BELLUGUE Fernand [BELLUGUE Pierre, Fernand]

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 18 ou 20 septembre 1892 à Saint-Sébastien (Espagne), mort le 29 septembre 1944 en déportation à Hartheim (Allemagne) ; tailleur pour dames ; syndicaliste révolutionnaire puis communiste ; secrétaire de la Fédération CGTU du Textile-Vêtement.

Son père qui avait dix enfants était tailleur pour dames. Il fréquenta l’école primaire jusqu’à l’âge de treize ans ayant suivi une année supplémentaire après son CEP. Il parlait assez couramment l’espagnol. Il entra en apprentissage de mécanicien dentiste puis fit de la représentation en papeterie et librairie avant de prendre du travail à domicile dans la confection pour dames où les salaires étaient bas.

P. Bellugue commença à militer dans le mouvement syndical en 1911, devenant en 1912 le secrétaire officiel du Comité d’entente des jeunesses syndicalistes et de 1912 à 1914 secrétaire adjoint, puis général, de la section syndicales des tailleurs et couturiers pour dames. Il fréquentait alors les milieux libertaires, « pétri » des œuvres libertaires, scientifiques et économiques de Kropotkine et Bakounine (autobiographie de décembre 1933). Dans des groupes d’études sociales il s’intéressait alors au néo-malthusianisme, aux coopératives, à l’antialcoolisme et... à l’incinération. Il organisa le premier syndicat de locataires dans le 15e arr. Il travailla dans des maisons de couture, par exemple quinze mois chez Paquin où il était, en 1912, le seul syndiqué sur soixante ouvriers. Il subit dès cette époque la répression allant de contraventions pour défaut de timbres sur des affiches (antimilitaristes !) à des perquisitions et arrestations (huit au total dont une de vingt-cinq heures à la Santé en 1913. Poursuivi en application des lois scélérates de 1893-94, il fut défendu par les avocats Berthon et Pierre Laval. Il mena la lutte contre les trois ans et pendant la guerre, il garda des contacts avec les Jeunesses syndicalistes, agissant avec Marcel Vergeat et Aimé Rey*. Il assista parfois en uniforme aux réunions syndicales, présida une assemblée générale de son syndicat en 1915 et fut l’objet d’enquêtes sur la base du Carnet B. Le 21 juillet 1917 il épousa Georgette Polgar et refusa, malgré les sollicitations de son beau-père, qui en était membre d’adhérer à la franc-maçonnerie. Pendant la guerre, d’abord ajourné pour faiblesse générale, il fut dans les services auxiliaires et affecté au 12e régiment de cuirassiers où il resta soldat de 2e classe pendant quatre ans et neuf mois jusqu’en août 1919. À sa démobilisation, il fut quelques mois chômeur puis reprit du travail en 1920 ainsi que son militantisme au syndicat de l’habillement où il devint en 1921 secrétaire appointé jusque 1922 et non-appointé en 1923. Il était de nouveau travailleur à domicile en 1924. Il anima alors des grèves : midinettes en 1923, confectionneurs de Nîmes en 1924, etc. Il habitait successivement rue Damrémont en 1919 et rue d’Aligre en 1923.

Le 5 septembre 1919, Fernand Bellugue devint gérant du journal Le Cri des jeunes syndicalistes qui parut pendant un an. Il s’occupait particulièrement des relations entre les Jeunesses syndicalistes de la Seine et celles de province. Les militants des Comités syndicalistes révolutionnaires l’élirent au comité central des CSR le 15 octobre 1920. Le 2 avril 1921, on l’appela aux fonctions de secrétaire général du syndicat des travailleurs de l’Habillement de la Seine dont la direction se confondait avec celle du sous-comité fédéral du CSR de l’Habillement (secrétaire Bellugue depuis le 17 juin 1921).

