CAUSSIDIÈRE Marc [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis]

Par Michel Cordillot

Né le 17 mai 1807 à Genève, mort à Paris le 27 janvier 1861 ; fils d’un soldat d’Égypte ; démocrate-socialiste ; préfet de police de Paris en 1848 ; animateur de la Commune révolutionnaire à Londres (1853), envoyé aux États-Unis à des fins de propagande. Installé comme marchand de vins, il se désintéressa progressivement de l’action révolutionnaire.

Ouvrier de la soierie puis courtier en marchandises, Marc Caussidière se trouvait tantôt à Lyon tantôt à Saint-Étienne (Loire), mais plus souvent sans doute dans cette dernière ville où il demeurait, rue Saint-Louis. Ainsi, au début d’avril 1833, exposa-t-il dans cette ville ses habits de garde national et le portrait de Louis-Philippe, avec l’inscription « À vendre pour payer les impôts », ce qui provoqua un attroupement considérable. On sait d’autre part qu’il avait participé aux manifestations lyonnaises de juillet 1830 et au soulèvement de novembre 1831. Toujours à Saint-Étienne, le 21 février 1834, il animait la manifestation qui chantait dans les rues « la Marseillaise et autres chants aux hideux souvenirs », selon les termes de la presse stéphanoise. Après que la police eût procédé à plusieurs arrestations, une échauffourée se produisit aux abords de la prison et un agent de police fut tué d’un coup de poignard, tandis qu’un autre était blessé. Marc Caussidière fut arrêté et accusé du meurtre de l’agent, puis relâché faute de preuve. À Lyon et à Saint-Étienne, en avril 1834, il exerça également un commandement. Mais c’est à Lyon qu’il fut arrêté, le 22 avril. Son frère était tombé près de lui, blessé à mort en défendant l’arsenal des insurgés.

Figurant parmi les 164 prévenus du Procès d’avril, Marc Caussidière arriva sans doute avec les Lyonnais dès le 27 mars 1835, puisqu’il fit partie du comité de défense choisi par les accusés qui devait désigner les défenseurs. Il n’entra à Sainte-Pélagie que le 15 octobre 1835, ayant fait un séjour dans la maison de santé du sieur Perdreau, et fut transféré à la prison du Luxembourg le 8 décembre 1835, pour comparaître devant la Cour des pairs. Il fut condamné, le 28 décembre 1835, à vingt ans de détention et à la surveillance à vie. Après un court séjour à Bicêtre, il fut incarcéré à Doullens (Somme).

Amnistié en mai 1837, il publia de façon anonyme le Tableau synoptique des Accusés d’Avril jugés par la Cour des pairs (5 mai 1835-22 janvier 1836) et se consacra à la propagande démocratique tout en exerçant son métier de courtier en marchandises ; il fut membre de la Société des Saisons et ajouta des éléments de socialisme, convaincu qu’il était que la République ne serait rien sans une amélioration du sort des classes laborieuses.

A partir de 1843, tout en conservant des liens avec les Nouvelles Saisons, Marc Caussidière fut à la fois rédacteur à La Réforme de Ledru-Rollin et commis-voyageur du journal en province. Il y proposa des mesures immédiates pour la prévention des maladies dans la classe ouvrière et pour l’assistance aux malades et aux vieillards.

Désigné par le maire de Paris, et membre du Gouvernement provisoire, Garnier-Pagès, comme délégué provisoire à l’administration de la police de la Seine, c’est-à-dire comme préfet de police, Caussidière devait cette promotion au rôle qu’il avait joué sur les barricades depuis la nuit du 22 au 23 février, et notamment à son action offensive contre la préfecture de police dont il s’était emparé. Il embaucha sous le nom de Montagnards des membres des sociétés secrètes, et fit, comme il le déclara ensuite « de l’ordre avec du désordre ». Paris, sous son administration vit diminuer les crimes et les délits de droit commun ; il empêcha les attroupements des chômeurs qui accouraient à Paris vers les Ateliers nationaux. Le 1er avril 1848, dans une circulaire adressée à tous les commissaires de police de son ressort, il s’efforçait de prévenir les provocations dont pourraient être victimes les ouvriers : « Je suis informé, disait-il, que des rassemblements tumultueux se portent sur divers ateliers pour contraindre, par la violence, sous des prétextes plus ou moins spécieux, les ouvriers tranquilles à abandonner leurs travaux et à se joindre à eux (sic) pour aller ailleurs exciter de nouveaux désordres. Ces manifestations compromettent les intérêts du commerce et de l’industrie et constituent un attentat contre la liberté individuelle et la sûreté des propriétés. Il est important de les réprimer dans le principe, afin d’empêcher que les groupes de malintentionnés se recrutent (sic) des oisifs qu’ils pourraient rencontrer sur leur chemin. »

