BONENFANT Joseph.

Par Jean-Pierre Ducastelle

Ath (pr. Hainaut, arr. Ath), 28 novembre 1868 – Ath, 3 juillet 1926. Ouvrier sabotier puis cabaretier, bonnetier et commerçant, militant socialiste, fondateur de la Ligue ouvrière d’Ath et du Syndicat local des travailleurs du bois, gérant de la coopérative de Beyne-Heusay (pr. et arr. Liège), conseiller provincial de Liège, secrétaire du conseil provincial de Liège.

Fils de Jean-Joseph Bonenfant, terrassier, et de Joséphine Dopchie, dentellière, Joseph Bonenfant travaille dès l’âge de douze ans dans l’industrie du bois à Ath. Il semble avoir été marqué par le décès accidentel de son père, le 11 avril 1884, brûlé dans un four à chaux, à la carrière Rivière à Maffle (aujourd’hui commune d’Ath, pr. Hainaut, arr. Ath).

En 1894, Joseph Bonenfant participe à la création de la Ligue ouvrière d’Ath. L’année suivante, il est candidat aux élections communales du 17 novembre. Il recueille 54 voix sur 3.255 votes valables. Le 20 juin 1897, il devient secrétaire du syndicat des travailleurs du bois qui se constitue à Ath. Cette création entraîne le renvoi de plusieurs ouvriers des ateliers Carton (notamment le polisseur Léon Boosten). Une grève éclate à partir du 25 juin. Elle se termine par le renvoi de 35 ouvriers. Bonenfant est un des meneurs. Renvoyé par son patron, le sabotier, Edouard Baudry, qui subit la pression des notables libéraux, il devient cafetier et fleuriste.

En 1896, Joseph Bonenfant est délégué de la Fédération de Tournai-Ath au Congrès national du Parti ouvrier belge (POB). Le 13 février 1898, il est secrétaire de la Fédération socialiste athoise qui se sépare de Tournai. La même année, il tente de mettre sur pied une coopérative à Ath pour y installer une maison du peuple. Le 5 juin 1898, il est candidat aux élections provinciales dans le canton de Chièvres (pr. Hainaut, arr. Ath). Son résultat, 400 voix sur 7.216 votes valables, est médiocre.

Le 10 juillet 1898, Joseph Bonenfant constitue une fanfare, le club des trompettes qui compte bientôt soixante exécutants d’Ath et de Maffle. Le 3 septembre 1899, il organise l’inauguration officielle de la Maison du peuple d’Ath. Celle-ci est une succursale de celle de Lessines (pr. Hainaut, arr. Soignies), cité des « cayoteux » qui regroupe plus ou moins 3.000 ouvriers carriers à l’époque. En octobre 1898, il est candidat aux élections communales et totalise 654 voix sur 3.559 votes valables. Déjà aux élections de 1895, le candidat socialiste avait traité l’échevin Charles Lammens de voleur. En 1899, il récidive et s’en prend au bourgmestre, Émile Durieux. Il l’accuse d’avoir volé 40.000 francs dans la caisse du Bureau de bienfaisance au profit de la trésorerie communale. Ce détournement aurait été destiné à combler le trou dû à des irrégularités. En décembre 1899, le tribunal correctionnel de Tournai condamne Bonenfant à cinquante francs d’amende conditionnellement et à un franc de dommages et intérêts.

Le 3 juillet 1899, Joseph Bonenfant devient secrétaire de l’Union communale socialiste d’Ath qui remplace les premières organisations affiliées au POB. Cependant, en janvier 1900, déçu par la lenteur de la progression socialiste dans sa ville natale ou traumatisé par sa condamnation (?), il s’établit au pays de Liège, à Beyne-Heusay. Dans cette localité industrielle de près de 5.000 habitants, il est le gérant de la coopérative socialiste. Il est élu dès 1900 conseiller provincial et il sera, par la suite, secrétaire du conseil provincial de Liège.

