BÉGARRA Joseph, Antoine

Par Gilles Morin, Jean-Louis Planche

Né le 26 mai 1908 à La Sénia (département d’Oran), mort le 3 juillet 1997 à Paris (XIe arr.) ; instituteur ; secrétaire adjoint (1935-1940) puis secrétaire (1943-1962) de la Fédération SFIO d’Oran, conseiller de l’Union française (1947-1958), membre du comité directeur de la SFIO (1950-1969).

Issu d’une famille basque française fixée en Oranie vers 1855, prenant épouses en milieu espagnol, Joseph Bégarra était le fils d’un jardinier, commis de ferme. Son directeur d’école, petit-fils d’un communard, le poussa au concours des bourses. Interne à l’école primaire supérieure de Sidi-Bel-Abbès, il fut l’élève de Maurice Guillon, secrétaire de la plus forte section communiste d’Oranie. Élève à l’École normale de La Bouzaréah (Alger), de 1924 à 1927 où il obtint le Brevet supérieur, il se passionna pour la politique, sous l’influence de plusieurs professeurs, socialistes ou socialisants.
Nommé instituteur à Bou-Sfer, à 20 km d’Oran, il adhéra au Parti socialiste à Oran et, lors des élections de 1928, fit entrer la politique de parti au village, puis partit à l’École militaire d’artillerie de Poitiers, d’où il sortit sous-lieutenant. À son retour, il fut nommé en 1929 à Aïn-el-Turck. Ce gros village, plus proche d’Oran, était entouré de terres à primeurs mises en valeur par des petits colons et leurs ouvriers musulmans. L’espagnol valencien était la langue de communication, y compris parfois au conseil municipal. En 1931, Joseph Bégarra épousa une institutrice venue de métropole.

En 1932, la Fédération d’Oran lui confia la tâche de relever Le Semeur, l’hebdomadaire fédéral, dont la gestion était déficitaire. L’Oranie comptait une douzaine de sections, celles de Tlemcen et de Sidi-Bel-Abbès étant les plus importantes. Très vite, le journal fut remis à flot et tira à 2 ou 3 000 exemplaires. À Oran, il se vendait à la criée, malgré l’opposition du noyau de militants communistes regroupés autour de Torrecillas, très populaire sur le port et dans le vieil Oran.

En 1935, Joseph Bégarra devint secrétaire fédéral-adjoint, chargé de l’administration, il le demeura jusqu’à la guerre. Il avait gagné suffisamment d’influence à la Fédération pour obtenir de créer une section à Aïn-el-Turck, contre l’avis d’Henri Bertrand, son directeur d’école, secrétaire d’Oranie du Syndicat National des Instituteurs. Il s’appuya notamment sur Jeanne Coulomb, professeur à l’École normale qui avait créé et dirigé une école de formation des militants, sur le Dr Alexandre Amouyal, pédiatre très influent parmi les Juifs d’Oran, sur Allal Saadoun, musulman et bibliothécaire-adjoint au Grand Orient de France, et sur Mohammed Zbentout, secrétaire fédéral-adjoint, chargé en 1936 des relations avec le Congrès Musulman.

En mai 1936, Oran élisait député Marius Dubois, secrétaire fédéral, le seul député de la SFIO élu outre-mer avec Marcel Régis, élu député à Alger. Certes, la victoire n’avait été remportée que grâce au maintien, au second tour, de l’abbé Lambert, maire d’Oran, aventurier populiste, et populaire, que la Droite traditionnelle exécrait au point de voter pour le candidat Croix-de-Feu. Minoritaires à Oran, les forces de gauche se resserrèrent autour d’une SFIO très combative, très rouge, très proche par nécessité des communistes, appuyée par les Juifs et par les Musulmans. En face, les Droites s’étaient rassemblées autour de l’abbé Lambert qui portait au revers de sa soutane l’insigne du PPF. Le patronat oranais les subventionnait largement, car les grandes grèves de juin 1936 avaient été très dures à Oran, où le PC organisait les piquets de grèves tandis que les instituteurs du SNI rédigeaient les cahiers de revendications.

