LEDUC Victor (Nechtstein Vladimir dit) [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 21 août 1911 à Berlin, mort à Paris le 1er décembre 1993 ; professeur de philosophie dans différents lycées en France, intellectuel communiste résistant, dirige le jouranl Action (1944-1949), oppositionnel à l’intérieur du PCF publiant L’Etincelle (1956-1957) critique des faiblesses communistes dans l’action pour l’indépendance algérienne, collaborateur d’Henri Curiel pour la rédaction du Manifeste du Mouvement anticolonialiste français (1960).

Fils d’émigrés juifs de Russie d’idées révolutionnaires passés après 1905, de Berlin en région parisienne, celui qui, plus tard, prend le nom de Victor Leduc, fait ses débuts militants aux Jeunesses communistes pendant ses études au quartier latin à Paris ; « bagarreur », il fait le coup de poing contre les étudiants de droite des Camelots du Roy, ce qui lui vaut quelques arrestations et quelques séjours à l’hôpital.

Il entre au parti communiste en 1934 alors qu’il est maître d’internat au lycée Saint-Louis. Après les années de service militaire, il débute comme professeur de philosophie aux lycées de Neufchâteau puis de Saint-Dié dans le département des Vosges. Rappelé puis démobilisé en 1940, il est nommé au lycée de Pau (Basses-Pyrénées) puis révoqué en application des lois raciales de Pétain, puisque ses parents sont des Juifs étrangers.

Il rejoint la Résistance clandestine à Toulouse où il rencontre le jeune historien Jean-Pierre Vernant, communiste, avec lequel il est ensuite de toutes les résistances. Arrêté, il s’évade en janvier 1944 et rejoint à Paris le groupe de résistants du MLN (Mouvement de libération nationale) formé principalement de catholiques progressistes qui se font compagnons de route du Parti communiste. Le MLN publie le journal clandestin Action qui devient, après la libération de la France, un hebdomadaire d’assez large diffusion et de bonne tenue intellectuelle, avec le soutien du PCF, et donc sous sa tutelle.

Victor Leduc, de son nom de guerre, en devient le directeur ; le rédacteur en chef est un autre professeur communiste, Pierre Hervé. Ce dernier, plus encore que Victor Leduc, a des mots avec l’étoile du Parti qu’est le poète Aragon. Le conflit remonte jusqu’au jugement de Maurice Thorez qui règne sur le parti. Victor Leduc est remplacé en 1949 à la direction d’Action par Yves Farge, un des animateurs du Mouvement de la paix et, par une sorte de chassé-croisé, va prendre la direction de Partisan de la paix, version française de la revue internationale du Mouvement de la paix.

Victor Leduc est alors permanent auprès du Comité central du PCF. Il est rédacteur à la section idéologique du parti (dirigée à l’époque par François Billoux). Il est en effet un intellectuel combatif à la logique démonstrative redoutable ; il emploie cette passion rationnelle à défendre la ligne du mouvement communiste qui, depuis Moscou sous la houlette de Jdanov, est d’abord une ligne de classe. Pour le philosophe militant qu’est et restera Victor Leduc, le marxisme est d’abord, une approche rationnelle de l’histoire qui par l’analyse des classes, guide une pratique de transformation du monde.

Encore faut-il être capable d’affronter les contradictions nouvelles en ce siècle des luttes de libération nationale. Les éditions du parti ont publié, en 1946, son premier livre : Le marxisme est-il dépassé ? Il ne cesse de lancer des articles car il est sur le front intellectuel, dans les revues du PCF : Démocratie Nouvelle, La Nouvelle critique, et dans Les Cahiers du communisme, l’organe du Comité central.

Il se met à approfondir ses interrogations sur l’idéologie nationale lorsqu’il passe à la Commission des intellectuels, organisme vigilant du PCF, placé sous l’autorité de Laurent Casanova, le plus proche collaborateur de Maurice Thorez, et l’auteur du discours de 1939 sur la nation algérienne en formation. Mais, il n’y a peut-être pas encore de lien avec la question nationale algérienne. Victor Leduc s’interroge sur le stalinisme et sur les accusations de nationalisme pour justifier la condamnation de Tito et du communisme yougoslave. Les accusations de nationalisme se retrouvent dans les nouveaux procès qui purifient les partis communistes des démocraties populaires. Pour être plus libre de mouvement, sans cesser toute collaboration avec les sections du Comité central, il reprend en 1952, un poste d’enseignement.

