Par Michel Cordillot
Né à Noisy-le-Grand (Seine-et-Oise) le 20 juillet 1823, mort le 22 mars 1892 à Neuilly-sur-Seine (Seine, Hauts-de-Seine) ; ouvrier typographe, puis instituteur ; disciple de Pierre Leroux dont il était un des gendres ; membre de la colonie de Jules Leroux à Neuchatel (Kansas) à la fin des années 1860.
Séduit par la Doctrine de l’Humanité, Auguste Desmoulins rejoignit Pierre Leroux à Boussac (Creuse) en 1845, et il figura au nombre des fondateurs de la colonie agricole et de l’imprimerie sociétaire qui éditait la Revue sociale, ou Solution pacifique du progrès. Il travailla aussi pour L’Éclaireur de l’Indre (1847-1848).
En 1848, après que Pierre Leroux, élu à la Constituante, fût parti pour Paris, Auguste Desmoulin reprit la direction de l’imprimerie de Boussac avec l’autre gendre de Pierre Leroux, Luc Désages.
Auguste Desmoulins organisa en février 1849 la célébration à Huriel (Allier), de l’anniversaire de la République par un banquet auquel assistaient 1 200 paysans de la Marche (Creuse et Allier).
Luc Désages et Auguste Desmoulins furent arrêté le 20 juillet 1849 à propos de la fermeture, à Lyon, le 15 juin 1849, des magasins des Travailleurs unis et de l’Association des industries réunies. Ils furent ensuite conduits de Boussac à Lyon, de gendarmerie en gendarmerie, en passant par Thiers, à pied puis en charrette, les mains liées et les pieds enchaînés l’un à l’autre avec leurs compagnes respectives. Ce voyage dura un mois.
Pierre Leroux envoya, le 24 septembre 1849, une lettre au bureau de l’Assemblée législative au sujet de ces arrestations et de ces sévices. Un mois plus tard (22 octobre), il évoquait toute l’affaire devant l’Assemblée, appuyé par le député de la Haute-Vienne, Théodore Bac. Le ministre Odilon Barrot fit une réponse évasive. Luc Désages et Auguste Desmoulins furent acquittés par le second conseil de guerre de Lyon.
Quelques mois plus tard, alors qu’il travaillait à Paris chez l’imprimeur Gerdès, 16 rue Saint-Germain-des-Prés, Auguste Desmoulins se disait « professeur ». Membre des comités démocrates socialistes pour les élections de 1850, puis de la commission intérimaire, il fut poursuivi, avec d’autres, suite à la publication dans La Voix du Peuple d’une pétition contre la loi du 31 mai ; il fut acquitté le 22 juillet 1850. Il demeurait alors au Panorama-des-Champs-Élysées. En 1850, il publia dans la Revue sociale ses souvenirs sur la vie de l’association de Boussac, un des rares témoignages disponibles sur ce que fut la réalité du mouvement. En novembre 1850, il suivit, toujours pour la Revue sociale, les débats du procès intenté aux membres de l’« Union des associations de travailleurs » de la rue Michel-le-Comte. En octobre 1851, moins de deux mois avant le coup d’État, il participa à une nouvelle tentative d’organisation des associations ouvrières. Une société en nom collectif, dite Société de la Presse du travail, tenta de fonder un journal intitulé L’Association, Moniteur du travail et des corporations industrielles, artistiques et scientifiques. Elle entendait, également, créer une « véritable bourse du travail » et fonder des bazars dans tous les centres urbains. En fait, il s’agissait d’un projet d’union des associations déjà existantes ou à fonder, par l’intermédiaire d’un organisme central de propagande, d’action, de coordination. Fut ainsi mis sur pied un Conseil social composé d’une vingtaine d’ouvriers de diverses associations, sans doute le Comité de « La Presse au travail », parmi lesquels Aillaud, Pierre Wahry, Auguste Desmoulins, devant qui serait responsable une commission centrale de trois membres (Joseph Panet, Auguste Desmoulins, V. Langrand), chargée de diriger la société. Le coup d’État devait mettre fin prématurément à cette initiative. La nouvelle union avait eu son siège social d’abord au bureau de la Presse du travail, 13 rue des Jardiniers, puis, 27 rue Saint-André-des-Arts. Il n’est pas impossible qu’Émile de Girardin ait songé à mettre la dernière page de son journal à la disposition de la Presse du travail.
Le 3 décembre 1851, un Comité central des corporations (probablement identique à la Société de la Presse du travail et à la Nouvelle Union), dirigé par Jules Leroux, Auguste Desmoulins et Gustave Naquet, publia un manifeste énergique appelant le peuple ouvrier à prendre les armes contre le « nouveau César ». En février 1852, on rechercha vainement Desmoulins, qui avait fait par contumace l’objet d’une décision de transportation à Cayenne.
Auguste Desmoulins avait en fait rejoint à Jersey son maître Pierre Leroux (dont il avait épousé la troisième fille, Juliette). Membre de l’Union socialiste, créée à Londres par Leroux, Louis Blanc et Cabet en 1852, il siégea dans son Conseil ; il était également Franc-maçon (il avait été initié à Paris à la « Rose du parfait silence ») et appartenait à l’ordre des Philadelphes, dont on sait le rôle qu’il allait jouer dans la fondation de l’AIT.