La période liégeoise de Joseph Bonenfant est de courte durée. À la suite d’un conflit avec les responsables de la coopérative, il démissionne. En octobre 1903, il est de retour à Ath et y reprend ses activités politiques. Le poll socialiste du 24 janvier 1904 lui attribue 276 voix sur 872 bulletins. Il est battu par Joseph Defaux*, l’ouvrier carrier de Gaurain-Ramecroix (aujourd’hui commune de Tournai, pr. Hainaut, arr. Tournai), qui recueille 465 voix. Il devance cependant le secrétaire fédéral, l’avocat athois Georges Bertrand*. Troisième sur la liste du POB, derrière Joseph Defaux et Émile Vandervelde*, Bonenfant doit se contenter de septante voix de préférence.

Le retour de Joseph Bonenfant à Ath n’est pas bien accueilli par les militants socialistes locaux. Il est soupçonné de malversations dans la gestion de la coopérative de Beyne-Heusay. Plus tard, il affirmera que sa candidature au poll est une réponse aux bruits qui courent à son sujet. Il est écarté des organisations athoises du POB. Au début de l’année 1905, il fonde une nouvelle coopérative à Péruwelz (pr. Hainaut, arr. Tournai) avec une maison du peuple et une boulangerie. Il tente d’élargir son action dans les communes voisines industrialisées du canton de Quevaucamps (aujourd’hui commune de Beloeil, pr. Hainaut, arr. Ath).

En janvier 1906, le comité du Cercle d’étude d’Ath qui rassemble quelques anciens militants socialistes autour de Joseph Bonenfant, et dont l’affiliation au POB est rejetée, distribue en ville des circulaires. Ces feuillets s’en prennent à l’avocat bruxellois, Émile Royer, auquel la Fédération socialiste de Tournai-Ath a fait appel après l’échec de l’élection de 1904. Il lui est reproché d’avoir acheté le désistement de l’ancien militant régional, Joseph Defaux, pour une somme de 2.000 francs. Plus tard, Joseph Bonenfant dira que le retrait de l’ancien ouvrier carrier a été acheté en échange d’une fonction rémunérée dans le mouvement syndical. Émile Royer attaque Bonenfant devant le tribunal correctionnel de Tournai et obtient sa condamnation. Les circulaires du Cercle d’étude s’en prennent aussi à la coopérative, La Persévérance, et tout spécialement à son gérant, Émile Carlier, et à son trésorier, le docteur Georges Goffin. Ces deux responsables sont accusés d’avoir couvert les détournements de fonds de la fille du gérant dont Émile Carlier est le fiancé. Après examen, il apparaît que c’est avec leurs économies que les deux responsables de la coopérative ont comblé les pertes subies par ce fait. Ils sont innocentés par la justice et par les enquêteurs du POB mais ils n’obtiennent cependant pas une condamnation de Bonenfant dont la mauvaise foi n’a pas pu être prouvée.

À la suite de ses attaques répétées contre les dirigeants locaux et nationaux du POB, Joseph Bonenfant est exclu de son parti en février 1906. La décision est confirmée par le Congrès national du parti en avril 1907. Le 5 mai de la même année, Bonenfant crée son propre journal, La lumière, qui se veut l’organe hebdomadaire du socialisme rationnel libre. Il y publie, en exergue, sa devise : « Que les ouvriers ne servent plus de tremplin aux bourgeois qui les flattent ». Cette publication est destinée à soutenir sa candidature sur une liste dissidente aux élections communales du 20 octobre 1907. Le succès électoral n’est pas au rendez-vous, Bonenfant ne recueillant sur son nom que 74 voix sur 4.011. Cet échec ne le décourage pas. Il présente une troisième liste à côté des catholiques et du cartel libéral-socialiste aux élections législatives du 24 mai 1908. Ses 996 voix pour l’ensemble des deux arrondissements de Tournai et d’Ath ne peuvent rivaliser avec la réussite du cartel de gauche et ses 56.397 voix, ni avec les 43.216 suffrages rassemblés par les catholiques.

