Par Éric Nadaud
Née le 30 septembre 1884 à Meudon (Hauts-de-Seine), morte le 15 août 1972 à Montrichard (Loir-et-Cher) ; libraire ; éditrice, écrivain et journaliste ; militante socialiste et communiste, membre du CVIA, de la SFIO (1936-1948), du comité directeur du Parti socialiste unitaire (1949-1952), du Parti communiste (1953-1972), et du Conseil national du Mouvement de la paix.
Euphrosyne Psichari-Renan, dite plus tard Henriette, était issue d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle et républicaine d’origine française et grecque. Sa mère, Noémi Renan (1862-1943), était la fille de l’écrivain et historien Ernest Renan (1823-1892). Son père, Jean Psichari (1854-1929), fils d’un riche négociant grec de Constantinople, élevé dans la culture française, philologue, linguiste et poète de renom, était professeur à l’École des Hautes-Études et à l’École des Langues orientales. Elle avait deux frères, Ernest (1883-1914), officier et auteur du Voyage du centurion, et Michel (1887-1917), journaliste et époux de Suzanne Thibault, fille d’Anatole France, et une sœur, Cornélia (1894-1982), professeur de musique. Comme eux, elle avait reçu le baptême de rite grec orthodoxe. La Première Guerre mondiale lui fit perdre ses deux frères, tués au combat, Ernest le 22 août 1914 en Belgique, Michel le 20 avril 1917 en Champagne, ainsi que sa belle-sœur Suzanne, victime de la grippe espagnole en octobre 1918. Ces tragédies lui inspirèrent la haine de la guerre. Ses études, qu’elle poussa jusqu’au brevet supérieur, et plus encore son milieu familial et amical, riche en grands noms de la littérature, de l’Université et de la politique, lui assurèrent une culture classique étendue, qui ne cessa de nourrir ses activités sociales et professionnelles.
L’affaire Dreyfus l’éveilla à la vie politique et fut la source de ses premiers engagements. Comme son père, l’un des fondateurs et premiers dirigeants de la Ligue des droits de l’homme, et comme toute sa famille, elle se passionna pour la cause du capitaine Dreyfus. Puis, sous l’influence de Jaurès* et d’Anatole France*, et à l’instar de maints intellectuels dreyfusards, elle voulut se battre aussi contre l’injustice sociale. Elle collabora avec son frère Ernest, comme copiste, à la rédaction du journal pour enfants Jean-Pierre, fondé par ses amis Jacques et Jeanne Maritain pour répandre un idéal de fraternité et de simplicité, s’enthousiasma pour les Universités populaires, en particulier pour celle du faubourg Saint-Antoine où elle donna avec ses frères et amis des séances récréatives, fut l’une des animatrices d’une « École du jeudi » qui faisait office de patronage laïque à vocation sociale pour les filles du quartier Mouffetard à Paris, et rejoignit un moment les « équipes sociales » du jeune professeur chrétien Robert Garric.
En 1906, elle épousa civilement, à Paris (IXe arr.), Charles-Gabriel Revault d’Allonnes (1872-1949), professeur de philosophie, puis médecin et psychiatre, dont elle divorça en 1931. Elle en eut cinq enfants, Marie-Hélène (1907), Diane (1911), qui devaient devenir médecins, et Jean-Gabriel (1914), Michel (1917), et Olivier (1923), le premier plus tard général, le second officier de marine, et le troisième professeur de philosophie. En 1927 et 1928, elle fit deux voyages à Buenos-Aires, où son mari avait fondé une maison de santé psychiatrique, à l’occasion desquels elle se lia d’amitié avec Paul Langevin et Paul Rivet. À son retour à Paris, en 1929, elle ouvrit la librairie « À la joie de lire », rue Denfert-Rochereau, qui se voulait aussi « Agence universelle d’exportation ». Divorcée en 1931, obligée de vendre la librairie en 1934, et dans la nécessité d’entretenir sa famille, elle s’orienta vers une activité d’écrivain et d’éditrice. Elle travailla jusqu’en 1947 à l’Encyclopédie française d’Anatole de Monzie et de Lucien Febvre, sous la direction de ce dernier, puis exerça au Musée pédagogique les fonctions de secrétaire de la rédaction du journal l’Éducation nationale, plus tard dénommé Éducation, jusqu’à sa retraite en 1970.
