FLOTTE Benjamin [Pierre, Adrien, Louis, Benjamin] [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis]

Par Michel Cordillot

Né en 1814 à Cuers (Var), mort vers le 12 août 1888 ; cuisinier restaurateur ; organisateur de coopératives de production ; républicain et révolutionnaire se sensibilité communiste ; ami et disciple d’Auguste Blanqui ; exilé à San Francisco après 1849, puis de nouveau après la Commune.

Cet homme ouvert, franc, fraternel, mais qui était sujet aux sautes d’humeur misanthropiques, fit son apprentissage de cuisinier chez le restaurateur en vogue Véry où il avait été placé tout jeune. Il participa aux Trois Glorieuses, et fut à cette occasion blessé place du Palais Royal ; mais nul ne sait comment il devint véritablement un militant révolutionnaire.

Benjamin Flotte semble avoir été membre ou proche de la Société des amis du peuple. Il fut membre de la Société des droits de l’homme, section Phocion, du IIIe arr., mais ne semble pas avoir été inquiété à la suite des journées insurrectionnelles d’avril 1834. Le 14 septembre de l’année suivante, il fut par contre écroué à La Force pour avoir été membre de la Société des Familles et pour avoir été trouvé en possession de munitions de guerre. Il demeurait alors 5, rue de Louvois (IIe arr.). Il fut libéré dès le 2 octobre 1835 (d’après le registre d’écrou) sur décision de la Cour des pairs. Ayant rejoint la Société des saisons, il faisait sans doute partie, comme les frères Bonnefonds, du personnel de cuisine du restaurant Foy, un des lieux de rendez-vous des membres de cette organisation secrète. Il demeurait à cette époque 6, rue de la Cossonnerie (Ier arr.). Lié sans doute aussi à Dubosc, il fut accusé d’avoir pris part aux journées insurrectionnelles de mai 1839 et inculpé au procès de la Cour des pairs intenté aux accusés de la deuxième catégorie. Incarcéré pour d’autres causes, sa remise en liberté fut demandée par le ministère public dès l’ouverture du procès (15 décembre 1839) et il fut relaxé. Il resta cependant en prison car il avait été écroué le 13 juin1839 à La Force sous le coup d’une nouvelle inculpation pour détention illicite d’armes, de poudre et de munitions de guerre, et pour avoir caché chez lui un tube en fer et des tôles pouvant servir à la fabrication d’un « canon ». La police avait en outre trouvé chez son voisin de pallier une Histoire générale de la Bastille, le numéro du 22 mai 1839 du National, et des numéros de L’Intelligence lui appartenant. Son écrou à La Force fut renouvelé à l’issue du procès, le 11 janvier 1840. Condamné le 3 avril 1840 à 2 ans de prison plus 2 ans de surveillance par le tribunal correctionnel de la Seine, il fut incarcéré au dépôt des condamnés sur ordre du préfet, le 27 juin 1840.

Flotte fut transféré à la maison centrale de Doullens, où il arriva le 10 juillet. Il ne participa pas à l’évasion collective du 13 septembre 1840, mais il signa par contre la pétition du 10 octobre 1840 en faveur de Lombard. Il fut quelques mois plus tard transféré avec plusieurs co-détenus au Mont-Saint-Michel, où ils arrivèrent le 28 février 1841. Au Mont, il subit comme les autres les pires avanies. Après avoir réussi à se maîtriser durant quelque temps, Flotte se révolta, brisant ses grilles et la cloison qui le séparait de Quignot. Il fut libéré le 2 avril 1842 et reprit son métier de cuisinier restaurateur.

En 1845, Flotte était un des administrateurs élus au premier conseil de la « Compagnie des industries unies », société en commandite pour la formation de coopératives de production. Il habitait alors 43, rue Saint-Denis, à Paris (Ier arr.). Il était également franc-maçon.

Membre de la Société des nouvelles saisons, Flotte conçut en 1847 avec Lacambre et quelques autres le projet irréaliste de prendre d’assaut les Tuileries, puis réorganisa un groupe de militants en se fixant pour but de renverser le gouvernement. Mais la police ayant été alertée par une explosion survenue dans un atelier de fabrications de bombes, le mouvement fut démantelé et Flotte écopa en octobre 1847 d’une nouvelle condamnation à 15 mois de prison.

Libéré au lendemain du 24 février, Flotte participa à la manifestation du 17 mars aux côtés de Blanqui. La révolution de 1848 le mit en vedette à la fois sur le plan professionnel et sur le plan politique. C’est chez lui, rue Boucher (Ier arr.), que Blanqui habitait, et c’est là que se trouvait le siège du secrétariat de la Société républicaine centrale (dont il géra la trésorerie). Président honoraire du Club de la barrière du Maine (ou Club des cuisiniers), il fut le premier signataire de la Pétition des cuisiniers et pâtissiers aux membres de la Commission du gouvernement pour le droit au travail. En avril, il fut candidat à la Constituante sur la liste du Luxembourg, se prévalant d’une profession de foi rédigée par Blanqui. Il recueillit 31 517 voix, pas assez toutefois pour être élu.

