BRAULT Jean, Antoine [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis]

Par Michel Cordillot

Né à Courrières (Pas-de-Calais) le 28 septembre 1860 ou à Guipavas (Finistère) le 29 septembre 1861 ; mort à Linton (Indiana) le 7 décembre 1943 ; marié et père de 10 enfants (dont cinq garçons prénommés Athos, d’Artagnan, Victor, Eugene et Germinal) ; mineur ; parti pour la première fois aux États-Unis vers 1881 ; syndiqué à l’UMW, puis aux IWW ; militant anarchiste, puis socialiste (PSA) ; militant coopérateur et mutualiste ; secrétaire national à l’organisation de la Fédération socialiste de langue française ; une des figures de proue du radicalisme franco-américain.

Jean Brault et sa famille

On ne connaît pas avec certitude les origines de Jean Brault. Selon les sources de l’immigration américaine il serait né à Courrières, selon son acte de mariage à Guipavas (Finistère). Ses parents partirent sans doute s’installer dans le Pas-de-Calais peu après sa naissance puisqu’il descendit à la mine à l’âge de 10 ans. Il gagnait alors 22 sous par jour ; à 14 ans, il charriait quotidiennement 15 à 16 tonnes de rocher pour toucher de 28 à 35 sous. Révolté contre ce système inhumain, il participa activement à plusieurs grèves violentes. Il émigra ensuite aux États-Unis, sans doute vers 1881. Quelques années plus tard il était toutefois de retour en France où il épousa Désirée Derbaix à Méricourt-Lavaleresse (Pas-de-Calais) le 4 avril 1885. En 1889, il participa à la grande manifestation des mineurs de Lens et du Pas-de-Calais.

Gagné à l’anarchisme vers 1886, Jean Brault repartit aux États-Unis vers le milieu de l’année 1889. Son nom y apparaît pour la première fois dans le Réveil des masses lorsqu’il s’abonna à ce journal en août de cette même année. Il habitait alors Houtzdale (Pennsylvanie). En novembre 1890, le Réveil des mineurs (faisant écho à La Révolte) annonça que Brault venait d’être condamné à 3 mois de prison pour avoir organisé une réunion anarchiste ouverte au public sans en avoir fait préalablement la déclaration. En 1891, il était à Spring Valley (Illinois), où il était le dépositaire du Réveil des mineurs. et le responsable du groupe n°1 de La Revanche des mineurs. En février 1893, il y était le principal animateur du groupe anarchiste L’Union libre. En mars 1893, il fut avec Julien Bernarding (voir ce nom) l’un des orateurs lors de la commémoration du 18 mars.

En 1894, durant la première grève générale des mineurs, Jean Brault prit la tête d’une manifestation qui entraîna 5 à 600 mineurs à Ladd, où les magasins appartenant à la compagnie furent pillés. Plusieurs militants francophones furent arrêtés, et Brault ne dut son salut qu’à la fuite. Il se réfugia alors à Mystic (Iowa). Toutefois, il était dès l’été suivant de retour à Spring Valley, où il animait les réunions du groupe anarchiste Les Indomptables. À cette époque, il faisait de la propagande en faveur de la grève générale. Peu près, suite à des affrontements entre mineurs et Noirs, il en appela à l’unité de tous les ouvriers pour lutter contre les patrons, ce qui lui valut d’être arrêté avec 27 autre militants et emprisonné à Princeton (Illinois). Malgré les problèmes familiaux qui en résultaient (il avait alors 5 enfants, âgés de 9 ans à 11 jours), il gardait un moral sans faille.

En octobre, Brault fut libéré sous caution (1100 dollars) dans l’attente du procès. Il était astreint à se rendre chaque jour de Spring Valley à Princeton, une ville distante de 18 miles, soit 29 km. Comme c’était prévisible, il fut effectivement déclaré coupable par le jury ; mais contre toute attente, il fut relaxé par le juge, ce qui nécessita que le procès soit rejugé. Incarcéré durant ce temps, Brault avait tenté de s’évader, avait été repris et puni. Il était désormais le seul anarchiste maintenu en prison. Les compagnons de Charleroi, Spring Valley, Weir City, Scammonville et les lecteurs de L’Ami des ouvriers se mobilisèrent pour effectuer des collectes au profit de sa famille. De nouveau en liberté sous caution fin décembre, il reprit ses activités militantes. Après avoir assisté à un meeting avec Pietro Gori, il annonça la formation d’un groupe anarchiste italien à Spring Valley. Il était en janvier 1896 un des principaux responsables du groupe libertaire Les Enfants de Bakounine, et en mars 1896, il fut l’un des orateurs de la soirée organisée par ce même groupe pour commémorer le 18 mars. En janvier 1897, c’est au nom du groupe Les Pieds plats d’Oglesby (Illinois) qu’il protesta contre les tortures infligées aux anarchistes espagnols et contre l’assassinat des révoltés cubains.

