PLAISANT René, Émile, [alias "Jean LACOURT" dans la clandestinité]

Par André Balent, Jean-Paul Nicolas

Né le 12 janvier 1915 à Saint-Ouen (Seine) ; mort en action de combat le 20 août 1944 à Saint-Girons (Ariège) lors de la libération de cette ville ; demeurant avant guerre à Darnétal (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) puis en Ariège à partir de 1940 ; ouvrier ajusteur (Seine-Inférieure) puis chauffeur dans une entreprise forestière (Ariège) ; militant communiste avant 1939 puis communiste clandestin à Saint-Girons (Ariège) ; résistant, fondateur du maquis de La Crouzette (Ariège), 3102e compagnie des FTPF de ce département ; officier FTPF en Ariège .

René Plaisant Photo <em>Avenir de Rouen</em> (1946)
René Plaisant Photo Avenir de Rouen (1946)
Rubrique : "Nos Martyrs"

Fils de Charles Plaisant, teinturier, et de Berthe Léroy, bobineuse, René Plaisant passa son enfance à partir de neuf ans à Darnétal, commune proche de Rouen (Seine-Inférieure, Maritime). Après l’école Jules Ferry dans sa localité, il fréquenta l’École pratique de Rouen. Devenu ouvrier hautement qualifié en mécanique avant la guerre, René Plaisant siégeait à la direction des jeunesses communistes de Rouen et était secrétaire d’un Foyer Henri Barbusse.

En 1939, il fut mobilisé comme soldat de 2e classe. Fait prisonnier, il s’était évadé et vint en Ariège — où il avait effectué une période militaire (le service militaire d’après une note manuscrite de Claude Delpla) en 1938 — peu après la capitulation des armées françaises en 1940. Soldat affecté au camp du Vernet-d’Ariège (Ariège), il fut démobilisé à Saint-Girons. (Ariège). Marié en Ariège, il se fixa dans ce département à Saint-Girons. Il fut employé comme chauffeur de camions à l’entreprise forestière Albiès. Cet emploi lui permit de renter en contact avec des bûcherons espagnols qu’il ravitailla. Au début de 1941, militant communiste, il regroupa et anima l’activité des communistes de cette région. Il reconstitua le PC local dans la clandestinité avec Jeanine et Roger Estaque, Pierre Lagarde, Jean-Paul Coste, René Suard, Léopold Soum, Jean Gaudillat ... Dans une de ses notes inédites, Claude Delpla signale l’échec d’actions de sabotage entreprises au début de l’été 1941. Il était attentif également au maintien des liens établis avec les antifascistes espagnols. Par ailleurs, il fut aussi l’organisateur d’un réseau de passage en Espagne. Son travail de chauffeur dans une entreprise forestière lui servit de couverture pendant l’Occupation et lui permit aussi d’aider nombre de jeunes à échapper au STO. Toujours à Saint-Girons, il fut à l’origine de la reconstitution clandestine des Jeunesses communistes et de leur insertion dans la Résistance. Il diffusa aussi dans la ville la littérature clandestine de son parti : tracts et journaux.

Ce fut ensuite la constitution du premier groupe FTP organisé dans le Couserans, armé par la récupération d’armes et d’explosifs au camp du Vernet (Ariège), Il prit contact avec les autres groupes de résistance de ce secteur. En septembre 1943, l’accord fut réalisé entre les différentes unités de la Résistance et les guérilleros espagnols (3e bataillon, Couserans, de la 3e brigade, Ariège, de l’Agrupación de guerrilleros españoles) qui prirent position au col de la Crouzette à partir du 12 juin 1944. Avant le 8 juin, les FTPF du Couserans, ceux de Saint-Girons au premier chef, formaient un groupe "légal". Plaisant décida ensuite d’intégrer le maquis de Betchat (Ariège), officiellement rattaché aux FTPF de la Haute-Garonne.

