PRAT Jean

Par Aurore Richard

Né le 25 février 1927 à Milan (Italie), mort le 27 mars 1991 à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) ; études à l’IDHEC ; syndicaliste de la télévision ; adaptateur et réalisateur de la télévision française depuis 1953 ; prix Albert Ollivier pour ses dramatiques télévisées L’Espagnol (1966) et Le grand voyage (1969).

Jean Prat naquit à Milan en 1927 où son père était représentant des Chemins de fer français. Il entreprit des études littéraires et choisit finalement le cinéma pour sa nouveauté alors qu’il hésitait avec la peinture. Dans cette perspective de carrière, il fit ses études à l’IDHEC. Il parvint alors à devenir assistant sur plusieurs films mais sans jamais réussir à travailler avec les plus grands. Même si le cinéma restait son objectif, il décida de travailler à la télévision car en 1950, peu de gens s’y intéressaient véritablement et il espèrait ainsi accéder à la réalisation.

Il commença par être l’assistant de Claude Barma pendant plus d’un an, puis de René Lucot et fut finalement nommé réalisateur en 1953. Dans un premier temps, il signa des documentaires et des reportages pour la série Chacun son métier par exemple, puis il devint en 1955, le réalisateur attitré de l’émission littéraire Lectures pour tous et ce, jusqu’en 1968. Il imposa alors une réalisation originale avec des moyens techniques pourtant assez limités. En effet, il parvint à faire de la réalisation un élément de dramatisation dans l’exercice, dans l’art d’interviewer alors qu’il ne disposait que de trois caméras munies de tourelles qu’il fallait tourner pour changer de focale. Pierre Dumayet et Pierre Desgraupes questionnaient des invités tandis que Jean Prat s’attachait à choisir les moments forts et réalisait des plans révélateurs sur les mains afin de signifier la tension, l’agitation ou la réticence de l’invité même s’il se défendait d’effectuer systématiquement ce type de plans.
Lectures pour tous n’est pas la seule émission pour laquelle il travailla car il était également le réalisateur de 17 numéros de l’émission En votre âme et conscience entre 1954 et 1959. Son œuvre ne se limita pas à cela car Jean Prat participa à la réalisation de nombreuses fictions en commençant par une douzaine de dramatiques vidéo en direct puis une trentaine de films de fiction. Sa toute première « nouvelle filmée » date de 1956 ; il s’agissait de l’adaptation du roman d’Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent. Il connut d’ailleurs les aléas du direct dès cette première dramatique car Isabelle Pia qui tenait le rôle-titre avait le trac, elle se mit alors à boire, elle finit ivre et bafouillant son texte. C’est d’ailleurs en réalisant des fictions qu’il donna sa chance à de jeunes acteurs tels que Marie Dubois, Mireille Darc ou Laurent Terzieff car lorsqu’il avait le choix, il préférait un acteur inconnu à un acteur célèbre.

Son œuvre fictionnelle se compose à la fois de scénarios originaux tels que La fille de la pluie (1958) ou L’Ascenseur (1962) mais aussi d’adaptations d’œuvres classiques (Ivanov de Tchekhov en 1956 ou L’héritage de Maupassant en 1965) et d’œuvres contemporaines (325 000 francs de Roger Vailland en 1964 ou Le cercle de craie caucasien de Brecht en 1967). Cependant, il n’a été auteur complet qu’une seule fois, avec Qui es-tu Mélusine ?(1970).