De 1936 à 1938, Oran fut, plus encore que Marseille, la ville française où les affrontements politiques étaient les plus violents, les plus meurtriers. Le Préfet décrivait la ville au bord de la guerre civile. Marius Dubois étant député à Paris, et Henri Bertrand étant absorbé par la direction de l’UD-CGT d’Oran, Joseph Bégarra fut de fait secrétaire fédéral. Il enseignait à présent à Oran, dans le quartier de Saint-Eugène. Il était d’autant plus écouté qu’il s’exprimait couramment en espagnol valencien, et en arabe oranais. Qu’il soit lieutenant d’artillerie (du cadre de réserve) ajoutait encore à son prestige. Se répandait alors au Parti communiste algérien la boutade selon laquelle « un petit-bourgeois social-démocrate d’Oran est plus révolutionnaire qu’un ouvrier communiste d’Alger ».

La tension était encore plus forte, depuis qu’en juillet 1936 l’Espagne était en proie à la guerre civile. L’abbé Lambert avait des relations étroites avec les franquistes, dont les victoires étaient fêtées par les beaux-quartiers d’Oran qui pavoisaient à leurs couleurs. Mais le petit peuple espagnol d’Oranie était passionnément républicain. Joseph Bégarra à la mi-août 1936 gagna Alicante, où il dirigea une formation accélérée d’artilleurs dans un camp de l’armée républicaine. Il y consacra à nouveau ses vacances de l’été 1937. Malgré la menace d’être suspendus, Joseph Bégarra et sa femme étaient du petit nombre d’instituteurs qui firent grève le 30 novembre 1938.

En septembre 1939, mobilisé, il fut envoyé dans une batterie de 105 long sur la ligne Mareth, dans la sud tunisien, face aux forces italiennes de Libye. Avant la fin juin 1940, par le « téléphone arabe » le contenu de l’appel du 18 juin 1940 parvint à sa batterie. Le capitaine, juif d’Oran, et les six lieutenants, instituteurs, calculaient comment rejoindre le général De Gaulle à Londres et reprendre le combat. Mais l’annonce du désastre de Mers El-Kébir, début juillet, dressa les soldats contre les Anglais.

Le réseau de résistance auquel participa Joseph Bégarra en 1940-1942 n’avait pas de contact direct avec Londres. Il se limitait à la transmission de maigres renseignements, était en rapport avec certains militants communistes clandestins pour échange d’informations (il ne devint actif qu’après le débarquement allié de novembre 1942 où il fut alors intégré à Combat-Afrique du Nord). À Oran, la répression politique vichyste était relativement modérée. Peu de mesures d’internement en camps, en dehors de militants ou de sympathisants actifs du Parti communiste, les seuls dont l’organisation clandestine ait entretenu une campagne sporadique de tracts et d’inscriptions murales. Mais les mesures de révocations furent nombreuses, contre les francs-maçons notamment. Dans les petites villes et les villages, guidé par les haines de clocher, l’internement frappa les socialistes aussi.

Dans la confusion des combats qui avaient opposé l’Armée d’Afrique aux Anglais et aux Américains, le 8 novembre 1942, Joseph Bégarra parvint à éviter de rejoindre son régiment qui eut plusieurs dizaines de morts. Fin novembre 1942, il partit avec son régiment pour la Tunisie où il se battit jusqu’en mai 1943 contre les troupes de l’Axe. Le 15 août 1944, il débarqua avec sa batterie en Provence, dans les rangs de la 2° Division d’infanterie de montagne, participa à la libération de l’Alsace et passa le Rhin en mars 1945. Mais il termina la guerre en Normandie, à l’instruction, le commandement de sa batterie ayant été donné à un conseiller d’État affligé de la francisque, en voie de réhabilitation.

À l’automne 1945, Joseph Bégarra fut élu secrétaire fédéral, lors du congrès de la Fédération d’Oran de la SFIO. La Fédération compte alors 2 500 militants. Sa position sur la question musulmane en Algérie était très avancée au sein de la SFIO. Ainsi, seule des trois fédérations d’Algérie, était-elle favorable au collège unique où tous les Musulmans et tous les Européens auraient été électeurs. Elle était, il est vrai, la seule où les militants musulmans étaient relativement nombreux, depuis la répression des événements de mai-juin 1945 dans le Constantinois. Il appartenait au comité de direction du journal inter fédéral d’Algérie, Fraternité.

