BELLOIN Gérard, Albert

Par Bernard Pudal

Né le 3 avril 1929 à Vernou-sur-Brenne (Indre-et-Loire) ; militant puis permanent communiste de 1944 à 1980 ; secrétaire fédéral de l’UJRF puis responsable fédéral du Parti communiste dans l’Indre-et-Loire ; directeur de l’école centrale d’un mois du parti, collaborateur du comité central à la section des intellectuels communistes, journaliste à France Nouvelle, spécialiste de la culture, quitta le PCF en 1980 ; journaliste indépendant ; auteur d’ouvrages autobiographiques et d’histoire.

Gérard Belloin est un cas à la fois typique et exceptionnel de cadre communiste d’origine populaire dont le parcours de professionnel de la politique au sein du Parti communiste est indissociable d’une intense entreprise autodidactique, d’abord dans le cadre du parti lui-même, puis de manière critique et auto-analytique.

Ses grands parents paternels étaient de petits viticulteurs, d’installation récente, dont le maître mot était « économiser ». L’exploitation qu’ils possédaient à Bléré était, selon son autobiographie, « le fruit de la dernière floraison de la petite propriété paysanne ». À sa naissance, son père, qui avait refusé de devenir petit exploitant comme ses propres parents, était ouvrier agricole (closier) et sa mère « sans profession ». Il devint ensuite ouvrier non qualifié dans une fonderie et bien qu’il n’ait adhéré au PCF qu’à la Libération, il se réclamait de l’imaginaire ouvrier pour se démarquer du monde paysan de son enfance et légitimer son choix professionnel. Si cette configuration sociale et familiale, très conflictuelle, fut au principe chez Gérard Belloin de son double refus du destin paysan et du destin ouvrier, l’ascension sociale par l’école qui s’imposait comme avenir « possible » se heurtait elle-même à l’extrême valorisation familiale d’une instruction qui en faisait un objectif « inaccessible ». Il obtint cependant son CEP en 1942, alors que ce sésame permettait alors d’échapper au travail manuel. Employé aux écritures dans une compagnie d’assurances de Bléré, gros village viticole installé sur la ligne de démarcation (ce dont Gérard Belloin devait tirer un témoignage et un ouvrage non publié), son contrat d’apprentissage prévoyait qu’on le formerait au métier d’employé d’assurances. Son ami Julien Pinon, un jeune résistant communiste, lui ouvrit l’esprit « à l’utopie ». Trop jeune pour avoir pu s’engager dans la Résistance, son besoin d’action et son patriotisme, ainsi que son admiration pour l’URSS de la bataille de Stalingrad, le conduisirent à adhérer aux Forces unies de la jeunesse patriotique (FUJP). Il rejoignit les Milices Patriotiques à l’automne 1944. La campagne d’adhésion du PCF, qui se présentait comme le « parti des fusillés », joua un rôle déterminant dans son engagement politique. Membre des Jeunesses communistes depuis le 7 novembre 1944, il fut délégué au congrès national des FUJP à Paris en janvier 1945 puis au premier congrès départemental du PCF qui suivit la Libération. Il devint en 1946 membre du bureau fédéral de l’UJRF puis secrétaire fédéral au printemps 1948, accédant ainsi, simultanément, au comité fédéral du Parti au titre des Jeunesses. Après son mariage et son service militaire (il fut libéré en décembre 1949) il fut élu à vingt et un ans secrétaire politique de la section de Bléré qui comptait alors environ 280 adhérents à cette époque, sa vie étant dès lors totalement accaparée par le militantisme. Il entra au bureau fédéral en 1951 où on le chargea du travail paysan. Il participa à l’école centrale du Parti d’un mois à Viroflay (Seine-et-Oise) au printemps 1953. Promu permanent, il s’installa à Saint-Pierre-des-Corps près de Tours, ville cheminote et fief communiste dont il fut conseiller municipal. Responsable de l’hebdomadaire fédéral, La Voix du peuple de Touraine dont il fut à la fois le rédacteur, le photographe et l’animateur, il y côtoya des enseignants communistes.