À l’occasion d’un échange de points de vue avec Louis Goaziou, qui commençait à se rapprocher du socialisme, Brault continuait de se déclarer en février 1897 favorable à la propagande par le fait. Quelques mois plus tard il partit s’installer avec le compagnon G. Jacques dans une maison à la campagne, située à 1 km environ de la ville de Marseilles (Illinois). D’après Goaziou, qui passa discuter avec lui en juillet 1898 à l’occasion d’une tournée de propagande, il avait alors davantage l’air d’un fermier que d’un mineur. Jacques et Brault militaient à cette date pour l’organisation d’un Congrès régional libertaire.

Mais cet épisode bucolique prit rapidement fin et en octobre 1898, Brault résidait à Lasalle (Illinois), 334 Canal street. C’est chez lui que se réunissait le groupe anarchiste Les Cravacheurs. Ses dernières actions militantes connues en tant qu’anarchiste furent d’animer les commémorations de la Commune de Paris organisées en mars à Spring Valley par les groupes Germinal et Les Affamés, et en juin à Westville (Illinois) par le groupe Les Niveleurs.

En 1901, rallié au socialisme debsien, Brault fut l’un des tout premiers abonnés à L’Union des travailleurs. Il résidait alors à Georgetown (Illinois). En novembre, il lança un appel à tous les travailleurs de langue française de la région en vue de fonder un Groupe d’études sociales. Il était alors l’agent-diffuseur officiel de L’Union des travailleurs à Georgetown. Dès mars 1902, il annonçait la formation dans cette même localité d’un Club socialiste international, qui regroupait des adhérents de langue française, anglaise et italienne, et en avril, il fit savoir que les socialistes seraient en mesure de présenter des candidats aux élections locales. Désormais engagé à fond en faveur de la lutte électorale, il appellait les ouvriers à voter socialiste le 4 novembre. Dans une réplique à Jules Caumiant, qui continuait pour sa part de se proclamer libertaire, il précisa que lui aussi restait libertaire et favorable à l’abolition de toute forme d’autorité (ce qui était sa définition du socialisme), mais qu’il n’entendait pas pour autant renoncer à utiliser l’arme que constituait le droit de vote.

Militant de l’UMW, Jean Brault fut licencié en juillet 1902 pour avoir organisé une collecte au profit des mineurs du Michigan, alors en grève. Le syndicat parvint néanmoins à imposer son retour de haute lutte. Début 1904, il fut désigné par la section locale 238 de l’UMW de Westville pour la représenter à la convention d’État de l’Illinois ; il en claqua la porte avant la fin, excédé par les atermoiements de la bureaucratie syndicale. Mutualiste convaincu, il fut également en octobre 1903 à l’initiative de la formation d’une Société de secours mutuels pour les travailleurs de langue française de Westville dont il fut élu président. Il mit d’ailleurs à son service ses talents d’acteur à l’occasion d’une soirée récréative incluant un bal masqué et la présentation d’une pièce de théâtre (dont il était l’auteur) intitulée de façon suggestive « Le prêtre la ferme ».

Lecteur dévoué et actif de L’Union des travailleurs, pourvoyeur assidu de correspondances et d’articles, Jean Brault reçut en juillet 1903 la visite de Louis Goaziou qui effectuait une tournée de propagande dans l’Illinois. Début 1904, il devint actionnaire de la coopérative de publication de l’hebdomadaire socialiste francophone. En février 1905, à l’occasion d’un débat sur la violence ouvert dans les colonnes de L’Union des travailleurs, il précisa que s’il n’était pas opposé par principe à toute forme de violence, il jugeait pourtant préférable de tabler sur l’action électorale pour triompher. En juillet, à l’occasion de la polémique qui fit suite aux propos de Gustave Hervé sur l’antipatriotisme, il se prononça en faveur de ce dernier, contre le blanquiste Henri Fournier (voir ce nom).

Pour avoir organisé un défilé à Westville à l’occasion de Labor Day en 1905, Jean Brault se retrouva de nouveau sans emploi. Il partit alors s’installer à Linton (Indiana). Quelques semaines plus tard, il annonçait la formation dans cette ville d’un club socialiste francophone. En janvier 1906, il en fut élu président par les 62 adhérents et il organisa à ce titre la commémoration du 18 mars. En juin-juillet, il fut un des dirigeants des mouvements de grève qui se produisirent à Linton, et dans le même temps, il se montra politiquement très actif. Ce ne fut donc pas sans une certaine fierté qu’il annonça aux lecteurs de L’Union des travailleurs les excellents résultats électoraux obtenus dans cette localité en novembre par les socialistes, à savoir 322 voix contre 137 l’année précédente.

