VIGNAUX Paul, Dominique

Par Jean Lecuir, Frank Georgi

Né le 18 décembre 1904 à Péronne (Somme), mort le 26 août 1987 à Saragosse (Espagne) ; directeur d’études à l’École pratique des hautes études (1934-1976) et président honoraire de la Ve section (sciences religieuses) ; secrétaire général du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN-CFTC, puis CFDT) de 1948 à 1970 ; membre du bureau confédéral CFTC (1948-1952) ; membre du conseil confédéral CFTC (1953-1956 et 1961-1964) puis CFDT (1964-1972). Pseudonymes : Jacques Rochelle, Paul Terrasse, Herbert Morris, Dominique.

Paul Vignaux en 1940
Paul Vignaux en 1940

Né à Péronne, Paul Vignaux était ancré par sa mère à Sarniguet (Hautes-Pyrénées), où il séjournait chaque année. Fils unique de Justine Lafferanderie et de Louis Vignaux, chargé du contentieux aux contributions indirectes, tous deux de milieu populaire, catholiques pratiquants et résolument républicains, dans la tradition radicale-socialiste du sud-ouest, il a dit ce qu’il leur devait : la foi ouverte de sa mère ; la curiosité intellectuelle de son père, qui lui fit découvrir les débats théologiques et le syndicalisme, comme responsable au Syndicat national autonome des agents des contributions indirectes. De sa scolarité brillante au lycée de Mont-de-Marsan et au lycée Montaigne de Bordeaux, où il prépara le concours d’entrée à l’ENS qu’il intégra troisième en 1923, il conserva une fidélité sans faille à l’école laïque. À Bordeaux, sa formation intellectuelle fut accompagnée par une pédagogie religieuse de la liberté, ouverte au monde et à l’esprit de pauvreté grâce à l’aumônerie du père jésuite Dieuzayde, au camp de Barèges, et à l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF), dont il fut un des responsables. Il en retint que la foi relevait de la conscience individuelle, était source d’inspiration pour la volonté d’action, mais que les choix politiques du citoyen se forgeaient à la lumière de la seule raison. La Révolution russe de 1917 et les événements des années 1919-1920 le marquèrent suffisamment pour que les problèmes du mouvement ouvrier entrent durablement dans ses préoccupations. À Normale, avec son ami Henri-Irénée Marrou, il fréquenta l’aumônerie du père Portal, qui prônait le respect des laïcs, l’intérêt pour les questions sociales, la reconnaissance de la République, la réserve à l’égard des entreprises à étiquette « chrétienne ». Vignaux et Marrou menèrent une réflexion commune, religieuse, philosophique et morale sur la pensée franciscaine, dont témoigne un inédit aujourd’hui publié De philosophia franciscana (1928-1929). Fidèles à leurs origines populaires, ils adhérèrent à une vision du monde structurée par le refus de parvenir et le souci du service des pauvres, donc du monde ouvrier.

Opposé à l’Action française, le jeune Vignaux se sentait proche du catholicisme social et des catholiques démocrates à l’étranger. Membre du comité directeur de l’ACJF nationale (1923-1928), il soutint sa transformation en une fédération de mouvements spécialisés par milieux, en soutenant l’émergence de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) en 1927, puis en participant à la fondation de Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) en 1929, avant de s’en éloigner quand le poids de la hiérarchie se fit trop sentir.

De ses maîtres Léon Brunschvig et Célestin Bouglé, il retint l’importance de l’Université dans la République et les risques du mélange du religieux et du politique. Catholique pratiquant, il se voulait libre de ses choix dans l’action sociale et politique, où il côtoyait l’incroyant, socialiste ou communiste, si la cause et les moyens le justifiaient. Il se distinguait ainsi de la plupart de ses camarades de la « génération civique » de l’ACJF, qui allaient plus tard rejoindre le MRP.

