Par Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule
Né le 13 avril 1914 à Cornimont (Vosges), mort le 25 octobre 1954 à Paris (VIIe arr.) ; prêtre du diocèse de Saint-Dié (1938-1940), jésuite (1940-1951), prêtre-ouvrier, prêtre du diocèse de Sens (1951-1954) ; délégué CGT du personnel, secrétaire du CE.
La vie d’Henri Perrin fut relativement brève, mais dense, voire intense. Fils de Jean Baptiste Perrin, métreur de tissus, et de Marie Léontine Voinson, tisserande, Henri Perrin n’avait pas deux ans lorsque son père fut tué à Aix-Noulette, près de Lorette (Pas-de-Calais). Adopté par la Nation le 28 mai 1920, il fut élevé – ainsi que sa sœur aînée – par une mère profondément chrétienne. Ayant obtenu le Certificat d’études primaires, il entra en 1926 au petit séminaire de Mattaincourt (Vosges) puis, désireux d’exercer un ministère presbytéral, il intégra en 1931 le grand séminaire de Saint-Dié (Vosges). Au cours de ses études, il s’intéressa aux initiatives – comme la JOC, la JAC, les Semaines sociales, la centrale des œuvres de Lille où il fit un stage avec visites d’usines, la parution des revues Esprit, la Vie intellectuelle, Sept – qui traduisaient un renouveau du catholicisme. À l’instar des prêtres de sa génération, ce fut la responsabilité de colonies de vacances qui l’amena à réfléchir aux techniques éducatives et à discuter des méthodes nouvelles, d’abord de la Cité des jeunes, ensuite des Cœurs vaillants. Après deux années à Beyrouth (octobre 1935-septembre 1937) comme détaché militaire à l’Université Saint-Joseph – tenue par des jésuites – il fut ordonné prêtre le 9 octobre 1938.
Envisageant difficilement une vie de prêtre solitaire, Henri Perrin obtint de son évêque de poursuivre des études à l’Institut catholique de Paris. Tout en suivant les cours, il encadrait des Routiers dans le XVe arrondissement et fréquentait l’Action populaire à Vanves, ce qui l’amena peu à peu à comprendre qu’il n’était pas fait pour le ministère paroissial, mais aspirait à vivre son sacerdoce d’une autre façon. Il songeait à rejoindre la Compagnie de Jésus quand la guerre l’obligea à différer son engagement. Mobilisé le 17 septembre 1939 au 21e régiment des Tirailleurs algériens qui se trouva, lors de l’offensive du 10 mai 1940, à la charnière de Sedan, et nommé aumônier du régiment, il eut à s’occuper des blessés et des mourants (ce qui lui valut la Croix de guerre). Prisonnier, il fut infirmier-aumônier à l’hôpital de Commercy (Meuse) avant d’être démobilisé le 7 septembre 1940 comme « sanitaire ».
En octobre 1940, il se présenta au noviciat de la Compagnie de Jésus, replié à Cazères-sur-Adour (Landes) puis, l’année suivante, poursuivit ses études de lettres à Villefranche-sur-Saône (Rhône) et de philosophie à Vals-près-le-Puy (Haute-Loire). Lorsque le Service du travail obligatoire (STO) fut institué, Henri Perrin postula immédiatement auprès de l’Aumônerie générale des prisonniers dirigée par l’abbé Rhodain pour être envoyé à la fois comme travailleur volontaire et comme aumônier clandestin en Allemagne, arguant de sa connaissance de la langue germanique. Il fit alors une courte formation, en juillet 1943, de tourneur au Centre national d’apprentissage à Villeurbanne (Rhône) puis partit le 19 août en compagnie d’un ami routier, Jacques Etevenon, pour Leipzig. Logé en camp et travaillant aux usines Junkers, il organisa des « groupes d’amitié », permettant de masquer son activité confessionnelle derrière une activité sociale tolérée par les autorités allemandes. Ayant étendu son apostolat dans toute la Saxe durant les week-ends, son état de prêtre fut vite découvert. Arrêté le 2 décembre 1943, incarcéré – ce fut pour lui l’occasion de côtoyer et d’apprécier les prisonniers soviétiques –, puis libéré le 22 avril 1944, il revint en France où il fut hébergé à l’Action populaire. Il y passa l’été à écrire, à partir de ses notes, Journal d’un prêtre-ouvrier en Allemagne que Le Seuil allait publier en 1945 et qui montrait, dans une perspective missionnaire, combien la « terre étrangère » dont il parlait n’était pas le pays où il avait vécu pendant ses mois de réquisition et de détention, mais le « milieu de travailleurs » qu’il avait découvert et dont il mesurait la distance qui le séparait de l’Église. L’ouvrage contribua à diffuser l’appellation de « prêtre-ouvrier » et suscita des vocations dans les jeunes générations.