Elle se signala par l’ampleur de sa production littéraire et historique, à travers de multiples ouvrages, des centaines d’articles ou de comptes rendus de lecture pour de nombreux périodiques, des conférences en France et à l’étranger, et plusieurs émissions culturelles de radio et de télévision. Même si elle s’essaya au genre romanesque en publiant trois romans, et présenta le récit de son propre parcours dans un livre de souvenirs remarqué, Des jours et des hommes (1962), son œuvre fut moins personnelle qu’inspirée par un devoir de fidélité envers les auteurs qui avaient été ses parents ou ses familiers durant sa jeunesse, et qu’elle voulut faire revivre. Elle fit d’abord mieux connaître son frère Ernest, en publiant en 1933 sa correspondance inédite sous le titre les Lettres du centurion, précédée d’une préface de Paul Claudel, qu’elle fit suivre de son propre témoignage, Ernest Psichari, mon frère, puis en éditant en 1948 ses Carnets de route, ainsi que ses Œuvres complètes, avant de revenir, en 1971, dans son étude Les convertis de la Belle époque, sur sa retentissante conversion à un catholicisme militant avant 1914, qu’elle resitua dans le contexte des multiples cas semblables qui s’étaient produits au début du siècle, sur lesquels elle portait un regard très critique. Elle consacra plus de temps et d’énergie encore à la valorisation de l’œuvre d’Ernest Renan. D’abord responsable du stand Renan au premier « Musée de la littérature », lors de l’Exposition universelle de 1937, elle sortit de l’oubli nombre de notes inédites de ce dernier dans Renan d’après lui-même, en 1938. En 1947, elle prit une part active à l’aménagement, la rédaction du catalogue et l’inauguration du Musée Renan à Tréguier, dans la maison natale de son grand-père, dont elle avait, avec sa sœur Cornélia, fait don aux Monuments historiques. La même année, elle publia les Lettres familières d’Ernest Renan, puis Renan et la guerre de 70, et entama l’édition monumentale des Œuvres complètes d’Ernest Renan en dix volumes, chez Calmann-Lévy, un travail de correction et de recherches de longue haleine qu’elle n’acheva qu’en 1961. En 1956, elle fit éditer par le CNRS « La Prière sur l’Acropole » et ses mystères, une étude minutieuse d’après les brouillons du fameux texte de Renan, qui fit autorité. Membre du Cercle Ernest Renan, elle prit part aussi en 1968 à la fondation de la Société des études renaniennes, dont elle rédigea le bulletin jusqu’à sa mort. Elle traita également de Renan sous l’angle de ses aspects familiers dans de nombreuses conférences, et conçut pour la radio une mise en ondes de ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, qui fut traduite en espagnol pour l’Amérique latine, et de L’Abbesse de Jouarre. Elle fut tout aussi fidèle à la mémoire d’Anatole France et d’Emile Zola. Membre de la société Anatole France, elle publia en 1956 une édition populaire des écrits de l’écrivain, Anatole France, pages choisies, puis contribua avec Claude Aveline et son neveu Lucien Psichari à la publication en 1964 et 1971 des deux derniers volumes de ses Œuvres complètes, sous le titre Trente ans de vie sociale (années 1909 à 1924), et présenta ses propres souvenirs sur lui à la télévision, dans l’émission « Bonnes adresses du passé », en 1962. À Zola, elle consacra en 1964 une étude : Anatomie d’un chef d’œuvre : « Germinal ».
