BEAUGRAND Georges

Par Jacques Girault

Né le 24 octobre 1893 à Paris (Xe arr.), mort le 13 septembre 1981 à Vesdun (Cher) ; ouvrier boucher ; syndicaliste CGT, CGTU puis CGT réunifiée de l’Alimentation, ; militant communiste ; député de Paris (1928-1932), maire de Gentilly (Seine, Val-de-Marne) de 1934 à 1940, conseiller général de la Seine (1935-1940).

[Le conseil municipal. Nos édiles…, op. cit.]

Le grand-père paternel de Georges Beaugrand (parfois orthographié Bagrand par erreur) était originaire de Bitche (Moselle). En 1870, il préféra venir à Paris pour entrer à l’usine Arthus dont l’activité était liée avec les abattoirs de la Villette. Il mourut en plein travail en 1893. Sur ses sept enfants, ses trois garçons, dont l’aîné, le père de Georges Beaugrand, étaient salariés aux abattoirs, en « brigade ».

Son grand-père maternel, originaire de Bourges (Cher), avait été employé pour la construction de la tour Eiffel. Après son décès, sa fille, alors Ernestine Viller, née à Aubervilliers (Seine) en 1874, entra comme couturière dans une fabrique de poupée (Pintel).

Avec son frère cadet, Charles, né en 1896, Georges Viller, né six ans plus tôt à l’hôpital Lariboisière, fut légitimé après le mariage en 1899, de sa mère, Marie, Louise, Henriette Viller, avec François, Charles Beaugrand, garçon boucher, né en 1872 à Paris. Ses parents eurent un autre enfant. Ils vécurent dans quatre petits logements proches de la Villette, puis allèrent habiter au Pré-Saint-Gervais et à Aubervilliers.

Georges Beaugrand fréquenta l’école Barbanègre dans le XIXe arrondissement. Il ne reçut pas d’enseignement religieux et écrivit plus tard : « Étant donné les influences du milieu où je grandissais, j’avais plus que de l’hostilité vis-à-vis de toute religion, y compris à l’égard de ceux qui pratiquaient [...] La guerre de 14-18 et ma captivité m’ont permis de connaître par la lecture le christianisme et de modifier mon attitude. » En juin 1906, il obtint le Certificat d’études primaires et entra à l’abattoir où son oncle surveilla son apprentissage chez un patron moutonnier, Eugène Merger. Plus tard, il écrivait : « Comme j’étais le premier des Beaugrand à avoir ce diplôme élémentaire, mon père voulait faire de moi un employé de bureau. J’ai tout fait pour ne pas aller autre part qu’à l’abattoir. Je n’avais pas tout à fait treize ans et il en fallait seize pour travailler à la Villette ; j’ai dû constamment éviter la police jusqu’au jour où je fus chassé de l’abattoir. Sans métier, j’ai travaillé comme petite main, homme de peine dans différentes entreprises, et à seize ans révolus, je revins à l’abattoir pour y rester jusqu’en 1913 et partir au régiment. »

Georges Beaugrand participa donc très tôt aux activités des travailleurs de l’abattoir. Il fut témoin de grandes manifestations contre la guerre (funérailles d’Albert Arnoult en février 1912, meeting au Pré-Saint-Gervais avec Jean Jaurès, Marcel Sembat, Barthélémy Mayéras). Plus tard, il écrivait : « Mentalement (je ne dis pas idéologiquement), je partageais mon temps entre le milieu libertaire et les Jeunesses socialistes. Aux Jeunesses socialistes, j’avais de bons camarades d’enfance, je leur donnais la préférence. » Il lisait de temps à autre l’Humanité et, selon ses souvenirs, se déclarait « un peu admirateur de Gustave Hervé pour l’allure combative de ses écrits, qui pouvaient s’adapter à ma formation et mes besoins d’action ».

Son travail, « essentiellement physique », était « très pénible et dangereux ». Il ne put compléter ses connaissances et fréquenter l’Université populaire ou les cours de la Bourse du Travail. De 1906 à 1913, écrivait-il, il avait lu « rien d’autre pour oublier ce que j’avais appris à l’école et essayé d’en savoir plus que quelques livres d’auteurs et fréquentation d’amis plus instruits que moi, qui me précisaient ce que j’avais difficilement compris ».

Georges Beaugrand partit au service militaire en novembre 1913 au 152e régiment d’infanterie à Gérardmer (Vosges) et fut muté au 72e régiment d’infanterie à Amiens (Somme) en mars 1914. Entraîné physiquement, il y gagna notamment un championnat de natation.

Au début de la guerre, qu’il accueillit sans enthousiasme, Georges Beaugrand connut le front en Belgique puis la retraite jusqu’à la Marne. Fait prisonnier, le 6 septembre 1914 au Buisson, il fut transféré en Bavière au camp de Grafenwhör jusqu’en 1915. Il y connut des prisonniers russes, des gardiens, socialistes allemands, et fut envoyé dans une mine de lignite à Wakersdorf (Haute-Bavière) où il travailla comme aide-forgeron à la réparation des wagonnets. Il apprit la langue allemande, participa à des actions de prisonniers français pour réduire la production et surtout eut l’occasion de lire des ouvrages que lui communiquait un religieux allemand. Aussi découvrit-il la religion. Il fit longuement part de cette expérience dans le texte biographique qu’il remit au moment de l’école communiste de Bobigny. Il eut aussi l’occasion de connaître, par l’intermédiaire de mineurs du Pas-de-Calais, prisonniers comme lui, les luttes ouvrières d’une corporation et son organisation syndicale.

Georges Beaugrand résolut de s’évader avec deux autres prisonniers. Ils marchèrent une centaine de jours jusqu’en Souabe et, en juin 1917, furent repris. Interné aux camps de Bayreuth, puis de Nuremberg, il travaillait dans une fabrique de chaussures. Son meilleur ami était un membre du Parti social-démocrate allemand. Il participa, par son intermédiaire, à des réunions socialistes. Le 9 novembre 1918, il fut témoin d’une grande manifestation à Nuremberg pour la paix et l’organisation des conseils d’ouvriers et de soldats.

Georges Beaugrand fut délégué dans une réunion par ses camarades pour demander que les prisonniers français et russes puissent bénéficier des mêmes avantages que les ouvriers allemands. Il participa à l’activité du Conseil d’ouvriers et de soldats de son usine, et plutôt que d’être rapatrié, préféra rester clandestinement en Bavière jusqu’en juin 1919, se mêlant aux socialistes révolutionnaires grâce à un sauf-conduit établi par la responsable socialiste de Nuremberg. Plus tard, il expliquait son attitude par le désir de voir de près ce qu’il croyait être l’« acte décisif de la phase révolutionnaire ». Finalement, il dut retourner en France où il était considéré comme un déserteur. Il fut emprisonné à Besançon, puis à Amiens en prévention de Conseil de guerre, inculpé de « désertion à l’étranger en temps de guerre », inculpation transformée en « refus d’obéissance ». Le Conseil de guerre, en juillet 1919, l’acquitta et il fut démobilisé le 15 septembre.