Le jeune agrégé de philosophie, reçu premier en 1927, assura une année le secrétariat du Centre de documentation sociale du professeur Bouglé où il acquit une formation sociologique. Élève d’Étienne Gilson à la Ve section de l’École pratique des hautes études, après avoir préparé sa thèse sur Guillaume d’Ockham en tant que pensionnaire à la Fondation Thiers, enseigné la philosophie aux lycées de Béziers, puis de Chartres, il revint à Paris pour succéder à Étienne Gilson en 1934. Jusqu’en 1976, il fut directeur d’études d’histoire des doctrines et des dogmes. Faisant autorité dans son domaine, il poursuivit jusqu’à sa mort son activité universitaire en France et à l’étranger. Spécialiste de la tradition franciscaine, il s’appuyait sur Duns Scot pour soutenir que « l’ordre de révélation et de grâce n’intervient qu’en aidant l’homme à se situer pleinement dans un autre ordre, celui de sa liberté. Action, si l’on veut, sur la volonté, non sur son choix ». Aussi l’histoire résulte-t-elle des libres actions humaines, dans une stricte distinction entre le spirituel et le temporel. Son œuvre philosophique fut de ce point de vue indissociable de ses engagements, pour lesquels il utilisa la liberté matérielle que lui offrait sa position universitaire. Le couple, aux options partagées, qu’il forma en juin 1935 avec Georgette Barrion, une de ses anciennes étudiantes, renforça un dynamisme commun.

Dans les années 1930, il fut secrétaire de rédaction de la revue Politique, proche du Parti démocrate populaire, sans y adhérer. Il y traitait des questions ouvrières en France et dans le monde. Face à la montée des fascismes, il avait la conviction que l’urgence était de mettre le dynamisme du syndicalisme chrétien au service du combat démocratique. D’où son engagement à la CFTC, avec laquelle il était en relations depuis 1928. Outre Alfred Michelin, vice-président confédéral, il connaissait bien le Bordelais Jean Pérès, secrétaire de la Fédération de la Métallurgie et secrétaire général adjoint de la confédération. Chargé de la formation, celui-ci lui demanda en 1934 de l’aider. De 1935 à 1940, Paul Vignaux réorganisa et dirigea la formation syndicale et la recherche à la CFTC. Avec une petite équipe, composée notamment de normaliens (Bernard Vacheret, François Henry), il assura des cours du soir, des sessions de formation, alimenta ENO, le bulletin de l’École normale ouvrière. Il confia les disciplines scientifiques (histoire, sociologie, droit, économie) à des spécialistes laïques, la formation morale étant assurée par un jésuite de l’Action populaire. Il visait à faire réfléchir les militants aux conditions de leur action (environnement économique et socio-politique, libertés politiques et syndicales, démocratie, connaissance des acteurs), pour renforcer la résistance aux totalitarismes.

Cette activité intellectuelle se prolongeait par des articles parus dans des revues très diverses : Politique, mais aussi Esprit, La Vie intellectuelle, L’Aube, les Nouveaux Cahiers, Politique Étrangère, la Revue de Paris... Il s’engagea dans les mobilisations antifascistes (pétitions pour l’Éthiopie, Rassemblement universel pour la paix) et l’aide aux syndicalistes catholiques réfugiés d’Allemagne, d’Autriche, de Tchécoslovaquie. Son intérêt pour le mouvement ouvrier international l’avait conduit en 1926 à l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam. Il publia dans sa revue en 1937 une présentation du syndicalisme chrétien et figura aux côtés de Boris Souvarine au conseil d’administration de sa section française à Paris. Dès 1936, il combattit, comme Maritain, Mauriac ou Mounier, les positions pro-franquistes du milieu catholique. Il fut à Paris le correspondant du ministre catholique basque, Manuel de Irujo, membre du gouvernement de Front populaire espagnol. Son activité antifasciste – et antimunichoise – lui permit de construire des relations utiles après la défaite de 1940. Mais elle lui vaudra la mise sous séquestre allemand de son appartement parisien, ainsi que le pillage de ses papiers et de sa bibliothèque.

