LUSSY Charles, pseudonyme de Paul, Charles RUFF [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 25 septembre 1883 à Alger, mort à Paris le 17 octobre 1967 ; commis des PTT à Alger, secrétaire de la section SFIO d’Alger en 1908, prenant le nom de Charles Lussy pour écrire dans la presse socialiste ; installé à Nîmes (Gard, France), rédacteur en chef du Populaire du Midi  ; journaliste à L’Humanité jusqu’en 1924, et journaliste à Paris-Soir ; en 1944, secrétaire général du Populaire ; parallèlement candidat et élu SFIO, maire de Pertuis (Vaucluse) de 1938 à 1953, député du Vaucluse de 1936 à 1958, président du groupe socialiste à la Chambre des députés de 1946 à 1955 ; doutant de la politique algérienne de Guy Mollet, adhérent au PSA en 1958 et au PSU en 1960 avant de revenir à la SFIO pour finir.

Les parents de Paul Ruff appartenaient à une famille d’Alsaciens juifs optant pour la France en 1871 ; ils arrivent en Algérie parmi les Alsaciens après la guerre de 1870-1871, parce que l’Algérie, c’est la France pour une nouvelle vie. Le père s’installe libraire dans le premier centre colonial d’Alger en avant de la Casbah ; la mère est directrice d’école française laïque.

Dans la famille, on ne parle pas du mauvais exemple que donne le frère aîné, Pierre Ruff, né en 1877 et qui a rompu avec ses parents et gagné Paris. Licencié de mathématiques, il s’est fait typographe pour s’adonner à la littérature anarchiste. Il est le gérant de la revue Le Mouvement anarchiste à Paris. Condamné en 1907 déjà pour propagande et agitation antimilitariste, il l’est encore avec Louis Lecoin en 1912. Pendant la guerre de 1914, il est à nouveau arrêté pour diffusion du Libertaire. Il passe peut-être la moitié de ses années en prison jusqu’à sa déportation en Allemagne en 1942 et sa mort dans un camp de concentration. Son cadet, Paul Ruff, est par contraste stylé, social-démocrate et républicain patriote.

Les parents donnent au jeune garçon des ouvertures littéraires et artistiques ; journaliste politique sous le nom de Charles Lussy (pour Lucie, dit-on, son amie de jeunesse), Paul Ruff sera aussi critique d’art. Plus encore, ses parents lui transmettent les idéaux républicains laïcs qui croient à la fraternité des races et au progrès du genre humain par l’école et par le syndicat ; la France, patrie républicaine doit être aussi une république sociale. Sa mère pratique l’action sociale. Après le baccalauréat, Paul Ruff devient employé des PTT à la Poste d’Alger et prend aussitôt sa carte syndicale à la CGT naissante.

Ignorant la diversité des groupes syndicalistes et socialistes dans la société coloniale d’Algérie faite de travailleurs plus que de colons, l’histoire socialiste des fédérations de la SFIO voit en Paul Ruff l’un des fondateurs de la SFIO à Alger sinon en Algérie. À sa création, en 1905 depuis Paris, la direction parisienne envoie le « citoyen Gabier » pour unifier les socialistes d’Alger, mais les plus nombreux sont alors à Oran et à Bône (Maxime Guillon) ou ailleurs, dispersés dans les imprimeries, les cordonneries, les ateliers et les premiers dépôts de chemins de fer.

Gabier, qui ne connaît rien au travail ouvrier, est un socialiste politicien qui se présente à Alger aux élections législatives dès 1906. En 1908, Paul Ruff est déclaré aux instances de la SFIO, secrétaire de la section socialiste de la ville d’Alger, et commence à donner des articles dans les feuilles socialistes sous le nom de Charles Lussy. La section d’Alger veut se présenter comme étant la Fédération SFIO d’Algérie et de Tunisie, alors que les socialistes de Tunis sont déjà bien organisés, et que la Fédération socialiste qui se coordonne laborieusement en Algérie, a son journal à Oran sous le titre fort syndicaliste : La Lutte Sociale. Gabier s’en revient vite à Paris.