Dès 1859, Auguste Desmoulins avait le regard tourné vers les États-Unis. Il écrivait en effet à cette date : « Le socialisme en Amérique fait des progrès qui nous remplissent de joie et d’espoir. Là, comme en Russie, l’idée nouvelle vient aider à résoudre les questions simenaçantes de l’esclavage et de la propriété. » Aussi, lorsque Jules Leroux (voir ce nom) décida en 1867 de partir pour les États-Unis avec d’autres membres de sa famille pour s’installer comme fermier dans le Mid-west en profitant des dispositions du Homestead Act et y créer une colonie agricole communautaire, Auguste Desmoulins sauta le pas et fut du voyage. Membre de la colonie socialiste de Neuchatel (Kansas) depuis ses débuts, il y resta environ trois ans.
Vers 1870, Auguste Desmoulins était de retour à Paris. Après son retour, il collabora à La Vérité de Portalis et à L’Homme de Louis Marétheux (devenu, le 18 mars 1871, L’Homme libre). Ce fut lui qui prononça l’éloge funèbre lors des obsèques de Pierre Leroux au cimetière Montparnasse le 14 avril 1871.
En 1873, Auguste Desmoulins participa à une réunion de délégués des syndicats et des coopératives, en vue de la création d’une société coopérative anonyme, à personnel et capital variables, dont le but était de fonder le crédit mutuel parmi les travailleurs et de créditer les sociétés coopératives existantes. En 1876, il créa une bibliothèque coopérative dans le XVIIe arrondissement. En octobre 1876, il fut délégué de la Société pour l’extension de l’éducation libre au Congrès ouvrier de la salle d’Arras, à Paris, avec Joseph Barberet (délégué de la Bibliothèque coopérative du XVIIe arrondissement) dont il partageait les conceptions coopératives et corporatives. Il fut désigné par le Congrès comme rapporteur de la question de l’enseignement professionnel.
En juillet 1880, Auguste Desmoulins assista en qualité de délégué du syndicat des instituteurs et institutrices libres, au Congrès ouvrier socialiste révolutionnaire de la région du centre. Il proposa de réaliser le programme de l’éducation intégrale en transférant à l’Instruction publique les 56 millions du budget des cultes. Le 14 novembre 1880, il participa, au Havre, comme délégué du syndicat des instituteurs libres, au Congrès du Cercle Franklin, qui groupait les modérés de la tendance Barberet. Il demanda l’introduction de l’enseignement professionnel à l’école. « À l’école, l’enfant se familiarisera avec le maniement de la hache, de la lime, du rabot... » Il demanda que le prolétariat siège au Sénat et la bourgeoisie à la Chambre.
En septembre 1881, Auguste Desmoulins fut l’un des organisateurs du Congrès ouvrier socialiste de France, qui se tint à Paris, du 29 novembre au 5 décembre. Ce congrès réunissait les groupes ouvriers, les syndicats et les coopératives, de tendance « barberetiste », qui avaient rompu avec le Parti ouvrier français, après le Congrès du Havre de ce parti.
En 1884, Auguste Desmoulins fut élu conseiller municipal des Épinettes (XVIIe arrondissement de Paris), en remplacement d’Henry Maret, et il siégea avec les possibilistes. Il demeurait alors 32 rue Lemercier (XVIIe arr.) et exerçait une activité politique et sociale inspirée des Cercles socialistes et de Boussac (création de bibliothèques, de Crédit mutuel, du Syndicat des instituteurs libres, enseignement professionnel). Souhaitant se retirer dans la Creuse, il démissionna en 1887 et fut remplacé par Paul Brousse.
Auguste Desmoulins donna, en 1885, à la Revue socialiste de Benoît Malon, des articles rappelant les débuts du mouvement socialiste. Il faisait également partie de la Société d’économie sociale créée par le même Malon. Membre du Bureau du Comité parisien de secours aux grévistes de Decazeville, en 1886, il y retrouva les députés Camélinat, Planteau et ses collègues du conseil municipal, Édouard Vaillant et Alphonse Humbert.
Durant ses dernières années d’activité, Auguste Desmoulins collabora à la Revue du mouvement social (fouriériste) de Charles Limousin et à l’Émancipation, organe de l’École coopérative de Nîmes, créé en novembre 1886. Il était aussi secrétaire du comité de Paris de la Fédération pour la paix et l’arbitrage, dont H. Destrem était le président.
Par Michel Cordillot
SOURCES : Arch. Min. Guerre, B 1547. — Le Coup d’État du 2 décembre 1851, Paris, Décembre-Alonnier, 1868, p. 157. — P.-F. Thomas, Pierre Leroux, Paris, 1904. — Jean Gaumont, Histoire générale de la Coopération en France, Paris, FNCC, 1924, t. I. — Rémi Gossez, « L’organisation ouvrière sous la Seconde République », Revue des Révolutions contemporaines, t. XLII, n° 185, février 1950. — Bulletin de l’Association des Amis de Pierre Leroux, n° 5, p. 120-121. — « L’Europe une et indivisible », colloque d’Aix-en-Provence, 1990, Bulletin de l’Association des Amis de Pierre Leroux, n°9-10.