Constatant les orientations pro-franquistes de l’Union nationale des membres de l’enseignement public, il chercha à en préserver les enseignants catholiques en fondant en novembre 1937 un syndicat universitaire, le Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN). Gaston Tessier affilia à la CFTC ce syndicat dont les membres acceptaient « en entrant dans un service statutairement laïque et neutre, de faire abstraction dans leur enseignement de toute doctrine d’autorité et préférence de parti, pour former seulement les jeunes esprits à l’usage de la raison et de la liberté », sans aucune référence au christianisme dans ses statuts. Ces instituteurs et professeurs allaient se confronter à d’autres milieux professionnels, peser dans les instances et fournir à la CFTC une aide à la formation syndicale. Paul Vignaux, représentant du SGEN, devint vice-président à la Fédération des fonctionnaires CFTC, interlocuteur à ce titre de Robert Lacoste de la fédération CGT, comme il l’était de Georges Lefranc, de l’Institut supérieur ouvrier de la CGT.

De novembre 1939 à mai 1940, il fut chargé de mission au Haut commissariat, puis ministère de l’Information, où avait été constitué, avec le concours de Léon Jouhaux et de Gaston Tessier, un comité de syndicalistes CGT et CFTC résolus à soutenir l’effort de guerre. Il publiait un bulletin ronéotypé diffusé dans les milieux syndicalistes. On y trouvait des articles de Jouhaux, Tessier, Pineau, Lefranc et de la Fédération syndicale internationale. Ce lieu d’apprentissage d’un parler commun prépara le Manifeste des douze de novembre 1940. Dans le même cadre, Paul Vignaux développa une propagande antinazie dans les milieux catholiques français et étrangers.

Mobilisé le 23 mai 1940, il fut démobilisé le 18 juillet. Le directeur de l’Enseignement supérieur l’affecta alors à Toulouse, lui évitant de retourner à Paris, trop dangereux. Paul Vignaux, avec les métallos Jean Brodier, Joseph Botton et Louis Naillod, organisa la résistance CFTC à Vichy et à la Charte du travail en zone non occupée. Il fut en relations avec les débuts de la Résistance à Toulouse jusqu’à son départ pour les États-Unis via l’Espagne et Lisbonne, le 25 juin 1941, départ préparé avec l’aide de Jacques Maritain et de la fondation Rockefeller et l’accord de l’administration de Vichy.

Professeur invité à l’Université Notre-Dame (Indiana), il s’y initia à la langue et à la vie universitaire américaines (septembre 1941-mai 1942). Muni d’une recommandation de Léon Jouhaux pour William Green, président de l’American Federation of Labor, il participa à la Conférence de l’OIT de novembre 1941 avec Joseph Botton, métallurgiste CFTC, venu de Londres, et Adrien Tixier. Il se consacra pendant quatre ans à faire connaître et à aider la résistance chrétienne au paganisme nazi (Témoignage chrétien) et le combat en France du mouvement ouvrier syndical et socialiste, incarnation de la nation et des forces de reconstruction.

Aidé par le Jewish Labor Committee, il fonda, avec des journalistes de l’Agence Havas, France Speaks. Cet bulletin fut le plus complet aux États-Unis sur ce qui se passait en France, grâce aux informations recueillies via la Suisse et Londres. Ses relations syndicales lui valurent d’être recruté en mars 1942 par Allen Dulles, sous couvert notamment d’un enseignement à l’École libre des hautes études à New York, au bénéfice de l’Office of Strategic Services (OSS). Avec Botton, il rédigea de nombreuses notes, appréciées, sinon toujours suivies, par l’OSS et les autorités. Sur cette coopération à l’effort de guerre américain, il demeura toujours d’une totale discrétion, sauf sur son aide au financement par le syndicalisme américain de l’activité clandestine de la CGT, de la CFTC et du Parti socialiste, condition, pour lui, de leur indépendance vis-à-vis de Londres. Membre de l’American Labor Committee on International Affairs, il participa pendant toute la période aux instances regroupant les exilés syndicaux et socialistes, en particulier pour l’étude des problèmes de l’après-guerre. Comme Botton ou Alexis Léger, il soutenait la France Libre comme outil militaire, mais refusait à de Gaulle le droit de représenter politiquement la nation. Proche des socialistes du Groupe Jean-Jaurès de Londres, il déclina les invitations gaullistes à rejoindre l’Angleterre. L’allégeance à Londres de la Résistance intérieure, notamment syndicale, la référence à la personne de De Gaulle et à la grandeur de la France, les tensions avec les Anglo-saxons, le jeu de balance avec Moscou et le PCF, autant de motifs de répulsion pour ce républicain légaliste. À la Libération, il mit en garde ses amis syndicalistes à l’égard du pouvoir personnel.

