RAYNAUD Ernest, dit Tréno

Par Laurent Martin

Né en 1902 à Viars (Hérault), mort le 31 décembre 1969 à Paris  ; journaliste, rédacteur en chef du Canard enchainé.

Né dans un milieu modeste, fils de Maximin Raynaud, cultivateur, et de Mélanie Arnaud, couturière, Ernest Raynaud milita très jeune dans les rangs de la SFIO. En 1918, il était secrétaire des Jeunesses socialistes dans le VIe arrondissement de Lyon et passa ses premiers articles dans le journal de la section : L’Avenir social.

En 1922, alors qu’il effectuait son service militaire, il attaqua le ministre de la Guerre, André Maginot, dans le journal belfortin Germinal fondé par René Naegelen. Sa signature n’ayant pas été occultée, il comparut devant le Conseil de guerre et fut envoyé en prison puis en régiment disciplinaire à Auch. C’est là qu’il découvrit quelques-uns des grands auteurs de la tradition marxiste, grâce aux amitiés qu’il noua avec des sympathisants socialistes et communistes.
En 1923, il était secrétaire de rédaction de L’Avant-garde, journal des Jeunesses communistes et collabora en 1924 au journal L’Humanité. La même année, il entra au Canard enchaîné comme correcteur. Dans ce milieu de libertaires, son marxisme s’infléchit vers l’anarchisme et il s’éloigna peu à peu du Parti communiste, dont il ne fut jamais membre.

En 1932, on trouve sa signature au bas d’un article du Canard enchaîné, dont il devint l’un des rédacteurs les plus en vue sous le nom de R. Tréno puis de Tréno, contraction phonétique de la dernière lettre de son prénom avec son nom – ceci afin de ne pas être confondu avec un homonyme, commissaire de police en même temps qu’écrivain et poète.

Mobilisé dans le Génie en 1939, il fut fait prisonnier par les Allemands et fut détenu à Meaux. Après deux tentatives d’évasion, il parvint à s’enfuir et à rejoindre sa femme et sa fille avec lesquelles il passa en zone sud grâce à un passeur. Au début de 1941, il était à Lyon ; il y resta jusqu’à la Libération.

A Lyon, Tréno collabora au Journal, replié dans ce qui était alors la troisième capitale de la presse française avec Paris et Clermont-Ferrand. Il travailla également à l’hebdomadaire humoristique Guignol, dirigé par Joanny Lorge. Rédigé en partie en vieux lyonnais, Guignol multipliait les allusions irrévencieuses à l’encontre de l’occupant.

Tréno était alors en rapport avec Georges Altman, l’un des dirigeants du réseau de résistance France-Tireur. Le 12 août 1944, de retour du maquis de l’Ardèche, il fut arrêté sur dénonciation et accusé de faits de résistance et de liens avec les communistes (on lui reprocha d’avoir collaboré brièvement au journal L’Humanité dans les années 1920). Selon le témoignage de son fils, ce qui aurait finalement convaincu ses geôliers de le libérer fut la présence dans l’appartement qu’il occupait à Lyon d’un crucifix et d’un buste de Napoléon : un homme qui croyait en Dieu et en l’empereur ne pouvait être communiste ! Ces objets appartenaient en réalité à son propriétaire corse...

À la libération, Tréno revint à Paris, reprit sa collaboration au Canard enchaîné et devint co-rédacteur en chef (avec Georges Altman) du journal France-Tireur jusqu’en 1954, où il s’opposa très fortement à la fraction de ceux qui souhaitaient donner une orientation pro-communiste à ce journal et qui rejoignirent ensuite Libération.