Flotte joua un rôle important lors de la manifestation organisée le 15 mai 1848 en faveur de la Pologne. Arrêté peu après, il comparut devant la Haute Cour de Bourges. Le 5 avril 1849, il fut condamné à cinq ans de détention. Lors de la dernière audience, il prit à partie Barbès qui avait tiré argument contre Blanqui du document Taschereau : « Vous vous êtes déshonoré aujourd’hui, citoyen ! » Il fit de même afficher sur les murs de Paris un placard in-folio intitulé Les Calomniateurs démasqués. Protestation du citoyen B. Flotte, accusé devant la Haute Cour de justice séant à Bourges, dans lequel il dénonçait les machinations des membres du gouvernement provisoire et s’expliquait sur sa décision de ne pas se défendre.

Après avoir purgé sa peine à Doullens, puis au pénitencier de Belle-Île (qu’il quitta en 1854), Flotte décida de pour partir aux États-Unis. Il s’installa à San Francisco (Californie), où il put donner libre cours à ses talents de cuisinier. Il y connut un rapide succès et, en 1870, son hôtel restaurant était « de gros rapport ».

Pourtant, lorsque Blanqui, jugeant l’Empire à l’agonie, lança le signal du ralliement de ses troupes, Flotte n’hésita pas un instant (tout comme sans doute Casimir Bouis, autre blanquiste varois parti aux États-Unis). Confiant sa maison à son neveu Victor Dol (voir ce nom), il rentra à Paris peu avant la guerre franco-prussienne. Il se précipita chez Mme Antoine pour y retrouver le « Vieux » ; mais alors qu’il s’attendait à une chaude étreinte, il fut accueilli assez froidement par Blanqui, qui lui tendit la main sans même se lever. Sans doute ce dernier tenait-il rigueur à son compagnon d’une trop longue absence considérée comme une désertion dans la lutte.

Cela n’empêcha pas Flotte de reprendre toute sa place dans le mouvement révolutionnaire. Selon certaines sources, il aurait participé à la tentative de coup de main contre la caserne des pompiers de La Villette le 14 août 1870. Après le 4 septembre, il fut l’un des rédacteurs du journal de Blanqui, La Patrie en danger (7 septembre-8 décembre 1870). En tant que délégué des vingt arrondissements, il fut aussi l’un des signataires de l’Affiche rouge du 6 janvier 1871, proclamation au peuple de Paris pour dénoncer « la trahison » du gouvernement du 4 septembre et pour mettre en avant trois mots d’ordre : réquisition générale, rationnement gratuit, attaque en masse. Elle se terminait par ces mots prémonitoires : « Place au peuple ! Place à la Commune ! »

Quelques mois plus tard, Flotte fut au nombre des 43 socialistes révolutionnaires présentés aux élections du 8 février par l’Internationale, la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et la Délégation des vingt arrondissements de Paris. Il ne fut pas élu.

Le siège ayant été levé, Flotte quitta Paris le 12 février pour se rendre à Cuers, où ses affaires familiales l’appelaient. Ayant reçu le 27 mars une lettre de Tridon le pressant de revenir, il était de retour à Paris 48 heures plus tard. Le 6 avril, sur l’insistance de Tridon, il accepta de partir négocier avec Versailles au sujet de Blanqui (qui avait été arrêté le 17 mars). Flotte se rendit à la prison et offrit à Mgr Darboy sa libération et celles de son grand vicaire, du président Bonjean, de l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine, contre la remise de Blanqui. L’archevêque désigna comme messager l’abbé Lagarde. Flotte le conduisit l’abbé auprès de son supérieur, avec lequel il put s’entretenir librement, puis à la gare de Lyon ; l’abbé Lagarde, qui avait promis de revenir, resta à Versailles nonobstant l’ordre qui lui avait été envoyé le 23 avril par l’archevêque de rentrer à Paris. Le 28 avril, Mgr Darboy vit Flotte et lui fit part des interventions qui avaient été effectuées en faveur de Blanqui par l’ambassadeur américain Washburne, par le nonce du pape et par le lord-maire de Londres. Flotte s’étant proposé pour continuer la négociation, Beslay le recommanda à un prêtre breton de ses amis qui le fit introduire auprès de Thiers. Le 12 mai, Flotte se rendit à Versailles ; le 13, il vit le chef du gouvernement qui refusa de croire que les otages étaient en danger. Le lendemain, Thiers revit Flotte et lui opposa un refus absolu, persuadé que libérer Blanqui serait donner à la révolution parisienne le chef qui lui faisait tant défaut.

Après la Semaine sanglante, protégé par sa nationalité américaine, Flotte put quitter Paris. Au printemps 1872, il se trouvait dans le Var, où il tenta de faire évader du bagne de Toulon Gustave Maroteau, alors en instance de départ pour la déportation en Nouvelle-Calédonie après que sa condamnation à mort eut été commuée en déportation. L’affaire échoua de justesse car Maroteau fut surpris par un surveillant en train de lire Le Rappel aux latrines et fut placé au secret (Flotte resta en correspondance avec lui jusqu’à sa mort à l’île Nou en 1875).