Sur le plan religieux, il se méfia du conservatisme des catholiques émigrés. Il fréquenta plutôt les protestants, qui laissaient à la conscience de chacun le rapport entre foi et action temporelle, « socialistes religieux », comme Paul Tillich et surtout Reinhold Niebuhr, auquel Georgette Vignaux consacra sa thèse. Durant son séjour à New York, il publia un ouvrage important, consacré aux tâches du syndicalisme et aux débuts de la résistance syndicale, Traditionalisme et syndicalisme. Il donna de nombreux articles à Commonweal, Review of Politics, Journal for Legal and Political Sociology, Renaissance.

De cette expérience, il retint l’importance d’une « civilisation atlantique », sous influence américaine, face au poids de l’URSS. Ce fut manifeste lors du Plan Marshall et sur la question de la bombe atomique française. Il mit au service de la CFTC son expérience internationale et sa connaissance du mouvement ouvrier anglo-saxon, et défendit sans succès l’affiliation de la confédération à la CISL, plutôt qu’à la petite Internationale chrétienne (CISC). Il y voyait la possibilité pour les chrétiens de militer dans un mouvement ouvrier de transformation sociale, non confessionnel, où le marxisme n’avait pas d’influence majeure. La planification de l’économie de guerre américaine, une conception fédéraliste de la solidarité ouvrière, respectant la diversité des professions, des régions, des conceptions de la vie, dans le cadre d’un syndicalisme d’industrie, autant d’expériences retenues, de même que la nécessité d’une articulation entre syndicalisme et politique, pourvue qu’elle soit respectueuse de l’indépendance du premier.

De retour en France à l’automne 1945, il constata que le « patriotisme d’organisation » résultant du rôle de la CFTC dans la Résistance renvoyait à plus tard l’abandon de la référence chrétienne. Pourtant se dessinait déjà le débat opposant une majorité et une minorité dans la politique confédérale, en particulier sur le cumul des mandats syndicaux et politiques, à propos des engagements en faveur du MRP. Deux « minoritaires » qui s’étaient manifestés au cours du congrès de septembre 1945, secrétaires de fédérations issus de la Résistance, Charles Savouillan (Métaux) et Fernand Hennebicq (Gaz et Électricité) étaient venus proposer à Paul Vignaux de fonder un organisme de réflexion et de formation. Ainsi démarrèrent en 1946 le groupe Reconstruction et ses bulletins (puis cahiers), auxquels Vignaux se consacra dorénavant, en même temps qu’au secrétariat général du SGEN, après avoir refusé à Gaston Tessier la direction de la formation confédérale, contrepartie de la mise en sommeil de la minorité.

Formateur, Paul Vignaux le fut désormais surtout à travers Reconstruction, cette « aventure intellectuelle » hors normes (Jacques Julliard) où le « Boss » mit ses connaissances, ses contacts nationaux et internationaux au service de plusieurs générations de militants ouvriers. Confrontant experts du Plan, universitaires et syndicalistes, il fit du groupe un laboratoire d’idées. Il donna ainsi à la minorité des outils de réflexion politique pour ses combats : laïcité, émancipation à l’égard de la démocratie chrétienne puis de la « petite Europe vaticane », rejet du « progressisme » chrétien, élaboration – à travers l’histoire ouvrière et les expériences étrangères (à commencer par le travaillisme britannique) – d’un « socialisme démocratique », éthique, « techniquement révolutionnaire », fondé sur la planification démocratique, les libertés fondamentales et la régulation sociale par la négociation contractuelle. Pour lui, l’anticapitalisme ne se concevait que dans le cadre de la démocratie sociale et politique : il s’agissait de construire une alternative socialiste à la « déviation totalitaire du mouvement ouvrier ». De fait, Reconstruction, bureau d’études para-syndical, intervint dans le combat politique, et ses engagements reflétaient largement les positions de Vignaux : mendésisme assumé, soutien au Front républicain, lutte contre la guerre d’Algérie (il prit la parole dans la cours de la Sorbonne le 18 octobre 1961 pour dénoncer le massacre des Algériens le 17 octobre), condamnation du régime gaulliste de « pouvoir personnel » et de la force de frappe. Mieux, le groupe, devenu « club politique », et Vignaux lui-même, se trouvèrent directement impliqués dans les tentatives de refondation de la gauche démocratique : il fut ainsi associé aux travaux de la direction de l’Union des forces démocratiques en 1958 et de la FGDS en 1966, en passant par Horizon 80, organisme préparatoire à une candidature Defferre à la présidentielle de 1965, où, avec l’aval du SGEN, il siégea au comité national. L’action du syndicat enseignant était en elle-même porteuse d’une forte dimension politique, de la défense de la laïcité (lois Barangé et Debré) à la priorité donnée au service public d’éducation.