Le 16 avril 1848, Caussidière se dévoua encore pour le gouvernement. Le 23 avril, il fut élu représentant dans le département de la Seine, le vingtième sur trente-quatre, par 133 775 suffrages (inscrits : 399 191 ; votants : 267 888). La Commission du Pouvoir exécutif le confirma dans ses fonctions. Il se rendait compte que les anciens partis dynastiques étaient en train de reprendre l’avantage et sa situation devenait délicate. À la demande de la Commission du Pouvoir exécutif, en date du 3 mai, il surveillait Blanqui, contre qui le procureur de la République avait lancé un mandat, provisoirement non mis à exécution. Le 14 mai, il adressait des rapports circonstanciés à la Commission du Pouvoir exécutif et au président de l’Assemblée, au sujet de la manifestation, qui se préparait pour le lendemain et dont il assurait qu’elle serait pacifique, pourvu qu’on ne fît pas battre le rappel.

Le 15 mai, partagé entre ses opinions favorables au moins aux objectifs de soutien de la Pologne, qui étaient ceux des émeutiers, et sa tâche de préfet de police en même temps que de député de la Seine à l’Assemblée constituante, Marc Caussidière ne fit pas grand-chose. Immédiatement attaqué par la droite de l’Assemblée qui se dressa contre les républicains de la veille, considérés par elle à priori comme responsables d’événements tels que ceux du 15 mai, il fut trahi par la Commission du Pouvoir exécutif qui dirigeait le gouvernement, privé de ses Montagnards, isolé dans sa préfecture, acculé à démissionner comme préfet de police et comme représentant (17 mai). Réélu triomphalement aux élections partielles du 11 juin, premier de tous les représentants de la Seine, ayant gagné des voix par rapport au 23 avril et ayant certainement bénéficié de suffrages de conservateurs qui lui savaient gré d’avoir fait régner, de février à mai, l’ordre dans Paris, Caussidière fut poursuivi à la fin d’août, à la demande de la droite de l’Assemblée, comme complice des Journées ouvrières de Juin, en même temps que Louis Blanc.

Marc Caussidière s’exila alors en Angleterre et vécut quelque temps à Jersey. Jugé par contumace par la Haute Cour de Bourges, du 7 mars au 2 avril 1849, il fut condamné à la déportation. À Londres, il subsista comme courtier en vins et eaux-de-vie de France et devint l’un des fournisseurs attitrés de l’aristocratie britannique. En 1853, avec Boichot et Félix Pyat, il participa à la fondation de la Commune révolutionnaire, dont il signa la Lettre au Peuple français. En juillet 1853, il fut impliqué dans le procès que le gouvernement impérial ouvrit contre la Commune révolutionnaire. Par contumace encore, les assises de la Seine lui infligèrent dix ans de prison, 6 000 francs d’amende et dix ans de surveillance.

Peu près, Caussidière partit aux États-Unis pour y placer des bons de soutien à 1 franc émis par la Commune révolutionnaire. Avait-il décidé à l’avance de rester aux États-Unis pour tenter de se lancer dans les affaires ? Ce n’est pas impossible puisque lors de son arrivée, qui avait produit une grande sensation au sein de la communauté francophone, il refusa que soit organisé le banquet prévu en son honneur, déclarant qu’il était venu aux Etats-Unis pour y vendre son vin, non pour faire de la politique. Néanmoins, dès septembre 1853, il faisait partie à New York du comité provisoire démocratique qui s’affairait à préparer les statuts de la future Société de la République universelle (fondée le 8 octobre).

Il participa au banquet organisé par la SRU le 24 février 1854 à New York pour célébrer l’anniversaire de la Révolution de 1848. Il y prononça un toast « Aux martyrs de la Démocratie » et poursuivit son toast par une allocution plaidant pour l’union parfaite des républicains et leur résurrection par l’exil.