Le 8 juin au soir, René Plaisant rejoignit avec une dizaine de Saint-Gironais le maquis de Betchat (Ariège), la 3104e compagnie de FTPF (théoriquement de l’Ariège, de fait de la Haute-Garonne, avec le n° 3401) commandée par Jean Blasco alias "Max" âgé seulement de vingt ans. Ils y furent incorporés le lendemain à 7 heures 30. Le maquis de Betchat fut attaqué le 10 juin par des éléments de la division SS Das Reich. Si le maquis put préserver ses forces en se dispersant, les Waffen SS massacrèrent vingt-sept habitants du petit village de Marsoulas (Haute-Garonne). Plaisant et d’autres FTPF du Couserans décidèrent de quitter le maquis de Betchat après l’affrontement de Marsoulas. On peut supposer qu’il n’avait guère apprécié la manière de conduire les opérations par Jean Blasco et les autres membres du triangle de direction de ce maquis, André Dougnac, commissaire technique et Louis Bonzom, commissaire aux effectifs. La capture de soldats allemands quelques jours auparavant, gardés à Betchat par Pierre Sirgant avait attiré la riposte de la compagnie de la division Das Reich qui voulait surprendre le maquis et punir la population du village de Betchat complice. L’action inconsidérée des maquisards postés sur le clocher de Marsoulas avait certes permis la dispersion des habitants de Betchat et des maquisards mais avait provoqué les terribles représailles sur la population de Marsoulas. Cette succession d’événements peut expliquer cette "scission" des Couseranais du maquis de Betchat. Roger Estaque, Tadeusz Matulewicz (voir Matulewicz Regina), Émilien Rieu, Frédéric Rieu et Émile Zamora suivirent donc René Plaisant à la Crouzette. D’autres rejoignirent le maquis AS de Cazères (Haute-Garonne). Toutefois, lors de la procédure d’homologation de la 3102e compagnie de FTPF de l’Ariège, bien après la fin de la guerre, il n’est pas fait allusion au massacre de Marsoulas. Il est simplement expliqué que, le 10 juin 1944, après que les Allemands eurent investi le village de Betchat, la dispersion du maquis éponyme amena Plaisant et quelques-uns de ses hommes à gagner la Crouzette.

Le 12 juin, René Plaisant se trouvait enfin au col de la Crouzette, (1245 m) dans le massif pré-pyrénéen de l’Arize où était implanté également un maquis espagnol de la troisième compagnie de l’AGE (Agrupación de guerrilleros españoles) et quelques FTPF de la région. Plaisant prit alors la direction, en tant que commissaire aux opérations, de la 3102e compagnie des FTPF de l’Ariège baptisée "camp Georges-Lassalle" créée le 9 juin. Désormais, FTPF et AGE menèrent de concert des opérations militaires contre les Allemands et les forces collaborationnistes. Le maquis des FTPF couseranais devint bientôt le plus puissant des maquis de l’Ariège : il compta 123 combattants homologués et disposait de l’électricité et du téléphone. Il créa même son propre journal, Libération. Le 22 juin eut lieu à Malléon (Ariège), près de Vira une entrevue entre Amilcar Calvetti, chef du maquis (FTPF) de Vira (3101e compagnie de FTPF de l’Ariège) et René Plaisant. L’état-major départemental des FTPF de l’Ariège voulait la fusion entre les deux maquis situés aux deux extrémités du département. L’entrevue fut des "plus orageuses" et "le désaccord aboutit à une véritable scission" (Delpla, op. cit., 2019, p. 86). Les Couseranais voulaient garder leur autonomie et Plaisant plaidait la dispersion des forces, alors que l’état-major départemental et Calvetti préconisaient leur regroupement au sein d’un vaste maquis.

Le 13 juillet 1944, des hommes de main de la Sipo-SD de Saint-Girons affiliés au PPF (Parti populaire français) massacrèrent sauvagement deux notables qui aidaient les maquis des FTPF et de l’AGE de la Crouzette, Paul Laffont ancien député et ministre et Charles Labro, médecin. Le 15 juillet, René Plaisant, chef charismatique des FTPF de la Crouzette, réagit en impulsant la création de « conseils de guerre » destinés à punir les traîtres et les collaborationnistes (Voir : Voir Esplas-de-Sérou (Ariège), col de la Crouzette (1244 m) et col de Rille (938 m) ; Castelnau-Durban (Ariège), Rivèrenert (Ariège), 19 juin-21 juillet 1944). L’historien ariégeois de la Deuxième Guerre mondiale, Claude Delpla estima qu’ils exerçaient une justice qu’il qualifia de « militaire ». Les guérilleros de l’AGE et le maquis (Armée secrète) de Labastide-de-Sérou furent associés à l’exercice de cette justice. Quatorze personnes furent exécutées au col de Rille (938 m), entre Rimont et le col de la Crouzette, à la suite d’expéditions punitives qui aboutirent à l’exécution de collaborationnistes coupables d’actions contre les maquis ou de dénonciations mais qui donnèrent lieu à des « bavures » : des innocents confondus avec des collaborationnistes ou mis en cause sur la base d’informations erronées furent fusillés ou abattus, comme Joseph Pédoya de Montseron ou Joseph Dupuy et Jules Subra de Castelnau-Durban. Ces « bavures » qui nuisaient à la réputation du maquis et, plus généralement, de la Résistance s’ajoutaient à celle survenue à Kercabanac (Quercabanac, commune de Soueix-Rogalle) le 10 juillet où périrent cinq civils innocents et où d’autres furent blessés. Elles expliquent sans doute la destitution purement formelle de Plaisant comme chef de la 3102e compagnie de FTPF. Le dossier d’homologation de la 3102e compagnie de FTPF de la Crouzette, reconstruction, a posteriori, de l’histoire de cette formation, ignore ces bavures qui apparaissent dans d’autres documents et témoignages, en particulier celle de Quercabanac, censée être dirigée contre les Allemands et qui permit au maquis de ne s’emparer que deux fusils, au prix de la mort de cinq innocents.