Au sein de la CFTC, puis de la CFDT, c’est au nom du SGEN et de ses mandats de syndicat national, que Vignaux intervenait dans les instances confédérales. Il approuva l’accession d’Eugène Descamps, pourtant insuffisamment « laïque » à ses yeux, à la direction confédérale, mais demeura réservé face à certaines prises de position de la nouvelle équipe, jugées trop en retrait par rapport à celles de Reconstruction. Même si la nouvelle déclaration de principes confédérale ne correspondait pas entièrement à ses vœux, la naissance de la CFDT en 1964 représenta une forme d’aboutissement de son combat de toujours. Mais celle-ci marqua également le chant du cygne de son influence et de celle de Reconstruction, qui prit de plus en plus l’allure d’un bureau d’études du SGEN. Les anciens minoritaires étaient désormais absorbés par les tâches confédérales, et de nouvelles lignes de clivage se dessinèrent. Au sein même du SGEN, des critiques s’exprimèrent sur ses positions politiques (FGDS, guerre du Vietnam) et sa pratique du pouvoir.

Mai 68 fut le moment de la véritable rupture. Vignaux vit dans le mouvement une révolte dangereuse, remettant en cause l’Université, le savoir, le libéralisme intellectuel et la raison elle-même. Il dénonça dans les positions confédérales en faveur de l’autogestion une concession au gauchisme étudiant. Le « gauchissement » marxisant de la CFDT en 1970 lui parut refléter la radicalisation « sentimentale » de militants d’origine chrétienne, faisant fi de la rigueur intellectuelle de Reconstruction. Lorsque le SGEN, en crise depuis 1968, se dota en 1972 d’une nouvelle direction et de nouveaux statuts, il y vit un abandon des principes fondamentaux qui étaient à l’origine de sa fondation et démissionna du syndicat. Ce n’est qu’à son départ à la retraite qu’il adhéra à nouveau à la CFDT par le canal de l’Union confédérale des retraités. Il considéra que, à partir de 1976, Edmond Maire avait entrepris un redressement de la confédération. Il approuva donc le « recentrage » de 1978-1979, qui redonnait toute sa place à la négociation, et accepta de rédiger à destination des nouveaux militants un ouvrage sur les apports de Reconstruction. En revanche, lors du « second recentrage » des années 1984-1986, il se montra publiquement très critique, avec Albert Détraz et Louis Moulinet, en le considérant comme un renoncement face au néo-libéralisme et une rupture du lien historique entre syndicalisme ouvrier et socialisme politique (refus d’appeler à voter à gauche). À son décès, et en dépit de ces divergences, Edmond Maire, au nom de la CFDT et d’autres organisations représentées, rendit un hommage très ému à celui qui avait été, pour lui et pour tant d’autres militants qu’il avait formés avec amitié et exigence, un « éclaireur du projet syndical ». Ses camarades, dont Albert Détraz et Marcel Gonin, évoquèrent son apport intellectuel déterminant, mais aussi sa générosité, sa pédagogie, son énergie débordante, sa forte stature, sa voix « chaleureuse, parfois saccadée par l’émotion », sa distraction, ses colères et ses ruptures, constitutives de la personnalité attachante qui fut celle du « Boss ». Paul Vignaux avait été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1954 et officier en 1972.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16000, notice VIGNAUX Paul, Dominique par Jean Lecuir, Frank Georgi, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 24 juin 2022.