Les questions d’éducation furent un autre de ses centres d’intérêt notables. En 1932, elle obtint le Prix de l’enfance des Nouvelles littéraires pour son manuscrit Mikky et Mikkhette ou l’éducation sans préjugés, qui resta en partie inédit. Elle anima en juillet 1935 la première émission scolaire, « Devoirs de vacances », sur Radio-Tour Eiffel. Elle milita aussi à la Ligue de l’Enseignement, assura activement de 1959 à 1971 les fonctions de déléguée cantonale du 4e arrondissement, et écrivit nombre d’articles sur des sujets touchant à l’école et à l’éducation pour l’Éducation nationale. Un débat organisé par l’Université populaire de Saint-Denis l’opposa au chanoine Viollet sur la question de la liberté de l’enseignement.
Sous l’effet des événements de février 1934, et dans le sillage de Paul Rivet, qui fut pour elle un Mentor, elle renoua dans sa maturité avec l’engagement politique. En 1934, elle entra au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA), que Rivet et Langevin venaient de fonder. Le Front populaire s’étant constitué à un moment où elle était tentée par la pensée religieuse, elle espéra un moment que s’y développe une composante catholique de gauche, mais l’hostilité du milieu catholique la fit déchanter et évoluer vers un athéisme militant. En 1936, elle s’inscrivit à la 4e section de la Seine du Parti socialiste SFIO. D’esprit pacifiste et révolutionnaire, elle rejoignit Marceau Pivert* au sein de sa tendance Gauche révolutionnaire, mais ne le suivit pas hors du parti, malgré bien des hésitations, quand il fit scission en 1938. Elle prit fait et cause pour l’Espagne républicaine, souscrivit pour elle, et hébergea deux enfants réfugiés d’Irun. Elle milita également à la Ligue des droits de l’homme.
Si elle ne s’engagea pas dans la résistance active durant l’Occupation, contrairement à ses fils Jean-Gabriel et Olivier, elle reprit l’action politique dès la Libération. Ayant perdu son fils Michel, officier sur un sous-marin français coulé le 8 novembre 1942 au large d’Oran en tentant de s’opposer au débarquement des forces américaines en Afrique du Nord, elle témoigna le 30 juillet 1945 au procès du maréchal Pétain au nom des familles des jeunes hommes morts à cause de l’ordre de résistance donné par ce dernier. De retour à la 4e section socialiste de la Seine, dont elle devint la secrétaire, elle conduisit le 24 novembre 1946 la liste SFIO pour la constitution du collège départemental chargé d’élire les membres du Conseil de la République. Cependant, elle désapprouva la politique de Troisième force et l’anticommunisme de la direction de la SFIO. Sympathisante et animatrice de l’aile gauche, dont elle signa et en partie inspira en mai 1948 la « motion de Vigilance et de redressement », elle démissionna du parti en décembre 1948.
Dès lors, son parcours fut celui d’une « compagne de route » du Parti communiste (PC). Elle adhéra en 1949 au Parti socialiste unitaire (PSU), qui regroupait depuis 1948 les socialistes de gauche les plus proches du PC. Secrétaire de sa 4e section parisienne, membre de son comité directeur de 1949 à 1952, elle le représenta à la conférence nationale qui fonda l’Union progressiste en décembre 1950, puis au Conseil national de cette dernière, et figura sur la liste d’Union socialiste et progressiste que conduisit Paul Rivet aux élections législatives de 1951, sans succès, à Paris. Très liée à Yves Farge et aux Partisans de la paix, dont elle soutint toutes les initiatives à partir de 1949, membre de la commission nationale permanente et du Conseil national du Mouvement de la paix à partir de 1951, elle signa de multiples manifestes contre la bombe atomique et les armes chimiques et bactériologiques. De 1949 à 1953, elle apporta également sa caution à plusieurs appels de l’Union des Femmes françaises, compta parmi les animateurs du Comité de défense des libertés démocratiques en Grèce, du Comité pour l’amnistie en Grèce, et du Comité de défense des Rosenberg, et fit partie du comité d’honneur de l’association France-Tchécoslovaquie. En 1952, elle s’entremit auprès de Vincent Auriol, président de la République, pour lui demander la libération de Jacques Duclos, emprisonné à la suite de « l’affaire des pigeons ».
