BRINGUIER Jean-Claude

Par Aurore Richard

Né le 14 juillet 1925 à Montpellier (Hérault), mort le 17 septembre 2010 ; journaliste, documentariste, réalisateur et producteur français.

Fils d’Albert Bringuier, négociant en vins, et de Charlotte Gouzin, sans profession, Jean-Claude Bringuier ne se destinait pas à la production et à l’écriture de documentaires. Après des études de droit et une petite expérience du journalisme (il écrivit pour L’Intransigeant et pour Paris-Match entre 1947 et 1948), il devint assistant d’Henri-Georges Clouzot en 1949, puis de Pierre Fresnay au Théâtre de la Michodière.

C’est en entrant à la RTF en 1951 qu’il découvrit sa vocation aux côtés de Pierre Sabbagh. Dans une interview accordée à Télérama en 1996, il confie : « C’est une chance inouïe pour moi (et quelques autres) d’être entré jeune à la télévision, au moment où elle naissait » Il y rencontra le documentariste Hubert Knapp, qui devint son ami et fidèle collaborateur. Cependant, les contraintes du direct dans les journaux télévisés lui pèsaient, il préfèrait les reportages plus construits qui laissaient le temps de la réflexion. Il réalisa cependant quelques petits sujets pour la série « En direct de », au cours desquels il découvrit l’intérêt que représentait la vie des Français. En 1955, il s’essaya aussi à la dramatique avec L’assassin a pris le métro.

Entre 1957, il lança avec Hubert Knapp la série documentaire des Croquis (qui dura près de dix ans), créant ainsi une nouvelle forme de documentaire, où s’entrecroisaient passé et présent, avec un style bien spécifique : ils choisissent de s’attacher au quotidien de gens ordinaires, dans des échanges qui s’apparentent davantage à des conversations qu’à des interviews. Ils recherchaient une proximité, facilitée par l’apparition des caméras Coutant, plus mobiles, dans les années 1960. La formule se mit en place avec les « Croquis lyonnais », visant à montrer d’autres facettes d’une ville qui a alors mauvaise réputation. Le dernier croquis fut celui consacré au Périgord, en 1968. Bringuier définit les Croquis comme du « non-journalisme » dans le sens où il ne s’agit « pas (de) couvrir un sujet mais (de) le découvrir ».

Pierre Sabbagh, alors directeur de la 2e chaine, leur commande une nouvelle série, « Les Provinciales ». Knapp et Bringuier sont contraints d’élargir leur équipe pour répondre à cette demande. Dans le même esprit que les Croquis, les vingt-quatre émissions, exclusivement consacrées à l’Hexagone, sont diffusées entre le 26 décembre 1969 et le 18 octobre 1977. S’il produit l’ensemble, il n’en réalise que quelques-unes : « Les cavaliers de Lunéville » en 1970 (réalisé avec Jean-Pierre Gallo) ; « Fresselines » en 1973 avec Hubert Knapp (deux épisodes : « Le dernier battage » et « Les tréteaux de Fresselines »), consacrée à un festival de théâtre dans un village de la Creuse ; « Nés et natifs de Vendée » en 1976 (trois émissions).

Il réalisa aussi près de vingt-cinq sujets pour Cinq colonnes à la une parmi lesquels un entretien avec Gaston Bachelard qui lui donna le gout de la conversation avec des hommes de science, un voyage en Australie avec Paul Seban, un reportage sur la prétendue grande-duchesse Anastasia qui se revendique héritière des Romanov, une rencontre avec des harkis, ou encore une émission sur la petite île bretonne de Houat, dans le style des Croquis (ce qui lui est d’ailleurs reproché…).

En 1960, il fut chargé par le Service de la Recherche de l’ORTF de réaliser la collection « Les Savants sont parmi nous », qui dura jusqu’en 1980. Il s’agit de « faire des ponts entre le ‘’continent scientifique’’ et ‘’le continent des hommes‘’, et de saisir au plus près les émotions des scientifiques interviewés, en proposant des portraits inhabituels (Claude Lévi-Strauss en train d’essayer son costume d’académicien par exemple, mais aussi Jean Rostand, Edgar Morin, Jean Piaget…). Il y reprend aussi le portrait de Bachelard réalisé pour Cinq colonnes à la une, sous le titre « Bachelard parmi nous », en le nourrissant de témoignages d’amis et d’élèves.

