Par Ophélie Rillon
Née le 25 avril 1940 à Bandiagara au Soudan-français (aujourd’hui Mali), Madina Tall épousa en 1959 Ibrahima Ly ; historienne et enseignante ; militante syndicale et politique malienne ; elle accéda à de hautes fonctions au lendemain de la révolution de mars 1991 en tant que vice-présidente de la Conférence Nationale, directrice de campagne d’Alpha Oumar Konaré puis ambassadrice du Mali en France.
Une jeune fille du Macina engagée entre le Mali et la France
L’histoire familiale de Madina Tall s’inscrit dans celle de deux grands lignages qui ont marqué l’histoire de l’Afrique de l’Ouest au XIXème siècle. Son père, Hassimi Tall, instituteur formé à William Ponty, serait un descendant d’El-Hadj Oumar Tall, fondateur de l’Empire toucouleur. Sa mère, Obbo Barri, ménagère et petite commerçante, appartenait à la famille de Sékou Amadou, roi du Macina. Bien que son père fût membre du Parti Progressiste Soudanais (PSP), c’est moins dans le cadre de cette famille très pieuse que sur les bancs de l’école que Madina Tall fit ses premiers pas militants. Après des études fondamentales à Koutiala (1947-1952), elle fut envoyée à Bamako pour intégrer le Collège Moderne des Jeunes Filles qui venait d’être ouvert par l’administration coloniale (1952-1956). Elève brillante, elle intégra ensuite le Lycée Terrasson de Fougère qui accueillait majoritairement des garçons (1956-1959). Dès son entrée en seconde, elle s’engagea à l’Union des Scolaires du Soudan où militait aussi Ibrahima Ly, son futur époux. Elle s’engagea ensuite au Parti Africain de l’Indépendance (PAI) en 1958, alors qu’elle était en Terminale. 1959 fut une année charnière pour Madina Tall. A 19 ans, elle obtient son baccalauréat scientifique et devint la plus jeune bachelière du Soudan français, ce qui lui valut l’attribution d’une bourse d’études en France. Alors que son père refusait qu’elle voyage sous le statut de « jeune fille », elle épousa son compagnon Ibrahima Ly. La même année, le jeune couple s’installa à Toulouse où Madina Ly Tall débuta un cursus universitaire d’anglais avant de se réorienter en histoire.
En France, sa vie était alors exclusivement centrée sur les études et le militantisme au sein de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) et du PAI. Si Madina n’eut pas de postes de responsabilité dans ces organisations, elle n’en participait pas moins activement aux réunions, aux meetings et aux manifestations, comme celle organisée par la FEANF pour dénoncer l’assassinat de Patrice Lumumba. A cette période, la jeune femme ne côtoyait aucun militant étudiant français. Les réseaux qu’elle fréquentait étaient essentiellement panafricains et, dans une moindre mesure, algériens. Très tôt cependant, sont venus s’ajouter à ces activités deux enfants, auxquels Madina Ly consacrait une grande partie de son temps, laissant à son époux les charges militantes, suivant une ordinaire division sexuée des tâches. En 1964, la famille Ly s’installa à Paris. Madina débuta alors une thèse de 3ème cycle à la Sorbonne tandis que son mari prit la direction de la FEANF, provoquant la suspension de sa bourse d’étude par le Mali. Si, pour Madina Ly, ces années de militantisme en France ont été « les grandes années », selon ses propres mots, ce fut aussi une vie de misère. Installée à la cité des Closeaux à Rungis dans un appartement du CROUS, la famille vivait difficilement de sa seule bourse. Cette précarité favorisa en partie leur retour au Mali en 1965 et l’arrêt de sa thèse.
Dans la tourmente politique malienne
De retour au Mali en 1965, Madina Ly enseigna l’histoire au Lycée Askia Mohamed de Bamako (1965-1966) puis au Lycée des Jeunes Filles dont elle fut directrice (1966-1967) avant de prendre la tête de l’Ecole Normale Secondaire de Filles (1967-1968). Dans le contexte de la révolution active (1966-1968), période de radicalisation du régime de Modibo Keita, l’aile dure supportait de moins en moins le « soutien critique » de son époux, qui était menacé d’arrestation. En 1968, Madina et Ibrahima parvinrent à décrocher des bourses d’études pour aller poursuivre leurs cursus en Europe. Peu à l’aise avec les nouvelles orientations du régime et en même tant toujours fidèles à l’idéal socialiste, était-ce là une manière de fuir un climat politique de plus en plus violent ? Leur projet avorta cependant avec le coup d’Etat de novembre 1968. Aussitôt leurs bourses furent supprimées et de nouveau la famille fut contrainte de vivre sur le seul salaire de Madina retournée enseigner au Lycée Askia (1968-1969), tandis qu’Ibrahima était suspendu de son poste à la suite de ses prises de position contre les putschistes. Finalement, ils parvinrent à fuir le pays séparément : Ibrahima se rendit en URSS où il réussit à décrocher une bourse d’étude. Madina, ne pouvant pas l’accompagner car il n’y avait pas structures d’accueil pour les familles, s’envola alors pour Paris avec leurs trois enfants en 1969.
