LOZERAY Henri (Rodolphe, Henri) [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 17 mai 1898 à Dreux (Eure-et-Loir, France), mort à Paris le 13 juillet 1952 ; dirigeant des Jeunesses communistes et secrétaire de la Commission coloniale du PC français depuis 1924 ; venu faire campagne contre la guerre du Rif et de Syrie, arrêté à Alger en juillet 1925, incarcéré deux ans à la prison Barberousse (Serkadji) ; rapporteur sur les colonies au Comité central du PC, écarté de la direction communiste avec le groupe Barbé-Celor ; mis à l’écart jusqu’en 1936, redevenant conseiller sur les questions coloniales et l’Algérie ; faisant partie des députés communistes français détenus à la centrale de Maison-Carrée (El Harrach) de 1940 à 1943 ; à nouveau conseiller du PCF en matière coloniale, membre de l’Assemblée de l’Union française.

Fils d’un ouvrier en chaussures de Dreux, la ville dont sera maire le gouverneur de l’Algérie Maurice Viollette, républicain socialiste et non pas SFIO, les deux frères Lozeray, Robert, et Rodolphe Henri, appelé seulement Henri, vont avoir à Paris des responsabilités dans les organismes dirigeants du parti communiste, forts de l’expérience de lutte aux Jeunesses communistes. Ils appartiennent à cette génération de ceux qui ont vingt ans (plus ou moins) en 1920, l’année des plus grands mouvements sociaux dans le monde après les horreurs de la guerre et en écho de la Révolution bolchevique. L’action des Jeunesses communistes est d’abord « l’action anti », anti-militariste en premier.

Devenu typographe à Saint-Denis, dès l’âge de quinze ans et pendant la guerre, il militait aux Jeunesses socialistes ; il est progressivement partisan de l’adhésion à la IIIe Internationale et se retrouve, en 1921, secrétaire adjoint de la section communiste à la tête des Jeunesses communistes de Saint-Denis, cette ville industrielle aux portes de Paris dont la population est faite des générations successives de travailleurs migrants, déjà banlieue rouge.

Il y côtoie dans toutes les actions, son compagnon d’âge, Jacques Doriot. Il devient aussitôt le secrétaire national des Jeunesses communistes qui engagent la campagne contre l’occupation française de la Ruhr ; pour ses articles dans L’Avant-Garde et Le Conscrit, Henri Lozeray est plusieurs fois inculpé. L’agitation et la propagande communiste s’adressent d’abord aux soldats et, déjà en France et en Allemagne, aux soldats nord-africains, cette part coloniale importante mais subalterne et méprisée, à la fois de l’armée de conscrits et de l’armée de métier.

C’est par l’antimilitarisme que l’action devient anti-colonialiste. L’anti-impérialisme qui se réfère à Lénine et aux mots d’ordre de l’IC, repose peu sur une analyse des rapports capitalistes mondiaux et une compréhension internationale, mais exprime bien plutôt l’ouvriérisme anticolonialiste français et même provincialiste, fait de la dénonciation de l’exploitation et des mêmes gros exploiteurs des travailleurs, en France et dans les colonies ; ceux-ci pompent le sang et l’or, font tuer les soldats pour le capital.

Pendant que Jacques Doriot conduit l’agitation parlementaire contre les guerres coloniales, Henri Lozeray devient le secrétaire appointé du travail colonial du parti communiste, participant aux séances, au reste irrégulières, de la Commission coloniale, et rapporteur auprès du Comité central dont il devient membre en janvier 1925, et devant les congrès quand ils ont lieu.

Aussi fait-il partie avec notamment J. Doriot et Victor-Noël Arrighi qui lui est très proche, de la petite cohorte envoyée en juin-juillet 1925 à Alger pour animer la campagne contre la guerre du Rif et de Syrie (soulèvement arabe druze ayant pour leader El-Atrach). Les communistes d’Algérie viennent de mener la bataille électorale en mai 1925 à Alger en mettant (en leur absence) en tête de liste, l’Émir Khaled et Mahmoud Ben Lekhal illustré par son action dans la Ruhr et sa condamnation. Jacques Doriot tient un meeting près du Front de mer à Alger qui déborde ensuite dans les rues, puis tente d’entrer au Maroc pour susciter « la fraternisation des soldats » selon le mot d’ordre ; il est expulsé sur Paris car il est député.

Mais les autres envoyés communistes sont arrêtés le 13 juillet 1925. Henri Lozeray est condamné à deux ans d’emprisonnement. Pour « ne pas livrer l’Algérie à Moscou », le gouverneur Viollette entend détruire le communisme en Algérie : la répression fait, dans les mois qui suivent, 351 arrestations et prononce 137 condamnations à des peines de bagne dans le sud ; La Lutte sociale subit censures et saisies. La campagne anticommuniste culmine lors du discours du ministre de l’intérieur, Albert Sarraut, qu’accompagne Viollette à Constantine le 27 avril 1927, clamant : « Le communisme voilà l’ennemi ».

Les deux ans passés à la prison Barberousse (Serkadji) d’Alger s’achèvent le 13 juillet 1927 pour Henri Lozeray. Il reprend place à Paris à la Commission coloniale et dans les organes du Comité central du parti communiste ; le parti le présente aux élections à Paris. Poussé en avant aux commandes du parti par le représentant de l’IC, avec l’équipe d’activistes ayant fait leurs preuves aux Jeunesses communistes, il devient membre du Bureau politique en 1929 aux côtés d’Henri Barbé. Demandant à quitter la responsabilité de la Commission coloniale, il reçoit la mission de confiance avec son frère, de s’occuper des finances du parti. Aussi n’apparaît-il guère dans l’action anticoloniale à cette époque marquée par des arrestations lors de la préparation de la journée anti-impérialiste du 8 août 1929.