En septembre 1954, il fit le choix de se consacrer exclusivement au Canard, dont il fut l’inamovible rédacteur en chef et quasi-directeur, jusqu’à sa mort. La veuve du fondateur de l’hebdomadaire satirique, Jeanne Maréchal, lui laissa en effet les mains libres pour conduire le journal, alors en grande difficulté : après un redémarrage en fanfare en septembre 1944, le Canard n’avait cessé de perdre des lecteurs qui lui reprochaient tantôt ses sympathies communistes, tantôt son refus de s’aligner sur le Parti communiste. Jean Galtier-Boissière, directeur du Crapouillot et ancien journaliste du Canard qualifia Tréno de « gaffeur magistral » qui avait fait perdre au journal toute sa clientèle anarchisante avant de faire fuir toute sa clientèle communisante.

Mais Tréno fut en réalité le principal artisan du redressement de l’hebdomadaire satirique qui multiplia son tirage et sans doute ses ventes par quatre entre le début des années 1950 et la fin des années 1960 (de 100 000 à 400 000 exemplaires environ). Il lui imprima sa marque, proche des milieux libertaires (il était l’ami de Georges Brassens, de Louis Lecoin, qui furent des invités réguliers au « coquetèle » annuel du Canard que Tréno lança dans les années 1950) et à bonne distance des communistes avec lesquels Tréno rompit quelques lances tout au long des deux décennies pendant lesquelles il dirigea, d’une main de fer, la rédaction du Canard.

Ainsi, le 12 décembre 1956, quelques jours après l’écrasement de la révolte hongroise par les chars soviétiques et alors qu’André Stil, envoyé spécial de L’Humanité , écrivait que “ Budapest recommence à sourire ” (L’Humanité du 20 novembre), Tréno interpella le quotidien communiste dans un article publié à la une du Canard enchaîné et intitulé « L’Humanité entre guillemets » :

« La lecture de L’Humanité est effarante. Dans ce journal qui fut celui de Jean Jaurès, on fait chaque jour l’éloge des pires flics, on exalte les tribunaux militaires, les geôliers, les bourreaux.
Dans ce journal où fut glorifiée la révolte des “braves soldats du 17e” qui refusèrent de se battre contre le peuple, on acclame le sinistres exploits d’une armée de répression, de surcroît étrangère.
Dans ce journal où l’on prétend rester fidèle au souvenir de la Commune de Paris, on crache, comme faisaient les Versaillais, sur les cadavres des victimes d’une nouvelle Semaine sanglante.
Dans cet organe communiste, dans cette Humanité où l’on ne devrait pas avoir oublié l’origine du mot “soviet”, on répudie et injurie des conseils ouvriers issus d’une insurrection populaire.
Dans cette feuille révolutionnaire où furent lancés tant d’appels à la grève politique, on s’élève avec indignation contre ceux qui osent proclamer la grève générale pour obtenir la libération des délégués ouvriers.

Dans cette Humanité, enfin, qui sait crier si fort sa haine du colonialisme, quand il s’agit d’Algérie et d’Egypte, on applaudit au carnage des fellagas à peau blanche : parfaitement ! des fellagas de Hongrie sur lesquels les tanks des colonialistes russes tirent à bout portant.
Eh ! bien, Messieurs Stil, Wurmser, Courtade and coco, ne vous en déplaise, à bas ce colonialisme aussi ! A bas cette police aussi, ses tortionnaires et ses gardes-chiourmes (…) Votre anticolonialisme, nous savons ce qu’en vaut l’aune.

Et vous nous permettrez de mettre votre “ humanité ” entre guillemets. (…) ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article161700, notice RAYNAUD Ernest, dit Tréno par Laurent Martin, version mise en ligne le 28 juillet 2014, dernière modification le 28 juillet 2014.

Par Laurent Martin

SOURCES : Archives du Canard enchaîné. — Jean Egen, Messieurs du Canard, Paris, Stock, 1973. — Laurent Martin, Le Canard enchaîné, Paris, Nouveau Monde, 2005. — Alain Schifres, « L’idéologie du Canard enchaîné  », dans Analyses de presse, Paris, Puf, 1963, p. 91-176. — État civil en ligne cote AD34_1025_00594.

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