Joseph Bégarra fut mandaté par la Fédération pour aller défendre sa position au congrès national tenu à Paris le 9 juin 1946. Il critiqua vivement Le Trocquer, ministre de l’Intérieur, assis au premier rang, pour ses sorties anticommunistes et surtout pour son choix de chef de cabinet. Il demanda, au nom des fédérations d’Oran et de Constantine, de ne plus le voir dans une combinaison ministérielle. Daniel Mayer, secrétaire général, et Guy Mollet remarquèrent la pugnacité de ce secrétaire fédéral, venu d’une fédération du bout du monde, face à un ministre en exercice.

La Fédération socialiste d’Oran fut aussi la seule d’Algérie à défendre un esprit fédéraliste quant à l’avenir politique de l’Algérie. Joseph Bégarra défendit Charles-André Julien, lors du congrès interféféral qui réunit les cinq fédérations d’Afrique du Nord, à Alger, en juillet 1946. Charles-André Julien était venu de Paris avec Robert Verdier et Georges Gorse. Le rapport politique qu’il présenta a très vraisemblablement été rédigé avec le soutien du Gouverneur général Chataigneau.

Maurice Rabier, député socialiste d’Oranie, avait rédigé le projet de statut de l’Algérie dans un esprit fédéraliste, susceptible de permettre l’évolution vers une république autonome fédérée à la République franchise, ainsi que le souhaitent les nationalistes algériens de l’UDMA, groupés autour de Ferhat Abbas. Le congrès socialiste de Lyon, en août 1947, l’avait approuvé. Mais le président du Conseil, Ramadier, et Édouard Depreux, ministre de l’intérieur, résistaient mal à la pression du MRP, si bien que l’Assemblée nationale vota le 27 août 1947 un projet de statut remanié dans un sens centralisateur, rejetant par là toute ouverture aux nationalistes algériens modérés.

Début février 1948, Joseph Bégarra conduisit à Paris une délégation des élus socialistes d’Algérie pour rencontrer Jules Moch Ils savaient que le Gouverneur général Yves Chataigneau, dont la grande colonisation voulait le départ, était sur le point d’être remplacé par Edmond Naegelen, ministre de l’Éducation nationale. Borra, député de Bône, s’écria : « Monsieur le Ministre, vous savez l’admiration que nous avons tous pour Léon Blum. Eh bien ! Si vous nous envoyiez Léon Blum, nous vous dirions de le garder, il faut nous laisser Chataigneau. »

La Fédération d’Oran était d’autant plus sensible aux progrès du nationalisme algérien qu’elle avait perdu la plupart de ses cadres et militants musulmans, passés à l’UDMA dès la création de ce parti par Ferhat Abbas à l’automne 1946. Les liens avec ces anciens camarades étaient demeurés soutenus, et les rencontres fréquentes. Joseph Bégarra avait ainsi gardé toute son amitié à Ahmed Boumendjel, ancien condisciple de l’École normale, membre du comité central de l’UDMA, et à Hirèche, secrétaire de la Fédération d’Oranie de l’UDMA. Tous trois se rencontraient fréquemment. À l’Assemblée de l’Union franchise, dont Joseph Bégarra étaient membre, les fréquentes demande de levée de l’immunité parlementaire déposées contre Ferhat Abbas vinrent devant la commission ad hoc dont Joseph Bégarra était rapporteur. Aucune n’a jamais été acceptée. Il fut désigné comme vice-président de l’Assemblée de Versailles et siégea désormais dans les réunions du parti consacrées à la question coloniale, dont il devint l’un des animateurs avec André Bidet. Il avait déjà appartenu à la commission d’Outre-mer lors de la semaine d’études internationale de la SFIO, à Saint-Brieuc, les 25 juillet - 1er août 1948 et présenta le rapport sur les réformes sociales aux Journées d’études de l’Union française les 12-13 juillet 1949. Il appartint à la Commission de l’Union française du Parti en 1951-1952.

C’est au début du printemps 1948 que Joseph Bégarra se lia à Guy Mollet. Celui-ci était venu ouvrir la campagne socialiste pour les élections à l’Assemblée algérienne qui se tinrent en avril. Arrivant d’Alger, peu satisfait de sa tournée improvisée par la petite fédération algéroise mal organisée, le jeune député était étonné de l’accueil que lui avait préparé la Fédération d’Oran. Et, bien que préoccupé au premier chef par les problèmes européens, Guy Mollet faisait un effort réel pour comprendre les questions algériennes.

