BILLOT Bernard, Ernest, Marie

Par Georges Ubbiali

Né le 7 septembre 1920 à Besançon (Doubs), mort le 10 octobre 2000 à Pouligney (Doubs) ; outilleur ; syndicaliste CFTC puis CFDT de l’Horlogerie et du Doubs.

Fils de Constant Marcel Billot (05 aout 1895-22 mars 1967) et Valentine Chassot (04 février 1894-5 janvier 1977), il se maria religieusement le 19 avril 1941 avec Thérèse Ubbiali (19 mars 1922-24 mars 2010). Il s’étaient croisés sur le trajet du travail, elle, allant chez Weill (entreprise de confection), rue Larmet à Besançon, lui chez Mercier (entreprise d’outillage).
La perversité du nazisme, dont il avait tôt fait de percevoir la nature, le révulsait. A peine âgé de dix-neuf ans, il s’engagea pour le combattre, non par nationalisme mais par antifascisme. Il fut mobilisé le 19 octobre 1939, affecté au DA 341 103° Batterie au 75e régiment d’artillerie, à Fontainebleau. Après ses classes, il fit affecté à Cliron, dans les Ardennes.
L’offensive allemande déclenchée le 10 mai 1940 par la Wehrmacht à travers la Hollande, la Belgique et le Luxembourg en direction de Sedan fut une surprise totale. Les troupes allemandes traversèrent sans grande opposition, le massif des Ardennes jugé imprenable par l’état-major. Le front français était enfoncé sur la Meuse. Les Pays-Bas capitulèrent en cinq jours. L’armée française reflua vers le sud dans une pagaille monstre pour tenter d’y arrêter les forces ennemies. Ce fut la débâcle. Bernard Billot et ses compagnons, abandonnés par leurs chefs dont quelques uns désertèrent, refluèrent dans le désordre le plus total jusqu’aux Pyrénées. Bernard les atteignit le 23 juin 1940. La veille, Pétain avait signé l’armistice dans la clairière de Rethondes.
Bernard Billot fut démobilisé le 09 octobre 1940 sur le Camp de Saint-Pré-de Bigorre, Centre de démobilisation de Tarbes. Il garda de ce temps marqué de tant de lâchetés, de souffrances et d’humiliations, comme une fêlure. Il détestait Pétain. Il rentra clandestinement à Besançon, zone réservée, grâce à la complicité d’un collègue de son père, mécanicien SNCF, qui le cacha dans le tender à charbon de sa locomotive à vapeur. Le 26 octobre 1940, il fut de retour dans sa ville natale où il retrouva sa promise. Quelques jours plus tard, il reprit le travail chez Mercier comme mécanicien de précision (tourneur et outilleur).
Le couple se maria très vite : Bernard Billot a 20 ans et l’épousée tout juste 19 ans. Installé rue Larmet, le jeune ménage ne tarda pas à avoir un premier enfant, Marie Odile (27 avril 1942), puis un fils, Claude (2 août 1943). La famille déménagea alors à quelques encablures de là, rue des Grands Bas. Bernard Billot changea d’employeur en 1942 et travailla à la Microprécision, une fabrique d’outillage de précision (étampes et outillages), située 35, rue du Polygone (Besançon).
En septembre 1944, bien que chargé de famille, Bernard rejoignit le maquis de Fontain, du 29 août au 13 septembre 1944 sous les ordres de l’instituteur de Bouclans et capitaine Max Vuillemin, Commandant du 7° Bataillon. Il participa à la libération de Besançon (8 septembre 1944). Il envisagea, en octobre, de poursuivre la lutte avec la Première armée, mais Thérèse parvint à l’en dissuader, d’autant que la situation matérielle de la famille était très précaire.
Reconnu pour son engagement dans la Résistance nourri d’une profonde foi chrétienne, Bernard Billot devint, lors de sa création officielle le 11 septembre 1945, secrétaire du syndicat CFTC des métaux et horlogers de Besançon. Le mois suivant il fut secrétaire de l’Union régionale de Franche-Comté de la Fédération française horlogère des syndicats chrétiens, affiliée à la CFTC. La tâche était d’importance et le pays était à reconstruire. Les émoluments étaient faméliques et tout manquait. Il sillonna le département à bicyclette, parcourant de grandes distances dans la Haut-Doubs au relief très accidenté. Il coucha dans les cures ou dans des granges, au grée de ses pérégrinations, pour porter l’action syndicale chrétienne. Thérèse pallia à la situation. Elle accomplit les multiples tâches ménagères dans une période marquée par les pénuries et le rationnement, et travailla également à domicile comme couturière pour améliorer le quotidien. Mais la tâche de permanent syndical s’avèra trop écrasante et Bernard Billot renonça à poursuivre ce sacerdoce. Par l’entregent de son frère Georges, il fut embauché chez Lip le 1er avril 1946 au service des machines à pointer (perçage et alésage de haute précision). Par la suite, c’est par l’intermédiaire de Bernard que Charles Piaget, auquel il était apparenté, fit son entrée chez Lip.
Un an plus tard, le 25 mai 1947, la famille s’agrandit avec l’arrivée d’une seconde fille, Monique. Syndiqué à la CFTC, Bernard Billot se montra un excellent professionnel, dont les qualités furent unanimement reconnues.
Ses compétences lui valurent d’être nommé chef du département mécanique de l’entreprise. Sa hiérarchie se défaussa bientôt sur lui pour accomplir la ‘’sale besogne’’ : restructurer le secteur, avec licenciements à la clef. Il refusa et fut aussitôt rétrogradé.