Georges Beaugrand adhéra, au Pré-Saint-Gervais, au Parti socialiste et à l’ARAC. Il y côtoya notamment Charles Piétri et l’instituteur socialiste Pierre Joly qui devaient se prononcer pour l’adhésion à la Troisième Internationale dès le congrès de Strasbourg (février 1920).

Georges Beaugrand travaillait chez un fabricant de chaussures (Monteux) comme « brocheur sur formes ». Syndiqué, il fut muté dans une succursale dans le XIIIe arrondissement, puis licencié après une grève en avril 1920. Il reprit alors son emploi d’avant-guerre aux abattoirs de la Villette d’ouvrier boyaudier. Il se prononça, avec la majorité des membres de la section socialiste du Pré-Saint-Gervais, pour la motion d’adhésion à la Troisième Internationale à la veille du congrès de Tours (novembre-décembre 1920). Au moment d’une grève à la Villette, en janvier 1921, il devint secrétaire de la section CGT des travailleurs de la viande et, partisan de la minorité syndicale, milita dans les Comités syndicalistes révolutionnaires. Selon la police, le syndicat général des travailleurs de l’industrie de la viande, créé le 20 juillet 1920, avait déposé ses statuts en août 1920. Sa section syndicale (180 membres environ) passa entièrement à la CGTU en 1922, le délégua au premier congrès de constitution de l’Union départementale de la Seine, rue Mathurin-Moreau. Bien qu’habitant la commune, il militait peu dans la nouvelle section communiste du Pré-Saint-Gervais. Son activité était alors essentiellement syndicale. Il s’était marié le 14 janvier 1922 à la mairie du XIXe arrondissement avec Armandine Duval mais très vite il vécut au Pré-Saint-Gervais avec Suzanne Pagès dont il eut deux filles Raymonde et Paulette.

Dans la corporation des ouvriers bouchers, l’idéologie anarcho-syndicaliste était très forte. Georges Beaugrand anima une grève des ouvriers boyaudiers en 1923. Le motif était très particulier. Il existait une coutume dans la corporation : au salaire hebdomadaire, s’ajoutait la cession gratuite de certains morceaux (ovaires, prostates, etc.). Des laboratoires en faisaient l’acquisition ; ainsi le produit de cette revente s’ajoutait aux revenus des travailleurs. Au début de 1923, les patrons décidèrent de créer une organisation pour la commercialisation de ces morceaux. La grève prit une dimension originale et les patrons acceptèrent de maintenir le statu quo. Quelques mois plus tard, ils revinrent à la charge. Cette fois, les grévistes se heurtèrent à l’intransigeance patronale. Beaugrand fut sanctionné et interdit de séjour à l’abattoir. Il travailla alors pendant quelques mois comme porteur aux Halles. Il exerça aussi de décembre 1923 à octobre 1924 la profession de boucher détaillant sur divers marchés de la banlieue Nord avec comme domicile, Brunoy. Dans la biographie qu’il rédigea à l’issue de l’école de Bobigny, il indiquait qu’il avait, après son licenciement, milité pendant six mois à Brunoy où il assura le secrétariat de la section communiste. Il revint néanmoins travailler à l’abattoir de la Villette sous le nom de Maridet. Il n’avait pas cessé d’exercer les fonctions de secrétaire de la petite section syndicale. Dans la biographie qu’il rédigea, toujours pour l’école de Bobigny, il indiquait qu’il avait eu à combattre la tentative de passage à l’autonomie de la section syndicale et l’avait empêchée.

Début 1924, une cellule communiste fut créée à l’abattoir au lendemain des obsèques d’un ouvrier tué lors d’une réunion à la salle de la Grange-aux-Belles (11 janvier 1924) et d’une conférence présidée par Suzanne Girault à Levallois sur l’organisation des cellules. Avec Georges Beaugrand, participèrent à sa création un communiste de Pantin, Lucien Mathieu et son frère Alexandre Mathieu qui devint secrétaire de cette cellule de six à sept membres. Très vite, son effectif atteignit la douzaine, y compris les « rattachés » dont Fernand Loriot.
La sanction dont il fut l’objet mit fin temporairement à son activité politique à l’abattoir. Il habitait toujours Le Pré-Saint-Gervais et quitta cette commune, selon son témoignage, en 1924. Georges Beaugrand, selon la police, avait divorcé en 1927. Toujours selon la police, il habita jusqu’en 1929, au 28 rue de Pantin au Pré-Saint-Gervais chez une concubine dont il eut un enfant en 1927 qui s’ajoutait à un premier enfant né en 1913 et à un autre qu’il avait eu avec son épouse.

Georges Beaugrand, selon son témoignage, participa au service d’ordre dans de multiples réunions pendant la campagne électorale de 1924. Son physique robuste en imposait. Vers octobre-novembre 1924, il devint secrétaire du premier rayon communiste qui comprenait les Ier, IIe, Xe et XIXe arrondissements et la commune de Saint-Denis. Il fut un des soixante élèves de la première école communiste de Bobigny à partir du 19 novembre 1924. Des exposés le marquèrent tout particulièrement entre autre ceux des deux représentants de l’Internationale, de Paul Bouthonnier, de Pierre Semard, et surtout les cours théoriques avec travaux pratiques sous la direction de Paul Marion.

Notons ici que de nombreuses indications fournies par les rapports de police plaçaient seulement en 1925 le passage à Brunoy (or il y avait fait allusion dans la biographie établie à Bobigny). Quant à l’emploi de porteur aux Halles, il datait selon la police de juillet 1925. Selon son témoignage, après l’école de Bobigny, il fut un des membres du secrétariat de la région communiste parisienne, puis fut assimilé, dans le courant de 1925, au personnel communal de Saint-Denis.

Selon les réunions du bureau d’organisation du Parti communiste, le 27 janvier 1926, il fut proposé à Beaugrand de partir comme délégué permanent dans le Haut-Rhin et plus largement dans la région d’Alsace-Lorraine. Aucune suite ne fut donnée à ce projet.

Selon son témoignage et selon certains rapports de police, dans le courant de 1925, il devint le responsable du service d’ordre du Parti. La police le qualifiait parfois en 1926 de chef des groupes de combat du deuxième secteur. En tant que secrétaire du premier rayon, Georges Beaugrand participa essentiellement à l’implantation de cellules dans les entreprises de la région parisienne. L’Humanité, le 4 janvier 1926, publiait son discours à l’assemblée d’information du Parti, sous la rubrique « La voix des cellules » ; il y narrait son expérience dans le premier rayon.

