Par Anysia L’Hôtellier
Né le 25 octobre 1881 à Malaga (Espagne), mort le 8 avril 1973 à Mougins (France) ; peintre, dessinateur, sculpteur, céramiste, graveur, décorateur et créateur de costumes pour ballets, poète, écrivain ; militant communiste.
Enfant précoce, Picasso réalisa ses premières œuvres dès l’âge de huit ans. Il entra à l’école des Beaux-Arts de Barcelone en 1895 puis fréquenta quelques temps l’école des Beaux-Arts de Madrid. De 1900 à 1904, il résida plusieurs fois à Paris avant de s’y installer définitivement en 1904. Pendant l’été 1901, sa première exposition fut organisée à Paris, à la Galerie Vollard, par son premier marchand Pedro Mañach (Pierre Manach). Réputé anarchiste, ce dernier hébergeait Picasso. Cette fréquentation vaudra à l’artiste l’ouverture d’un dossier de surveillance par la Police française et le refus de l’obtention de la nationalité française lorsqu’il la demanda quarante ans plus tard.
À partir de 1935, Picasso commença à fréquenter le groupe des surréalistes qui se réunissait régulièrement chez André Breton. Le 14 juillet 1936, au cœur de la ferveur du Front Populaire, il participa à la manifestation organisée par Louis Aragon au Théâtre de l’Alhambra à Paris, parallèlement à la représentation de la pièce de Romain Rolland Le 14 juillet dont le rideau de scène fut réalisé d’après une gouache de Picasso. À cette occasion, il exposa aux côtés de Matisse, Braque, Léger, Jean Lurçat, Laurens ou encore Édouard Pignon qu’il rencontra pour la première fois. Picasso prit d’ailleurs le parti du jeune Pignon et des jeunes peintres au cours d’une violente discussion qui opposa Pignon à Léger. Picasso et Pignon devinrent des amis très proches. Alors que la guerre civile faisait rage en Espagne, les Républicains nommèrent Picasso directeur honoraire du Prado le 19 septembre 1936. L’année suivante, il réalisa une série de gravures, Songe et mensonge de Franco, qui fut vendue sous forme de cartes postales pour soutenir le gouvernement républicain espagnol. Le 26 avril 1937, la ville de Guernica était bombardée par l’aviation nazie à la demande de Franco, faisant près de quatre mille morts. Bouleversé par cet évènement, Picasso réalisa une immense toile sur le sujet : Guernica. Invité par le gouvernement républicain espagnol, il exposa cette œuvre au sein du pavillon espagnol de l’Exposition internationale des arts et des techniques de Paris, inauguré le 12 juillet 1937. Au cours de la même année, il peignit La femme qui pleure et La Suppliante, deux œuvres directement liées aux bombardements de Lérida dont Picasso se procura des clichés auprès d’Augusti Centelles. En Allemagne, l’exposition L’art dégénéré organisée par le régime nazi en 1937 comportait quatre œuvres de Picasso.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il fit le choix de ne pas quitter la France. Au début du conflit, juste après le pacte germano-soviétique, il quitta Paris pour Royan où il put séjourner grâce à l’autorisation de son ami André-Louis Dubois jusqu’à l’arrivée des Allemands dans la ville qui l’obligea à regagner Paris. Sa carte de résident périmée et le climat de censure l’obligèrent à renoncer à exposer dans des lieux publics. Il fut cependant très productif et créa beaucoup. En mai 1940, la nationalité française lui fut refusée à cause de ses rapports avec le marchand anarchiste Pedro Mañach au début des années 1900. Même si Picasso avait bien signé une pétition en faveur de prisonniers anarchistes opposés à la guerre entre l’Espagne et les États-Unis pour le contrôle de Cuba, en 1898, le jeune Picasso était pourtant bien à cette époque à l’écart de tout engagement politique en général et anarchiste en particulier. En 1942, il peignit l’Aubade, l’œuvre la plus marquée par les années noires de l’Occupation (il légua cette toile au Musée national d’art moderne en 1947). Il vécut dans son atelier de la rue des Grands-Augustins jusqu’à la Libération sans être trop inquiété car il était protégé, côté allemand, par Breker, sur la demande de Cocteau et, côté français, par le même André-Louis Dubois, fonctionnaire révoqué par Vichy qui avait conservé des amitiés à la préfecture de Police. Durant cette période de la guerre, Picasso fit la connaissance, par l’intermédiaire de ses amis les Leiris, de Laurent Casanova, collaborateur direct de Maurice Thorez pendant les années de Front populaire, un des responsables de la résistance communiste, chargé après la guerre des relations du Parti avec les intellectuels. Picasso recevaient parfois des amis engagés dans la Résistance, comme par exemple Desnos, dont il illustra d’eaux-fortes sa Contrée quelques semaines avant son arrestation le 28 février 1944.
