Association malienne des expulsés (AME)

Par Clara Lecadet

Créée le 6 Octobre 1996 à Bamako - Présidée par Ousmane Diarra

Lors de sa création en 1996, l’Association Malienne des Expulsés (A.M.E.), rassemble des immigrés maliens expulsés d’Angola, d’Arabie Saoudite, de France, du Liberia, de Zambie, etc. L’association a pour but de favoriser l’entraide parmi les migrants et de pallier l’absence d’aide institutionnelle et de soutien politique de l’Etat malien vis-à-vis de ses ressortissants expulsés. . Cette dénomination commune marque le passage des expulsés, absents des débats publics et objets d’un fort opprobre social, à l’action collective. Elle s’inscrit dans le prolongement des luttes des sans-papiers qui ont lieu en France à la même période et vise à créer les conditions d’une solidarité entre tous les expulsés.

La première action d’éclat de l’AME, qui lui forge rapidement une réputation de force contestataire et autonome, est une marche organisée en 1997 à Bamako pour demander la libération de 77 Maliens débarqués de France par le « 38ème charter Debré », théâtre d’une rixe des expulsés à l’intérieur de l’avion et marqué par la mort d’un policier français. La libération des expulsés intervient deux semaines plus tard. L’AME, soutenue par un comité de soutien très politisé, composé de députés, de syndicalistes, de juristes, de journalistes et de médecins, maliens, stigmatisent dans les medias, les conditions de détention et d’expulsion des migrants en Europe et en Afrique et tente de convertir le tabou social de l’expulsion en une question politique, incluant la responsabilité du gouvernement malien. Mais l’absence de moyens et d’infrastructure nourrit une tension croissante entre la notoriété gagnée par l’AME et la difficulté à maintenir la mobilisation.

En dehors de réunions ponctuelles entre « anciens », l’AME est en retrait de la vie publique jusqu’en 2006. La participation au forum social de Bamako en 2006, et l’insertion dans un réseau internationalisé de syndicats et d’associations (la Cimade, No Vox, l’association Droit Devant, la CGT), lui donnent un second souffle. Financée par la Cimade, l’AME se structure, s’étend et se diversifie : elle professionnalise ses membres, se dote d’antennes dans les villes de Kidal et de Nioro du Sahel pour venir en aide aux migrants expulsés d’Algérie et de Mauritanie, elle accueille les expulsés à l’aéroport de Bamako et les héberge dans ses locaux. Les mots d’ordre oscillent entre des demandes de changement politique radical adressées aussi bien aux Etats qui expulsent qu’à ceux dont sont originaires les immigrés (protection de ses ressortissants par le gouvernement, accès de tous à la libre-circulation, fin des expulsions), des revendications d’ordre juridique (récupération des biens, recouvrement des droits liés au versement des cotisations sociales, reconnaissance d’un préjudice moral) et des préoccupations d’ordre humanitaire et social (accueil des expulsés, appui à la réinsertion professionnelle).

L’AME est à l’initiative de journées de débat public et de campagnes contre les pratiques d’expulsion, qui ont fait au Mali et dans les milieux internationaux de défense du droit des migrants l’objet d’une forte médiatisation. Elles ont bénéficié au Mali du soutien du parti SADI, de la radio Kayira, engagée depuis sa création sur la défense des « sans-voix », ou encore de Sanfin, journal du mouvement ouvrier et populaire au Mali. L’originalité de leurs rencontres annuelles, tient dans la volonté de créer un espace de représentation et de parole propres aux expulsés, en donnant une centralité nouvelle à ceux qui font directement l’expérience des politiques migratoires.

Dans le sillage des mobilisations européennes contre l’extension des pouvoirs de l’agence européenne Frontex en matière de surveillance des frontières externes de l’Europe [1] , l’AME, soutenue par une partie de la presse et de la classe politique malienne, stigmatise la politique migratoire européenne, dénonce la criminalisation des migrants et demande à l’Etat malien de mieux protéger et défendre ses ressortissants [2] .Les 17 et 18 octobre 2008, l’AME participe au contre-sommet du 2ème sommet euro-africain sur l’immigration (Paris, 20 et 21 octobre 2008). Elle dénonce la directive européenne "retour" et le pacte sur l’immigration et l’asile. Elle est alors partie prenante des mobilisations transnationales qui ont lieu en Afrique et en Europe pour dénoncer la directive "retour" et le principe défendu par le président français Nicolas Sarkozy d’une « immigration choisie » : elle embarque sur une caravane qui sillonne le Congo, le Mali, la Mauritanie, le Cameroun, le Bénin et le Maroc et qui entend montrer la réappropriation par les associations de migrants de la question de la mobilité des hommes.