Charles Lussy, soit dans le sillage-retour de Gabier, soit parce qu’il apparaît comme un journaliste socialiste jugé d’avenir, vient, ou est appelé, en métropole. Il arrive à Nîmes en 1911, probablement pour participer au lancement du quotidien socialiste Le Populaire du Midi qui paraît en 1912 et dont il devient le rédacteur en chef. Après la guerre de 1914-1918, qui lui vaut médaille militaire et croix de guerre, il s’installe à Paris car il devient rédacteur à L’Humanité, qui est le quotidien de la SFIO et le journal auréolé de Jaurès. Il se marie à Paris en 1920 avec une connaissance d’Alger, de bonne famille juive algéroise, Marcelle Lévy-Bendano. En même temps, dès 1919, il se porte candidat socialiste aux élections dans le Vaucluse qui devient, dans tous les sens du terme, sa province d’élection. Il est délégué de la Fédération SFIO du Vaucluse en 1920 au congrès de Strasbourg en février et de Tours en décembre.

La majorité de la Fédération du Vaucluse passe au Parti communiste ; Charles Lussy de même, suivant aussi la rédaction de L’Humanité qui devient le quotidien communiste. Il manifeste très vite ses distances avec l’IC, proteste contre les exclusions des réformistes ou des patriotes, employant la formule qui servira beaucoup « Vous avez exclu Jaurès ». Il est certainement profondément jauressien ; il suit en dissidence le secrétaire général Frossard qui démissionne du PC en fondant, en 1923, une Union socialiste-communiste, avant de revenir à la SFIO. Il entre à la franc-maçonnerie et vit en collaborant à plusieurs grands et petits journaux avant de devenir député SFIO du Vaucluse en avril 1936 ; il conquiert aussi la mairie de Pertuis.

Charles Lussy dit avoir toujours été opposé aux vingt-et-une conditions de l’IC qui demandent notamment de lutter pour l’indépendance des colonies. Sa pensée est trop républicaine française, patriotique et laïque. Il aurait pu, à la SFIO, devenir l’homme de conseil sur l’Algérie, mais le rôle est pris successivement ou à la fois par Marius Moutet, homme de gouvernement, et par Charles-André Julien qui est le spécialiste. Toutefois Charles Lussy maintient un intérêt pour l’évolution de l’Algérie ; peut-être déjà comme député avant 1939, et cela paraîtra bien plus après 1945.

Pour lui, le grand trouble politique au sein de la SFIO est celui de 1940. Il s’abstient le 10 juillet 1940 à Vichy, lors du vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Il dira plus tard qu’il n’a pas voté contre pour qu’on n’attribue pas ce refus à ses origines juives. Bien qu’emprisonné et Résistant, il devra se battre auprès des nouveaux dirigeants pour être réintégré à la SFIO en 1944. Il est vrai qu’il avait toujours sa place puisqu’il est déjà désigné secrétaire général du quotidien Le Populaire, et va retrouver sa mairie et la députation du Vaucluse.

Il aura à prendre position sur les questions algériennes et sur toutes les questions de polique française puisqu’il devient, en 1946, président du groupe parlementaire socialiste. Certes il doit se placer au-dessus de la mêlée, mais ses inclinations se font jour. Son laïcisme est intransigeant, son patriotisme français le fait s’opposer à la CED (Communauté européenne de défense) aux côtés des communistes ; il est en froid avec Mendès-France. Il va décrocher de la majorité de la SFIO et de son chef Guy Mollet en 1956, en partie sur l’impasse coloniale de la guerre poursuivie en Algérie. Il est hostile aux « pouvoirs spéciaux » en mars 1956. En 1957, il se rapproche de la minorité socialiste derrière Édouard Depreux, mais ne rallie le PSA qu’à la fin de 1958. Il appartient, en 1960, au premier Comité politique national du PSU. S’il quitte le PSU en 1963, c’est par désaccord sur les écarts avec sa conception de la laïcité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article158580, notice LUSSY Charles, pseudonyme de Paul, Charles RUFF [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 2 mai 2014, dernière modification le 6 octobre 2020.

Par René Gallissot

SOURCES : L’Encyclopédie socialiste, Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes, t.1, Paris 1921. — A. Juving, Le socialisme en Algérie, Thèse de droit, Alger, 1924. — Arch. et bibliographie citées dans la notice par F. Roux et G. Morin dans DBMOF, op. cit., t.34 et notice Pierre Ruff dans t.15.

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