Pendant l’été 1925, Beaugrand participa à la campagne du comité d’action contre la guerre du Maroc. On le trouva notamment, les 19, 20 et 21 août ; avec les dockers du port de Marseille. Il organisa aussi la manifestation après le congrès ouvrier et paysan de Marseille qui fut l’occasion de heurts avec la police où s’illustra notamment Jacques Doriot. Il fut délégué par le Parti pour la campagne électorale d’Aulnay-sous-Bois en 1926 où le candidat communiste était Victor Arrighi.

Parallèlement, Georges Beaugrand, membre de l’Union des coopérateurs, était membre de la commission exécutive de la Fédération CGTU de l’Alimentation à partir du congrès de Paris (1-4 septembre 1925), responsabilité renouvelée par le congrès des 25-27 septembre 1927. La police le présentait alors, en 1926, comme le secrétaire du syndicat général des travailleurs de l’industrie de la viande. Selon son témoignage, il était en fait le secrétaire du syndicat de la région parisienne qui regroupait les ouvriers des abattoirs de la Villette, de Vaugirard, d’Aubervilliers, les ouvriers de boutiques et des usines traitantes. Lors de la réunion du bureau de la Région communiste parisienne, le 30 juin 1926, il présenta le contre-projet, élaboré par le syndicat, sur l’industrialisation des abattoirs, contre-projet qui devait être présenté aux conseillers municipaux, dont Eugène Fiancette. Cette question de la transformation des conditions de travail dans les abattoirs fut par la suite une de ses préoccupations constantes.

Georges Beaugrand, toujours secrétaire du premier rayon communiste, membre du comité régional, rémunéré comme employé communal de Saint-Denis, vers septembre 1926, eut la responsabilité de suivre les affaires de la municipalité de Saint-Denis. Il intervint à plusieurs reprises, parfois brutalement, dans la vie difficile des communistes dyonisiens. Selon une réunion du bureau régional à la fin de 1926, une motion de défiance à son égard avait été rédigée par des communistes de la ville. Il reçut la mission de reconstituer le sous-rayon de Saint-Denis et, à la fin de 1926, parallèlement à l’installation définitive de Doriot dans la ville, il fut désigné comme responsable de l’organisation communiste dans le premier rayon, et plus particulièrement à Saint-Denis. Il aurait alors travaillé en relations avec Maurice Tréand. Il fut chargé selon la police, d’organiser une école léniniste régionale à Saint-Denis en avril 1927. Il n’était plus alors le secrétaire du premier rayon. Selon son témoignage, il était entré en conflit avec Doriot qui avait contribué à sa mise à l’écart. En effet, le 29 mai 1927, parlant lors d’un meeting électoral dans le quartier du Palais-royal, il n’était que « membre du comité régional ». À la fin de 1927, il signait des circulaires du comité du premier rayon de la RP (Saint-Denis) sans mentionner une éventuelle responsabilité de secrétaire.

Délégué au congrès de Lille, Georges Beaugrand était intervenu dans la conférence d’organisation, le 20 juin 1926, pour demander la multiplication des sous-rayons.

Vers 1927, la police indiquait qu’il vivait avec Antoinette Gilles, dirigeante de la CGTU, 5 passage Puebla.

Georges Beaugrand fut désigné pour participer au premier congrès des Amis de l’Union soviétique à Moscou, les 10, 11 et 12 novembre 1927. Ce congrès correspondait au Xe anniversaire de la Révolution. Il effectua le voyage affirme-t-il sous le nom de Monnerot. Il était parti pour quinze jours et y resta près de deux mois. Il eut l’occasion de converser avec Kroupskaïa, avec un secrétaire de Staline et avec Clara Zetkin. Mais surtout, il consacra son temps à enquêter sur l’organisation des abattoirs. Il rapporta de la documentation qui fut exposée par la suite à l’abattoir de la Villette. Les ouvriers de l’abattoir de Moscou lui remirent un drapeau pour ceux de la Villette. Il ne put le dissimuler lors du passage de la frontière française et, pour le conserver, dut payer une forte somme qui lui fut remboursée par le produit d’une collecte lors de l’exposition.

Georges Beaugrand participa à son retour de Russie aux conférences d’explication. On le signala notamment dans l’Oise. Il donna aussi régulièrement dans le Bulletin hebdomadaire de la presse en janvier 1928 un « feuilleton » sur sa délégation. Il y décrivait notamment un préventorium, un dispensaire, une caserne-école, l’organisation de la radio. Mais surtout, il avait acquis la réputation d’être un expert en matière d’organisation du travail dans les abattoirs et pour l’hygiène de la viande. Il avait signé dans le Bulletin hebdomadaire de la presse, le 23 décembre 1927, un article « Délégation en Russie rouge » où il se présentait comme le « délégué des travailleurs de l’abattoir de la Villette ». Aussi fut-il, avec Victor Cat, au coeur de la campagne de mobilisation et d’affiches sous le titre « Puera... puera pas » où l’acquisition d’un appareil pour le traitement des détritus était réclamée et qui se termina par un important meeting aux abords de l’abattoir d’Aubervilliers. Aussi, fut-il proposé par le comité du premier rayon comme candidat aux élections législatives de 1928 dans la deuxième circonscription du XIXe arrondissement, le 5 décembre 1927.

La réunion du bureau politique (illégal) du 2 décembre 1927 le désignait comme responsable de « l’organisation des groupements de défense ouvrière ». La section d’organisation, le 9 février 1928, l’invitait à participer à ses réunions, comme responsable de la « milice ».

Dans le cadre de la campagne pré-électorale, Georges Beaugrand participa à des assemblées régionales populaires avec Louis Laporte, à Moulins et à Brassac-les-Mines, les 25 et 26 février, et avec Jean Garchery, les 4 et 5 mars à Rochefort, Ruelle et Angoulême.

Sa campagne électorale dans le XIXe arrondissement fut intense. Cette deuxième circonscription regroupait les quartiers du Pont-de-Flandre et des Carrières d’Amérique. L’Humanité signalait souvent les réunions et publiait sa photo, le 28 avril ; il portait alors de petites moustaches. Participèrent à cette campagne Émile Dubois, Victor Cat, François Chasseigne. Raymond Baranton, député communiste sortant, maintenant « socialiste indépendant » était candidat aussi. Le 22 avril 1928, sur 13 295 inscrits et 11 412 votants, Beaugrand, avec 3 216 voix, arrivait en tête. Le dimanche suivant, sur 11 129 votants, il était élu avec 4 316 voix.

Peu après, lors d’une réunion du comité régional, salle de la Bellevilloise, Georges Beaugrand affirme qu’un rapport de Pierre Semard remit en cause les conditions de son élection. Il aurait alors écrit une lettre de démission à la direction du Parti qui lui demanda de ne pas donner suite à cette décision. Cet épisode faisait partie d’une crise dans le premier rayon qui apparut dans divers rapports et lettres pendant l’été de 1928.