Sur un plan plus personnel, cette même année 1906 fut marquée par deux événements : d’une part la catastrophe de Courrières, dans laquelle il perdit un frère, deux beaux-frères et un neveu, et d’autre part la naissance en juillet de son dixième (et apparemment dernier ?) enfant, un garçon prénommé Germinal.

Jean Brault était aussi membre de la Fédération maçonnique du Droit humain, et il prononça à ce titre un discours à l’occasion d’une conférence organisée en septembre 1907. Mais son activité militante restait largement centrée sur la propagande socialiste, tant par le biais de la diffusion de L’Union des travailleurs, que par la coopération avec les sections anglophones du PSA (en 1907, le Club socialiste français de Linton fut pour la première fois représenté à la convention d’État du PSA). Ces efforts payèrent, puisqu’en novembre 1908, les socialistes obtinrent 707 voix à Linton (et 973 suffrages dans le comté, soit un gain de 600 voix environ) ; une manifestation fut organisée pour accueillir le Red special de Debs à son retour de tournée, et les socialistes français réussirent à eux seuls à mobiliser 4 à 500 personnes qui acclamèrent Debs et entonnèrent « la Marseillaise » et « l’Internationale » en français. En janvier 1909, Brault pouvait annoncer la formation à Linton d’un quatrième club socialiste francophone, comptant 31 membres, parmi lesquels huit suffragettes. L’objectif suivant, consistant à mettre sur pied une coopérative socialiste, fut atteint en mai ; pour être accepté comme sociétaire de la coopérative Justice, il fallait posséder sa carte de membre du PSA à jour de cotisation. En décembre, impressionné par cette réussite, le PSA donna officiellement son accord pour la création à Linton d’une section de langue française.

Durant l’été 1910, Jean Brault prit la tête d’une rébellion des mineurs français de l’Indiana contre Tom Lewis (ce dernier avait déjà été copieusement chahuté à Linton en septembre 1908, lors d’un meeting auquel assistait Louis Goaziou). Une réunion fut convoquée et une section locale des IWW fut fondée en août avec 28 adhérents, dont Brault fut élu président. L’année suivante, au nom de la section locale 328 des IWW de Linton, Brault appela tous les militants révolutionnaires, anarchistes, socialistes, libres penseurs, et syndicalistes industriels à s’unir et à se rassembler à Linton le jour de Labor Day pour un meeting monstre organisé sous les auspices conjoints du PSA et des IWW, avec Eugene Debs comme principal orateur. Au jour dit, 4 000 personnes participèrent au défilé avec des chars décorés avant d’aller écouter les discours. Ce succès valut même aux socialistes de Linton de recevoir quelques jours plus tard la visite très intéressée de Daniel De Leon, qui fut pourtant fermement éconduit.

En novembre 1911, Jean Brault fut publiquement accusé par Arthur Lambert d’avoir précipité la disparition de la coopérative socialiste. Ce dernier accusait même Brault d’avoir renié le PSA et demandait la constitution d’un jury d’honneur pour faire la lumière sur ses agissements. Brault, qui venait de s’installer à Worthington (Indiana), fit savoir que son livret d’adhérent était à jour jusqu’au 1er janvier 1912 et rappela ses états de service militants. Les choses en restèrent là.

En optant pour l’IWW syndicaliste-révolutionnaire, Jean Brault, sans dévier de ses convictions socialistes, avait d’une certaine manière renoué le fil avec ses engagements libertaires antérieurs (en novembre 1909, il avait été l’un des principaux organisateurs d’une manifestation à la mémoire de Ferrer et des martyrs de Chicago). Il est significatif de noter qu’en août 1912, il prit la parole lors d’un meeting de soutien aux dirigeants des IWW emprisonnés Joe Ettor et Arturo Giovannitti en même temps qu’il assistait à la convention socialiste de Linton.

L’année 1912 fut marquée par une nouvelle victoire électorale socialiste. Soucieux d’en recueillir les dividendes, Jean Brault anima plusieurs causeries spécialement destinées aux dames. Toujours aussi actif au service de l’Union des travailleurs, il sonna bientôt la mobilisation pour que le nombre de 2 500 lecteur réguliers soit atteint en 1913 et plaça pour sa part de nombreux abonnements. Trois événements organisés par les socialistes de Linton connurent un succès notable : la conférence animée par Louis Goaziou en novembre 1913 et, en 1914, la commémoration de la Commune (avec Brault dans un numéro encore inédit de chanteur amateur) et le grand pique-nique socialiste qui rassembla en juin plusieurs centaines de participants.

