QUARANTE Paulette

Par Gérard Leidet

Née en 1917, morte le 31 août 2009 ; institutrice à Saint-Victoret (Bouches-du-Rhône) puis à Marseille ; militante pédagogique, déléguée départementale des « Amis de Freinet » dans les Bouches-du-Rhône.

Fille de « petits agriculteurs républicains » de la région aixoise, Paulette Quarante fréquenta l’école communale du Pont-de-l’Arc, au sud d’Aix-en-Provence. Elle garda toujours un souvenir ému de ses premières années d’école : « C’est la première étincelle ; elle a allumé un feu qui ne s’est jamais éteint. J’ai senti qu’un jour, la maîtresse, ce serait moi, avec des petites filles qui me lanceraient ce même regard de bonheur, de fierté, et de complicité ». Son éducation sociale et politique se fit à travers la lecture des journaux Vendredi et Marianne-hebdomadaire de la période du Front populaire, qu’elle lisait chez sa sœur. Paulette Quarante éprouva très tôt une certaine révolte face à la « discipline coercitive » qu’elle subit dans l’internat « bourgeois » où elle effectua pourtant des études brillantes (baccalauréat obtenu avec mention, premières années d’études supérieures à la faculté de lettres d’Aix). Puis vinrent les « années galère » comme institutrice suppléante, au cours desquelles elle dut effectuer de courts remplacements à Peyrolles et à La Roque-d’Anthéron.

Paulette Quarante dut se résoudre à partir pour la Normandie afin de poursuivre sa carrière d’enseignante au cours complémentaire d’Aumale (Seine-Inférieure/Maritime) pendant deux années scolaires de 1939 à 1941. À bicyclette, en juin 1940, au moment de l’évacuation, elle rejoignit son « cher pays aixois » et ses parents. Aumale avait été bombardé. Paulette Quarante dut improviser, avec les autres professeurs de l’école primaire supérieure, ses cours au milieu des ruines à partir d’octobre 1940.

Paulette Quarante vint s’installer ensuite en 1945 dans les Bouches-du-Rhône, à l’école de Saint-Victoret où elle eut en charge, jusqu’en 1952, des classes des cours préparatoire et élémentaire. Elle se retrouva dans une classe vide dans laquelle les conditions d’hygiène étaient insuffisantes et où il n’y avait pas suffisamment de bancs pour ses 56 élèves ! Mais c’est dans cette période sans doute, qu’elle mit à profit quelques controverses et débats éducatifs, échangés avec d’autres instituteurs, pour ouvrir la voie à une autre façon d’enseigner, plus libre, plus à l’écoute des élèves.

En effet, évoquant sa « rencontre » avec Célestin Freinet, Paulette Quarante se rappelait le printemps 1945 où elle lut dans la presse, une annonce de la « conférence de Célestin Freinet à l’Opéra de Marseille ». Cet instituteur qu’elle perçut en photo, col blanc ouvert, cheveux un peu longs, « avec des paroles simples », racontait sa lutte à Saint-Paul de Vence pour défendre son école. Il évoquait dans l’article un texte écrit par les enfants, « Le petit chat qui ne voulait pas mourir ». Selon Paulette Quarante, Célestin Freinet avait « les yeux humides d’émotion ». « Je bataillais pour apprendre à lire à mes élèves et les siens écrivaient des textes comme ça. Mais alors, les enfants peuvent ainsi témoigner ? Prendre part à la classe avec le maître ?... » pensa-t-elle. Conquise, elle décida de suivre un stage avec Freinet, de qui elle apprit qu’il s’agissait de tendre la main à l’élève, de lui redonner la parole, de lui permettre de s’épanouir, de s’exprimer, d’être indépendant, de « multiplier les élans de vie » ; avec cette façon d’enseigner : « j’avais enfin trouvé ce que je cherchais. ». Elle intégra alors ces techniques dans sa pratique de classe.