Georges Beaugrand s’inscrivit aux commissions de l’hygiène, de la marine militaire, de la marine marchande et du travail. Il intervint :
- en 1929, sur la crise de l’habitation, sur la situation des ouvriers des constructions navales, sur la loi des loyers,
- en 1930 et en 1931, sur les assurances sociales, sur les loyers commerciaux et industriels, pour l’institution d’un congé annuel pour les travailleurs, pour la protection de la main-d’œuvre nationale.

Il intervint chaque année dans la discussion du budget du ministère des Pensions. Il demanda à interpeller le gouvernement :
- en 1930, sur l’application du salaire national, sur le sort des travailleurs des abattoirs ;
- en 1931, sur le droit syndical, sur la grève des textiles du Nord, sur le sort des marins du commerce, sur les mutilés de guerre employés par la Société du gaz de Paris ;
- en 1932, sur le ramassage du sang aux abattoirs de la Villette, sur l’expulsion des travailleurs étrangers.

À la Chambre, Pierre Laval qui le connaissait bien - ancien avocat des ouvriers de la Villette, il était devenu l’avocat des patrons bouchers après la guerre - l’appelait « le grand boucher de la Villette ».

Georges Beaugrand, en outre, assurait les fonctions de trésorier du groupe parlementaire communiste. Il avait conservé les documents récapitulatifs montrant les versements mensuels de députés. Pour ce qui le concerne, il avait versé de juillet 1928 à juillet 1929, régulièrement 1 350 F par mois, puis à partir d’août 1929, il versa par mois 2 000 F jusqu’en décembre 1932, puis 1 350 F pour les deux premiers mois de 1932. Les autres députés avaient en général des versements beaucoup plus irréguliers.

En liaison avec son activité de parlementaire, le Parti communiste lui confia, en 1930, la mission d’enquêter sur la mutinerie de l’Île d’Oléron à la prison où étaient détenus des marins condamnés par des Conseils de guerre. Georges Beaugrand avait été désigné car il était lui-même passé au conseil de guerre et pouvait être, à ce titre, plus facilement cité comme témoin par la défense au procès de Bordeaux. Il effectua aussi naturellement plusieurs tournées en province, dont une dans la Charente-Inférieure en août 1928. À cette occasion, dans la région de Marennes, il présida une manifestation communiste où les bateaux furent ornés de drapeaux russes et de banderoles demandant l’amnistie. La presse et la police donnèrent de larges échos de cette manifestation jugée scandaleuse. Souvent aussi, il prit la parole dans des réunions lors d’élections complémentaires (par exemple, octobre 1929 dans le XIIIe, candidature André Marty, septembre-octobre 1930, dans le XXe, candidature Maurice Thorez, octobre 1931 dans le quartier de Saint-Germain-l’Auxerrois, décembre 1931, dans le IXe, etc.). Lors d’une de ces réunions à Bois-Colombes, le 27 novembre 1931, il aurait déclaré selon le rapport de police : « Hitler sera sous peu le maître de l’Allemagne. Mais, comme parallèlement le communisme continue à grandir, cela amènera prochainement la révolution en Allemagne. Toutefois, je ne crois pas au succès d’une révolution communiste, parce que je suis persuadé que les États voisins feraient l’impossible pour abattre les révolutionnaires. »

Le 13 octobre 1931, Georges Beaugrand présidait un meeting central salle Bullier avec Thorez et Benoît Frachon.. Lors de l’élection municipale de 1929 dans le quartier du Pont-de-Flandre, un rapport de police du 25 mars annonçait sa candidature. En fait, il n’en était rien ; il était seulement intervenu, en vain, contre la candidature du communiste Lucien Mathieu qu’il connaissait bien ayant travaillé comme lui à l’abattoir.

Selon son témoignage, sa fonction de parlementaire ne lui prenait qu’environ le tiers de son temps. Ses activités étaient diverses. Georges Beaugrand était membre du comité de la région communiste parisienne pendant toute cette période. Il fut aussi le gérant de l’hebdomadaire de la région communiste du Nord-Est (Aisne, Ardennes, Marne), L’Exploité du 16 octobre 1928 au 6 juillet 1929. Il suppléa aux défaillances de dirigeants dans des tournées à l’étranger (en Espagne à la place de Doriot) ou en Algérie (à la place de Vaillant-Couturier). Il eut aussi une activité internationale. On le trouva en Belgique et surtout en Allemagne où il était membre du Conseil exécutif du Front rouge à Hambourg. Il parla à Hambourg, à Stettin, à Berlin, etc., en 1931. Il hébergea le dirigeant Edgar André pendant quatre mois, la même année. Aussi, Valtin dans Sans patrie, ni frontière évoqua-t-il son action à deux reprises (pages 345 et 508 de la première édition). Il avait déjà cité son nom, en 1937, dans un rapport à la Gestapo sur l’IHS (Internationale des gens de mer) qui, disait-il, servait de couverture à certaines activités de l’OMS, de département des liaisons internationales du Komintern : « Beaugrand Louis (sic) : Paris, 221 rue Étienne Marcel, Montreuil, Krebs a vécu chez lui quelques jours. Il est le dirigeant du RFB illégal [Ligue des combattants du Front rouge]. Pendant la guerre, il a été trois ans dans une prison allemande et parle un allemand parfait. Il fut un ami très proche d’André [Edgar André] et il a été élève d’une école militaire en Russie. Il passe pour un expert des batailles de rues. Sa femme est la dirigeante du mouvement des femmes en France. » Mais le Gestapo se trompe dans l’identification puisqu’elle l’enregistre comme né le 25 avril 1905. (Bundes archiv, Berlin, (Z/C 16125 Bd 1, traduit par Constance Micalef).

Plus tard, lors du procès intenté par René Cance, Georges Beaugrand écrivit une lettre à la direction du Parti communiste. Il indiquait que, comme pour Cance, Valtin avait affabulé dans son cas. Pourtant, l’adresse donnée par Valtin est exacte ; il habitait bien à partir de 1932 selon la police, de 1930 selon son témoignage, 221, rue Étienne Marcel à Montreuil. Il y demeura jusqu’en 1934. Il vivait avec Antoinette Gilles et les responsabilités attribuées par Valtin, « chef de l’« apparat militaire » « pouvaient correspondre à ses responsabilités dans le service d’ordre du Parti. Tout autre en revanche pouvait être son rapport direct avec l’Internationale. En faire, comme l’écrivait Valtin, un des correspondants de l’Internationale notamment à cause de ses nombreux voyages en Russie a toujours été contesté par Beaugrand. Mais, il n’a pas caché dans son témoignage qu’il avait des contacts réguliers avec l’ambassade soviétique notamment pour assurer la protection des délégués de l’Internationale et en raison de ses responsabilités au « contrôle intérieur du Parti ».