Le commerçant et bonnetier ne renonce pas à la lutte. En 1910, il renouvelle ses attaques contre Émile Carlier, Georges Goffin, Émile Royer et les dirigeants du POB dans une brochure, La bande à Cartouche, préfacée par un autre militant en rupture avec le parti, Armand Simoens, ancien secrétaire de la Fédération socialiste de Menin (Menen, pr. Flandre occidentale, arr. Courtrai - Kortrijk), ex-rédacteur au Vooruit (En avant) et au Volksrecht (La voix du peuple). Aux élections communales d’octobre 1911, il est candidat sur la liste de quatre ans, avec le soutien des catholiques qui n’ont pas présenté de candidat face à l’alliance libérale-socialiste. Il réalise son meilleur score sans mettre en péril la victoire du cartel : 1.477 voix sur 4.011 votes valables. Joseph Bonenfant se présente encore aux législatives du 2 juin 1912, sans succès : il obtient 856 voix sur 104.848 votes valables.

Pendant la Première Guerre mondiale, Joseph Bonenfant semble avoir adopté une attitude de résistance patriotique à l’occupant allemand. En 1919, il se targue d’avoir fait circuler des journaux clandestins ou des brochures et d’avoir entretenu, par ses propos, l’espoir de la victoire. En tout cas, il est arrêté par l’autorité occupante le 28 mai 1914, comme ami d’Hubert Lejonc (1851-1915), ancien échevin socialiste de la commune de Blicquy (aujourd’hui commune de Leuze, pr. Hainaut, arr. Tournai) et colistier de Bonenfant aux élections de 1912. H. Lejonc, résistant par les armes aux Allemands est abattu en 1915 après avoir tué sept soldats. Bonenfant consacrera une brochure à sa mémoire en 1919.

Le 20 novembre 1921, Joseph Bonenfant est à nouveau candidat aux élections législatives. Sa liste a peu de succès (1.318 voix sur 67.617 votes valables) et il ne rassemble que 205 voix sur son nom. À son retour à Ath, il reprend des activités commerciales. Il est voyageur de commerce puis fabricant de bonneterie et marchand de chaussures. Il meurt le 3 juillet 1926.

Militant socialiste résolu et courageux, Joseph Bonenfant défend avec opiniâtreté ses opinions antimilitaristes ce qui lui vaut des ennuis lors de son service militaire. Actif et dévoué, il est à la base de nombreux groupes socialistes d’Ath et de la région. Excellent orateur, il se laisse souvent aller à des déclarations violentes qui lui vaudront plusieurs condamnations judiciaires. Son caractère entier semble être à la base de sa rupture avec le POB. Vindicatif et rancunier, il maintient sa candidature à de nombreuses élections, avant tout pour ennuyer ses anciens amis politiques. Son journal et ses brochures poursuivent le même but. Joseph Bonenfant continuera la lutte jusqu’à sa mort. Ses conceptions idéologiques ne sont pas à la base de sa rupture avec le mouvement socialiste. Il s’agit principalement de rivalités personnelles. Il sait à l’occasion être opportuniste. Anticlérical violent, il se rapproche des catholiques pour ennuyer les socialistes et leurs alliés libéraux. À cette occasion, il fait baptiser ses enfants. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il manifeste un patriotisme bien conforme à l’esprit du temps.

Joseph Bonenfant a joué un rôle majeur dans la naissance du mouvement socialiste dans sa région. Il n’a pratiquement (sauf un court séjour au pays de Liège) tiré aucun profit politique ou personnel de son travail de militant. Il a sans doute souffert de son caractère entêté et vindicatif. Époux de Victoria Journé, fleuriste, il en a cinq enfants, trois fils et deux filles.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159449, notice BONENFANT Joseph. par Jean-Pierre Ducastelle, version mise en ligne le 4 juin 2014, dernière modification le 2 janvier 2020.

Par Jean-Pierre Ducastelle

ŒUVRE : La bande à Cartouche, avant-propos et conclusion par Armand Simoens, Courtrai, 1910 – À la mémoire d’Hubert-Joseph Lejonc. La dernière nuit d’un vieillard héroïque, s.l., 1919.

SOURCES : Archives de la ville d’Ath : Registres de population et de l’état civil - Archives d’Émile Carlier (recueillies par Odile Defossez-Lefrancq) – Livre d’inscription des cotisations des membres de l’Union communale socialiste d’Ath, 1899-1920 – L’Égalité, 1898 (collection privée), 1903-1914, 1919 et sv. – L’écho de la Dendre, L’indicateur, Le pays d’Ath, 1894-1914 – La lumière, 1907 (deux numéros conservés).

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