Sachant que l’abbé Rhodain préparait des équipes prêtes à partir en Allemagne dès la fin de la guerre, Henri Perrin fit partie de ces « missions vaticanes » pendant sept mois comme capitaine-aumônier dans le nord du pays. L’essentiel de son activité consista à prendre contact avec le clergé allemand et à mettre sur pied la fondation, à Bonn, d’un centre international catholique « au service de tous les intérêts catholiques de la zone anglaise, au service des Polonais toujours exilés, comme des prisonniers allemands, des populations évacuées comme du clergé ou des milieux universitaires. » Il revint en France en février 1946 pour poursuivre ses études de théologie au scolasticat de Fourvière durant lesquelles il fut d’ailleurs aumônier de l’école de Chimie de Lyon. Désireux de partager les conditions de la vie ouvrière, il participa à des rencontres de militants de la JOC, de la JECF, de responsables d’Économie et Humanisme et de membres de la communauté Barbu. Après avoir passé ses derniers examens, il fut affecté, à sa demande, à la première équipe de la Mission ouvrière jésuite que le curé de la paroisse Notre-Dame de la Gare, Henri Deleuze, dans le XIIIe arrondissement à Paris, voulait bien accueillir.
Cohabitant, au départ, avec un autre compagnon jésuite, Georges Pierre-Puységur, qui allait s’embaucher comme prêtre-ouvrier à la raffinerie Say puis à la SAT, Henri Perrin poursuivit d’abord son activité en Allemagne en 1945 en prenant part à des rencontres internationales ouvrières, notamment celle de Maria-Laach, « destinée à fournir aux dirigeants de mouvements de jeunesse catholique la possibilité de s’entretenir », puis envisagea des stages franco-allemands de formation pour futurs cadres ouvriers dans un but de réconciliation entre jeunes Français et jeunes Allemands. Mais ayant résolument choisi de devenir prêtre-ouvrier, il trouva de l’embauche, en janvier 1948, à la Manufacture d’isolants et d’objets moulés (MIOM) à Vitry-sur-Seine. Préférant travailler sur le lieu de son apostolat, il entra en novembre à la Radiomécanique, d’où il fut renvoyé au bout de trois semaines comme « mauvais ouvrier ». En janvier 1949, il devint ouvrier spécialisé chez Genève, une usine située dans le XIIIe qui fabriquait des ailes de camions Ford, et où il adhéra à la CGT. Il travaillait de 7 à 17 heures et célébrait, en fin d’après-midi, la messe dans sa chambre ou ailleurs, notamment pour des adhérents des Auberges de la jeunesse avec lesquels il passait la soirée, réservant celle du dimanche soir aux campeurs qui avait lieu dans la chapelle des dominicains, 48 avenue d’Italie. Il participait également aux réunions paroissiales, à celles de la Mission de Paris et retrouvait tous les vendredis l’Action populaire pour la soirée et les samedis matins consacrés à faire le point sur l’apostolat de l’équipe et à prier.