Georges Beaugrand avait aussi conservé sa responsabilité à la commission exécutive de la Fédération des travailleurs de l’Alimentation et celle de secrétaire du syndicat CGTU des ouvriers de la viande de la région parisienne dont le siège était 20, rue du Bouloi. Il participa par exemple au congrès de la CGTU de 1929. Sollicité pour aller à la fin de l’année 1931 tenir un meeting syndical à Marseille, il aurait, selon la police, refusé paraissant préoccupé de sa future candidature aux prochaines élections législatives.

En effet, des oppositions apparaissaient pour une nouvelle candidature de Georges Beaugrand. Dès mars 1932, selon la police, le bureau politique aurait manifesté le désir de ne pas le représenter. Toutefois, il voulait éviter un conflit ouvert avec la direction du premier rayon. Thorez aurait alors estimé, le 18 mars 1932, que son siège était perdu. La presse aussi annonçait la probable victoire de son principal adversaire, le secrétaire du Parti radical-socialiste Léon Martinaud-Déplat. Le 1er février 1932, sur 14 264 inscrits et 12 465 votants, Beaugrand obtenait 3 292 voix et précédait son principal adversaire de 108 voix. Pour le deuxième tour, il progressait faiblement jusqu’à 3 718 voix mais était nettement distancé par Martinaud-Déplat en dépit du maintien du candidat républicain-socialiste et la participation plus faible (11 976 votants).

Rétrospectivement, Georges Beaugrand expliquait sa défaite par le fait que sa candidature n’avait pas obtenu l’unanimité dans le Parti et que son adversaire avait fait courir très tôt le bruit qu’il ne serait pas candidat. D’autre part, le Parti l’envoya remplacer Paul Vaillant-Couturier dans une tournée en Algérie dans la première quinzaine d’avril ; aussi sa propre campagne électorale fut-elle négligée. Martinaud-Déplat avait profité de sa situation de sous-secrétaire d’État pour écrire sur des affiches cerclées de noir que le récent décès du président de la République était une des conséquences de l’action politique des communistes. Enfin, en se retirant, le candidat de la SFIO aurait déconseillé à ses électeurs de voter pour le député sortant.

Sa défaite correspondait à un besoin de cadres pour réussir la réorganisation de la région parisienne du Parti communiste. Thorez lui proposa de devenir un des secrétaires permanents de la région de Paris-Ville (avec Maurice Lampe et André Ferrat). Toutefois, le Parti et le syndicat étaient affaiblis à la Villette. Georges Beaugrand pour ces raisons aurait préféré être réembauché. Le 1er juin 1932, il recommençait à travailler chez son cousin, patron moutonnier et y demeura jusqu’en décembre 1934. Il devint aussi un des trois secrétaires de la Région communiste de Paris-Ville (avec Lampe et Ferrat) et partagea ainsi son temps entre l’abattoir et ses responsabilités. Toutefois, la police estimait en août 1933 qu’il était « secrétaire appointé ». Selon un rapport de police, la nomination de Beaugrand au secrétariat rencontra des oppositions ; il parlait même de « tollé de la part des organismes de base qui jugent Beaugrand peu capable de remplir ce poste ». Il conserva cette responsabilité de secrétaire de la Région Paris-Ville jusqu’au début de 1935, selon son témoignage. Il cessa dans l’année 1933 d’être le responsable du contrôle intérieur du Parti. En mai 1932, il avait été désigné comme vice-président de la FST selon la police. Beaugrand dans son témoignage s’affirmait sportif pratiquant mais niait avoir eu une quelconque responsabilité dans cette Fédération sportive.

Toujours selon son témoignage, Georges Beaugrand eut en 1933-1934 une activité internationale (meetings en Rhénanie en janvier 1933, meetings en France et en Belgique en faveur de Thaelmann). Élu en avril 1933 membre du comité central de l’ARAC, il représenta cette organisation à de nombreuses occasions à l’étranger, et notamment en Belgique.

Georges Beaugrand affirma avoir appris par Doriot, alors qu’il était responsable du service d’ordre de la manifestation à la Porte de la Chapelle, le 11 novembre 1933, la décision du dernier bureau politique de le désigner pour suivre la commune de Gentilly et s’y faire élire à la première occasion. Doriot l’aurait alors salué d’un « Vive Monsieur le Maire » et lui aurait indiqué que le bureau politique n’avait pas été unanime. Lui-même s’était prononcé contre, comme Léon Monmousseau (qui avait prétexté ses responsabilités syndicales) et comme Marty (qui avait estimé que la composition sociale de Gentilly n’était pas favorable à la candidature d’un ouvrier des abattoirs et que, d’autre part, Beaugrand était trop brutal).

Quelle était la situation politique à Gentilly ? Le maire Gratien, radical-socialiste, avait battu Vaillant-Couturier en 1932 lors de l’élection législative. Ce dernier n’avait pas dépassé au deuxième tour des élections de 1928 et de 1932 quarante pour cent des voix dans cette commune. Toutefois, les deux listes communistes en 1925 et en 1929 avaient obtenu d’honorables résultats. La gestion financière du maire était difficile ; une crise avait provoqué des démissions d’élus. Une première élection municipale complémentaire plaça en tête, le 26 novembre 1933, la liste communiste sur laquelle Beaugrand ne figurait pas. Le dimanche suivant, à la surprise générale, les dix-neuf candidats communistes étaient élus. Ils refusaient à la première séance de voter le budget. Le conseil municipal fut donc dissous. Georges Beaugrand n’était pas électeur à Gentilly ; il n’était pas éligible et pourtant il figurait en deuxième position derrière Charles Frérot sur la liste du « Bloc ouvrier et paysan » qui fut déposée. Il eut dans cette semaine fort à faire puisqu’il était le responsable d’une manifestation communiste à Paris, le 9 février 1934 et que le premier tour de l’élection générale avait été fixé le 11 février. La liste communiste arrivait en tête avec 300 voix d’avance environ sur la « liste anticommuniste et de sauvegarde des intérêts communaux » du maire sortant. Beaugrand obtenait personnellement environ 1 300 voix. Le dimanche suivant, la liste entière était élue et Beaugrand obtenait alors 1 539 voix sur 4 343 inscrits et 3 129 suffrages exprimés.

Georges Beaugrand fut alors désigné comme maire de la commune, le 23 février 1934. La préfecture pouvait annuler son élection ; elle n’en fit rien. Un membre du cabinet du préfet lui aurait indiqué, ironiquement, que mai 1935 était proche. Il quitta son emploi aux abattoirs et vint habiter Gentilly avec Antoinette Gilles. Il demeura successivement 21 rue de Paris, 26 avenue du Président Wilson et 2 avenue Aristide Briand dans les HBM réservés pour les anciens combattants.