De cet instant Paulette Quarante témoigna toujours pour ne jamais l’oublier : « Ce Freinet, je savais donc qui il était. Ça me revient : je le savais… ». Mais ce n’était pas par le biais de la pédagogie qu’elle en avait entendu parler la première fois. Auparavant en 1937, l’année de Guernica, l’horreur des bombes sur les populations civiles l’avait révoltée et angoissée, ainsi que ses jeunes camarades. Un instituteur de Rousset (Bouches-du-Rhône), Marius Pourpe, lui parla de celui qui, à Vence, avec les petits réfugiés espagnols, notamment, construisit sa propre école. Il lui montra une petite presse de bois pour le journal scolaire. Cette volonté de lutte, de bâtir une école avec des enfants qui sortaient de la guerre, l’enthousiasma. Sa voie était tracée… Paulette Quarante enseigna ensuite à Marseille entre 1952 et 1959, à l’école de filles de la Cabucelle (XVe arr.). Selon son témoignage ultérieur, elle disposait durant ces années-là de très peu de moyens matériels lui permettant de mettre en œuvre la pédagogie exigeante et innovante qu’elle souhaitait toujours approfondir. Ainsi, les travaux de ses élèves (dessins et productions d’écrits de toutes sortes) étaient réalisés sur du papier fourni par les marchands de papiers peints de son quartier ; les crayons de couleur et autres crayons pastels étaient offerts par la Croix-Rouge américaine de la jeunesse.
Paulette Quarante faisait partie de la délégation marseillaise lors du XIe congrès de l’École moderne (premier congrès à dimension internationale du mouvement) qui se tint en 1955 à Aix-en-Provence au cours duquel les 600 participants, au-delà des thématiques chères aux partisans de Célestin Freinet, avaient posé la question cruciale de la réduction des effectifs (25 élèves par classe). Adhérente du Syndicat national des institutrices et instituteurs, elle y anima de nombreux ateliers, évoquant notamment les rapports entre le SNI et l’Institut coopératif de l’École moderne. Elle était accompagnée d’Eugène Costa, ancien secrétaire général de la section des Bouches-du-Rhône du SNI, qui présidait la section départementale de l’École moderne (groupes Freinet). Paulette Quarante militait avec ce dernier à l’Office central des coopératives scolaires.

Lors de la décennie suivante (1959-1968), elle exerça son métier d’institutrice à l’école de Notre-Dame-Limite toujours dans le XVe arrondissement, avant de fonder dans cette même école, dès la rentrée 1968, l’Unité de pédagogie Freinet des Fabrettes. La période était alors propice à ce genre d’expérimentation. À côté des principes fondamentaux de la pédagogie Freinet concernant les finalités de l’école (« L’éducation du travail », « L’école populaire »), celui de « L’école ouverte sur la vie » rejoignait certaines préoccupations du moment. En effet, le principe de cette « école ouverte sur la vie » était proche de la logique du mouvement expérimental des « écoles ouvertes », initiée dans les banlieues nouvelles des grandes villes à la fin des années 1960. Cette « logique » mobilisa le plus souvent des instituteurs militants pédagogiques, dont des militants Freinet, comme dans l’école ouverte Célestin Freinet à Hérouville (Basse Normandie) ou à Marseille avec elle. Au-delà de sa pratique quotidienne de la classe fidèle aux idées et aux techniques de la pédagogie Freinet (« texte libre », usage de l’imprimerie, correspondance scolaire…), elle essaya de réconcilier l’école de ces banlieues avec son environnement. À cet égard, le fonds conservé des travaux de ses élèves (poèmes, dessins, histoires, collages…) qui retracent notamment la façon dont les enfants avaient pu ressentir la mutation majeure de leur quartier lors de son « urbanisation effrénée », témoigne du souci pédagogique et citoyen de l’institutrice.

L’ « école pilote » des Fabrettes rencontra, dans ces années de l’après mai 1968, un succès mérité : une exposition à la foire internationale de Marseille autour des enquêtes menées avec les enfants familiarisa un public plus large, celui du centre-ville marseillais, avec les techniques Freinet. Lors de l’année scolaire 1971-1972, à l’école des Fabrettes, une des premières expériences de classe verte marseillaise fut organisée, avec un séjour de deux semaines pour tous les enfants de l’école dans la région de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence).

L’enquête menée par sa classe de l’école des Fabrettes avec le dossier intitulé « l’urbanisation galopante et la mutation de leur cadre de vie vue par les enfants », le livret L’école des enfants poètes à Notre-Dame-Limite, le Dictionnaire Cabucelle-Français (livret « traduisant » le vocabulaire employé par les élèves), demeurent, parmi bien d’autres réalisations pédagogiques, un bel exemple de ce que des militants pédagogiques tels Paulette Quarante ont su apporter pour faire évoluer le dispositif scolaire français ainsi que les conceptions de l’acte pédagogique au quotidien.

Paulette Quarante prit sa retraite en 1976. Elle vécut ensuite retirée dans le quartier de Notre-Dame-Limite, situé entre les quartiers Nord de Marseille et Septèmes-les-Vallons. Encore enthousiaste et toujours curieuse à propos des débats éducatifs, elle profitait de son expérience d’ « institutrice Freinet » pour continuer à correspondre avec des enseignants du monde entier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159305, notice QUARANTE Paulette par Gérard Leidet, version mise en ligne le 2 juin 2014, dernière modification le 8 janvier 2022.

Par Gérard Leidet

OEUVRE : Paulette Quarante, Le Lama, Paulette Quarante, (1967). — Paulette Quarante et Henri Castel, La Garrigue qui sent bon, (1968).

SOURCES : Archives municipales de Marseille, Fonds Paulette Quarante, 93 II 1 33 (1931-1986). — Entretien avec Paulette Quarante, novembre 1999. —(www.amisdefreinet.org/public...). — Bulletin du syndicat des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône, année 1955. — Henri Peyronie, Célestin Freinet, pédagogie et émancipation, Hachette-Education, 1999. — Le Septémois, bulletin municipal de la ville de Septèmes-les-vallons, septembre-octobre 1998.

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