CARON Charles [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis]

Par Michel Cordillot

Né en France (?) à une date inconnue, mort le 6 juillet 1895 à San Pedro Sulas (Honduras) ; membre du Club international et républicain (1871), puis co-fondateur de la section française n° 15 de l’AIT à La Nouvelle-Orléans ; rédacteur de La Commune (1871-1873) ; socialiste néo-fouriériste ; tenta de fonder une colonie socialiste agricole au Honduras.

On ignore où naquit Charles Caron.Toutefois, dans un au moins des articles parus dans La Commune, il faisait référence de manière assez précise aux événements survenus à Rouen le 23 avril 1848. Or, il se trouve que l’un des ouvriers condamnés pour émeute à cette même occasion était un certain Félix Caron, 44 ans, peintre, ancien conseiller municipal de Rouen (le même fut de nouveau condamné au bannissement au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851). Il est donc tentant d’imaginer qu’il pouvait y avoir un lien de parenté, mais cela n’a pas pu à ce jour être vérifié. On sait seulement que Caron s’installa à La Nouvelle-Orléans (Louisiane) avant la guerre de Sécession, puisque la première mention retrouvée de son nom figure dans le City Directory (annuaire) de la ville pour l’année 1861 : il y est désigné comme étant le maître d’une école privée sise 192 rue Dauphine. Plus tard il déménagea pour s’installer au 240 & 242 rue Ramparts (1866), puis au 162 rue Ramparts (au coin de la rue Orleans), adresse où il résida apparemment jusqu’à son départ définitif pour le Honduras en 1875.

Membre du Club international et républicain qui organisa en 1870 un banquet pour célébrer l’anniversaire de la Révolution de 1848 (avec pour objectif de régénérer dans le Sud l’idée de République universelle), il s’imposa dès sa « réouverture » (30 avril 1871) comme l’une des principales figures du mouvement socialiste francophone de La Nouvelle-Orléans. Élu président du Club le 7 mai, il avait rédigé son premier appel, qui se concluait ainsi : « La révolution parisienne est la cause du travailleur de tous les pays (…) Vous tous donc qui voulez vivre de votre travail, et en vivre honorablement, ralliez vous au Club international et venez soutenir la Commune de Paris. » Des dissensions apparurent bientôt entre les membres du Club, qui étaient violemment pris à partie par la presse locale. Charles Caron devint alors le porte-parole de la fraction pro-communaliste du club, qui était largement majoritaire parmi les adhérents. Ayant remplacé Charles Testut (voir ce nom) au poste de secrétaire-correspondant au début du mois de juin, Charles Caron écrivit à Hermann Jung à Londres pour lui faire savoir que le Club « avait été lancé avec toutes les chances de succès et qu’il désirait établir des relations avec l’Association Internationale des Travailleurs. » Sa lettre fut lue au cours de la réunion du Conseil général qui se tint le 25 juillet 1871, et quelques jours plus tard Karl Marx en personne répondit à Caron pour lui faire savoir que le Club avait été admis en qualité de section de l’AIT, et qu’il devrait en conséquence s’affilier auprès du Comité central pour les États-Unis. Il joignait à sa lettre plusieurs brochures, y compris son Adresse sur la guerre civile en France et un exemplaire des statuts de l’AIT. À la fin du mois d’août, le Club international de La Nouvelle-Orléans était officiellement devenu la section française n° 15 de l’AIT aux USA.

Devenu la bête noire de la réaction locale, Charles Caron défendit courageusement ses convictions, contre-attaquant même par la publication dans L’Équité d’une lettre mordante que L’Abeille avait refusé de publier. Cela amena d’ailleurs le directeur de cette dernière feuille à provoquer Caron en duel, duel refusé par ce dernier.

Charles Caron eut simultanément à faire face à l’hostilité du Dr Charles Testut. La principale cause de désaccord entre eux — outre les ambitions personnelles du Dr Testut — semble avoir été les penchants marqués de ce dernier pour le spiritisme. La dispute tournant à l’aigre, le Dr Testut commença à se rétracter sur le soutien qu’il avait initialement apporté aux communards, avant de provoquer à son tour en duel Charles Caron, duel qui fut là encore refusé. Mais la lutte avec Charles Caron, qui avait de toute évidence le soutien d’une large majorité des membres de la section 15, était trop inégale pour le Dr Testut, et elle s’acheva par la disparition de L’Équité, qui cessa de paraître en septembre 1871.

