalem. Les détenus communistes juifs et arabes feront dix-neuf jours de grève de la faim pour protester contre les mauvais traitements qu’il subit au département des droits communs. Entre-temps, le 7e congrès de l’IC (juillet-août 1935) l’a désigné membre du Comité exécutif. Khâlid Bakdâsh, qui deviend le leader du communisme syro-libanais, en formation à Moscou, assure son intérim.

Alors que grandit la révolte arabe, Mahmûd est arrêté à nouveau à Beyrouth au printemps 1936. Interdit de séjour au Levant sous mandat français, il est reconduit en Palestine pour y être encore brièvement emprisonné. En juin 1936, il rejoint Moscou et exerce jusqu’en 1938 ses fonctions de représentant des partis communistes arabes au sein du CE de l’IC en liaison avec les secrétariats pour les colonies françaises (PC du Liban, de Syrie, d’Algérie et de Tunisie), et pour les colonies anglaises (PC de Palestine, d’Irak, ainsi qu’Egypte).

L’application de la ligne de Front populaire au contexte du soulèvement palestinien (1936-1939) pour un parti communiste à large majorité juive, ne va pas sans problème, comme en témoignent les deux notes adressées, au nom de l’IC, par Mahmûd au PCP en 1937. Peu formé intellectuellement pour suivre l’effort de la Ligue antifasciste, « l’Anti-fa », portée par des minoritaires de la jeune intelligentsia moderne nationaliste arabe et de l’intelligentsia juive communiste critique du stalinisme, Mahmoud ne voit que des dissensions qui préludent à une scission du PCP. Il a difficile aussi d’expliquer la position communiste d’une nation judéo-arabe qui rejette l’État sioniste. Il croit comme la direction de l’IC qu’il est possible d’influencer le cours fascisant et national-socialiste du nationalisme arabo-musulman.

En 1938, Staline balance dans ses stratégies d’alliance avant de se rallier au répit avec l’Allemagne hitlérienne. Doutant vraisemblablement des capacités à suivre, des communistes sur place en Algérie, l’IC place Mahmûd à la disposition du PC algérien avec pour mission de faire appliquer la ligne de « Front national antifasciste et anti-impérialiste » en Algérie, sans clarifier au reste ce que peut dire national pour le PCA ; la même chose que pour la PCF ? La mission, de nouveau impossible, est confiée à celui qui va prendre le nom de Mahmoud Al-Atrash.

En chemin, Mahmûd est arrêté à Paris, accusé d’être un « terroriste palestinien » projetant un attentat contre le roi d’Angleterre à l’occasion de sa visite officielle en France. Après quelques mois à la prison de la Santé, il est placé en liberté provisoire dans l’attente de son procès. Arrivant en Algérie au moment du pacte germano-soviétique, on ne voit pas quelle place, il pourrait occuper auprès du PCA qui va être interdit comme le PCF (et le PPA de Messali) à l’ouverture de la guerre. Modestement, il redevient ouvrier maçon.

Arrêté peut-être dès la fin de 1939, il est interné de longs mois à la prison de Barberousse (Serkadji), puis dans divers camps jusqu’au printemps 1943, bien après le débarquement allié de novembre 1942. L’IC est dissoute ; le centre de direction des partis communistes fidèles n’en reste pas moins à Moscou. Mahmoud Lathrache se trouve à l’abandon.

Ouvrier du bâtiment de 1943 à 1955, il milite à la CGT et devient membre de la CE de l’Union syndicale du bâtiment. De 1946 à 1955, à Alger, il est aussi militant communiste à la Casbah. Il peut mettre à la disposition du PCA, sa compétence de langue arabe. Il devient rédacteur (en arabe) de l’organe central du PCA, al-Jazâ’ir al-Jadîda [L’Algérie Nouvelle]. Il fréquente les autres rédactions de presse, liées au parti et les dirigeants arabisés du PCA. À Alger Républicain, Boualem Khalfa voit passer « ce camarade journaliste à la crinière blanche et aux yeux bleus ».

Au début des années 1950, Mahmoud Lathrache épouse une sœur de Bachir Hadj Ali, secrétaire du PCA, Dahboucha, qui à l’exemple de sa famille venue de Kabylie, lui donne de nombreux enfants. Voué à la clandestinité pendant la guerre de libération, sous le pseudonyme d’Isidore, il est cependant arrêté le 15 janvier 1959 et interné au centre de Beni Messous puis au camp de Douira.

Après l’indépendance, il entre en 1963 dans l’équipe de rédaction d’Alger Républicain. Il est arrêté en septembre 1965 après le coup d’État de juin 1965 du colonel Boumédienne, Il est libéré en août 1966, après une grève de la faim de vingt-et-un jours. Il collabore encore comme rédacteur, de 1967 à mars 1968, à l’organe des syndicats algériens, al-Thawra wa al-`Amal [Révolution et Travail]. Il est membre du PAGS reconstitué clandestinement depuis janvier 1966.

Au bénéfice d’être un vétéran exemplaire du mouvement communiste et demeuré un fidèle du camp socialiste, il part se faire soigner à Berlin-Est où il reste jusqu’en 1975. Revenu à Alger, il se consacre à ses mémoires. Il meurt à Berlin où la maladie l’avait ramené en février 1981. Sa tombe est au cimetière d’El-Kettar à Alger.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157901, notice LATHRACHE Mahmoud, nom francisé, appelé en Algérie AL-ATRASH MAHMOUD, pseudonymes MARAT (MURÂD), MAS'ÛD, ABÛ DÂWUD, SALIM ABBÛD, ISIDORE et d'autres [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 6 avril 2014, dernière modification le 6 avril 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Première version de notice préparée par A. Taleb-Bendiab sur arch. Wilaya d’Alger et arch. IRM (PCF), Paris. — Texte de J. Couland communiqué à R. Gallissot, corrigeant et développant la notice de J. Couland, publiée mais mal reproduite, dans Parcours, op.cit., n° 6-7, décembre 1986. — Rapports et articles de M. Lathrache répertoriés par J. Couland et rassemblés dans les mémoires inédits de M. al-Atrash, Tarîq al –Kifâh. (Chemin de lutte), manuscrit établi après 1976. — Entretiens (Berlin, 1969) et correspondance, cités dans M. Al Charif, L’Internationale communiste et la Palestine. 1919-1932, Thèse de 3e cycle, Paris 1, 1977. — Entretiens à Alger, novembre 1976, cités dans M. Al Charif, Communisme et nationalisme dans l’Orient arabe. Un cas d’analyse la Palestine : 1918-1948, Thèse d’État, Paris 1, 1982. — R. Gallissot, Mouvement ouvrier, communisme et nationalismes dans le monde arabe. Éditions ouvrières, Paris, 1978.

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