Élu membre en août 1854 du comité de direction de l’Imprimerie démocratique française installée dans les locaux de la SRU 80, Leonard str. (de même que : Arpin, Baron, Écharte, Forbes, Frey, Gerdy, Martinache, Mercier, Raszewski, Ricateau, Rodriguez, Vogeli). Il résidait alors 15 Beaver street.en septembre 1854, il participa à New York à la manifestation de rue organisée par la Section de la Montagne de la SRU en vue de célébrer l’anniversaire du 22 septembre et prit la parole au meeting qui suivit. Il prononça notamment les paroles suivantes : « Avant 1792 un homme n’était rien car le roi était tout. Après le 22 septembre, l’homme se trouva tout à coup transformé ; délivré de toutes les chaînes qui l’enlaçaient, il devint digne de lui-même. Nous célébrons cette grande date que l’on considèrera un jour comme le point de départ de la liberté du monde ! »

Il fit également quelques tentatives pour approcher la direction du Courrier des États-Unis, mais sans succès. Son enthousiasme politique s’amenuisa rapidement, et il prit progressivement ses distances avec le mouvement républicain. En 1855, il ne participa pas à la fête commémorative de la Révolution de février 1848. Selon le consul de France à New York, il s’était fait excuser, tout en faisant connaître son « parti irrévocablement pris de ne plus s’occuper de politique active. » Les républicains en exil restaient toutefois attentifs à ses faits et gestes, puisque L’Homme daté du 29 mars 1856 reprit une lettre de protestation qu’il avait adressé au Daily News de Londres pour fustiger l’attitude ignoble de la police lors de l’enterrement de sa mère. Il se trouvait alors à Londres pour affaires, et repartit peu après aux Etats-Unis, où il semblait définitivement installé.

Ses affaires ne suffirent toutefois pas à le dissuader de profiter de l’amnistie de 1859 pour rentrer en France.

Le prestige de Caussidière auprès des républicains et des socialistes opposants à l’Empire ne disparut pas avec sa mort, survenue en janvier 1861, puisque quelques mois après son décès, dans le courant de 1862, Auguste Vermorel lançait dans la Jeune France un appel à toutes les nuances de l’opposition de gauche à suivre le convoi funèbre destiné à réunir les restes de Mme Caussidière mère avec ceux de son fils.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159715, notice CAUSSIDIÈRE Marc [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis] par Michel Cordillot, version mise en ligne le 9 juin 2014, dernière modification le 9 juin 2014.

Par Michel Cordillot

ŒUVRES : Tableau synoptique des accusés d’avril jugés par la cour des pairs, Lyon, imprimerie de Boursy fils, 1837 (Arch. Nat. BB 30/294, Bibl. Nat. in-4° Lb 51/24984). — Mémoires, Londres, 1848, dont on trouve plus facilement dans le commerce du livre d’occasion une contrefaçon belge de 1849 en deux fascicules de format in-18, qui pénétraient en fraude en France et eurent beaucoup de lecteurs républicains jusque sous l’Empire. — Plusieurs brochures de propagande furent publiées par Caussidière et Félix Pyat à Londres, à l’intention de la France.

SOURCES : Arch. Nat., BB18/1452, A3846.— Archives du Ministère des Affaires étrangères. — Genève, Archives de l’État, état civil. — Arch. Dép. Loire, 10 M 21, 92 M 2, — Arch. Dép. Rhône et Arch. Mun. de Lyon. — Arch. Dép. Paris (Seine), registres d’écrou, D Y 8/9-2133 et D Y 4/30-396. — Arch. PPo, Aa/427, 428, 434 et Da/239. — Cour des pairs, Affaire du mois d’avril 1834. Rapport fait à la Cour des pairs par M. Girod (de l’Ain), Imprimerie royale, Paris, 1834-1836. — Divers journaux de Saint-Étienne, le Mercure ségusien, 2 janvier 1836, février-juin 1848. — Le Mémorial judiciaire, 4 mars 1848. — L’Avenir républicain, 8 avril 1849. — Revue de l’Ouest, 30 septembre 1854. — Grande Encyclopédie, Ladmirault et Cie, s.d., 31 vol. — A. Robert, E. Bourleton, G. Cougny, Dictionnaire des Parlementaires français, 1789-1889, Paris, Borl, 1891. — I. Tchernoff, Le Parti républicain au coup d’État et sous le Second Empire, Paris, Pedone, 1901, rééd. 1906. — Cour des pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983. — CDRom Maitron. — Charles Clerc, Les Républicains de langue française aux Etats-Unis, 1848-1871, Thèse, Univ. Paris XIII, 2001, p. 192-93, 195, 255, 257, 264.

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