Il entra à la commission exécutive des CSR le 31 juillet 1921. Bellugue se prononçait nettement contre une scission syndicale, tout en attaquant sans ménagement la majorité réformiste de la CGT. Ainsi, le 6 janvier 1921, devant les militants de sa corporation réunis à la Bourse du Travail de Paris, il déclara : « Au congrès d’Orléans nous nous sommes prononcés, nous minoritaires, contre la scission. C’est pourquoi je vous engage à ne pas la faire aujourd’hui. Nous avons décidé à cette époque de ne plus donner d’argent aux fonctionnaires majoritaires qui sont nos adversaires, mais nous avons reconnu, depuis, qu’il valait mieux rester au sein de la CGT pour la combattre, ou tout au moins pour lutter contre les mauvais bergers qu’elle abrite. » Il fit adopter la motion suivante : « Le CSR de l’Habillement s’engage à prendre la carte confédérale de 1921 afin de mieux combattre les parlementaires de la CGT dont la besogne contre-révolutionnaire a été dévoilée, et décide de verser 100 francs au journal La Vie ouvrière qui a toujours soutenu les intérêts ouvriers en signe de protestation contre la fondation du journal Le Peuple par la CGT parlementaire » (Arch. PPo. 296). La direction confédérale prit l’initiative d’exclure son syndicat le 5 octobre 1921 et Bellugue fut un des créateurs de la Confédération générale unitaire du travail (CGTU) regroupant communistes et syndicalistes révolutionnaires.

Selon un rapport de police du 5 décembre 1921, Bellugue n’appartenait à aucun groupement politique, communiste ou libertaire. Notons cependant qu’il entretenait des rapports privilégiés avec le mouvement anarchiste : Le Libertaire du 6 juillet 1919 (n° 25) publiait un article de Fernand Bellugue demandant aux jeunes de venir au syndicalisme pour « y apporter toute leur ardeur libertaire ». Au XIIe congrès de la Fédération de l’Habillement réuni à Lille du 1er au 4 août 1921, le secrétaire du syndicat de la Seine précisa sa position sur les rapports parti-syndicat : « Je dis que nous n’appartiendrons à aucun parti politique car ceci n’est pas notre conception. Je puis l’affirmer, étant du comité central des CSR. Nous ne disons pas que quelquefois on ne doit pas faire une action en accord avec un parti politique, mais non en liaison permanente » (c.r. congrès, p. 37). Il fut un des représentants de la CGTU au congrès de l’ISR à Moscou en novembre 1922.

Bellugue appartenait à la majorité communiste de la CGTU en 1923. Il occupait des responsabilités importantes à la tête de l’Union des syndicats de la Seine, tout en assurant la fonction de secrétaire permanent à la propagande de la Fédération du Vêtement. Élu à la commission exécutive de la CGTU en 1923, il disparut quelque temps de la scène syndicale en 1924 pour raisons de santé. La faible Fédération du Vêtement décida de s’unir à celle du Textile fin 1924.

En février 1925, Pierre Bellugue partit à Moscou comme délégué permanent de la CGTU au Bureau exécutif de l’ISR. Il adhéra alors en avril 1925 au Parti communiste, suite (dira-t-il en 1933) au pacte signé entre dirigeants du PC et de la CGTU (dont lui-même). Il resta à Moscou jusqu’à fin décembre 1926. Il eut l’occasion durant sa délégation de participer à un Congrès syndical en Roumanie mais il fut arrêté à Bucarest trente-six heures après son arrivée, mais après avoir pris contact avec les militants de ce pays, car son passeport était faux.