La mort de Staline en 1953 et les révélations du XXe Congrès du PCUS n’entamèrent pas sa foi communiste, mais son rapport au militantisme se reconfigura : l’étau de l’idéal, qui se desserra, et la lassitude liée à son activisme forcené et à son intérêt tout relatif pour le monde paysan le conduisirent à envisager de quitter le statut de permanent. Ce furent le putsch des généraux, le 13 mai 1958 et l’arrivée de de Gaulle au pouvoir qui le remobilisèrent. Il devint secrétaire fédéral. La section des cadres le proposa alors pour le poste de directeur de l’école centrale d’un mois du parti, poste qu’il occupa à partir du 1er septembre 1959. Gérard Belloin, qui détestait les situations de prise de parole publique, trouva alors une situation qui combla son désir de lire et de se cultiver : son militantisme devint en effet une activité essentiellement intellectuelle. Il resta cinq ans à ce poste où il s’adonna à un intense travail de lecture et à l’enseignement, tout en bénéficiant des ouvertures culturelles, qu’offrait Viroflay où se formaient alors ceux que Gérard Belloin appelle la génération du Programme commun. L’école le mit aussi en contact permanent avec les dirigeants du parti qui assuraient l’essentiel des cours. Signe de son élection dans les sphères supérieures de l’encadrement communiste, le Parti lui offrit ses premières vacances dans un pays socialiste, en Pologne en l’occurrence, durant l’été 1961. Le déménagement de l’école centrale du Parti à Choisy-le-Roi le contraignit à s’installer à Orly où il retrouva Gaston Viens*, qu’il avait connu au secteur paysan. Il découvrit le communisme de la banlieue rouge. Peu désireux d’y poursuivre sa carrière de permanent, il saisit l’opportunité qui s’offrait à lui de succéder à Jacques Borello, comme collaborateur du comité central, à la section des intellectuels alors dirigée par Léo Figuères* secondé par Louis Baillot*. Henri Krasucki*, nouvellement promu au bureau politique, remplaça Léo Figuères après le XVIIe Congrès de 1964. Dans cette nouvelle fonction, les diverses missions qui lui furent confiées le conduisirent à travailler avec des intellectuels : universitaires, écrivains, artistes, savants, psychiatres et psychanalystes. Initié aux arts par Jean Rollin, secrétaire de rédaction à La Nouvelle Critique et critique d’art à l’Humanité, s’efforçant de lire les textes qui scandaient la vie intellectuelle de l’époque (des sciences sociales à la psychanalyse en passant par la littérature), Gérard Belloin devint un spécialiste des questions culturelles publiant divers articles dans Les Cahiers du Communisme. À l’issue du XVIIIe congrès en 1967, Roland Leroy* remplaça Henri Krasucki à la section des intellectuels et de la culture. Gérard Belloin était alors le « porte-plume » en matière de politique culturelle des députés communistes dont il rédigea les interventions parlementaires et de Roland Leroy dont il écrivit plusieurs discours. Il collabora à la Nouvelle Critique où il publia une revue de la presse culturelle et où il bénéficia d’une ouverture intellectuelle considérable, qu’il mit à profit. De cette activité résulta la publication de son premier ouvrage aux Éditions Sociales en 1973, Culture, personnalité et sociétés. À l’automne 1972, France Nouvelle, l’hebdomadaire du comité central fut confié à Francette Lazard*, membre du comité central. Elle fit appel à Gérard Belloin pour qu’il y prenne la responsabilité de la rubrique culturelle. Comme il l’écrivit dans sa seconde autobiographie : « Devenir journaliste, c’était la possibilité de pouvoir consacrer tout mon temps à une activité qui me plaisait par-dessus tout : l’écriture ».