Le 4 octobre 1944, Picasso adhéra au Parti communiste français. Dès le lendemain, cette nouvelle occupait quatre colonnes à la une de L’Humanité, illustrée d’une photo où le peintre se trouvait en compagnie de Marcel Cachin et de Jacques Duclos. Le Salon d’Automne de 1944, dit « Salon de la Libération », ouvrit ses portes quelques jours après et fit une large place aux œuvres interdites d’exposition durant l’Occupation, considérées comme de l’« art dégénéré » par les nazis. Dans le cadre de ce Salon, une importante rétrospective consacrée à Picasso fut organisée. Première participation de Picasso à un salon officiel, cette exposition suscita de violentes réactions de la part de certains visiteurs. Un article de Picasso fut publié dans l’Humanité du 29-30 octobre 1944, intitulé « Pourquoi j’ai adhéré au parti communiste ». Il y expliquait que son engagement personnel datait de la période de la Guerre d’Espagne, renforcé par la lutte des résistants communistes français durant la guerre et qu’il ne lui suffisait plus de lutter avec ses peintures « révolutionnaires » mais de « tout [lui]-même » adhérant à l’idéal communiste de progrès et de bonheur de l’homme. À l’automne 1944, Picasso participa à l’épuration en présidant le Comité Directeur du Front National des Arts (section peinture, sculpture, gravure) réuni à Paris, avec la participation de Montagnac, Lhote, Goerg, Brianchon, Auricoste, Desnoyer, Walch, Courmes, Ladureau, Capon, Grüber, Berg, Eskenazy, Pignon, et Fougeron. Ce comité examina le cas d’artistes compromis dans la collaboration.
En 1945, Picasso dessina trois portraits réalistes de Maurice Thorez. Lors du 10e congrès du PCF en 1945, Picasso fut à la fois salué et mis en cause dans le rapport sur les intellectuels de Roger Garaudy, qui cherchait à rassurer les peintres officiels du PCF travaillant dans la ligne jdanovienne du réalisme socialiste. En 1946, Picasso peignit Hommage aux Espagnols morts pour la France. Cette toile fut présentée avec Le Charnier à l’exposition « Art et Résistance » qui se déroula au Musée national d’art moderne la même année. En août 1948, il se rendit avec Paul Éluard au Congrès des intellectuels pour la paix à Wroclaw, en Pologne, et intervint pour demander la liberté de Pablo Neruda, alors persécuté au Chili. À partir de 1948, avec Fernand Léger et Édouard Pignon notamment, il critiqua les tenants du réalisme socialiste au sein du PCF. En 1949, Aragon choisit La Colombe de Picasso comme affiche du Congrès de la paix qui se tient en avril à la salle Pleyel. La même année, un dessin de Picasso fut publié dans L’Humanité à l’occasion du 70e anniversaire de Staline. Intitulé À ta santé Staline ! , ce dessin déclencha une polémique. En novembre 1950, Picasso reçut le prix Lénine de la paix. En 1951, il réalisa Massacre en Corée, une grande toile en grisaille en réaction à la guerre de Corée qui venait de commencer. Le 31 mars 1952, le résistant et dirigeant communiste grec Nikos Beloyannis fut exécuté, Picasso dessina son portrait L’Homme à l’œillet. Durant l’année 1952, il peignit le Portrait d’Hélène Parmelin, la femme de son ami peintre Édouard Pignon. Après l’annonce de la mort de Staline, Aragon, alors directeur des Lettres françaises, invita Picasso à réaliser un dessin en hommage à Staline pour le numéro du 12-19 mars. L’artiste fit le portrait d’un Staline jeune, très loin des portraits officiels. Ce dessin fit polémique car certains communistes, choqués par le modernisme et la liberté de représentation de « l’homme que nous aimons le plus », le trouvèrent irrespectueux. "L’affaire" prit vite un tour politique et une querelle éclata au sein du PCF. Celle-ci aboutit finalement à la réconciliation du Parti avec le peintre (voir Louis Aragon.)