Entre 1963 et 1968, il co-produisit avec Claude May et Jean-Pierre Gallo l’émission Le monde en 40 minutes, destinée à un jeune public. Elle n’a pas la même renommée que les autres documentaires mais c’est un succès public et critique. Elle est d’abord conçue comme un magazine, avec plusieurs sujets, mais évolue peu à peu vers l’exploration d’un thème unique. Le but est de décloisonner les programmes habituellement conçus pour les jeunes en leur proposant un autre regard sur l’actualité. Il réalise lui-même plusieurs épisodes : « Le soleil de la gloire », avec Jean-Pierre Gallo, consacrée à quelques jeunes gloires sportives et au chef Robert Benzi ; « Les élèves de la nuit » sur des adultes qui suivent les cours du soir ; « Les pélerins de Rome » ; et enfin « La plage », avec Pierre Nivollet, à l’occasion du 25e anniversaire du raid canadien et britannique sur Dieppe.

Il participa aussi, à plusieurs reprises, à la collection Les femmes aussi d’Éliane Victor : il suivit notamment une jeune médecin de campagne, et partit en Inde en 1967 pour tourner une émission sur Indira Gandhi.

Entre 1972 et 1974, il produisit avec Hubert Knapp vingt-cinq épisodes de la collection Les signes du temps, pour lesquels ils font appel à différents réalisateurs (Marcel Bluwal, Jean-Pierre Gallo, Pierre Nivollet …). Il réalise personnellement trois émissions, une consacrée aux historiens, et deux autres avec le nutritionniste Jean Trémolières (« Le pain et le vin » et « Les maladies du savoir-vivre »).

Il anime avec Roger Stéphane la série Vive l’Histoire pour laquelle il rencontra les spécialistes les plus éminents, comme Fernand Braudel.

En 1974, il produisit avec Hubert Knapp les deux volets de l’émission Portrait d’Allemagne.

En 1984, il réalisa pour l’INA, en collaboration avec Dominique Froissant, un portrait de Fernand Braudel. Ce sera sa dernière rencontre avec un homme de science.

Entre 1988 et 1994, il dirigea la nouvelle collection de France 3, coproduite par La Sept et Caméras continentales, Chroniques de France : il s’agit d’une étude globale sur la province, réalisée par différents réalisateurs (Marcel Bluwal, Claude Santelli, Bertrand Tavernier ...) qui présentent une ville ou une région qu’ils apprécient.

En 1996, il réalise le 64e numéro de la série de Bernard Rapp, Un siècle d’écrivains, consacré à Edmond Rostand. Deux ans plus tard, il est chargé de l’épisode sur Guillaume Apollinaire.

Jean-Claude Bringuier se battit aussi aux côtés de Jean-Marie Drot, Charles Brabant, Henri de Turenne et Paul Seban pour permettre aux auteurs de l’audiovisuel de percevoir leurs premiers droits d’auteur. Engagé à gauche, sympathisant communiste, il milita à la CGT des réalisateurs avant de rejoindre la CFDT, qui « répond mieux à (sa) sensibilité » ; de plus, il reprocha à la CGT sa proximité au Parti communiste, la jugeant en partie responsable de l’échec de la gauche aux élections, et considèrait sa politique de financement de la création insuffisante.

Militant pour un service public de qualité, il participe au manifeste « Pour une renaissance du service public », paru le 22 octobre 1976 dans la revue L’Unité, avec notamment Jean-Émile Jeannesson, Claude Santelli, Claude Otzenberger ou Jacques Krier. Dans un article intitulé « Quelle culture pour l’ « homo televisus » ? », il critiqua « nouvelle culture télévisuelle », qui avait pris une place majeure dans la vie des Français, comme d’une culture « désarticulée » et défendit à l’inverse une télévision à la fois populaire et de qualité. Bringuier et ses amis documentaristes avaient organisé un mois auparavant les troisièmes Rencontres internationales de la Télévision à Aix-en-Provence, autour du thème « Télévision et service public ».

Il fut membre du conseil d’administration de la SCAM (Société civile des Auteurs Multimédias) de 1995 à 2002.

Il mourut le 17 septembre 2010, à 85 ans, emporté par un cancer du poumon.

Jean-Claude Bringuier a considérablement participé à la modernisation du genre documentaire, en l’élevant au rang d’art télévisuel, grâce à une forme artistique et poétique.