Sa critique ne vise pas de front la conduite des partis communistes. Elle pratique l’analyse du discours qui en vient à tenir le peuple comme un tout homogène ; ce populisme conduit à l’unanimisme parlant des nations comme étant des personnes, de l’honneur de la patrie et de la cause sacrée alors qu’une communauté nationale – il conserve le terme adopté par Staline – est traversée de luttes de classes. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne, l’indépendance nationale et les contradictions de classe. Sur cette voie de réflexion marxiste, la connaissance n’a guère pénétré en France, ni le communisme français. Certes le philosophe Henri Lefebvre, touche à tout, avait jeté des aperçus dès l’époque du Front populaire, que Leduc connaît, mais c’est à l’école plus historienne des marxistes d’Italie (A. Gramsci) et d’Europe centrale, celle aussi d’Eric J. Hobsbawm en Grande-Bretagne et de Pierre Vilar en France, que se met sa pensée.

Fut-ce sur le mode héroïque de l’exaltation de la Résistance, le populisme redondant a de beaux exemples dans la littérature d’inspiration communiste en France. Aragon ne peut pas ne pas se sentir visé ; il le fait savoir. Laurent Casanova, qui sacrifie aussi à de telles envolées, en réfère à Maurice Thorez. Peut-être parce qu’il est sensible à l’argument de classe, Thorez permet à Victor Leduc qui se réfreine, de publier ses réflexions dans un petit livre rare : Communisme et nation (Éditons sociales, 1954).

Mais précisément cette fois, la question algérienne est là, alors que s’ouvre la crise du communisme à l’Est. Victor Leduc utilise tous les moyens d’expression à l’intérieur du parti, d’abord à propos du XXe congrès du PC d’URSS, puis des soulèvements de Pologne et de Hongrie, dans sa cellule et sa section du 7e arrondissement de Paris, et au quartier latin, auprès de la section du 5e arrondissement, « la Mauberte », du nom de la place Maubert, par ses relations avec les philosophes (Bibliothèque de philo de la Sorbonne) et les historiens et géographes communistes de la cellule Sorbonne-Lettres (voir aux noms de François Chatelet et André Prenant). La contestation s’élève lors de la préparation du 14e congrès du PCF qui se tiendra au Havre en juin 1956. Elle porte sur l’interprétation du XXe congrès et sur les crimes de Staline, et proteste contre le vote des pouvoirs spéciaux par les députés communistes, qui affaiblit et même trahit la lutte pour l’indépendance de l’Algérie.

Face à Tribune de discussion portée par les « trotskystes », qui font de l’entrisme au PCF, Victor Leduc devient le principal rédacteur, aidé des proches de la cellule Sorbonne-Lettres à commencer par Maxime Rodinson, du bulletin d’opposition L’Etincelle, diffusé en milieu intellectuel et dont le centre de gravité devient de plus en plus la guerre d’Algérie et l’engagement aux côtés de la lutte de libération. Cependant, Victor Leduc pense qu’il ne faut pas sortir du parti communiste mais le changer. Par son succès auprès de membres et même de dirigeants du parti, L’Etincelle risque de chavirer. Victor Leduc laisse, à la fin de 1957, les plus décidés, rejoindre La Voie communiste et le groupe de ce nom qui se renforce autour de Gérard Spitzer et Denis Berger, et vont avoir un rôle majeur dans les réseaux de soutien à la Fédération de France du FLN.

Après une fusion partielle entre Tribune de discussion et L’Etincelle au printemps 1957, et à la suite des révélations d’entrisme faites par une rédactrice Michèle Mestre qui tiendra plus tard le journal Communiste, Maxime Rodinson et Victor Leduc participent intensément à la publication de Voies nouvelles.
Au quartier latin, Victor Leduc n’en est pas moins présent dans les réunions des Comités d’action contre la guerre d’Algérie qui sont aussi des lieux de rencontre des intellectuels communistes qui ne se satisfont pas de suivre le Mouvement de la paix, ou sont en travail critique. Il retrouve ainsi fréquemment son ancien chef de la Résistance, Jean-Pierre Vernant. Ils interviennent de concert dans ces réunions, rédigent des résolutions et des motions, assistent aux débats hors cellule, des communistes contestataires.

