BONNECHÈRE Daniel

Par Robert Kosmann

Né le 3 septembre 1927 à Esteville (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 4 juin 2020 ; prêtre ouvrier, soudeur et tuyauteur chez Renault à Billancourt ; délégué syndical CGT, élu et responsable du comité d’entreprise.

Fils de Roger Bonnechere, chef de culture agricole, et de son épouse, Madeleine, femme au foyer, Daniel Bonnechère grandit dans une famille de chrétiens pratiquants. Avant guerre, son père fut adhérent des Croix de feu, puis du Parti social français. Maréchaliste, il changea d’opinion dans les années 1942-43 et se prononça en faveur des FFI gaullistes. Daniel Bonnechère effectua sa scolarité secondaire au lycée Corneille, à Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), de 1936 à 1941. Il fit alors partie des Scouts de France (1936-1947). Il poursuivit ses études à Paris, au lycée Condorcet, de 1942 à 1946, avant d’étudier à la faculté de théologie, de 1948 à 1952, au séminaire Saint-Sulpice à Issy les Moulineaux (Seine, Hauts-de-Seine). Il effectua son service militaire de 1947 à 1948, au 63e régiment d’artillerie, d’abord à Fez (Maroc) puis à Cherchell (Algérie) et sortit aspirant artilleur. Il fut ordonné prêtre en 1955 à Pontigny (Yonne) dans le cadre de la Mission de France Saint-Hyppolite. Il devint prêtre de l’église Saint Hyppolite à Paris (XIIIe arr.) où la majorité des fidèles étaient des ouvriers de l’usine Panhard, située à proximité.

À partir de 1958, Daniel Bonnechere s’engagea dans le mouvement des prêtres ouvriers et travailla tout d’abord à temps partiel comme employé de presse aux Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), à Châtillon-sous-Bagneux (Seine, aujourd’hui Châtillon, Hauts-de-Seine), de 1959 à 1964. De novembre 1964 à mai 1965, il suivit une formation de soudeur au centre FPA Yves Bodiguel d’Issy-les-Moulineaux, ce qui lui permit d’être embauché, en juin suivant, à l’usine Babcock de La Courneuve (Seine, Seine-Saint-Denis). Dès 1964, il se syndiqua à la CGT. En 1966 il suivit un second stage de soudeur spécialisé (argon, tous métaux) qui lui permit d’entrer dans une petite entreprise de l’industrie nucléaire VMDI (Vide moléculaire dans l’industrie) ; entre 1967 et 1970. Cette petite usine ne fut pas en grève en mai 68 et Daniel Bonnechere se trouva donc en dehors du mouvement de grèves et de contestation qui animait le pays. Il participa toutefois au meeting de Charlety et dès cette époque repoussa les thèses « gauchistes » qu’il considérait comme « démagogiques », et le fait « d’une bande de cinglés ». Cette même année 1968, il prit ses distances avec l’Église et rompit ses vœux. Il épousa Michèle Bartoli, spécialiste du droit des travailleurs immigrés et membre de la Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) qui devint professeure de droit du travail à l’Université d’Évry. Il choisit aussi d’entrer dans une entreprise plus importante que le petit établissement où il était employé.

Daniel Bonnechère fut embauché en mars 1970 à la Régie nationale des usines Renault non pas comme soudeur mais comme tuyauteur P1, corps de métier dont l’entreprise avait besoin à ce moment, pour un petit atelier de Billancourt, « Renault marine ». En janvier 1971 il fut muté à l’atelier de production de machines outils (RMO). Il se fit remarquer par les directions syndicales par son sérieux dans la collecte des cotisations et son sens de l’organisation pour diffuser la Vie ouvrière. Il participa à la grève de mai 1971 chez Renault au sein des professionnels CGT de RMO. A la fin de l’année (octobre-novembre) la direction CGT lui fit accomplir une école syndicale d’une semaine, et en février 1972 une école syndicale de quinze jours de deuxième niveau. À son retour il eut la surprise d’apprendre qu’il avait été nommé par Roger Silvain comme délégué syndical pour l’usine de Billancourt, responsable du syndicat pour toutes les questions administratives et de négociation avec la direction. En fait, son rôle consistait à servir d’interface entre la direction de Renault et les permanents, secrétaires du syndicat CGT qui étaient formellement à l’extérieur de l’usine et dirigeaient réellement le syndicat. Il fut le représentant de la CGT à l’usine de 1972 à 1981 et membre du bureau du syndicat de 1972 à 1985. Le lendemain de sa nomination comme délégué syndical, l’usine vécut l’épisode de l’assassinat de Pierre Overney par un gardien. Peu au fait des relations entre les militants maoïstes, la CGT et la direction, Daniel Bonnechère fut chargé de prononcer, en tant que délégué, le discours écrit par Élie Dayan, connu pour ses positions anti-gauchistes. En 2012, Daniel Bonnechère regrettait encore la formule prononcée à cette occasion : « Overney n’est pas un mort de la classe ouvrière  ». Il suivit ensuite une école syndicale d’un mois au centre de formation « Benoît Frachon » de Courcelles-sur-Yvette.