En partie sous l’influence de son ami Marcel Cachin, qui avait des attaches en Bretagne proches de celles des Renan, et dont la personnalité « l’éblouissait », elle finit par adhérer au PC en janvier 1953. Elle y demeura jusqu’à sa mort, dans la cellule Tirot du 4e arr., puis dans la cellule Joliot-Curie du 5e, où elle se comporta comme une militante simple et dévouée, qui ne renonçait pas à sa liberté de pensée et à son franc-parler, comme l’attestèrent son opposition au vote par le PC des pleins pouvoirs en Algérie, en 1956, et son intervention en 1970 à l’issue d’un exposé prononcé par un camarade sur la vie de Lénine, pour rappeler qu’une biographie de ce dernier ne devait pas exclure Trotski.
Elle avait été nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1938, et promue officier en 1956. Décédée à la maison de repos de La Ménaudière (Loir-et-Cher), elle fut incinérée au cimetière du Père-Lachaise le 19 août 1972.
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Par Éric Nadaud
ŒUVRE : OUVRAGES PERSONNELS : Ernest Psichari, mon frère, Plon, 1933. — Renan d’après lui-même, Plon, 1938. – Devant Dieu, mentir, roman, Corréa, 1942. – Usines 42, roman, Albin Michel, 1946. – Renan et la guerre de 70, Albin Michel, 1947. – La maison natale d’Ernest Renan et ses souvenirs, Éd. des Monuments historiques, 1947. — La « Prière sur l’Acropole » et ses mystères, Éd. du CNRS, 1956. – Des jours et des hommes (1890-1961), Grasset, 1962. – « Zola et la misère humaine », Cahiers laïques, 75, mai-juin 1963. – "Anatomie d’un chef d’œuvre : « Germinal »", Mercure de France, 1964. – Les idées bourgeoises, roman, Calmann-Lévy, 1964. – Les convertis de la Belle Époque, Éd. rationalistes, 1971.
ÉDITION, INTRODUCTION, PRÉFACE OU NOTES : introduction à : Ernest Psichari, Lettres du centurion, Conard, 1933. – préface à : Ernest Renan, Lettres familières, 1851-1871, Flammarion, 1947. – préface à : Ernest Psichari, Carnets de route, Lombard, 1948. – introduction à : Ernest Psichari, Œuvres complètes, Lombard, 1948. – édition de : Ernest Renan, Œuvres complètes, Calmann-Lévy, 1947-1961. – introduction, notes et commentaires de : Anatole France, Pages choisies, « Les Classiques du peuple », Éd. sociales, 1956. – préface à : Ernest Renan, Ma sœur Henriette. Suivi de la dédicace de la Vie de Jésus, Steff, 1964. - édition et commentaires (avec Claude Aveline) de : Anatole France, Œuvres complètes, Trente ans de vie sociale, tomes III et IV, Émile Paul, 1964, le Cercle du Bibliophile, 1971.
SOURCES : entretien avec Olivier Revault d’Allonnes (1998). — Fonds Paul Rivet, MS1/7762-7784. — Vigilance, organe du CVIA, 1934-1939. — Bulletin intérieur du Parti socialiste SFIO, 1948. — Femmes françaises, 1949-1950. — Les Partisans de la paix, 1950-1951. — Le Socialiste unitaire, 1951-1952. — Henriette Psichari-Renan, Des jours et des hommes, op. cit. – Les convertis de la Belle époque, op.cit. — Le Monde, 18 août 1972. — L’Humanité, 17 et 19 août 1972. — Recueil de souvenirs familiaux, par les enfants d’Henriette Psichari, s.d