Henri Perrin – comme les autres membres de l’équipe Georges Pierre-Puységur, Jean Lacan, Maurice Husson, Joseph de Lorgeril – s’était fixé un objectif prioritaire : l’insertion dans la vie de quartier. Avec la volonté de multiplier les contacts entre les habitants du quartier, il eut l’idée, en 1949, de lancer un ciné-club rue Cantagrel, puis d’acheter le fonds de commerce d’un café-restaurant La Musette, 151 boulevard de la Gare, composé de deux salles, ce qui permettait des services variés : restauration, soirées de loisir (le père Duval, Cora Vaucaire, « les frères Jacques », la chorale « À cœur joie » s’y produisaient) ou encore diverses réunions syndicales ou politiques, en particulier celles du Mouvement de la Paix ou de l’Union des chrétiens progressistes (UCP). Henri Perrin avait réussi à former autour de lui une petite équipe missionnaire qu’il animait avec un charisme exigeant et qui gérait le ciné-club et le café-restaurant. Avec le « 48 » de l’avenue d’Italie, où résidaient quelques dominicains en mission ouvrière, et l’équipe Mission de France de la paroisse Saint-Hippolyte sur l’avenue de Choisy, le « 151 » devint sous la houlette d’Henri Perrin l’un des foyers les plus actifs du progressisme chrétien alors en gestation. Lors des grèves de février-mars 1950, il prit une part active au mouvement. En avril, avec Joseph Robert et Joseph de Lorgeril, il s’engagea publiquement aux côtés des grévistes de l’usine SNECMA du XIIIe ; en mai, c’est au « 151 » que se tint une des premières rencontres des chrétiens « pour la paix au Viêt Nam ».
En septembre 1950, Henri Perrin interrompit brusquement cet engagement missionnaire et quitta, en accord avec ses supérieurs, le XIIIe pour faire son 3e An (année de probation et de réflexion au terme de la formation jésuite) à Ineuil (Cher). Il lisait beaucoup (saint Jean de la Croix aussi bien que Trotski), se livrait à la méditation, prodiguait des conseils à ses amis du « 151 ». C’est Joseph Robert*, dominicain, qui, avec l’équipe missionnaire, s’occupa dès lors du café-restaurant, en attendant le retour d’Henri Perrin. Celui-ci évalua cependant, au cours de l’année 1951, l’incertitude de son avenir devant les hésitations de ses supérieurs qui voyaient dans ses initiatives de l’audace et l’expression d’un comportement indépendant. Il passa par une crise religieuse profonde et prit, finalement, la décision de quitter la Compagnie de Jésus et de faire à nouveau partie du clergé séculier afin de renforcer son appartenance à la classe ouvrière. Il demanda à intégrer la Mission de Paris, mais l’archevêque, Mgr Feltin, refusa au prétexte que le Saint-Siège avait interdit, depuis le 20 juin 1951, d’augmenter le nombre des prêtres-ouvriers. Prié par Mgr Feltin, Mgr Lamy, archevêque de Sens, l’accepta dans son diocèse et lui donna l’autorisation de rejoindre l’équipe des prêtres-ouvriers qui travaillaient sur les barrages en Savoie. Ayant pris contact avec le chantier Isère-Arc de Notre-Dame de Briançon, Henri Perrin fut embauché par l’entreprise Borie fin décembre 1951 comme mécanicien au service d’entretien.
Il vécut dans des baraquements misérables parmi les ouvriers, des « jeunes sans attache dans la vie, Italiens, Espagnols, Nord-Africains […] ou des laissés pour compte », qui creusaient le tunnel Isère-Arc dans des conditions de travail dangereuses causant de nombreux accidents mortels. Au bout d’un mois une grève éclata. Henri Perrin entra au comité de grève dont il allait devenir le secrétaire et l’organisateur, rédigeant des communiqués précis pour informer l’ensemble des ouvriers. La lutte et la solidarité sans faille pendant six semaines débouchèrent non seulement sur l’obtention de diverses primes, mais aussi sur une vie syndicale plus intense avec un conseil syndical composé de quarante responsables qu’il fallait aider et former.