Joseph Bégarra fut élu au comité directeur de la SFIO en 1950 et il fut reconduit à cette responsabilité jusqu’à la transformation du parti en 1969. Bégarra y porta l’affaire des élections en Algérie, truquées au niveau du second collège musulman sur ordre du Gouverneur général Naegelen. Il avait préparé lui-même le dossier avec la documentation rassemblée par son bureau fédéral et par Ahmed Boumendjel. Il obtint l’aval de Guy Mollet, secrétaire général, parla devant le comité directeur, puis remit son dossier à Jules Moch, dans la salle. Celui-ci lui répondit qu’il avait déjà fait procéder à l’étude de la question, et avait en main les mêmes conclusions. Joseph Bégarra, ayant eu par la suite l’occasion de présenter son dossier à Naegelen, celui-ci lui répondit : « Eh bien oui ! Cela s’est passé ainsi, mais c’était cela ou le MTLD ! Et le MTLD, je ne le laisserai jamais passer, parce que j’aime mon pays, je suis un Alsacien et l’Algérie c’est la France ! L’Algérie, c’est mon Alsace ! ». Joseph Bégarra lui répondit : « Monsieur le Ministre, non, en Alsace vous n’avez que des Français, ici vous avez des Européens, et des Algériens qui sont majoritaires, ce n’est pas la même chose, et l’on n’a pas le droit d’employer ces méthodes-là ! ». Naegelen ayant protesté qu’il était un militant responsable, la Fédération d’Oran le prit au mot. Ayant appris qu’une visite du Gouverneur général en Oranie était proche, Joseph Bégarra proposa à Naegelen de rendre visite à la section socialiste dans chacune des villes qu’il visiterait. À Saïda, ville de droite, un immense drapeau rouge descendait du premier étage jusqu’au trottoir. Lorsque le Gouverneur général entra, en grand uniforme, dans le local, ce fut pour affronter un débat extrêmement vif sur les élections truquées, débat auquel le Gouverneur général ne se déroba pas.

En juin, 1953, Bégarra participa à la fondation du Comité France-Maghreb qui protestait contre la destitution du Sultan, avec son collègue Charles-André Julien et une série de responsables socialistes, au côté d’hommes de droite ou de personnalité, comme François Mauriac et le général Catroux. Après la toussaint 1954 en Algérie, il demanda au congrès de Suresnes les 10 et 11 novembre, à la fois des mesures de sécurité pour éviter le renouvellement des attentats, mais aussi qu’il n’y ait « pas de ratissages systématiques, pas de mesures de répression aveugle ». Au comité directeur, il expliqua le développement du mouvement nationaliste et jugea que la dissolution du MTLD était une erreur. Son analyse de la situation retardait toutefois, supputant que les Algériens étaient « attirés une intégration complète », désirant devenir Français « sans restriction de droit ni de devoir ». Il estimait dans ses conclusions qu’il fallait, en attendant que le problème politique soit mûr, « prendre sur le plan économique et social des mesures urgentes ». Cette analyse, donnant la priorité au social sur le politique, était reprise par les leaders du parti. Il évolua toutefois et on trouve dans les archives d’Alain Savary une note du 21 janvier 1956, intitulée « Algérie, programme de salut public », dans laquelle il proposait notamment de proclamer l’égalité politique totale de tous les habitants de l’Algérie, de créer un collège unique pour les élections, de dissoudre l’Assemblée algérienne et d’annoncer la libération de tous les prisonniers politiques.

Lorsque Guy Mollet fut investi Président du Conseil le 1er février 1956, à sa demande Joseph Bégarra qui présidait le groupe socialiste de l’Assemblée de l’Union française lui proposa la nomination de son collègue Alain Savary comme Ministre résident en Algérie. Il désapprouva le choix de Catroux qui n’était aimé ni par les Européens, ni par les Musulmans ; le choix d’un général n’était, estimait-il, peut-être pas le plus judicieux, s’il fallait négocier avec le FLN. Joseph Bégarra connaissait bien le frère du général, grand colon de la région de Saïda, très introduit dans les fédérations agricoles de grand colon.