Professionnel consciencieux et rigoureux, très méticuleux, Bernard Billot adorait la belle ouvrage et son travail de mécanicien de très haute précision. Il était devenu responsable du service des machines à pointer. C’est un atelier quelque peu à part dans l’entreprise, un sanctuaire à la propreté clinique où tout était sacrifié à l’excellence et la recherche de la très haute précision mécanique : atelier climatisé à 20° C -pour neutraliser le phénomène de dilatation thermique-, machines de haute technologie pour tutoyer le micron, personnel très qualifié. Bernard Billot était un contremaître sévère et juste, exigeant et d’une grande humanité, sous une apparence de froideur qui masquait sa grande bonté. Homme de rigueur, il était très aimé de ses subordonnés. Les plus anciens se fréquentaient depuis 30 ans et entretiennaient des liens d’amitié. Selon une tradition bien établie, sa petite équipe (3 femmes et 4 hommes) se retrouva à son domicile pour fêter ensemble le Nouvel an.
Si son attention aux autres était extrême, sa conscience professionnelle était totale : travail préparé à la maison, grosses journées de travail aux nombreuses heures supplémentaires souvent non rémunérées -week-ends compris-. Il couvrait ses collaborateurs s’ils viennent à rater un outil. Les années passent, vécues entre éducation des enfants, intense vie familiale, avec des vacances partagées régulièrement en camping en Italie avec beaux-frères et belles sœurs Ubbiali.
En 1973, un peu confiné dans son appartement le long du boulevard Blum, le couple achèta un terrain et construit un modeste chalet à Lusans, petit village dans la périphérie bisontine. Ce fut un havre de tranquillité lors de la saison estivale.
Militant syndical de base, il fut régulièrement élu délégué du personnel du deuxième collège (agents de maitrise et techniciens) et participa à toutes les luttes syndicales au sein de la CFDT. En 1968, il participa aux piquets de grève devant l’usine. En 1973 éclata « l’affaire Lip ». Son leader, Charles Piaget, avait épousé la sœur de Bernard Billot, Annie en 1953. Très discret, Bernard Billot joua pourtant un rôle essentiel dans la mobilisation : sa droiture, son honnêteté scrupuleuse le désignèrent naturellement comme trésorier occulte du conflit. C’est à lui que furent confiées les finances de la lutte. Les sommes d’argent gérées pour permettre les payes dites ‘’sauvages’’ (les salaires de 800 personnes) étaient considérables, l’enjeu était crucial. Il joua un rôle effacé mais déterminant, au sein d’une équipe animée d’une éthique exceptionnelle et d’une immense hauteur de vue. L’exemplarité du confit - un des plus longs conflits ouvriers que la France ait jamais connu- tint durant l’année 1973 la France en haleine. Sa fille Monique, comme portée par les exigences morales de ce père, était également associée à cette activité dans le cadre de la commission finances. Si les sommes d’argent gérées étaient légitimes elle furent illégales : printemps 1977, le logis familial fut perquisitionné par la police, à la recherche de montres et d’un argent bien caché ! La police repartit bredouille et emmèna Bernard Billot pour interrogatoire au commissariat.
La longueur interminable du conflit, son côté radical, la précarité des situations, l’âpreté de l’affrontement avec les pouvoirs publics, ses enjeux politiques majeurs en raison de sa valeur d’exemple, avaient durement sollicité les organismes, marqué les corps. Le chômage s’était installé. Fatigué, Bernard quitta le conflit en août 1978 pour une préretraite lors de la mise en place des coopératives, laissant sa place aux plus jeunes. Il connut les premières affres de la maladie, mais ne cessa de poursuivre son engagement. Homme de conviction, ouvert au savoir et à la connaissance, méfiant vis à vis du pouvoir corrupteur de l’argent, chrétien engagé tenaillé par la souffrance du monde, il rejoint Amnesty International, noircit d’innombrables lettres en défense de prisonniers politiques menacés à travers le monde. Il recopia manuellement des lettres en anglais (langue qu’il ne maitrise pas) à des prisonniers politiques afin de leur faire savoir qu’ils n’étaientpas oubliés.
Durant toutes ces années d’après Lip, il versa la totalité de sa retraite d’ancien combattant à des œuvres caritatives. Emporté par la maladie en 2000 à 80 ans, après des années d’épreuves supportées avec courage, il fut selon ses souhaits, enterré religieusement, au cimetière de Saint Claude, son quartier de résidence. Thérèse l’y rejoignit dix ans plus tard.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article157927, notice BILLOT Bernard, Ernest, Marie par Georges Ubbiali, version mise en ligne le 8 avril 2014, dernière modification le 4 novembre 2021.

Par Georges Ubbiali

SOURCES : Arch. Dép. Doubs, 1911 W/ 11, dossier 1219, 7 J 26 et J 37. — Site Internet : deces.matchid.io.Carnet de guerre de Bernard Billot (octobre 1939-octobre 1940) et notes éparses laissées par lui. Arch. Dép. Doubs, 1911 W/ 11, dossier 1219, 7 J 26 et J 37. Témoignage écrit de Claude Billot, son fils. Témoignage oral de Monique Linglois, sa fille cadette. Témoignage oral de Bernard Ubbiali, son beau-frère. Témoignage oral de Charles Piaget, son beau-frère. — Notes de Louis Botella.

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