Il apparaît dans le documentaire de Raoul Sangla « De l’utopie à la révolte » consacré aux débuts de la télévision et réalisé en 2006.

Marié une première fois le 19 juillet 1946 à Paris (XVIIe arr.) avec Michelle Goldowsky, il épousa en secondes noces Denise Beraud le 15 mars 1963 à Meudon (Seine-et-Oise).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article158789, notice BRINGUIER Jean-Claude par Aurore Richard, version mise en ligne le 26 mai 2014, dernière modification le 9 juillet 2020.

Par Aurore Richard

 FILMOGRAPHIE :
-  Les Croquis (avec Hubert Knapp). — 1957 : Croquis lyonnais (4 films). — 1958 : Croquis bordelais (3 films). — 1959 : Croquis en Soule. — 1960 : Lettres de Sète (2 films). — 1961 : Cinq anglais pour Noël, croquis sur Londres, Prix des critiques (1962). — 1962 : Croquis de Camargue. — 1963 : La société de la montagne (3 films). — 1963 : Croquis d’Amérique (3 films). — 1965 : Croquis du Liban (4 films). — 1966 : Croquis d’Aix (3 films). — 1968 : Croquis en Périgord (3 films)
Les Provinciales
-  1970 : Les Cavaliers de Lunéville . — 1973 : Fresselines . — 1976 : Nés et natifs de Vendée. — 1976 : Le vigneron du Bordelais.
▪ Autres
-  1964 : Chercher la femme (pour la série Les femmes aussi avec Éliane Victor). — 1967 : Les savants sont parmi nous. — 1970 : Piaget va son chemin. — 1970 : Les gisants du futur . — 1972 : Bachelard parmi nous. — 1973 : Le solitaire de Ville d’Avray (six émissions consacrées à Jean Rostand). — 1974 : Une approche de Claude Lévi-Strauss. — 1978 : Des paysans (produit et réalisé pour TF1). . — 1er épisode, « Les racines » : étude d’ethnologues et biologistes dans un village des Baronies. . — 2nd : « Le pain ». — 3e : « La terre » . — 4e partie consacrée aux paysans du Tiers-Monde ainsi qu’une interrogation sur les conséquences d’une disparition du monde paysan. — 1986 : L’Archipel Aquitaine (Périgord, Pays Basque, Arcachon…), FR3. — 1990 : Jean Piaget va son chemin. — 1991 : Mozart en Gascogne (ferveur musicale entretenue à Lectoure, par un professeur de philosophie saisi par la grâce et transmettant l’allégresse). — 1992 : L’archipel francophone. — 1993 : Quercy. — 1993 : Autour d’une dictée (avec François-Marie Ribadeau). — 1996 : Edmond Rostand. — 1996 : Les soleils de Rocamadour. — 1998 : Guillaume Apollinaire. — 2000 : La guerre du Louvre. — 2001 : Varian Fry, un héros de 1940. — 2002 : Mythe et Mystère : La Joconde
PRIX ET DISTINCTIONS :
-  1962 : Prix de la critique. — 1986 : Grand prix de la SCAM pour l’ensemble de son oeuvre. — 1996 : Fipa d’or

BIBLIOGRAPHIE :
-  Conversations libres avec Jean Piaget, Paris, Robert Laffont, Collection « Réponses », 1977.

SOURCES :
-  « Le documentaire français », Cinémaction n° 41, 15 janvier 1987. . — Bosséno (Christian), « 200 téléastes français », Cinémaction hors-série, 1er septembre 1989. . — Ledos (Jean-Jacques), L’âge d’or de la télévision, 1945-1975 : Histoire d’une ambition française, Paris, L’Harmattan, 2007. — http://television.telerama.fr/television/deces-du-documentariste-jean-claude-bringuier. — http://www.whoswho.fr/decede/biographie-jean-claude-bringuier_17690. — http://blogs.mediapart.fr/blog/antoine-perraud/230910/memoriam-jean-claude-bringuier. — Modernité et documentaires : une mise en cause de la représentation, Marie-Jo Pirron-Moinel, Paris, L’Harmattan, 2010. — « Pour une renaissance du service public » in L’Unité, n° 222, 22 octobre 1976 (http://bases.ourouk.fr/unite/u-result_frame.php?catalogueID=16895&NumeroJournal=222) . — État civil.

Iconographie : http://www.television.telerama.fr

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