Il est mis en cause par les délégués de l’IC lors de la destitution en 1931 du « groupe Barbé-Celor », que l’on appelle aussi au début groupe Barbé-Celor-Lozeray. Il se plie à la condamnation du parti et accepte d’être ramené à la base, redevenant typographe et syndicaliste à la CGTU. La Commission coloniale échoit à un rescapé provisoire du « groupe », André Ferrat qui réorganise le parti communiste en Algérie. Pendant ce temps, Henri Lozeray n’a probablement rien su de ce qui se passait en Algérie, du Congrès des ouvriers arabes de 1930 et du projet de CGT algérienne, de la tentative avec Belarbi (Boualem) de Parti national révolutionnaire et de l’implantation de l’Étoile Nord-africaine de Messali à partir de 1933, ni de la mission Barthel.

Après les succès de Front populaire, il faut qu’il se distingue par son adhésion à la politique d’union des Français et d’union française qui vaut la dissolution du secteur d’agitation ant-impéraliste auprès du Comité central, pour qu’il retrouve des responsabilités au PCF. Il est élu député communiste à Paris dans le quartier La Folie-Méricourt en mai 1936 et devient, à la chambre, vice-président de la Commission de l’Algérie et des colonies. À ce titre, il fait partie de la mission de la Chambre des députés qui se rend en Afrique de l’Ouest française en janvier 1937.

Par cette voie parlementaire, il redevient un des porte-parole du PCF sur les questions coloniales. En octobre 1938, il se rend à Alger pour tempérer l’action et le discours de l’instructeur envoyé par le PCF, Robert Deloche qui est tellement français qu’il oublie toute référence à la culture et à la langue arabe et au passé musulman. R. Deloche est rappelé et la propagande communiste se remet à conjuguer la pensée tenue pour française des Lumières et la civilisation arabo-musulmane et à demander l’instruction en arabe. À la mode du culte de la personnalité, il lance une campagne d’adhésion au PCA, dite promotion Boukhort-Thorez. On est à la veille du voyage de Maurice Thorez en Algérie.

Quand Laurent Casanova, son conseiller le plus proche, prépare ce passage à Alger où il va prononcer la formule de la nation algérienne en formation (février 1939), c’est Henri Lozeray qui donne les raisons de stratégie soviétique, antifasciste et antinazie certes, qui impliquent la préservation des colonies dans le domaine réservé français. Il écrit sans détour dans un article de la revue doctrinale Les Cahiers du bolchevisme de décembre 1938 : « Nous travaillons à la création d’une communauté française, métropoles et colonies formant un bloc capable de résister au plan d’hégémonie du racisme hitlérien… La résistance à Hitler exige que ne soient pas compromises les voies de communication de l’Afrique du Nord avec la France ».

Arrêté en octobre 1939, condamné en 1940, il fait partie des députés communistes déchus de leur mandat, emprisonnés à Poitiers puis transférés en 1941 à la prison centrale de Maison-Carrée (El Harrach) près d’Alger. À sa sortie de prison en janvier 1943, après le débarquement allié de novembre 1942 en Afrique du Nord, il fait donc partie de la Délégation communiste française en Afrique du Nord qui se fait représenter auprès du général Giraud puis se place totalement derrière le général de Gaulle à la tête de ce qui devient le gouvernement de la France libre, gouvernement provisoire de la République français et va s’installer à Paris libéré. Henri Lozeray est député aux deux Assemblées constituantes puis député communiste du Cher (France). Il est vice-président de la Commission des territoires d’Outre-mer et redevient donc le porte-parole communiste dans le débat colonial.

Ainsi, en 1946, dans un rassemblement d’élus de métropole et d’Outre-mer, qui se présente comme constituant les « États-généraux de la colonisation française », fait-il chorus avec le ministre socialiste des colonies, Marius Moutet pour célébrer « l’unité et l’intégrité de la Plus Grande France (sic), des Antilles à Madagascar, de Dakar à Casablanca, à l’Indochine et à l’Océanie ».

Cependant, il tient compte ensuite de l’infléchissement de la vision communiste soviétique et française depuis le printemps 1946 pour explorer une voie conduisant à la formation d’une communauté d’États associés dont possiblement l’Algérie. Il annonce une prise de distance avec la politique de de Gaulle en écrivant dans Les Cahiers du communisme (et non plus du bolchevisme) d’avril 1946 : « Les recommandations de Brazzaville (de Gaulle, en 1944, après son premier discours de Constantine disant « tous Français ») ne visaient en définitive qu’à moderniser les formes d’exploitation et d’assujettissement des populations ». Le PCF envoie ce fidèle serviteur siéger à partir de 1947 à l’Assemblée de l’Union française. Henri Lozeray meurt à l’hôpital Saint-Antoine à Paris en juillet 1952.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article158578, notice LOZERAY Henri (Rodolphe, Henri) [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 2 mai 2014, dernière modification le 2 mai 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. IRM, Paris, Commission coloniale du PCF. — La Lutte Sociale, 1925-1926. — J. Monetta, Le PCF et la question coloniale (1920-1965), Maspero, Paris, 1971 — Arch. et bibliographie citées par la notice de C. Pennetier dans DBMOF, op. cit., t.35, et Komintern : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste, L’Atelier, Paris, 2001.

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