L’une de ses réalisations télévisuelles a particulièrement marqué sa carrière tout comme l’histoire de la dramatique télévisuelle ; il s’agit des « Perses » (1961). Cette adaptation d’une œuvre d’Eschyle pour la télévision souligne une véritable ambition de la part de la RTF à proposer du théâtre antique aux nombreux téléspectateurs de la dramatique du mardi soir. Jean Prat ne voulait pas se cantonner à réaliser une simple reconstitution archéologique mais il écrivit lui-même une nouvelle adaptation du texte conçu comme un oratorio et pour lequel il confia la composition d’une musique moderne et dramatique à Jean Prodromides . « [S’il donne] ce poids à la musique, aux masques, c’est parce qu’[il veut] faire un spectacle qui frappe l’imagination, même si ça ne frapp[e] pas directement l’intelligence. » (Jean Prat, Télé 7 jours, du 12 au 18 juin 1965). Jean-Jaques Gambut s’attela en effet à la conception de décors stylisés, Cyril Dives à celle des masques tandis que Christiane Coste
élabora des costumes rigides et tout cela contribua à donner une apparence de statue aux acteurs. De plus, la mise en scène, jouant sur l’ombre et la lumière, renforça cet aspect hiératique. Au contraire, la caméra suivait le rythme des mots et de la musique et le montage rapide alternait de longs travellings à la grue avec des gros plans fixes. Sa diffusion fut d’autant plus un événement qu’elle s’effectua simultanément à la télévision et à la radio ; une expérience de stéréophonie tentée pour la toute première fois et qui ne fut donc pas parfaitement réglée ni très claire pour les auditeurs. Cette adaptation de théâtre antique pour la télévision fut suivie par plusieurs millions de téléspectateurs et fut également applaudie par la critique.

Le jury du Grand Prix Albert Ollivier qui récompense une œuvre dramatique télévisée par année lui décerna le premier prix pour son adaptation d’une œuvre de Bernard Clavel, l’Espagnol, pour l’année 1966-1967. Il la réalisa en deux épisodes : L’étranger dans les vignes et Les dernières vendanges. La collaboration Prat/Clavel n’en était alors qu’à ses prémices car Jean Prat réalisa deux autres adaptations de romans de Bernard Clavel : Le tambour du bief (1970) et Le silence des armes (1974). Le premier traita un sujet difficile, l’euthanasie tandis que le second aborda un sujet tabou, la guerre d’Algérie ; Jean Prat décida donc de mettre sa maîtrise de l’image au service de scénarios forts.

Il obtint à nouveau cette récompense pour Le grand voyage (1969), une adaptation du roman de Jorge Semprun relatant le destin d’un homme qui fut déporté vers un camp de la mort et qui, vingt ans plus tard, revit ces moments-là à travers ses souvenirs. Elle fut considérée comme le film le plus abouti de sa carrière car Jean Prat y transfigura le monologue du livre en une voix off et il donna à la caméra la place du narrateur. Ce projet qui ne fut accepté qu’au bout de quatre ans pourtant fut très bien accueilli par le public (il arriva 1er dans un sondage du public effectué par Télé 7 jours).
Jean Prat est souvent décrit par ses collègues de la télévision comme un homme courtois mais discret, parfois même secret. Si sa rigueur, son intransigeance ainsi que sa patience au travail lui sont reconnues ; certaines personnes comme son assistante Monique Tosello lui connaisse également un côté farceur. Lorsqu’il travaillait pour l’émission Lectures pour tous, il s’amusait à enlever le signal lumineux rouge qui indique que la caméra en marche afin de déstabiliser les intervieweurs. S’il est décrit comme un véritable aristocrate, cela ne l’empêche pas pour autant d’être un syndicaliste convaincu.
En 1985, il réalisa Ana Non, une adaptation du roman d’Agustin Gomez Arcos sur fond de Guerre civile dans une Espagne meurtrie ; il s’agissait alors de son ultime réalisation. À partir de cette date, il ne reçut plus aucune proposition de la part des « décideurs » de la télévision et ce, malgré ses nombreuses demandes. Jean Prat a alors « fait le nécessaire pour opposer [au] mutisme des [décideurs] son silence définitif » (Marcel Jullian, Les Écrits de l’image, printemps 1995).

Il décéda à Saint-Cloud en 1991. « Il est mort de voir agoniser sous son regard impuissant une télévision atteinte de la plus longue, de la plus cruelle des maladies : la médiocrité » (Yvan Audouard, Cinémaction TV, 1er janvier 1992). Il a d’ailleurs reconnu lui-même ses deux torts : « celui de tout miser sur la télévision, et celui de ne pas voir son naufrage. » (Jean Prat, Cinémaction TV, 1er janvier 1992).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article158584, notice PRAT Jean par Aurore Richard, version mise en ligne le 3 mai 2014, dernière modification le 3 mai 2014.