À la veille de la Libération du Couserans, eut lieu une apparente réconciliation entre les deux points de vue sur la stratégie des maquis, celui de Plaisant et celui de Calvetti. L’état-major départemental des FTPF imposa au maquis de la Crouzette un autre chef — Daniel Pujiula, né en 1920 à Saint-Laurent-de-Cerdans, Pyrénées-Orientales ; mort à Narbonne, Aude en 2001 — qui demeura toutefois purement nominal. En effet, Pujiula préféra s’effacer devant Plaisant, leader charismatique, "adoré de ses hommes" (Claude Delpla, op. cit., 2019, p. 207) qui demeura le véritable chef du maquis. L’historique du maquis de la Crouzette dans le dossier d’homologation de la 3102e compagnie de FTPF ignore cette destitution de René Plaisant et son remplacement, même formel, par René Pujiula, connus par ailleurs, en particulier par les recherches de Claude Delpla.

Le 21 juillet 1944, fut marqué par l’attaque des unités allemandes et de la Milice contre le maquis. L’intendant de Police de Toulouse, Pierre Marty, participa en personne à la direction des opérations. À bout de munitions, c’est un décrochage réussi par les sentiers des bois de la Tour Laffont. Le maquis se replia dans le Plantaurel vers Camarade et le Le Mas d’Azil. Dix jours plus tard il put reprendre le col de la Crouzette. L’ordre d’attaquer l’ennemi partout où il se trouvait fut lancé.

Le 18 août 1944, ce fut le combat pour la libération du Couserans que menèrent de façon conjointe les maquisards de la 3102e compagnie des FTPF et les guérilléros de l’AGE. Le 20 août 1944 le commandant René Plaisant pénétra dans le centre de Saint-Girons à la tête d’une vingtaine de FFI. Il s’engagea dans une ruelle tenue par une unité de la Wehrmacht. Il cria alors : ’’Camarades allemands, rendez-vous ! Il ne vous sera fait aucun mal !’’ La réponse fut une rafale de fusil-mitrailleur atteignant mortellement à la tête René Plaisant. C’était le 20 août 1944 à 10 h du matin, à l’angle des rues Rouaix et Saint-Valier.

Cette version de sa mort n’est pas partagée par tous ses compagnons d’armes des deux maquis de la Crouzette. Le 11 avril 1997, à Saint-Girons, Élérika Leroy a recueilli un dialogue entre entre deux anciens de la Crouzette ayant participé aux combats de la libération de la ville, Adrien Jonis (FTPF, de Montjoie, Ariège) et Achille Baselga (AGE). Si le second faisait sienne la version communément adoptée, Adrien Jonis a expliqué : "Plaisant a été tué, moi je te dis les choses comme c’est. Qui l’a tué ? C’est des gens de chez nous, c’est pas les Allemands. Je l’ai toujours dit et je le maintiens" (...) "Le lieutenant "Ems" [des FTP], il était alsacien, il parlait allemand et lui il m’avait dit qu’il ne pouvait pas être tué par les Allemands (..)". Interpellant Baselga, qui défendait toujours l’avis contraire, Jonis ajoutait : "Mais, tu sais, il y a eu des comptes. Parce qu’ils ne pouvaient pas le voir, Plaisant, les types qu’il y avait... (...) Plaisant ne se laissait pas faire, voilà la question". Ce dialogue n’explique pas les éventuels motifs de cette "liquidation" présumée. Nous avons, certes, relevé les erreurs que certains pouvaient lui reprocher dans la direction militaire du maquis et fait état de ses divergences avec les autres dirigeants des FTPF de l’Ariège et son remplacement à la tête de la 3102e compagnie à la veille de l’assaut lancé contre la garnison allemande de Saint-Girons. Pour être validé le témoignage d’Adrien Jonis devrait pouvoir être recoupé par d’autres sources. Pourtant Adrien Jonis était loin d’avoir des griefs contre Plaisant. C’est, du moins ce qu’il dit à Baselga en présence d’Élérika Leroy en 1997 : "C’était [Plaisant] le chef et un brave type". Il faisait cependant allusion à d’autres motifs, purement relationnels : "(...) il y avait des rivalités. C’était pas politique" (...). C’était des rivalités "personnelles. Moi je te parle de Pérille [un lieutenant de Plaisant], tu sais , je ne veux pas faire le glorieux moi, il ne m’aime pas , moi non plus". Ce troublant dialogue — que l’on peut cependant signaler car il révèle le malaise, que nous avons souligné, qui régnait dans les rangs du maquis français de la Crouzette et qui avait provoqué la mise cause du leadership de Plaisant — est à verser au dossier des circonstances de la mort de René Plaisant. Mais ce qu’il suggère (un fait établi pour Jonis) demeure une hypothèse que l’on ne peut adopter faute d’éléments allant dans le même sens.