En quelques mois, la nouvelle municipalité, avec l’aide des municipalités communistes voisines (Villejuif surtout) créa les conditions d’une réélection (création d’un dispensaire médical dans un local inoccupé, remise en marche d’une colonie de vacances dans le Doubs dès l’été 1934, entente avec une municipalité de la Nièvre pour le placement familial d’enfants, création d’un patronage, aide aux sociétés locales, dont l’Harmonie, réorganisation des services municipaux, aide aux écoles et notamment participation des parents aux choix du matériel scolaire pour la rentrée d’octobre 1934, soins apportés à la cantine scolaire, organisation d’une kermesse, célébration du 1er Mai, etc.).

L’action personnelle de Georges Beaugrand à Gentilly devait s’exercer dans plusieurs directions. Il devait avant tout aider l’organisation du parti, faible jusqu’alors, à se développer. Il devait favoriser la constitution d’organisations syndicales dans les entreprises locales. Pendant la grève de l’été 1936, la municipalité fut aussi chargée d’aider les ouvriers de l’usine Gnôme et Rhône dans le XIIIe arrondissement. Il lui fallait contribuer à la formation d’organisations amies (ARAC, femmes ; jeunes - il devait devenir président d’honneur du Club de la Jeunesse). La municipalité proprement dite était placée « sous la tutelle » de celle de Villejuif, ce qui lui valut notamment après 1937, pour reprendre l’expression de Beaugrand, « quelques frictions sporadiques » avec le maire, Georges Le Bigot. Selon ses souvenirs, il eut du mal à s’implanter à Gentilly. Étranger à la commune, il apparaissait comme imposé par la direction du Parti qui continuait à l’utiliser. Ses absences fréquentes perturbèrent son travail. D’autre part, pendant longtemps, il fut le prisonnier du modèle parisien d’organisation du parti et eut du mal à concevoir les articulations entre la municipalité, le Parti et les autres organisations. Sa formation politique, son caractère, son tempérament combatif heurtaient souvent certaines habitudes des communistes locaux ou des employés communaux. Son activité syndicale lui prenait encore du temps. Selon la police, en février 1935, il demeurait secrétaire du syndicat général CGTU des travailleurs de l’industrie de la viande. Il abandonna ses fonctions peu après et resta toutefois, après la réunification syndicale, membre actif du syndicat CGT. Il ne faisait figurer aucune responsabilité syndicale dans la notice biographique qu’il avait approuvée, parue dans Nos édiles.

Localement, la victoire communiste fut confirmée en 1935. Le 5 mai, la liste du « Bloc ouvrier et paysan » qu’il conduisait avec Frérot, obtenait 1 720 voix en moyenne et arrivait sur la même lignée avec la liste de droite où ne figurait plus Gratien. Les 470 voix de la liste SFIO allaient faire la différence au deuxième tour. Ses électeurs se reportèrent inégalement entre les deux listes. Sur 4 621 inscrits et 3 988 suffrages exprimés, la liste communiste avec 2 030 voix en moyenne avait 27 élus et devançait d’une centaine de voix ses adversaires. Beaugrand arrivait lui-même en deuxième position avec 2 043 voix.

Le 26 mai 1935, Georges Beaugrand, candidat communiste dans la première circonscription du canton de Villejuif qui regroupait les communes de Gentilly, d’Arcueil, de Cachan et de L’Haÿ-les-Roses (Seine, Val-de-Marne), était élu conseiller général avec 5 020 voix sur 14 163 inscrits. Il devançait de plus de 2 500 voix le conseiller sortant, Gratien. Il obtenait 50,2 % des suffrages exprimés dans le canton et 53,2 % des suffrages exprimés à Gentilly. C’était la confirmation de la prééminence communiste dans la commune. Cette domination se renforça à l’occasion des élections législatives de 1936 où Vaillant-Couturier obtenait, à Gentilly, 55,4 % des suffrages exprimés alors que son adversaire était Gratien, député sortant, ancien maire de la ville.

Au conseil général, Georges Beaugrand fit partie de la 4e commission (Assistance des malades, protection de l’enfance, hygiène sociale), de la 10e commission (Travail et chômage) et de la 13e commission (Eaux, assainissement et navigation).

À ces activités municipales, s’ajoutaient d’autres responsabilités militantes :
- Il fut réélu membre du comité central de l’ARAC au congrès de Vichy en juin 1936 puis en mai 1939. À cette date, il fut désigné comme délégué aux relations internationales. En fait, il devait exercer cette délégation auparavant.
- Il était le conseiller technique du syndicat général des travailleurs des abattoirs de la Seine. À ce titre, il participa aux négociations de la convention collective à partir de l’été 1936 qui fut finalement signée le 23 janvier 1939, sous le titre « Convention collective des abattoirs de la Seine » ; Beaugrand y fut mentionné comme « conseiller technique ».
- Comme conseiller général, il effectua de nombreuses tournées dans le Morvan, dans le Cher, dans l’Allier pour la surveillance des enfants assistés. Il participa, au titre de la 13e commission, à un séjour de trois mois en URSS en 1937 où, notamment, il s’intéressa de près au combinat de la viande dont il devait s’inspirer plus tard, pour l’élaboration de son plan de réorganisation de la Villette. Il travailla sur les conseils d’Henri Sellier sur les questions d’hygiène des villes et prit part à un voyage d’étude en Angleterre sur le traitement des eaux usées des agglomérations. Il fit plusieurs propositions concernant l’hygiène, la lutte contre les rats, etc.

Si pour la période précédente, nous sommes arrivés à des conclusions satisfaisantes concernant la biographie de Georges Beaugrand, pour la période de la guerre, bien des questions demeurent non résolues.

En effet de maire communiste suspendu au début de la guerre, Beaugrand se retrouvait selon l’Humanité, du 26 octobre 1944, « traître au Parti et à la France ». Or il a toujours nié le bien-fondé de ces accusations. Que se passa-t-il ? Nous allons essayer de le reconstituer à partir des rares informations fournies par les archives de police, par la presse, par la documentation plus complète conservée par lui qui servirent à l’établissement de son autobiographie, de la notice biographique qu’il composa, le 23 novembre 1944, pour le Comité parisien de Libération pour la nomination éventuelle des conseillers généraux et par les témoignages.

Tout d’abord, Georges Beaugrand ne fut pas en désaccord avec le Pacte germano-soviétique et ne signa aucun des textes de communistes dissidents pour cette raison ou pour d’autres raisons. Toutefois, l’article qu’il écrivit sur le pacte pour l’hebdomadaire communiste Front rouge ne put paraître.

