LE MASSON Yann [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né en 1930 à Brest (Finistère, France), mort le 20 janvier 2012 ; jeune communiste appelé en Algérie en 1956, officier chef de section dans un régiment de parachutistes, dégradé, démobilisé à la fin de 1959 ; cinéaste, très actif pour le transport d’armes dans les réseaux d’aide à la Fédération de France du FLN avec le concours de sa femme Olga Poliakoff (sœur de la comédienne Marina Vlady) ; collabore avec René Vautier* à la réalisation du film présentant des dessins d’enfants algériens J’ai huit ans (1961) et autres réalisations.

Né dans une famille traditionaliste catholique de six enfants, d’une mère basque et d’un père breton, Yann Le Masson est élève d’école catholique puis interne au collège des Jésuites de Vannes (Morbihan, France) où il lit à la fois Saint Thomas d’Aquin (La Somme théologique) et Marx (Le capital), plus discrètement.

Son père, disciple de Charles Maurras pour ses idées d’ordre chrétien et royaliste, était officier de marine (La Royale ! comme on disait encore) ; il avait été un partisan du Parti nationaliste breton, pétainiste et collaborant avec les occupants allemands pour combattre les partisans communistes (FTPF). Le ministère de la Marine lui épargne l’épuration en 1945, en l’envoyant à Dakar où le jeune Yann Le Masson achève ses études secondaires par le baccalauréat. Son père meurt en 1952 en service commandé ; il est élevé au grade d’amiral à titre posthume. Cette année-là, Yann Le Masson adhère au PCF.

Étudiant à l’École nationale photo et cinéma de la rue de Vaugirard à Paris, il entre ensuite à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) et appartient à la cellule des cinéastes militant contre la guerre d’Indochine, puis pour l’indépendance du Maroc et de la Tunisie et contre la guerre en Algérie. Diplômé de l’IDHEC, il commence à travailler comme assistant opérateur mais, anticolonialiste convaincu, il s’emploie à faire durer son sursis d’appel au service militaire jusqu’à vint-cinq ans passés et envisage de s’éclipser en Italie. Il reçoit sa convocation militaire pour rejoindre la base des parachutistes de Pau dans les Pyrénées. Il consulte alors la hiérarchie du PC jusqu’au Bureau politique, qui s’oppose à l’insoumission et conseille aux jeunes communistes d’aller à l’armée pour être « là où sont les masses ». Toute autre attitude est condamnée comme étant « individualiste ». C’est cette norme que va tourner dans les mois qui suivent, le jeune soldat Alban Liechti en refusant de porter les armes en Algérie, sans déserter.

Malgré son fichier de police, peut-être par considération de ses ascendants, le jeune parachutiste peut suivre la formation des Élèves officiers de réserve de Saint-Maixent (EOR). Sortant aspirant, il devient chef de section dans un régiment de parachutistes de choc à la frontière marocaine dans le sud algérien. Dans son témoignage, il écrit : « Je ne m’étendrai pas sur cette période qui dura vingt-sept mois et au cours de laquelle, comme partout ailleurs, des prisonniers que la gendarmerie venait récupérer par hélico furent largués dans le vide, des corvées de bois organisées, des mechtas ou des tentes de nomades incendiées. Ni sur le rôle d’un chef de section…qui se trouve piégé… Il fallait quelquefois refuser d’obéir et j’ai été dégradé, pour devenir ‘deuxième pompe de réserve’ ».

De retour à Paris, il ne peut littéralement supporter les regards : « Il me regardait… Je frappais ». Les flics l’embarquaient. Une amie cinéaste, elle aussi communiste, Michèle Firk* l’amène au réseau de soutien au FLN. « Je me suis mis à la disposition de ceux que j’avais combattu à mon corps défendant et cette complicité avec les Algériens m’a guéri des séquelles d’une guerre menée contre eux en contradiction avec mes idées. J’ai ainsi travaillé avec eux de 1959 à 1962 ». Il donne des cours d’instruction militaire à des militants algériens du bidonville de Nanterre.

Sa plus lourde activité fut le transport d’armes de Belgique à la villa d’Achères en région parisienne où il habitait avec Olga Poliakoff (sœur de l’actrice Marina Vlady) ; le dépôt a beaucoup servi. Il restait encore des armes après l’indépendance algérienne que Michèle Firk* fit passer aux maquis d’Amérique latine (elle est tuée au Guatemala en 1968). Il restait encore quelques armes qui furent cambriolées ; ce qui valut un procès et une condamnation à une forte amende et six mois de prison avec sursis.

Pour dénoncer le rôle de l’armée française, comme son camarade cinéaste et breton René Vautier, et comme Michèle Firk*, Yann Le Masson pense que la caméra peut aussi être une arme. Il filme les images du film J’ai huit ans à partir de dessins d’enfants algériens réfugiés à la frontière tunisienne. Olga Poliakoff allait recueillir en Tunisie les témoignages des enfants. Le film sort en 1961 en diffusion militante clandestine ; il reste interdit en France jusqu’en 1972.

Après les Accords d’Évian (mars 1962) qui prévoient l’amnistie pour les condamnés algériens, Yann Le Masson et Michèle Firk vont accueillir les prisonnières algériennes qui sortent de la prison de Rennes. Yann Le Masson en fait un film d’illusion lyrique ; toutes et tous croient en une Algérie nouvelle qui fera advenir l’égalité entre les femmes et les hommes.

À la fin de son témoignage, Yann Le Masson fait retour sur son expérience communiste. « Lorsque j’étais militaire en Algérie, et que je remplissais mon rôle de soldat…, j’étais en état de traîtrise à l’égard de mon engagement communiste : c’est là-bas que je me suis senti un traître. Quand je me suis retrouvé en France à apporter des armes pour les Algériens et à leur apprendre à s’en servir, je me suis réconcilié avec moi-même. Je me sentais ‘communiste, internationaliste’ quoiqu’à l’égard du PCF, il y eut de la hargne, autant pour ses voix en mars 1956, en faveur des ‘pouvoirs spéciaux’ que pour son mot d’ordre aux manifestations pendant la guerre (‘Paix en Algérie’). »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article158113, notice LE MASSON Yann [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 13 avril 2014, dernière modification le 17 octobre 2019.

Par René Gallissot

SOURCES : Témoignage dans J. Charby, Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent, La Découverte, Paris, 2004. — Entretiens avec R. Vautier. — Notes Tangui Perron, entretiens avec René Vautier et Yann Le Masson et dictionnaires du cinéma

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