Flotte quitta ensuite la France sans être inquiété. Il passa par Londres, où il laissa en dépôt à Édouard Vaillant le manuscrit de son opuscule sur la question des otages (lequel ne fut publié que 14 ans plus tard). Début octobre 1872, il était de passage à New York, comme en témoigne la publication par le Socialiste d’une lettre signée F. Benjamin (sic), dans laquelle Gambetta était sévèrement pris à parti pour avoir « demandé la tête de Blanqui ». Début décembre, il était de nouveau à San Francisco, où il participa activement à la souscription lancée au bénéfice des veuves et des orphelins des combattants de la Commune. Il s’élevait toutefois avec véhémence contre l’envoi de fonds à Greppo, qu’il considérait comme un traître suite à un malentendu.

Flotte jouissait d’un grand prestige au sein de la section locale de l’AIT, et il contribua à la gagner aux idées blanquistes. Il agissait probablement de concert avec ses amis new-yorkais, qui s’efforçaient à la même époque et conformément à un plan d’ensemble élaboré et coordonné depuis Londres, de prendre le contrôle de ce qui restait de l’AIT à partir des sections francophones.

Lorsque l’évasion de Henri Rochefort et de ses cinq compagnons des bagnes de Nouvelle Calédonie fut connue et leur arrivée à San Francisco annoncée, une commission chargée d’organiser leur accueil et de collecter des fonds pour leur permettre de poursuivre leur route vers l’Europe via New York fut constituée et Flotte en fut élu président le 16 avril 1874. Il fit à ce titre à Jourde et à Grousset le « plus fraternel accueil ».

Durant toutes ces années, Flotte garda le contact avec les blanquistes new-yorkais. Ainsi, le 30 mars 1876, lors de la réunion extraordinaire de la société des réfugiés de la Commune qui se tint à Husch’s Hall, à New York, pour statuer sur la proposition d’exclusion définitive des frères Gustave et Élie May, Jules Thomas donna lecture d’une lettre de Flotte très sévère à l’égard des deux frères. L’année suivante, ce fut encore vraisemblablement lui qui adressa depuis San Francisco au Labor Standard de New York une correspondance concernant la question de l’échange des otages (17 mars 1877). Flotte resta par ailleurs durant toute cette période en contact épistolaire avec Ernest Granger et Édouard Vaillant.

Après le vote de l’amnistie, Benjamin Flotte rentra en France à une date non précisée. Il était en tout cas à Paris en 1883, puisqu’il fut élu cette année-là président de la Ligue pour l’abolition de l’armée permanente. En 1885, il habitait 18 Place d’Italie. Malade, il se retira en 1886 dans son Var natal, où il mourut autour du 12 août 1888, dans la semaine qui suivit la mort du « général » blanquiste Eudes. Ses obsèques furent l’occasion d’une imposante manifestation, qui vit se déployer une forêt de drapeaux rouges dans le petit village du Var.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159627, notice FLOTTE Benjamin [Pierre, Adrien, Louis, Benjamin] [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis] par Michel Cordillot, version mise en ligne le 8 juin 2014, dernière modification le 10 juillet 2019.

Par Michel Cordillot

ŒUVRES : Flotte a raconté l’échec des négociations entre Versailles et la Commune pour l’échange de l’archevêque de Paris contre Blanqui dans une brochure intitulée Blanqui et les otages en 1871, documents historiques, Paris, impr. de Jeannette, 1885, in-8°, 31 pp. (Bibl. Nat., 8° Lb 57/8743).

SOURCES : Arch. Nat., CC 728, n° 461. — Arch. PPo, Aa/428. — Arch. Dép. Paris (Seine), registres d’écrou DY/4 28-11020 ; DY/4 47-4654 ; DY/4 49-6673. — Le Socialiste, 6 octobre 1872 entre autres. — Courrier de San Francisco, 19 avril 1874. — François Jourde, Souvenirs d’un membre de la Commune, Bruxelles, Kistemaeckers, 1877. — Chincholle, Les Survivants de la Commune, Paris, 1885. — Jean Gaumont, Histoire générale de la Coopération en France, Paris, FNCC, 1924, t. I, p. 225-226. — Wladimir Martel, Mes Entretiens avec Granger, lieutenant de Blanqui, Paris, MCLP, 1939. — Maurice Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire à la fin du Second Empire, Paris, A. Colin, 1970. — Maurice Dommanget, Les Idées politiques et sociales d’Auguste Blanqui, Paris, Rivière, 1957. — Maurice Dommanget, Blanqui, la guerre de 1870-71 et la Commune, Paris, Domat, 1947. — Maurice Dommanget, Édouard Vaillant, Paris, La Table-Ronde, 1956. — Maurice Dommanget, A. Blanqui et la Révolution de 1848, Paris, 1972. — Michel Cordillot, « Les Blanquistes à New York », Bulletin de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848, Paris, 1990. — L.-A. Blanqui, Œuvres, vol. I. « Des origines à la Révolution de 1848 », textes présentés par Dominique Le Nuz, Nancy, Presses Universitaires, 1993. — Notes de P.-J. Derainne et J. Risacher. — CDRom Maitron — Témoignages de Paul Reybaud et René Merle.

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