Mobilisé au début de septembre 1939, à Coulommiers, puis à la caserne de Reuilly, il fut démobilisé à la fin du mois de novembre (il était de la classe 13 et avait deux enfants). Selon son témoignage, le seul contact qu’il ait eu avec un représentant de la direction du Parti communiste fut avec Albert Vassart, responsable du groupe communiste au conseil général. Les directives qu’il reçut furent de ne « rien entreprendre » et « d’éviter l’arrestation ». Vassart devait exprimer peu après son désaccord avec le Parti communiste.

Comme Georges Beaugrand l’écrivit en novembre 1944, « surveillé, j’ai cru devoir assumer ma sécurité en m’éloignant de Paris ». Il partit pour Pesteau, hameau dans la commune de Merry-Sec (Yonne). Il avait connu, lors de ses voyages dans le Morvan, une institutrice qui lui avait trouvé cette « planque ». Il revint à Paris en décembre pour la session du conseil général. Son domicile avait été perquisitionné. Par crainte de l’arrestation, il repartit dans l’Yonne, revint à Gentilly au début de février où il reçut la lettre lui annonçant sa déchéance de conseiller général et de maire à compter du 1er février 1940. Signée le 21 janvier, elle fut notifiée à son domicile, 26 rue du Président-Wilson à Gentilly. Dans son carnet de note des réunions du Komintern à Moscou, André Marty notait favorablement le 25 mai 1940 : « Beaugrand attend un mot du Parti » (Arch. comité national, dossiers Marty).

Georges Beaugrand repartit aussitôt dans le Morvan. Indiqué sur le registre municipal comme représentant de commerce, il épousa, le 30 mars 1940, à Merry-le-Sec, son amie institutrice, qui possédait une maison à Arleuf (Nièvre) où ils vécurent à partir du 1er avril 1940. Son épouse, née Jeanne, Marie, Virginie Charbonneau, le 27 janvier 1898 à Luzy (Nièvre), fille d’instituteurs, veuve d’un premier mariage en 1921, dirigeait l’école de filles d’Arleuf. Il travailla alors dans l’exploitation de son beau-fils pour la fabrication de charbon de bois pour le compte d’un transporteur parisien Desbordes. Il conduisait notamment un camion.

Le rapport de police établi, le 25 mai 1941, ignorait sa nouvelle résidence et n’indiquait pas, à la différence des autres anciens communistes, qu’il avait quitté le Parti communiste. Il revint quelques jours à Gentilly après l’arrivée des troupes allemandes. Il répondit négativement à la demande des responsables communistes de reprendre son activité, indiquant qu’il se tiendrait à la disposition du Parti dès que la situation serait stabilisée. Les communistes de Gentilly reçurent alors la consigne de cesser tout contact avec lui.

Dans la Nièvre, Georges Beaugrand noua quelques relations avec des militants communistes et notamment avec le maire de Carancy, Tépénier, qu’il avait connu pour le placement d’enfants. Le 24 septembre 1942, il était arrêté à Arleuf et interné au centre de séjour surveillé de Pithiviers (Loiret). D’autres communistes de la Nièvre furent arrêtés au même moment ; mais il fut, selon sa lettre de novembre 1944, le seul de l’arrondissement.

C’est uniquement à propos de son comportement à Pithiviers que le Parti communiste à la Libération prononça son exclusion. La « liste noire » qui circula à la fin de la guerre le classait en deuxième position comme « désorganisateur de la Résistance au camp de Pithiviers au profit de l’office hitlérienne dite POPF ». Beaugrand, dans tous ses témoignages, a nié avoir appartenu à cette organisation. Au camp de Pithiviers, selon lui, il devint le responsable de l’organisme qui transmettait les doléances et les besoins des internés. Il assurait somme toute les rapports avec la direction du camp et avait ainsi des contacts permanents avec les représentants du gouvernement. Il était le « chef des chefs » de baraques jusqu’en novembre 1943, époque à laquelle une nouvelle direction du Parti arriva dans le camp. Il n’a pas entretenu par la suite de contacts avec le Parti communiste organisé clandestinement dans le camp. Il profita des possibilités que lui offraient ses fonctions - notamment un logement individuel - pour rédiger son projet de reconstruction des abattoirs de la Villette. Il y consigna sur quatre cahiers les différentes caractéristiques du travail pour chaque métier accompagnées d’un plan général descriptif et d’une maquette. Il ne conserva que les cahiers et les plans.

Une explication particulière sur la nature des accusations portées contre lui fut publiée dans La Vie du Parti en octobre 1944 : « L’ennemi fit miroiter la liberté au prix de la signature d’un engagement communément appelé : « Engagement de fidélité aux œuvres ou la personne du maréchal Pétain » [...] Il est des militants qui se laissèrent tromper et dont la bonne foi a été surprise, croyant fermement « qu’ils pouvaient signer sans faillir à l’honneur du combattant communiste », mais il y en a qui ne pouvaient se laisser surprendre, étant donné leur passé, leur vie de militant, leur éducation politique, leur possibilité de demander au Parti s’ils pouvaient signer ou non le fameux engagement. Pour ceux-là - et plus leur poste de militant était élevé, moins la faute est excusable - notre parti a pris position en les excluant de son sein à tout jamais comme traîtres au Parti et à la France. C’est par exemple, le cas de Beaugrand, qui poussait à la signature dans le camp de Pithiviers, se montrant ainsi le domestique de la Direction pénitentiaire. »

Ces explications étaient admises en 1974 par Beaugrand. Il ajoutait même une explication supplémentaire : « Le Parti devait faire la démonstration en 1944 qu’il n’hésitait pas à frapper ceux de ses membres qui, durant la guerre, avaient failli à leurs devoirs. »

Dans son autobiographie écrite plus tard, Beaugrand indiquait avoir voulu s’évader pour rejoindre un groupe de la Résistance à Fleury-sur-Loire : « J’espérais ainsi me mettre en rapport avec la direction de mon Parti et détruire la cabale qui avait été montée contre moi [...] uniquement, semble-t-il dans le but de me nuire. » Il avait en effet appris, le 23 avril 1944, son exclusion du Parti communiste.

Sa tentative d’évasion échoua et il resta trois semaines à la prison d’Orléans où il apprit l’arrestation de son épouse, détenue depuis le 12 juin 1944, à la prison de Nevers. La direction du camp lui aurait proposé de le transférer à Jargeau d’où il était plus facile de réussir une évasion. Son transfert eut lieu le 7 août 1944 et il fut libéré le 10 août. Un point demeure mal éclairé. Dans une lettre qu’il envoya à Frérot, maire de Gentilly, en novembre 1944, il indiquait « j’ai averti les camarades de la situation qui m’était faite depuis le 18 avril 1944 ». Quelle était cette situation ? Diverses hypothèses peuvent être émises.