Dès ce moment, Joseph Bégarra joua le rôle de conseiller personnel de Guy Mollet sur les affaires algériennes. Un bureau très proche du Président du Conseil lui avait été installé à Matignon. Le 5 février 1956, il était à Alger pour préparer sa venue, et put juger de la température élevée de l’opinion européenne, l’arrivée de Guy Mollet le lendemain devait être chaude. Les renforts de CRS dont il avait fait conseiller la venue firent mouvement vers Alger. De fait, le 6 février, Joseph Bégarra fut au Monument aux Morts d’Alger, dans la délégation qui entourait Guy Mollet. Les soldats qui rendaient les honneurs avaient mis baïonnette au canon, et vacillaient sous la pluie de pierres et de morceaux de fonte qui tombaient dru. Il était atterré de la négligence de l’équipement : la ligne téléphonique du Gouverneur général n’était pas isolée, et la conversation entre Guy Mollet et le Président René Coty, à côté de qui se trouvait, au Palais de l’Élysée, le général Catroux, passait par le central téléphonique d’Alger où les standardistes pouvaient écouter la démission du général Catroux, et la raconter.

Au départ de la négociation secrète avec le FLN en 1956, que mena Joseph Bégarra, était le colonel Nasser. Recevant Pineau, ministre des Affaires étrangères de Guy Mollet, retour de la Nouvelle Delhi, qui s’était arrêté au Caire, Nasser lui suggéra de faire prendre des contacts exploratoires avec la délégation du FLN au Caire. Il en ferait assurer la protection. Depuis le 6 février, Joseph Bégarra était très proche de Guy Mollet qui le désigna pour se faire.

Joseph Bégarra partit le premier pour Le Caire, suivi de Georges Gorse. Celui-ci, député socialiste puis conseiller de l’Union franchise, avait été pendant la guerre professeur au lycée français du Caire jusqu’à sa révocation pour propagande gaulliste. Il assura l’acheminement en main propre des rapports de Joseph Bégarra à Guy Mollet, lors de la négociation, à laquelle l’ambassadeur d’Égypte à Paris apporta un soin très attentif, sur les instructions de Nasser.

La délégation du FLN désigna Khider pour rencontrer Joseph Bégarra. Celui-ci aurait aimé rencontrer Ben Bella qu’il avait croisé à plusieurs reprises à Maghnia dans ses déplacements en Oranie ; mais il apprit bien des années plus tard que le choix du négociateur avait été âprement discuté au sein de la délégation du FLN. De fait, après un début abrupt, le 13 avril, le contact devint si étroit entre Khider et Joseph Bégarra, rapprochés par leur éloignement commun de l’Algérie, que, selon ce dernier, il était nécessaire de distinguer entre deux types de rencontres : les négociations, dont chacune fit l’objet d’un rapport immédiat à Guy Mollet, et les rencontres à titre privé.

Joseph Bégarra exposa les trois points de la politique de Guy Mollet : cessez-le-feu, puis élections libres, puis négociations. Khider répondit : « Cessez-le-feu ? À une seule condition : d’abord l’indépendance. » La seconde rencontre, le lendemain 14 avril, permit à Khider de sonder Joseph Bégarra sur ce que Guy Mollet entendait par les expressions qu’il utilisait souvent : « personnalité algérienne », « entité algérienne ». Joseph Bégarra donna son interprétation personnelle, et dit qu’il allait en rapporter à Guy Mollet pour avoir les précisions demandées quant à l’extension de l’autonomie politique que le choix par Guy Mollet de ces expressions impliquait.

