BEDOUCH Jean, Lucien [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis]

Par Michel Cordillot

Né le 10 octobre 1827 à Escazeaux (Tarn-et-Garonne), mort le 11 juin 1908 à Saint-Mandé (aujourd’hui Val-de-Marne) ; cordonnier ; communiste icarien, puis membre de l’AIT proche de Bakounine ; communard, proscrit en Amérique, proche des blanquistes ; exerça des responsabilités importantes au sein du mouvement socialiste francophone.

Originaire du Sud-Ouest, Jean Bedouch monta à Paris en 1852. Adepte de la religion fusionnienne de Louis Tourreil (dont il avait épousé la veuve), socialiste modéré, il prit une part active à la vie des sociétés secrètes et se rapprocha des idées communistes de Cabet. Gérant de l’Association des cordonniers fondée le 1er avril 1864, il figurait parmi les signataires d’une « Lettre aux ouvriers » publiée en décembre 1864 par le journal L’Association qui constituait une sorte de manifeste de la pensée coopérative de l’heure. L’année suivante, il fut membre (avec Arsène Sauva qui venait de passer plusieurs années dans la colonie Icarienne aux États-Unis) de la Société de crédit mutuel et de solidarité commerciale fondée à Paris en 1865.

En 1867, Jean Bedouch fit à Paris la connaissance de deux exilés russes amis de Bakounine, Troussoff et Ozerov. Il fréquenta alors les milieux proches du révolutionnaire russe, à savoir les frères Reclus et Albert Naquet. Il fut délégué par un groupe parisien pour assister au Congrès de la Ligue de la Paix et de la Liberté à Berne (1868), pour y « soutenir les principes de la propriété collective, proposée avec une grande force de raisonnement et de talent par Bakounine ». Il y fit la connaissance de ce dernier, et se joignit à la minorité qui se sépara de la Ligue à son appel. Durant toute la semaine suivante, Jean Bedouch participa avec les amis de l’anarchiste russe à un conclave qui se tint à Genève afin de fonder une société secrète au sein des sections de l’Internationale. À la fin des années 1860 il figurait vraisemblablement au nombre des correspondants français de Bakounine (il déclara en 1899 que sa femme avait brûlé les lettres de ce dernier au lendemain de la Semaine sanglante, par précaution).

Membre de l’Internationale, Jean Bedouch participa aux manifestations organisées par les sections parisiennes le 4 septembre 1870, jour où fut proclamé la République. Il resta à Paris durant le Siège. En tant que membre de la délégation des vingt arrondissements, il fut l’un des signataires de l’Affiche rouge du 6 janvier 1871, proclamation au peuple de Paris pour dénoncer « la trahison » du gouvernement du 4 septembre et pour mettre en avant trois mots d’ordre : réquisition générale, rationnement gratuit, attaque en masse. Elle se terminait par ces mots : « Place au peuple ! Place à la Commune ! »

Jean Bedouch prit part à la Commune de Paris. Au lendemain du 18 mars 1871, il assista aux réunions du Comité central des vingt arrondissements dont il signa plusieurs déclarations, notamment une résolution du 30 mars approuvant les trois décrets votés la veille par la Commune à propos des loyers, de la conscription et des objets engagés au Mont-de-piété. Combattant sur les barricades, il fut fait prisonnier durant la Semaine sanglante. Détenu durant quelques semaines à l’Orangerie de Versailles, il fut mis en liberté dans l’attente d’un jugement et en profita pour gagner Le Havre avec sa femme et leurs cinq enfants, afin de prendre le premier bateau en partance pour les États-Unis. Il arriva à New York fin 1871. Il publia alors le récit de sa participation aux derniers jours de la Commune et de sa captivité dans Le Socialiste (« Enfin me voilà dehors »).

Proche de la mouvance blanquiste dans la proscription, Jean Bedouch signa la pétition diligentée par Mégy pour s’opposer à la préparation d’une contre-enquête officielle. Peu après, il présida la réunion des anciens de la Commune où ces derniers décidèrent de se constituer en Société. Il semble également avoir été chargé de former une commission d’enquête appelée à se pencher sur les activités de Gustave May. Il résidait alors à New-York, 135 Bleeker Street. En février 1873, il fut nommé trésorier de la Société des réfugiés, et fut à ce titre un des organisateurs du banquet commémorant la Commune qui se tint à New York le mois suivant. On trouve trace de son activité militante au sein de la Société des réfugiés durant toute l’année 1873. Il signa par exemple un télégramme de solidarité avec les révolutionnaires cubains au nom de la Société aux alentours du 15 novembre. Il fut également membre de la nouvelle « commission d’enquête » mise sur pied pour examiner les accusations formulées par Mégy contre les frères May, laquelle se prononça en faveur d’un non-lieu le 17 janvier 1874.

Jean Bedouch quitta les États-Unis à une date non précisée avec d’autres réfugiés de la Commune, notamment Alexis Tanguy et Joseph Berger, pour tenter d’aller fonder une colonie agricole communiste dans la région de Caracas au Venezuela. Il s’y trouvait encore début 1876. Il était toutefois revenu aux États-Unis l’année suivante, puisqu’il figura parmi les porteurs du cercueil lors des obsèques du Communard Parisel le 8 juillet à Newark (New Jersey).

En janvier 1878, Jean Bedouch co-signa avec 54 communistes et réfugiés français de New York un texte intitulé « Aux membres de la Communauté icarienne », dans lequel il prenait position contre la Jeune Icarie et en faveur de la majorité emmenée par Arsène Sauva.

Après le vote de l’amnistie en 1880, Jean Bedouch fut l’un des tout premiers Communards réfugiés outre-Atlantique à rentrer en France. En 1885, il figurait encore parmi les fondateurs de la Société républicaine d’économie sociale, aux côtés de Benoît Malon, Jean-Baptiste Dumay, etc. Il était toujours vivant en novembre 1899, date à laquelle Max Nettlau s’adressa à lui pour recueillir des matériaux destinés à sa biographie de Bakounine. Il demeurait alors à Paris, 65 rue Lepic (XVIIIe arr).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159374, notice BEDOUCH Jean, Lucien [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis] par Michel Cordillot, version mise en ligne le 3 juin 2014, dernière modification le 30 juin 2020.

Par Michel Cordillot

SOURCES : Arch. PPo, listes de contumaces. — Arch. Min. Affaires étrangères, correspondance politique des consuls, vol. 39, États-Unis 1872-1874. — L’Association, n° 2, décembre 1864. — La Mutualité, n° 2, 1865. — Le Socialiste, 1871-1873, passim. — Bulletin de l’Union républicaine, 1874-1876, passim. — New York Herald, 8 juillet 1877. — Benoît Malon, La Troisième Défaite du prolétariat français, Neuchâtel, G. Guillaume, 1871. — J. Prudhommeaux, Icarie et son fondateur Étienne Cabet, Cornély & cie, 1907. — Jean Gaumont, Histoire générale de la coopération en France, Paris, Fédération nationale des coopératives de consommation, 1924. — J. Dautry, L. Scheler, Le Comité central républicain des vingt arrondissements, Paris, Éditions sociales, 1960. — Œuvres complètes de Bakounine, vol 7, Paris, Éditions Champ libre, 1979. — Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. L’événement, les acteurs, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, janvier 2021.

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