C’est ce qui explique que, dans ses souvenirs, Jean-Pierre Vernant fasse quelques confusions. Dans son livre de 1996, Entre mythe et politique, il donne le texte de la « Lettre de la cellule Sorbonne-Lettres (10 octobre 1958) » adressée à la direction du PCF, en disant en bas de page « rédigé en commun par Victor Leduc et Jean-Pierre Vernant, ce texte a été adopté à l’unanimité moins une abstention ». Il n’y eut que majorité, mais les rédacteurs sont bien les communistes de la cellule Sorbonne-Lettres cités ensuite (Marcel Cohen, Michel Crouzet, Denis Berger, André Prenant*, Édouard Pfrimmer et non Pfister). Ni Jean-Pierre Vernant, ni Victor Leduc, n’étaient membres de cette cellule ; Maxime Rodinson avait quitté ; ceux-ci furent lecteurs des brouillons et au mieux discutants.

Après la première campagne d’élections depuis l’arrivée au pouvoir de de Gaulle à la suite du 13 mai 1958, la « Lettre de la cellule » critiquait les fausses conclusions de la direction du PCF sur les résultats électoraux et rappelait les carences du PCF tant dans la compréhension de la nation algérienne que dans le soutien de la lutte d’indépendance. La lettre donnait raison aux observations présentées un nom du FLN, dans le n° 1 du Bulletin de la Fédération de France du FLN (voir au nom des auteurs, Mohammed Harbi et André Akoun). J.P. Vernant et V. Leduc (et M. Rodinson) étaient tout à fait d’accord sur ces positions ; tous s’engagent derrière le Comité Audin.

Sans quitter le PCF, Victor Leduc travaille dans l’ombre. Il conserve des contacts avec La Voie communiste et participe à l’aide au FLN dans les réseaux, et à partir de 1960 tout particulièrement avec les proches d’Henri Curiel. Il partage, avec ce dernier, la compréhension de la place des luttes de libération nationale et de l’action anticolonialiste, pour l’heure prioritaire dans les pays de domination coloniale : la Grande Bretagne, à l’exemple du Movement for Colonial Freedown, et la France, où un tel mouvement paraît nécessaire. Aussi Victor Leduc participe effectivement à la rédaction du « Manifeste du Mouvement anticolonialiste français » qu’Henri Curiel présente à la réunion constitutive à Saint-Cergue en Suisse en juillet 1960, et qui est publié dans le premier numéro de Vérités anticolonialistes  ; après l’arrestation de Curiel en octobre 1960, Victor Leduc continue à aider à sortir le périodique du MAF.

En 1966, Victor Leduc fonde la revue Raison présente. Il est encore au sein du PCF, un des protestataires qui défend le mouvement étudiant de Mai 1968. Il est exclu en 1972 pour avoir demandé que le débat soit ouvert sur les exclusions de Charles Tillon et de Roger Garaudy avec lequel il a, par ailleurs, les plus grands désaccords. Il appartiend ensuite au Secrétariat national du PSU.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article158105, notice LEDUC Victor (Nechtstein Vladimir dit) [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 13 avril 2014, dernière modification le 13 avril 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Notice par J. Maitron et C. Pennetier dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, op. cit., t. 34. — Son autobiographie : V. Leduc, Les tribulations d’un idéologue, préface de Pierre Vidal-Naquet, Syros, Paris, 1986. — L’Humanité, 4 décembre 1993. — Témoignages de D. Fawzy-Rossano*, A. Prenant* et Maxime Rodinson. — F. Chatelet, Les années de démolition, J-E. Hallier, Paris, 1975. — J-P. Vernant, Entre mythe et politique, Le Seuil, Paris, 1996. — J. Charby, Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent, La Découverte, Paris, 2004. — S. Pattieu, Les camarades des frères, Syllepse, Paris, 2002. — R. Gallissot, Henri Curiel, op. cit.

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