Daniel Bonnechère s’inscrivit pleinement dans la défense du Programme commun. Ses désaccords survinrent à partir de 1977, quand la critique du PS par le PCF arriva à l’usine. Daniel Bonnechère privilégiait l’action syndicale CGT par rapport à celle du PCF quand la direction de l’époque du Parti communiste considérait encore, selon lui, le rapport entre les deux comme une courroie de transmission. Il « refusait l’embrigadement » et ne souhaitait pas s’engager au PCF qu’il considérait comme « trop doctrinaire ». En 1981, après la victoire de François Mitterrand, il fut chargé d’organiser « l’apéritif de la victoire », place Nationale, quand la plupart des cadres du PCF sous l’impulsion d’Elie Dayan, avaient voté Giscard d’Estaing. Sensibilisé à la défense des travailleurs immigrés, Daniel Bonnechère fut, comme Marius Apostolo, en désaccord avec la ligne du PCF sur la question du foyer d’immigrés attaqué au bulldozer à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) en 1980. Il s’opposa aux facilités accordés aux militants communistes de l’usine qui étaient désignés comme délégués au CHSCT et utilisaient en partie leur temps de délégation à des fins politiques. En raison de ces désaccords, on lui retira sa délégation de représentant syndical en 1981 et, en remplacement, il fut élu au comité d’entreprise, responsable des questions du logement, à partir de 1982.

De 1980 à 1985, Daniel Bonnechère et son épouse, Michèle, s’investirent fortement au sein du Comité de défense des prisonniers politiques irlandais (CDPPI), catholiques, en grève de la faim. Il organisa des manifestations de protestation en utilisant le matériel du CE (camionnette Renault), avec le soutien de la CGT et du journal l’Humanité. Il assura une production de « perruque » (broches et pendentifs) au sein de l’usine, pour vendre au profit des prisonniers. Il tint un stand pour les prisonniers politiques irlandais à la Fête de l’Humanité en 1984. Il participa à leur défense juridique au sein de la FIDH (Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme), de 1985 à 1988.

Daniel Bonnechère fut membre de la commission immigration de l’usine de 1976 à 1986, puis de la Commission régionale pour l’insertion des populations immigrées (CRIPI), de 1982 à 1988. En même temps, il fut élu à la commission exécutive de l’Union départementale CGT des Hauts-de-Seine, de 1976 à 1988. L’ensemble de ses responsabilités ne lui permettait pas d’effectuer un travail de plus de quatre heures à l’atelier et, parfois, des camarades terminaient son travail. Il fut mis en pré retraite en novembre 1985 et prit sa retraite effective en 1987.

En 2012, Daniel Bonnechère était resté chrétien et adhérait au syndicat des retraités CGT Renault et l’Association des travailleurs Renault de l’Île Seguin (ATRIS). Il gardait un sentiment très positif de son passage chez les ouvriers professionnels et spécialisés de Renault, et « d’une ambiance syndicale fraternelle et démocratique » dans les ateliers. Il gardait un bon souvenir de son activité aux côtés des militants du PCF en faveur des prisonniers politiques irlandais et n’avait qu’un regret : être arrivé trop tard dans cette grande usine et n’avoir pas pu participer aux grèves de mai/juin 1968.

Il mourut le 4 juin 2020. Une cérémonie religieuse se tint le 10 juin en l’église Saint-Hippolyte de Paris XIIIe arr. avant l’inhumation au cimetière parisien.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article158654, notice BONNECHÈRE Daniel par Robert Kosmann, version mise en ligne le 6 mai 2014, dernière modification le 10 février 2022.

Par Robert Kosmann

SOURCES : Arch.PPo. — Gilbert Hatry (dir.), Notices biographiques Renault, Paris, Éditions JCM, 1990. — Tangi Cavalin, Nahtalie Viet-Depaule, Une histoire de la mission de France, Paris, Karthala, 2007. — Entretien et correspondance avec Daniel Bonnechère, septembre 2012. — Michèle Bonnechère, Prêtre-ouvrier à Renault Billancourt, L’itinéraire de Daniel Bonnechère, Paris, Karthala (Signes de temps), 2021. — Le Monde, 9 juin 2020.

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