La troisième rencontre eut lieu le 20 avril. Chacun fit le point des propositions en présence : pour Guy Mollet, large autonomie de gestion à l’intérieur d’une structure fédérale évolutive ; pour la délégation du FLN, indépendance d’une nation algérienne où les résidents européens seraient considérés comme des étrangers, sauf à prendre la nationalité algérienne. Puis furent discutés le lieu et l’ordre du jour de la prochaine conférence de négociation, et la composition des deux délégations. Joseph Bégarra quitta alors Le Caire pour rendre compte. Il resta en correspondance avec Khider pendant un certain temps, à titre personnel, jusqu’à ce que Guy Mollet lui demande d’interrompre. Pierre Commin, secrétaire général de la SFIO, Pierre Herbaut et Ernest Cazelles, prit alors le relais. Mais les négociations s’enlisèrent, le FLN reprit le préalable de l’indépendance lors du congrès de la Soummam en septembre et les contacts s’interrompirent définitivement après le détournement de l’avion transportant les chefs nationalistes algériens en octobre 1956. Bégarra continua à soutenir malgré tout la politique de Guy Mollet en Algérie, espérant dans la mise en place de la Loi-Cadre et dans de nouvelles négociations secrètes (voir comité directeur du 18 décembre 1957). Il participait à toutes les assemblées internes du parti, siégeant par exemple à la commission de résolution du conseil national de décembre 1957, présidant une séance du Conseil national de mars 1958, défendant les positions de la majorité face à Alain Savary dans la commission chargée d’étudier la situation en Algérie au conseil national des 3 et 4 mai 1958 qui décida le départ d’Algérie de Robert Lacoste. Il approuva le ralliement de Guy Mollet au général de Gaulle après le 13 mai 1958. En 1959, il fut élu au conseil municipal d’Oran.

Joseph Bégarra fut désigné pour siéger au Conseil économique en juin 1959, à la section des Économies régionales, après que ses fonctions à l’Assemblée de l’Union française aient pris fin en décembre 1958. Il siégeait au Palais d’Iéna jusqu’en janvier 1962. Il résidait désormais essentiellement en France, même s’il restait en titre secrétaire de la fédération d’Oran. Quelques jours après les massacres d’Européens le 5 juillet 1962 à Oran, il vint en avion pour mener une enquête à la demande de la SFIO. Il nota la simultanéité de la mise en place des barrages dans la ville, la présence à ces barrages de nombreux algériens en uniformes militaires, et retient des chiffres qui, par leur ampleur, témoignent de l’incertitude : entre 60 et 3 000 morts, dont un certain nombre de musulmans.

L’été 1962, il fut à Oran où il avait conservé son appartement. Mohammed Belarbi qui avait été responsable des Jeunesses socialistes, très militant, très décidé, se proposait pour créer un Parti Socialiste Algérien. Joseph Bégarra l’aida par ses conseils, fit quelques causeries sur la tradition socialiste et sur l’importance de la formation des cadres. Il revint tous les étés passer ses vacances à Oran. À la Préfecture, on lui garantissait qu’il retrouverait son appartement en bon état. L’été 1964, ses amis à la Préfecture d’Oran lui firent savoir qu’il n’était plus possible de lui garantir que l’appartement ne serait pas « cassé » et classé « bien vacant ». Ce furent ses dernières vacances à Oran pendant longtemps.

Après la création du Parti socialiste, Bégarra ne figura plus dans la direction du nouveau parti. Il resta fidèle à son ami Guy Mollet, puis à ce dernier et à Alain Savary et appartint au Collectif politique de la tendance « Bataille socialiste » en 1971. Résidant à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne), il participa jusqu’à ses derniers jours aux travaux de l’Office universitaire de Recherches socialistes et apporta un témoignage remarqué au colloque consacré à Guy Mollet à Lille en 1986.

Joseph Bégarra était titulaire de la Croix de guerre 1939-1945.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16103, notice BÉGARRA Joseph, Antoine par Gilles Morin, Jean-Louis Planche, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 17 août 2021.

Par Gilles Morin, Jean-Louis Planche

SOURCES : Arch. FNSP, 3 MA 28. — Arch. OURS, fonds PS-SFIO I0-1-19 ; correspondance de la fédération d’Algérie ; fichier "Bataille socialiste », fonds. C. Fuzier. — Rapports des congrès de la SFIO, 1944-1967. — Bulletin intérieur de la SFIO, n° 117. — Who-s Who in France, 1965-1966 — B. ménager et alii, Guy Mollet, un camarade en République, Lille, PUL, 1987, p. 518-522. — G. Morin, De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au Parti socialiste autonome, 1954-1960, thèse d’histoire, université de Paris 1, 1992. — Entretiens réalisés par J. L. Planche avec Joseph Bégarra pour la revue Parcours en 1988-1989 et 1991. — Claire Marynower, Joseph Begarra : un socialiste oranais dans la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 2008.

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