Cette carrière originale qui porta à son paroxysme l’intense pouvoir formateur du PCF comme « intellectuel collectif », en épousa aussi les tendances les plus portées aux réformes internes et à l’ouverture. Elle se caractérisait encore par une refonte progressive de la personnalité de Gérard Belloin qui se détacha du fidéisme partisan, mais non sans trouble. Marqué par des phases dépressives, Gérard Belloin entreprit en 1974 une psychanalyse. Il devint parallèlement un farouche partisan de la réhabilitation de cette discipline, condamnée par le PC en 1949, se liant d’amitié avec plusieurs psychiatres communistes (Tony Lainé, Lucien Bonnafé, Franck Chaumont) ainsi qu’avec Fernand Deligny*. Il ouvrit largement les colonnes de France Nouvelle à la psychanalyse, comme l’a montré Bernard Foutrier dans sa thèse. Il fut aussi membre de la commission santé. Peu à peu, l’orientation suivie par la direction du PCF et celle de Gérard Belloin, attaché aux possibles que représentait le Programme commun et la déstalinisation, divergèrent, comme en témoigne son premier récit autobiographique, Nos rêves camarades, publié au Seuil en 1979 dans la collection critique qu’y dirigeait Antoine Spire*. La rupture de l’Union de la gauche en septembre 1977 le déporta dans l’opposition ouverte. Il adressa une longue lettre au secrétariat du comité central au lendemain des élections législatives de mars 1978 dans laquelle il dénonçait le mode de fonctionnement interne du Parti. Il intervint de manière très critique en décembre 1978, lors de la rencontre à Vitry-sur-Seine entre le bureau politique et 400 « intellectuels », sur sa conception de la presse communiste, débutant son intervention par ce jugement sans appel : « Nous devons nous demander pour quelles raisons notre presse est devenue rigoureusement illisible par des non-communistes et pourquoi elle devient de moins en moins lisible par les communistes eux-mêmes. » De plus en plus en porte à faux au sein du PCF, il quitta son poste de permanent en février 1979, puis le PCF le 6 novembre 1980, rendant public son départ en janvier 1981 dans une déclaration collective parue dans Le Monde dont étaient signataires, notamment, Eugène Guillevic*, Henri Cueco*, Antoine Vitez*, Hélène Parmelin*, Édouard Pignon, Antoine Spire, Robert Merle*, Alexandre Boviatsis, Jean-Claude Latil, Jacques Frémontier, Olivier Schwartz. Après divers emplois dans la culture et le journalisme, Gérard Belloin publia plusieurs ouvrages de facture historique et une remarquable autobiographie aux Éditions de l’Atelier en 2000, où il réussit à combiner un travail de remémoration à une volonté auto-analytique. En plus de ses écrits, il contribua à la connaissance du communisme, dans des séminaires de recherche ou journées d’études et colloques, par ses témoignages et ses analyses. Comme le lui écrivit Louis Althusser* après avoir lu son premier récit autobiographique : « Je souscris entièrement à ton mot d’exergue : c’est fou ce qu’on aperçoit quelquefois d’un divan ! ». « C’est de son « ras » qu’on voit parfois comme à l’envers dégringoler de haut les "monuments" qu’on a dans la tête, et qui étayent ceux qu’on peut, leurs doubles, rencontrer et hanter dans sa vie. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16167, notice BELLOIN Gérard, Albert par Bernard Pudal, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 6 avril 2010.

Par Bernard Pudal

ŒUVRE : Culture, personnalité et sociétés, Paris, Éditions sociales, 217 p. — Nos rêves camarades, Pairs, Seuil, 1979, 190 p. — Sur le statut de la presse communiste » dans Dix interventions à la rencontre des 400 intellectuels communistes à Vitry, Ouverture d’une discussion, Collection Débats communistes dirigée par Gérard Molina et Yves Vargas, Maspero, 1979. — Entendez-vous dans nos mémoires. Les Français et leur Révolution, La Découverte, 1989. — Renaud Jean, le tribun des paysans, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1993. — Mémoires d’un fils de paysans tourangeaux entré en communisme, Les Éditions de l’Atelier, 2000, 377 p.

SOURCES : Fernand Deligny, Les enfants et le silence, Galilée/Spriali, 1980. —. Yvonne Quilès, Maurice Goldring, Sous le marteau la plume. La presse communiste en crise, Paris, Migrelis, 1982. — Entretien avec Gérard Belloin, 1er juin 2001. — Bernard Foutrier, L’identité communiste, la psychanalyse, la psychiatrie, la psychologie, L’Harmattan, 1994. — Bernard Pudal, « Désinvestir : de la fusion à l’auto-analyse, le cas de Gérard Belloin », Devenirs militants, Direction Olivier Fillieule, Belin, 2004. — Frédérique Matonti, La double illusion, La Nouvelle Critique, 1967-1980, La Découverte, 2005.

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