Par Aurore Richard

ŒUVRE :
- Réalisation de 17 émissions de la série En votre âme et conscience entre 1954 et 1959 (les affaires Lafarge, Weidmann et Steinheil...) et des numéros de l’émission littéraire Lectures pour tous entre 1955 et 1968.
- Adaptations d’œuvres classiques :
Barbey d’Aurevilly : Hauteclaire (1961), L’ensorcelée (1979), Emily Brontë : Les Hauts de Hurlevent (1956 ; en 2 téléfilms),
Alphonse Daudet : Clarisse Fenigan (1959), Eschyle : Les Perses (1961), Gobineau : Le mouchoir rouge (1959), Goldoni : La locandiera (1957),
Ben Johnson : L’alchimiste,
Maupassant : L’héritage (1965),
Pirandello : Chacun sa vérité (1960), Six personnages en quête d’auteur (1964),
William Shakespeare : Antoine et Cléopâtre (1967),
Tchekhov : Ivanov (1956), Les trois sœurs (1960 et 1973),
Tourgueniev : Un rêve (1960), Premier amour (1963)
- Adaptations d’oeuvres contemporaines :
Adamov : Ping-pong (1958),
Brecht : Le cercle de craie caucasien (1967),
Bernard Clavel : L’espagnol (1966 ; en 2 téléfilms : L’étranger dans les vignes et Les dernières vendanges), Le tambour du Bief (1970), Le silence des armes (1974),
Agustin Gomez Arcos : Ana Non (sa dernière réalisation en 1985),
Montherlant : Les célibataires (1962),
André Rivemale : Azouk (1957), Les lavandes et le réséda (1975), Les lavandes et la liberté, Bataille pour les lavandes,
Antoine de Saint-Exupéry : Le Petit Prince (1961),
Jorge Semprun : Le grand voyage (1969),
Roger Vailland : 325 000 francs (1964)
- Scénarios originaux : Les enfants de la nuit (1957) de Jean Luc Terrex, La fille de la pluie (1958) de Louis Chavance, Flore et Blancheflore (1961) de Françoise Dumayet, L’ascenseur (1962) de Roger Stéphane, Escale obligatoire (1962), Comme on fait son lit on se couche (1965) de Claude Berri, Le destin de Rossel (1966) de Roger Stéphane, L’envolée belle (1969) d’Alexandre Rivemale, Qui es-tu Mélusine ? (1970), auteur, Contrecoups (1973) ; coauteur avec André Chédid, Il n’y a plus d’innocents (1978) de Marcel Jullian, Les malheurs de Cathy (1982) ; coauteur avec un groupe de jeunes Guadeloupéens pour la série Parole donnée.

SOURCES :
Bibliographie :
- Janine Brillet , « Ces inconnus célèbres qui font votre télévision », Télé 7 jours, n° 80, du 30
septembre au 6 octobre 1961, p. 58-61. — « En confidence... Jean Prat », Télé 7 jours, n° 273, du 12 au 18 juin 1965, p. 26-27. — « Michel Mitrani et Jean Prat : Grand Prix Albert Ollivier », Télé 7 jours, n° 411, du 3 au 9 février 1968, p. 115. — Christian Boseno, « 200 téléastes français », CinémAction hors-série, septembre 1989, p. 46. — Denise Billon, « Jean Prat : le créateur assassiné », Cinémaction TV, janvier 1992, p. 18-20. — Marcel Jullian, « Il s’appelait Jean Prat », Les Écrits de l’image, n° 6, printemps 1995, p. 32. — Sophie de Closets, « Lectures pour tous 1953-1968 », mémoire sous la direction de Jean-Noël Jeanneney, Institut d’études politiques de Paris, 2001, p. 25-31.

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