En janvier 2009, l’AME et le Forum pour un autre Mali (FORAM) lancent une campagne conjointe pour empêcher la signature d’accords dits « de réadmission » entre la France et le Mali : ces clauses imposent à l’un des deux Etats signataires de réadmettre sur son territoire ses ressortissants ou les ressortissants d’un pays-tiers soumis à une mesure d’expulsion et elles sont souvent incluses dans des accords de coopérations économiques relevant de la politique de l’aide au développement. Le 9 janvier 2009, des marches de protestation sont organisées à Bamako et à Kayes. Le 10 janvier, un appel est prononcé au siège de l’AME, appuyant l’idée d’une résistance [3] proprement malienne contre la signature des accords de réadmission, portée par la mobilisation conjointe des collectifs de sans-papiers français qui, par la radio, exhortent depuis Paris les Maliens à se dresser contre la signature de ces accords. Après le refus du gouvernement malien de signer les accords, l’AME relaie en mai 2009 une campagne lancée par l’association française Droit Devant sur la question des cotisations sociales des travailleurs expulsés. Le 5 mai 2009 à Bamako, Ousmane Diarra, le président de l’AME, et Aminata Dramane Traoré sont à la tête d’une marche de protestation scandée par « Sarkozy, rendez-nous nos sous ! »«  [4] . Favorable au principe de la libre-circulation, l’AME critique en outre les pratiques consulaires et d’aéroport, et dénonce la précarité du droit des migrants.

Ces campagnes successives hissent l’AME au rang d’acteur de la vie publique malienne. Sa ligne politique contestataire, son refus d’une gestion concertée des migrations promue par l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) et le Centre d’Information et de Gestion des Migrations (CIGEM), lui valent paradoxalement une progressive reconnaissance de la part du gouvernement malien et des agences en charge des migrations : en 2011, elle est consultée dans le cadre de l’élaboration d’une politique nationale migratoire (PNM). Parallèlement, elle a un rôle actif dans la formation d’un débat sur les expulsions à l’échelle du continent africain, dans la création de Justice Sans Frontières pour les Migrants et Migrantes une plate-forme destinée à mettre en place un système de protection juridique pour les expulsés, et dans les rencontres d’organisations de la société civile engagées sur la question des politiques migratoires, comme lors du Haut Dialogue sur les Migrations à New York en 2013.

Mais c’est aussi sur le volet humanitaire et social que l’AME développe ses activités, avec le programme « Améliorer l’accès aux soins en santé mentale pour les personnes migrantes en situation de retour forcé au Mali » conjointement mené avec Médecins du Monde France et financé par l’UE et le PNUD dans le cadre de l’Initiative Conjointe Migration et Développement (ICMD- JMDI) (2009-2011), qui permet la mise en place d’un suivi psychologique et médical pour les expulsés. L’AME bénéficie également du soutien régulier de l’ONG Medico International. Lors de l’intervention militaire française au Mali en 2012, elle s’investit auprès des déplacés du Nord, qui ont fui la menace djihadiste, puis en 2013 auprès des réfugiés de la Centrafrique au Mali.

L’AME a ainsi permis l’émergence de la figure de l’expulsé, sur le double registre de la protestation politique et de la mise en place d’un dispositif de type humanitaire. Le principe d’auto-organisation qui a prévalu à sa création et à la majeure partie de ses prises de position, ne doit néanmoins pas occulter le rôle d’ONG européennes et d’autres relais associatifs et politiques dans le développement de ses activités, comme les réseaux européens Migreurop et Afrique-Europe-Interact. Cette initiative pionnière de rassemblement et d’auto-organisation des expulsés a été suivie par la création d’autres associés d’expulsés au Mali, au Togo et au Cameroun, qui se retrouvent ponctuellement dans des mobilisations conjointes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article159999, notice Association malienne des expulsés (AME) par Clara Lecadet, version mise en ligne le 20 juin 2014, dernière modification le 27 juin 2014.

Par Clara Lecadet

Sources : Dünnwald, S. (2010), « Destination Bamako. Die Arbeit der Association Malienne des Expulsés am Flughafen », Hinterland Magazin, Vol. 15, München ; Lecadet, C. (2014), “Ghettos. Deportation without a voice” in Anderson, B., Keith, M. (ed.), Migration : The Compas Anthology, Oxford : COMPAS, p. 153-154 ;Lecadet, C. (2012), « Expulsions et prises de parole au Mali : quand le politique se récrie en ses marges » in Agier, M. (dir.), Politiques de l’exception. Réfugiés, sinistrés, sans-papiers, Paris : Editions Téraèdre, p. 113-127
SOUKOUNA S., L’Échec d’une Coopération Franco -Malienne sur les Migrations : Les logiques du refus malien de signer, Mémoire de Master 2 en science politique (relations internationales), Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris, 2011. ;Tounkara, M. (2013), Les dimensions socioculturelles de l’échec de la migration : cas des expulsés maliens de France, Thèse de socio-anthropologie, Université Paris-Est

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