De retour à Paris, il fut de nouveau à la tête de la Fédération unitaire du Textile-Vêtement de 1927 à 1929 et fut délégué de celle-ci au 5e congrès national confédéral en septembre 1929. Il anima des grèves à Halluin, Lavelant, Charlieu. Il fut candidat communiste aux élections municipales à Steins (sans doute Stains). Puis il démissionna fin 1929 pour raisons de santé. Certes il souffrait d’une furonculose diffuse et partit en 1930 se soigner en Gironde où il tenta d’être représentant en papeterie. Mais il semble qu’il eut des difficultés avec le parti : « J’eus à maintes reprises à exhaler ma mauvaise humeur contre les représentants du parti qui se désintéressaient trop du travail des syndicats ou qui employaient des moyens par trop mécaniques dans le domaine de l’organisation. »

Revenu en 1931 comme permanent au syndicat unitaire de l’habillement de la Seine, il entra en conflit pendant six à sept mois avec la fraction de son syndicat aux réunions de laquelle il ne se rendait plus. Il s’opposait essentiellement à Albert Matline* dirigeant de la CGTU de la casquetterie qui avait fusionné en 1924 avec la Fédération du vêtement et avait été élu en 1926 à la tête de la Fédération du vêtement et de la chapellerie. Bellugue repoussait l’accusation de Matline qui, dans la fraction, lui reprochait d’avoir fait le front unique avec les patrons contre les ouvriers à l’occasion de « la grève des imperméables ». Il fut cependant au 6e congrès de la CGTU de novembre 1931 et réélu à la C.E. comme représentant de sa Fédération.

L’année 1932 fut pour lui difficile. Travaillant à domicile, il lutta contre l’exploitation des travailleurs ayant ce statut par les maisons de confection. Il attaqua deux de ces maisons et l’Humanité en rendit compte. En décembre 1932 il fut envoyé à Voiron dans l’Isère comme secrétaire de l’union locale (« offerte en accord avec le Fédération du textile et le bureau confédéral ») et responsable du PC de la ville. La cellule passa de 10 à 22 adhérents. Délégué au 7e congrès national de la CGTU en septembre 1933 il revint se fixer à Paris le 12 décembre » attendant la reprise des liaisons avec le parti et sa nouvelle activité.

Après la fusion syndicale, le courant communiste conserva son influence dans la confection pour dames. Bellugue avait fondé le syndicat CGT des couturiers et tailleurs pour dames de la région parisienne le 7 décembre 1935. Le bureau comprenait F. Bellugue (secrétaire général), Marcel Coyand (secrétaire adjoint), Alice Souat (trésorière) et groupait quinze cents adhérents. Il en conserva la direction jusqu’à sa dissolution le 24 novembre 1939. Il fut délégué de la Fédération de l’habillement aux congrès nationaux de Toulouse (1936) et (Nantes (1938) de la CGT réunifiée. Il siégeait au conseil ouvrier prud’homme de la Seine, section des tissus en 1938.

Fernand Bellugue arrêté le 5 octobre 1940, funt interné successivement mourut à Aincourt, Fontevrault, Clairvaux, Chateaubriant, Voves en 1940-1942 puis transféré à Romainville le 10 octobre 1942. Il fut déporté le 18 octobre 1943, parti de la gare de l’Est à Paris pour Sarrebruck. Déporté « NN », il fut transféré au camp de Mauthausen, puis gazé à Hartheim.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16177, notice BELLUGUE Fernand [BELLUGUE Pierre, Fernand] par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 29 octobre 2012.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

ŒUVRE : Bellugue écrivit de nombreux articles dans la presse syndicale. Il était gérant de La Couture en 1921 (5e année).

SOURCES : Arch. Nat., F7/13053, F7/13578, rapport du 20 décembre 1922, F 7/13584, rapport du 3 mars 1926, F7/13586. — Arch. PPo. 296, rapport du 5 décembre 1921, carton 101. — Le Libertaire, 6 juillet 1919. — L’Humanité, 5 novembre 1923, 11 novembre 1924 et 19 octobre 1928. — Compte rendu des congrès de la Fédération de l’Habillement. — Agendas de la Bourse du Travail de Paris. — Thèse de Stéphane Courtois, Le PCF dans la guerre, op. cit., annexe 18. — Archives du Komintern, Moscou, RGASPI, 495 270 611. — La Fondation pour la mémoire de la déportation, Le livre mémorial..., op. cit. — Notes de Jean-Pierre Besse.

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