Par Jean Lecuir, Frank Georgi

Paul Vignaux en 1940
Paul Vignaux en 1940
Groupe Reconstruction

ŒUVRE : Une bibliographie des écrits de Paul et Georgette Vignaux dans Paul Vignaux, citoyen et philosophe (1904-1987), Olivier Boulnois (dir.), Brepols, 2013, p. 359-450.
Outre la collection complète des Cahiers Reconstruction et ses très nombreux articles, scientifiques, syndicaux et politiques, quelques textes significatifs : Justification et prédestination au XIVe siècle : Duns Scot, Pierre d’Auriole, Guillaume d’Occam, Grégoire de Rimini, Thèse, Éd. Leroux, 1934. — Traditionalisme et syndicalisme, Essai d’histoire sociale (1884-1941), La Maison française de New York, 1943. — « À propos de christianisme et démocratie », Renaissance II-III, New York, 1944-1945. — « La CFDT, du syndicalisme chrétien au gauchissement », Contrepoint, janvier 1973. — « Un catholicisme républicain », Esprit, avril-mai 1977. — De la CFTC à la CFDT. Syndicalisme et socialisme. « Reconstruction » (1946-1972), Éditions Ouvrières, 1980. — Manuel de Irujo, ministre de la République dans la guerre d’Espagne (1936-1939), Éditions Beauchesne, 1986. — Philosophie au Moyen-Âge, suivi de Lire Duns Scot aujourd’hui, Castella, 1987.

SOURCES : Arch. CFDT, série P, fonds Paul Vignaux (voir l’inventaire en ligne). — Archives familiales Vignaux. —Archives OSS (RG 226). — Olivier Boulnois (dir.), Paul Vignaux, citoyen et philosophe (1904-1987), Brepols, 2013. — Collectif Paul Vignaux, un intellectuel syndicaliste, Syros, 1988. — Madeleine Singer, Histoire du SGEN, PUL, 1987 ; « P. Vignaux, intellectuel et syndicaliste devant la guerre d’Algérie », La Guerre d’Algérie et les intellectuels français, Éditions Complexe, 1991, p. 247-264 ; « La politique de Paul Vignaux, secrétaire général du SGEN, vis-à-vis de la Ligue de l’enseignement (1948-1956) », Le Mouvement social, 169, octobre-décembre 1994, p. 89-108. — Laurent Jeanpierre, « Paul Vignaux, inspirateur de la “Deuxième Gauche”. Récits d’un exil français aux États-Unis pendant la Seconde guerre mondiale », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 60, septembre-décembre 2000, p. 48-56. — Gérard Adam, La CFTC 1940-1958, Colin, 1964. — Hervé Hamon, Patrick Rotman, La Deuxième gauche, Ramsay, 1982. — Michel Branciard, Histoire de la CFDT, La Découverte, 1990. — Guy Groux, René Mouriaux, La CFDT, Économica, 1989. — Pierre Cours-Salies, La CFDT. Un passé porteur d’avenir, La Brèche-PEC, 1988. — Frank Georgi, L’invention de la CFDT 1957-1970, Éditions de l’Atelier/CNRS, 1995 ; CFDT : l’identité en questions, Arbre bleu éditions, 2014. — Jean-Michel Helvig, Edmond Maire. Une histoire de la CFDT, Le Seuil, 2013. — Jean Lecuir, « Paul Vignaux à Toulouse : les débuts de la résistance syndicale chrétienne en zone non-occupée (juin 1940-juin 1941) », dans Patrice Foissac (dir.), Vivre et Mourir en temps de guerre de la préhistoire à nos jours, Fédération historique de Midi-Pyrénées, 2013, p. 359-379 ; « De philosophia Franciscana. L’esprit franciscain de Paul Vignaux (1920-1930) », Études Franciscaines, 2013, fascicule 2, p. 309-340. ; « Paul Vignaux à Toulouse : résistance spirituelle et politique en zone non-occupée (juin 1940-juin 1941) », dans Olivier Boulnois (dir.), Paul Vignaux, citoyen et philosophe (1904-1987, p. 51-120. — Notes de Madeleine Singer.

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