Le rôle éminent joué par Charles Caron dans l’Internationale fut confirmé par sa reconduction au poste de secrétaire-correspondant de la section 15, tandis qu’il assumait dans le même temps la fonction de rédacteur de la feuille socialiste locale, La Commune, rôle qu’il devait continuer de jouer jusqu’à la disparition de cette publication fin 1873. Au fil des mois, Caron fut à la pointe de presque toutes les activités de la section 15, notamment la création à La Nouvelle-Orléans de nouvelles sections de l’AIT (une deuxième section Française et une section Américaine ; en revanche, les tentatives de former trois autres sections – espagnole, italienne et allemande – ne semblent pas avoir abouti), l’organisation de réunions publiques, ou encore le lancement d’un fonds financier d’aide aux victimes du Grand Incendie de Chicago (novembre 1871). Charles Caron fut encore l’un des correspondants de l’Agence de renseignement pour les travailleurs, une tentative rapidement vouée à l’échec de mettre en place un bureau d’information destiné à aider les immigrés nouvellement arrivés en Amérique.

Mais avant toute autre chose, Charles Caron s’efforça de promouvoir la fondation d’une communauté agricole inspirée des théories de Charles Fourier. Dès janvier 1872, alors que l’Internationale américaine se déchirait en factions rivales, La Commune rendit public un projet élaboré de colonie agricole internationaliste, dont l’auteur n’était autre que Caron lui-même. À bien des égards original, ce projet portait à la fois la marque de l’influence des théories sociétaires et des leçons tirées de l’échec de Victor Considerant au Texas. L’idée maîtresse de Caron était d’associer les sections américaines de l’AIT en tant que telles à la fondation d’une colonie où serait tentée une expérience grandeur nature d’organisation du travail sur des bases nouvelles (avec quand même un certain nombre de garde-fous). L’accent était en outre mis sur le fait que le succès d’une telle expérience « ferait plus pour la diffusion et le triomphe de nos idées que toute polémique, grève, agitation. » Les statuts de la société furent publiés par La Commune en mars 1872, et des correspondants furent nommés dans différentes villes, parmi lesquels Henri Delescluze, désigné comme correspondant de la société à New York. L’étape suivante fut la demande adressée par la section 15 au Congrès de l’État de se voir accorder un Bill of Incorporation qui donnerait aux Internationaux le droit d’acheter, de posséder et de gérer un domaine foncier en Louisiane. Tout naturellement, Charles Caron en était le premier signataire.

Entre mars 1872 et janvier 1873, La Commune suspendit sa publication. Il semble en fait, à lire la longue lettre qu’il adressa durant l’été au Socialiste de New York, que Charles Caron se soit accordé le temps de la réflexion afin de méditer sur l’organisation de la société future. Quand La Commune reparut en janvier 1873, sur deux pages au lieu de quatre, ce fut pour annoncer qu’une Société socialiste de colonisation avait été formée, laquelle devait ensuite tenir ses réunions au domicile de Caron (tout comme la section française n° 2, qui y tenait également ses réunions privées). Les préparatifs se poursuivirent tout au long de l’année. En août et septembre, Caron annonça qu’un philanthrope venait de faire don d’un terrain et que quatre familles étaient d’ores et déjà prêtes à sauter le pas.

En fait, ou peut se demander si, à La Nouvelle-Orléans, une scission de fait n’était pas intervenue au sein de l’Internationale, entre la section dirigée par Charles Caron, dont le but principal était la création d’une colonie socialiste, et celle dirigée par Xavier Benezech. Sans jamais se désolidariser publiquement du projet de cette dernière visant à explorer la possibilité de former un parti ouvrier afin de promouvoir l’action politique, ou de la démarche visant à rétablir officiellement les liens avec le Conseil général « centraliste » de New York (mai 1873), Charles Caron se consacra presque exclusivement à l’établissement de sa colonie socialiste. Il s’efforça seulement par ailleurs de mettre sur pied une société de libres-penseurs (on peut trouver trace de sa profonde aversion pour le catholicisme dans deux articles qu’il fit paraître dans La Commune les 17 octobre 1871 et 27 décembre 1873, intitulés « De l’enseignement de la religion dans les écoles » et « Consécration du diocèse de La Nouvelle-Orléans à Notre-Dame de Lourdes »).

Au printemps 1874, Charles Caron se rendit à San Francisco (Californie), peut-être pour y rencontrer un groupe d’anciens Icariens membres de l’AIT avec lesquels il était en contact. À l’occasion de ce voyage, il assista au meeting organisé par les socialistes français de cette ville (voir Benjamin Flotte) pour accueillir François Jourde et Paschal Grousset, deux communards qui s’étaient évadés de Nouvelle-Calédonie en compagnie d’Henri Rochefort. Il les salua au nom de La Commune et, si l’on en croit la presse locale, il aurait déclaré dans son discours que « les principes [de la Commune] étaient élevés, purs, et honorables, et que dans cet exemple résidaient les seuls espoirs du républicanisme authentique, non seulement en France, mais dans le monde entier. »