Lorsqu’Henri Perrin était arrivé à Notre-Dame de Briançon, il avait pris contact avec l’équipe des prêtres-ouvriers dite « équipe des barrages », composée de Jean Breynaert, Jean Cherrier, Jacques Chicoix, Paul Froidevaux, Gabriel Genthial, Jean Lahitte, Michel Lémonon, Pierre Morissot et Jacques Vivez*. L’équipe se réunissait régulièrement au couvent dominicain de Saint-Alban-Leysse, autour du théologien Humbert Bouëssé, pour réfléchir ensemble sur son apostolat et confronter les expériences de ses membres, notamment sur le rôle éducatif du travail syndical auquel ils essayaient de contribuer. Henri Perrin qui était en relation permanente avec les responsables syndicaux de son chantier, écrivait à ce sujet en mai 1952 : « Il n’y a pas de notre part une simple suppléance, encore moins une simple occasion de contact, mais une véritable exigence apostolique. Admettre cela supprimerait bien des hésitations dans la compréhension de notre rôle et de notre mission. »
Mais la hiérarchie catholique était loin de souscrire à de tels propos. L’heure était aux menaces qui allaient aboutir à la suppression des prêtres-ouvriers. Ce fut dans ce contexte qu’Henri Perrin fut licencié de son chantier à l’issue de la grève de juin-juillet 1953 bien que l’Inspection du travail des chantiers hydroélectriques des Alpes considérât son éviction comme irrégulière. Il resta cependant, à la demande des ouvriers, assurant une permanence syndicale, surtout pour s’occuper des questions de Sécurité sociale pour les ouvriers. Il écrivit à ses amis : « Le chantier où je travaille finit ces jours-ci ; le 1er mars, j’aurai terminé ma tâche ici. Mon acte d’obéissance à l’Église au Christ sera de ne pas reprendre le travail aussi longtemps que j’aurai charge sacerdotale. »
Le 25 octobre 1954, Henri Perrin se tuait en moto à Paris en rejoignant le centre de formation accélérée d’Issy-les-Moulineaux où, en accord avec son évêque, il achevait un stage d’électricien. Il portait sur lui une lettre qu’il avait écrite quinze jours auparavant demandant sa réduction à l’état laïc. Ses obsèques à Notre-Dame de la Gare, le 30 octobre, réunirent autour de son cercueil les prêtres-ouvriers « soumis » et « insoumis ». En 1958, quelques-uns de ses amis, dont le dominicain Joseph Robert, firent paraître aux Éditions du Seuil un recueil de ses textes et lettres sous le titre Itinéraire d’Henri Perrin, prêtre-ouvrier 1914-1954. L’année suivante, le Saint-Office fit savoir aux évêques français que l’ouvrage devait être retiré des bibliothèques des séminaires.
Par Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule
ŒUVRE : Journal d’un prêtre-ouvrier en Allemagne, Le Seuil, 1945. — « Lettre inédites d’Henri Perrin », Informations catholiques internationales, 1er novembre 1955, p. 25-29. — Chute Isère-Arc, sous titre Aiguebalnache, Notre-Dame de Briançon, Aiguebelle, 1947-1954, Dardelet, 1953.
SOURCES : Archives de la Province jésuite de France, fonds Henri Perrin. — AHAP 1 D XV, 9, 51-52. — Arch. dominicaines de la province de Lyon, fonds Froidevaux.
— AMDF, 1 R 2-1. — Itinéraire d’Henri Perrin, prêtre-ouvrier 1914-1954, présenté par ses amis, Le Seuil, 1958. — Georges Hourdin, Catholiques et socialistes, Grasset, 1973. — Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine. 1, Les Jésuites, 1985, p. 208. — Marius Hudry, « La grève Isère-Arc (Savoie) de janvier-février 1952 et le clergé de Tarentaise », dans Bernard Plongeron et Pierre Guillaume (textes réunis par), De la charité à l’action sociale. Religion et société, Paris, Éditions du CTHS, 1995, p. 423-436. — Émile Poulat, Les prêtres-ouvriers. Naissance et fin, Éditions du Cerf, 1999. — Yvon Tranvouez, Catholiques et communistes. La crise du progressisme chrétien (1950-1955), Paris, Les Éditions du Cerf, 2000. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004. — Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, « La mission ouvrière : la justification religieuse d’un déplacement à gauche (1940-1955) » dans Denis Pelletier, Jean-Louis Schlegel dir., À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2013, p. 103-130. — Noël Barré, Jésuites et ouvriers. La mission ouvrière jésuite de 1944 à la fin des années 1990, Karthala, 2014. — Témoignage de Georges Baguet, 8 février 1995.