En novembre 1944, Beaugrand, dans sa notice, retraçait son activité depuis sa libération. Il entra en contact avec la Résistance à Marcilly-en-Villette. Un certificat d’appartenance aux FFI du 10 août au 30 août 1944 « Maquis de Sologne, Secteur Sud du Loiret. Mouvement vengeance » lui fut décerné en décembre 1945. Pendant cette période, il fut affecté à la garde des prisonniers d’un camp. Il resta ensuite à Orléans du 30 août au 25 septembre 1944 à la préfecture travaillant sous la direction du Commissaire de la République. De retour dans la Nièvre, il reprit son activité d’exploitant forestier.

L’Humanité, le 26 octobre 1944, avait rendu publiques les accusations de « traître au Parti et à la France ». Beaugrand envoya par le canal de la section communiste de Château-Chinon un rapport sur son attitude à la commission de contrôle politique qui reprenant l’argumentation qu’il exposait dans le même temps au Comité parisien de Libération. Il écrivit aussi à trois dirigeants communistes. À Jacques Duclos, il indiquait : « J’ai fait comme beaucoup d’autres guidés par ma conscience et les enseignements que je dois au Parti, tout ce qui m’a été possible dans mon action et mes paroles, pour que soit anéanti notre ennemi, le fascisme. » À Marcel Cachin, il soulignait qu’il avait été le seul communiste de l’arrondissement arrêté en 1942. À Maurice Thorez, il affirmait : « Je me suis tenu à la disposition du parti dès que j’ai pu me mettre officiellement en rapport avec lui. » Il reçut une réponse de M. Cachin écrite en termes très généraux mais avec un ton chaleureux.

À deux reprises, L’Émancipateur, hebdomadaire communiste de la région nivernaise, le 14 juillet et le 4 août 1945, publia une mise en garde : « Nous rappelons que le sieur Beaugrand, ex-maire de Chatilly (sic) actuellement domicilié à Arleuf, est exclu du Parti comme désorganisateur de la Résistance au camp de Pithiviers au profit de l’officine hitlérienne dite POPF. Il convient donc de recevoir cet individu comme il le mérite partout là où il se présentera. »

C’était pour Beaugrand la confirmation qu’il ne serait pas réintégré. Il s’adressa au Procureur de la République pour être inculpé comme « traître à la patrie ». Sa démarche n’aboutit pas. Aussi, choisit-il de ne plus se manifester.

Selon son témoignage, il reçut des propositions pour être candidat dans la Nièvre de « la Troisième Internationale » - allusion évidente à son passé ; il les refusa comme il refusa les autres propositions qui lui furent faites par la suite. Dans une lettre écrite en 1977, il affirmait : « J’ai toujours eu une comptabilité politique à jour mais parallèle au Parti »...

Georges Beaugrand demeura à Arleuf jusqu’en 1947 travaillant dans l’exploitation de charbon de bois de son beau-fils. Puis il vint à Saint-Maur et travailla successivement dans une entreprise de charbon, dans une fabrique de ressort, chez Pillot, avenue Ledru-Rollin à Paris, comme brocheur sur forme, un de ses premiers métiers. Enfin, il trouva un emploi de représentant en machines-outils, se syndiqua au syndicat des VRP et s’installa en 1950 à Chaumes-en-Brie (Seine-et-Marne). Son épouse était restée à Nevers comme directrice d’école.
Retraité, il se retira à Arleuf en 1967. Son épouse y mourut le 2 décembre 1971. Il habita le commune jusqu’en 1974, puis il s’installa à Vesdun (Cher).

Georges Beaugrand adhérait à différentes associations : Mouvement de la paix, Secours populaire, syndicat des retraités. Il fut élu conseiller municipal de Chaumes-en-Brie lors d’une élection complémentaire le 19 mai 1963 et siégea, avec l’appui des communistes de la commune, jusqu’en mars 1965. Il participait aux commissions des travaux, eaux, égouts, des fêtes et du cimetière. Président de la société de pêche « Le brochet colmacien », il écrivait des articles sur la pollution des rivières dans le journal communiste de Seine-et-Marne, La Marseillaise. Toujours, il avertissait au préalable les communistes de sa situation d’« exclu ». Il eut l’occasion lors de plusieurs réunions publiques, de porter la contradiction à Marc Jacquet.

Beaugrand fit à plusieurs reprises des demandes de réintégration dans le Parti communiste par lettre au secrétaire général. Lors de la préparation du XXIe congrès, il envoya même une contribution qui ne fut pas publiée intitulée : « Oui... des cellules d’entreprises. » En mai 1977, il annonçait dans une lettre à Jacques Girault qu’il était à nouveau membre du Parti communiste et voulait « le servir dans la mesure de mes moyens jusqu’à ma dernière limite d’activité ». L’Humanité-Dimanche, le 13 avril 1977, publiait sa lettre dans le courrier des lecteurs.

Dans le même temps, Beaugrand terminait la dactylographie de son manuscrit sur les halles de la Villette. Il y décrivait les conditions de vie au début du siècle, les raisons du scandale et y esquissait ses propositions d’aménagement rationnel du travail. Comme il s’y attendait, le manuscrit resta inédit. Il l’avait commencé vers 1970 en reprenant les cahiers rédigés pendant la guerre. Il recommençait l’écriture de ses souvenirs auquel il comptait donner le titre Une grande gueule que voilà .

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16030, notice BEAUGRAND Georges par Jacques Girault, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 20 avril 2022.

Par Jacques Girault

[Le conseil municipal. Nos édiles…, op. cit.]

SOURCES : Arch. Nat. F7/13 013, 13 090, 13 094, 13 112, 13 164, 13 260, 13 262, 13 263, 13 264, 13 265, 13 634. — Arch. PPo. 89, 100, 101, 300. — CAC, versement 199440500 (dossiers revenus de Moscou), dossier 187, fiche de police d’octobre 1929. — Arch. com. Gentilly. — Arch. Institut M. Thorez Arch. Beaugrand déposées au Centre d’Histoire sociale du XXeme siècle (Université de Paris I) — Arch. Jean Maitron. — Notice biographique rédigée à l’issue de l’école de Bobigny communiqué par Danielle Tartakowsky. — Dictionnaire des parlementaires... — Le Conseil municipal, nos édiles, op. cit. — A. Kurella, La génération léniniste du prolétariat français, 1925 (en langue russe, orthographié parfois dans les traductions Georges Bagrand) — Témoignage écrits et oraux de l’intéressé et des témoins recueillis à partir de 1974 par J. Girault. — Constance Micalef, Le roman de Jan Valtin Sans patrie, ni frontière, comme sujet d’histoire politique, DEA, 2002, Paris I. — Komintern : L’histoire et les hommes, Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste, Éditions de l’Atelier, 2001. — "Projet pour un abattoir idéal : à la découverte du fonds Georges Beaugrand", https://gedcondorcet.hypotheses.org/2135.

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