À partir de son retour en France en 1953, Maurice Thorez fréquentait régulièrement Picasso, surtout l’été dans le sud de la France, et assistait aux évènements artistiques du peintre à Paris. Lorsqu’il s’agissait de célébrer le peintre, le PCF se mobilisait. Il fut en effet à l’origine des cérémonies grandioses organisées pour le 80e anniversaire du peintre en 1961. Picasso contribuait au financement du Parti. En 1956, alors que les troupes soviétiques entraient en Hongrie, l’opposition se faisait de plus en plus manifeste entre le Parti communiste et les intellectuels, et parmi eux Picasso, Édouard Pignon et Hélène Parmelin. Le 22 novembre 1956, un texte signé par dix intellectuels communistes dont Picasso, Édouard Pignon, Hélène Parmelin et Henri Wallon, fut publié dans le Monde et France Observateur. À travers ce texte, ils exprimèrent leur désarroi et demandèrent la convocation d’un congrès extraordinaire du PCF. Le 1er mai 1962, Picasso reçut le prix Lénine de la paix pour la seconde fois. De nombreuses œuvres de Picasso ont été exposées lors de la Fête de l’Humanité, de 1966 à 1992 et de 2001 et 2005. Après la mort de Maurice Thorez en 1964, les liens entre le PCF et Picasso furent moins étroits. Georges Gosnat, le trésorier du Parti que lui avait présenté Thorez, resta le seul contact de Picasso avec la direction du PCF. Picasso resta malgré tout membre du PCF jusqu’à sa mort.
À l’occasion du 85e anniversaire du peintre, une grande rétrospective fut organisée entre le 19 novembre 1966 et le 12 février 1967 au Grand Palais et au Petit Palais, à Paris. Réunissant environ 700 œuvres, l’exposition fut inaugurée par André Malraux, ministre de la culture. En 1967, Picasso refusa la légion d’honneur. En octobre 1971, à l’occasion du 90e anniversaire de Picasso, une sélection d’œuvres des collections publiques françaises fut présentée dans la Grande Galerie du Louvre.
Picasso décéda le 8 avril 1973 au mas Notre-Dame-de-Vie à Mougins.
Par Anysia L’Hôtellier
SOURCES : Laurence Bertrand Dorléac, L’art de la défaite, 1940-1944, Éditions du Seuil, Paris, 1993, 481 p. — Annette Wieviorka, « Plus fort que Staline », dans « Picasso, engagement et liberté », l’Histoire, numéro hors-série n°335, octobre 2008, p. 72 — Brassaï, Conversations avec Picasso, Gallimard, 1964, 339 p. — Pierre Daix, La vie de peintre de Pablo Picasso, Éditions du Seuil, 1977, 413 p. — Gertje R. Utley, Picasso : the communist years, New Haven, Yale University Press, 2000, 268 p.