Mais déjà le spectre d’un conflit européen menaçait. Après le demi-succès de la journée d’action contre la guerre organisée en décembre 1912, Jean Brault n’avait pas trouvé de mots assez durs pour condamner le patriotisme belliciste. Il espérait toutefois encore que la grève générale des travailleurs pourrait conjurer le danger. Comme beaucoup, il fut très affecté par le déclenchement de la Première Guerre mondiale. En août, lorsqu’il prit la parole au meeting de protestation contre l’assassinat de Jaurès, plus rien ne pouvait arrêter la course à l’abîme. En décembre, s’il se prononçait encore pour le principe en faveur de la formation d’États-Unis d’Europe pacifistes dominés par les travailleurs, il se ralliait dans les faits à l’organisation de l’aide aux victimes de guerre, se rangeant du même coup dans le camp des Alliés.

Jean Brault n’avait pourtant pas perdu foi dans le socialisme. Élu responsable à l’organisation de la section réorganisée de Linton en janvier 1915 (23 adhérents), il plaça en quelques jours 13 abonnements à L’Union des travailleurs, et il se prononça bientôt pour la constitution d’une Fédération socialiste de langue française indépendante (ce qui était aussi une manière de se démarquer d’un PSA jugé trop neutraliste). En juillet, il en fut élu membre du Bureau exécutif provisoire et responsable national à l’organisation. Il participa à ce titre à la reconstitution de la section de Shirkeville (14 membres), mais au vu des résultats médiocres obtenus un peu partout, il se prononça contre la tenue d’un congrès, parce qu’il jugeait cette initiative prématurée. Début août 1916, en dépit de ses désaccords avec d’autres dirigeants de la fédération (Florent Deschamps, Auguste Mahieu, Auguste Breysse) sur la tactique à suivre, Jean Brault fut réélu responsable national à l’organisation. Parallèlement à ses activités politiques, Brault demeura durant les années 1914-16 l’animateur omniprésent des luttes syndicales des mineurs de Linton. En avril 1922, de même que plusieurs de ses fils, il versa son écot à la souscription organisée par la Fédération de langue française au profit des Russes. Il mourut à Linton d’un infarctus le 7 décembre 1943 et fut enterré au cimetière de Fairwiew. Son épouse, née Désiré Derbaix, mourut le 1er octobre 1947.

Du début des années 1890 jusqu’en 1916, Jean Brault fut un militant infatigable. Il n’est guère en effet de numéro des différents journaux anarchistes et socialistes publiés durant toute cette période qui ne mentionne son nom dans une rubrique ou une autre. À cet égard, il doit être considéré comme l’une des grandes figures emblématiques de la militance radicale franco-américaine.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159399, notice BRAULT Jean, Antoine [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis] par Michel Cordillot, version mise en ligne le 3 juin 2014, dernière modification le 18 août 2022.

Par Michel Cordillot

Jean Brault et sa famille

SOURCES : Le Réveil des masses, août 1889. — Le Réveil des mineurs, 19 novembre 1890, 26 novembre, 26 décembre 1891, juin 1893. — L’Ami des ouvriers, septembre 1894, juin, août, septembre, 15 décembre, 30 décembre 1895, 30 janvier, 15 avril 1896. — La Tribune libre ; 21 janvier, 18 février 1897, 21 juillet, 27 octobre 1898, 16 mars, 29 juin 1899 entre autres. — L’Union des travailleurs, 7 novembre, 28 novembre, 26 décembre 1901, 13 mars, 24 avril, 10 juillet, – 31 juillet, 4 décembre 1902, 6 août, 29 octobre 1903, 4 février, 24 mars 1904, 23 février, 11 mai, 27 juillet, 19 octobre, 16 novembre 1905, 8 février, 5 avril, 10 mai, 12 juillet, 22 novembre 1906, 12 septembre 1907, 26 novembre 1908, 28 janvier, 27 mai, 4 novembre 1909, 18 août 1910, 6 juillet, 24 août, 14 septembre, 2 novembre 1911, 22 août, 21 novembre 1912, 27 mars 1913, 20 août, 31 décembre 1914, 21 janvier, 13 mai, 5 août 1915, 11 mai, 9 juin, 3 août, 10 août 1916 entre autres. — Germinal, mai 1922. – Documents d’état civil et photos transmis par Devin Vaughn. – AD Pas-de-Calais pour le mariage http://archivesenligne.pasdecalais.fr/v2/ark:/64297/0bd85ed69b4d2dabde9ae0c88b4d32f6 , vue 16/157 n°3. – Note de Jean-Louis Deaucourt.

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