Charles Caron avait pourtant dès cette époque arrêté ses priorités. À mesure qu’il se détournait des questions relevant de l’action politique ou syndicale immédiate, il s’efforçait de nouer d’autres contacts, en particulier par l’intermédiaire du journal publié par Jules Leroux, L’Étoile du Kansas et de l’Iowa. Dans une lettre à Leroux, Caron se présentait ainsi : « Je ne suis qu’un monomane qui, hors l’idée de colonie socialiste agricole, dont je suis possédé, ne comprend plus rien (…) Les esprits justes et sains du parti socialiste ne sauraient trop travailler à abattre le communisme qui, comme l’ivraie mêlée au bon grain, menace d’étouffer ce que les nouvelles doctrines ont de bon. »

Le dernier acte militant de Charles Caron à La Nouvelle-Orléans fut d’adresser la somme de 7,25 dollars au comité new-yorkais chargé de recueillir des fonds pour les déportés de Nouvelle Calédonie début janvier 1875.

Le 24 février 1875, il écrivit à Benoît Hubert à New York pour lui annoncer son départ imminent pour le Honduras, afin d’y jeter les bases d’une colonie agricole socialiste. Dans l’immédiat, il envisageait de se consacrer à la culture des ananas, qui seraient ensuite vendus en Europe sous la forme de fruits confits. Le 3 mars, il quitta définitivement La Nouvelle-Orléans avec sa femme et ses enfants, en compagnie d’un autre International partageant ses vues, Auguste Simon (voir ce nom), lui aussi ex-membre de la section 15. Comme il devait l’admettre plus tard, Charles Caron quitta les États-Unis parce qu’il avait progressivement perdu tout espoir de voir ses plans de communauté socialiste se matérialiser dans ce pays, et il avait par conséquent opté pour ce qu’il considérait être « la vie la plus heureuse et la plus digne », celle de fermier.

Quelques semaines après son arrivée au Honduras, la correspondance de Charles Caron respirait l’optimisme ; quelques mois plus tard, en dépit du fait qu’Auguste Simon, malade et déçu, était reparti pour La Nouvelle-Orléans, il restait confiant. Il admettait toutefois que les candidats à la colonisation devraient commencer par affronter quelques années difficiles. Il avait aussi eu la surprise agréable de découvrir à quelques lieues de sa propre résidence, un petit village fondé par des réfugiés de la Commune, qui avait été baptisé par les indigènes « La Communardière ». Sa dernière lettre publiée dans les colonnes du Bulletin de l’Union républicaine à la veille de la disparition de ce dernier fut pour contredire l’image négative du Honduras qu’avait donnée son ancien associé, et pour réaffirmer sa volonté de continuer à travailler à l’établissement d’une communauté socialiste.

Au printemps 1878, Charles Lévy et Arsène Sauva, deux anciens communards qui avaient rejoint la colonie icarienne de l’Iowa, décidèrent de former une "Union sociale" dans le but de solidariser les diverses communes sociales existant aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Charles Caron, avec qui Ils étaient en contact et qui résidait alors Via St-Thomas, à Puerto Cortes (Honduras), accepta de figurer parmi les correspondants habilités à recevoir des adhésions en attendant la constitution définitive du Comité exécutif. Mais l’affaire resta apparemment sans suite, probablement à cause de la scission survenue en Icarie.

Charles Caron ne devait plus jamais quitter le Honduras. Qu’advint-il de ses projets ? On l’ignore ; on sait seulement qu’il mourut à San Pedro Sulas le 6 juillet 1895. Preuve qu’il n’était pas totalement oublié en Louisiane, son décès fit l’objet d’une brève mention dans la rubrique nécrologique du New Orleans Daily Picayune.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159709, notice CARON Charles [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis] par Michel Cordillot, version mise en ligne le 9 juin 2014, dernière modification le 12 février 2022.

Par Michel Cordillot

SOURCES : La Commune (La Nouvelle-Orléans), 1871-1873, passim. — Le Socialiste et le Bulletin de l’Union républicaine (New York), 1871-1876, passim. — San Francisco Chronicle, 25 mai 1874. — L’Étoile du Kansas, 1er novembre 1874 entre autres. – Le Socialisme progressif, 1er avril 1878. — New Orleans Daily Picayune, 25 août 1895. — Pascal Duprat, Les Tables de proscription de Louis Bonaparte et de ses complices, Liège, Redouté, 1852, vol. 2, p. p. 218. — Michel Cordillot, « Le Socialisme francophone néo-fouriériste après Réunion : Charles Caron et la section 15 de l’Internationale à La Nouvelle-Orléans », Cahiers Charles Fourier, n°4 (1993), p. 129-142.

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