Le père de René Plaisant, Charles Louis Plaisant, né le 3 mars 1888 à Saint-Léger-du-Bourg-Denis (commune attenante à Darnétal), fut déporté au camp de Sachsenhausen où il y laissa la vie en avril 1945.

René Plaisant s’était marié en novembre 1941 à Saint-Girons avec Angelina Bergamelli. Une avenue de Saint-Girons porte son nom. Il a reçu la mention « Mort pour la France ». Il fut décoré à titre posthume (Croix de guerre avec palmes ; chevalier de la Légion d’honneur).

Voir Saint-Girons (Ariège), victimes de la répression allemande et collaborationniste (fin mai-début juillet 1944) et des combats de la Libération, 20-21 août 1944

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159253, notice PLAISANT René, Émile, [alias "Jean LACOURT" dans la clandestinité] par André Balent, Jean-Paul Nicolas, version mise en ligne le 30 mai 2014, dernière modification le 28 mai 2022.

Par André Balent, Jean-Paul Nicolas

René Plaisant Photo <em>Avenir de Rouen</em> (1946)
René Plaisant Photo Avenir de Rouen (1946)
Rubrique : "Nos Martyrs"
René Plaisant (1915-1944)
René Plaisant (1915-1944)
Cliché : Arch. dép. Ariège, 64 J 23, fonds Claude Delpla.
Arch. dép. Ariège, 64 J 23, fonds Claude Delpla.

SOURCES : Service historique de la Défense, Vincennes, GR 19 P 9/13,dossier d’ homologation de la 3102e compagnie de FTPF de l’Ariège. — Arch. dép. Ariège, 64 J 23, fonds Claude Delpla, notes manuscrites ou tapuscrites de Claude Delpla concernant René Plaisant, références dans l’une d’entre elles à la thèse doctorale de Robert Fareng, Toulouse, 1984 et au livre de Danielle et Jean-Charles Sutra, Patriotes d’Ariège 1939-1945, Pamiers, Le Patriote, 1986 ; 64 J 213, fonds Claude Delpla, maquis de la Crouzette ; 64 J 206, fonds Delpla, maquis de Betchat. — Hommage aux fusillés et aux massacrés de la Résistance en Seine Maritime. 1940-1944, édité par l’Association Départementale des familles de fusillés de la Résistance de Seine-Maritime. 1992. Avec notamment le concours de l’historien Claude-Paul Couture, Éditions EDIP. Saint-Étienne-du-Rouvray. « En Seine Maritime de 1939 à 1945 » de Claude-Paul Couture. Quotidien l’Avenir du Havre (1946) : Rubrique « Nos martyrs ». — Claude Delpla, La Libération de l’Ariège, postface d’Isabelle Delpla, Toulouse, Le Pas d’Oiseau, 2019, 514 p. (P. 86, 207, 290]. — Paul Gos, « Dimanche 20 août 1944. Récit de la Libération de Saint-Girons », en ligne sur Internet, 2020. — Dialogue entre Adrien Jonis et Achille Baselga recueilli et enregistré par Élérika Leroy (Saint-Girons, 11 avril 1997) communiqué à André Balent le 9 février 2021. — Notes de Jean-Pierre Besse. ― La Dépêche du Midi, 30 août 2009. — État civil.

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