Installée à Villiers-le-Bel, Madina vécut de façon précaire d’une bourse de l’UNESCO et d’un emploi, décroché grâce à des relations avec des militants communistes français, à la mairie de Saint Denis où elle se chargeait de rédiger des notes de synthèse. Bien que ses enfants soient scolarisés, elle manquait de temps et ne bénéficiait plus de la sociabilité entretenue par son mari lors de leur premier séjour en France pour continuer à militer. Madina Ly demeurait cependant une figure importante pour les milieux étudiants maliens de France. C’est ainsi que ces derniers vinrent lui demander son soutien dans la mobilisation qu’ils organisèrent en faveur de la libération du militaire Diby Silla Diarra, auteur d’un coup d’Etat avorté en 1969. Cette rencontre s’avéra un échec tant le clivage était grand entre l’aînée de la lutte panafricaine, hermétique aux querelles idéologiques, et la nouvelle génération maoïste. Malgré la distance, elle entretenait une correspondance intense avec Ibrahima Ly qui demeurait un soutien important dans sa vie de femme seule immigrée en France, devant assumer un travail, la charge de leur famille et ses études. Elle avait repris sa thèse de 3ème cycle à la Sorbonne sur l’Empire du Mali, qu’elle soutint en 1972 sous la direction de Raymond Mauny.
La même année elle rentra au Mali avec ses enfants, précédant de quelques mois le retour d’Ibrahima. Elle fut alors nommée professeure d’histoire à l’ENSup, l’un des foyers de la lutte contre la dictature militaire, et participa à la création d’une organisation clandestine : le Regroupement des Patriotes Maliens (RPM). Elle œuvra à la rédaction du tract appelant à boycotter « La farce électorale du 2 juin 1974 » diffusé à l’occasion du référendum constitutionnel, qui fit connaître le groupe. Malgré son implication, Madina ne fut pas directement inquiétée. Comme nombre de militantes de l’époque, son identité féminine lui permettait d’invisibiliser son engagement. Par ailleurs, le jour où la police vint arrêter son époux à leur domicile, elle était dans un avion en partance pour Paris où elle devait suivre des soins. De France, elle organisa des comités de soutien avec Amnesty et le PCF pour réclamer la libération des détenus politique avant de revenir au Mali, un mois plus tard. Après être passé par le bagne de Taoudenit, Ibrahima fut incarcéré à la prison de Bamako puis de Niono, où Madina accompagnée de leurs enfants lui rendait régulièrement visite.
De l’exil à la carrière diplomatique
A la libération d’Ibrahima en 1978, la famille s’exila à Dakar où Madina intégra l’IFAN et entama une thèse d’Etat sur El Hadj Omar Tall qu’elle soutien en 1988 sous la direction de Jean Devisse. De nouveau, leur maison devint l’un des foyers de la lutte contre le régime de Moussa Traoré : lieu de réunion, d’élaboration des revues et des tracts qui circulaient sous le manteau au Mali, de création du Parti Malien pour la Révolution et la Démocratie (PMRD) et de jonction des différentes organisations clandestines au sein du Front National Démocratique et Populaire (FNDP). En 1989, affaibli par ses années de détention, Ibrahima meurt. Perdant son compagnon de vie et de lutte, Madina n’en continua pas moins à militer. Au lendemain de la révolution malienne de mars 1991, elle retourna à Bamako et fut élue vice-présidente de la Conférence Nationale, au cours de laquelle furent rédigés les textes fondateurs du nouveau régime démocratique. En 1992 elle dirigea la campagne d’Alpha Oumar Konaré, puis obtint le poste d’Ambassadrice du Mali à Paris après la victoire de son parti l’ADEMA aux élections présidentielles (1992-2002). Aujourd’hui retraitée, elle vit toujours entre la France et le Mali.
A l’instar de toute une génération de militants des constructions nationales – majoritairement masculine – la trajectoire politique de Madina Ly s’imbrique autant dans l’histoire du Mali indépendant, que dans une histoire connectée entre son pays et les terres d’exil et d’études qu’ont constitué la France et le Sénégal. Son engagement relevait à la fois du combat d’une vie et d’une histoire de couple comme en témoigne le vibrant hommage que lui rendit son époux dans son ouvrage Toiles d’Araignées. Au travers du portrait d’une jeune fille révoltée et obstinée, c’est celui de son épouse qui se dessine : « Mariama c’est Madina » dira t-il, « Sa ténacité et la foi qu’elle mettait dans son rôle de mère, d’épouse et de ‘‘nouveau père’’ m’ont aidé à supporter la vie carcérale […] elle a réussi à me maintenir dans le flot de la vie du pays en déployant un rare génie d’astuces pour m’informer régulièrement » (LY Ibrahima, 1997, p. 418).
Par Ophélie Rillon
OEUVRES : LY-TALL Madina, Contribution à l’histoire de l’Empire du Mali (XIIe-XVIe siècles) : limites, principales provinces, institutions politiques, Dakar, Nouvelles Editions Africaines, 1977, 220 p. ;
LY-TALL Madina, Un islam militant en Afrique de l’Ouest au XIXe siècle : la Tijaniyya de Saïku Umar Futiyu contre les pouvoirs traditionnels et la puissance coloniale, Paris, L’Harmattan, 1991, 479 p.
SOURCES : Entretien avec Madina Ly Tall, Paris, 5 juin 2014. ; KONARE Adam Ba, Dictionnaire des femmes célèbres du Mali, Bamako, Jamana, 1993, pp. 182-184. ; LY Ibrahima, Toiles d’Araignées, Arles, Actes Sud, 1997 [1982], 419 p. ; Paroles pour un continent. La vie et l’œuvre d’Ibrahima Ly, Ouvrage collectif, Paris, L’Harmattan, 1990, 245 p.