MAMET Pierre [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 4 juillet 1923 à Paulhac-en-Margeride (Lozère, France), mort le 4 octobre 1996 à Provins (Seine-et-Marne, France) ; séminariste de la Mission de France, ouvrier agricole ; en Algérie en 1950, prêtre ouvrier dans la plaine de Bône (Annaba), arabisant (Tunis, 1953) ; à partir de 1954, au presbytère de Souk-Ahras défenseur des Algériens contre la répression ; expulsé du Constantinois en mai 1956 ; à Paris à la paroisse Saint-Séverin du quartier latin puis à Gennevilliers, actif dans les groupes d’aide au FLN ; replié à Tunis après août 1958, voué à l’assistance sociale des réfugiés algériens et soutien de l’action syndicale tunisienne ; retours en Algérie et en Tunisie avant de revenir en région parisienne.

Né dans une famille de cultivateurs de langue d’oc, Pierre Mamet n’apprend le français qu’à l’école. Après deux ans d’études au séminaire de Mende (Lozère, France), en 1946, il entre au séminaire de la Mission de France à Lisieux en Normandie qui forme les prêtres ouvriers. Séminariste, il fait des stages d’ouvrier agricole dans le Sud-Ouest de la France et dans la plaine du Nord dans l’Aisne.

En 1950, il part en Algérie travaillant dans de grandes fermes de la plaine de Bône, encore séminariste ; il est ordonné prêtre en 1951. Face aux colons qui font suer le burnous, embauchant des enfants pour une poignée de pain ou une orange, faisant durer la journée de travail sans repos du lever au coucher du soleil, il est choisi pour être le porte-parole des travailleurs algériens, faisant l’expérience directe du racisme anti-arabe ; il prend fait et cause pour le syndicalisme agricole que seule pratique la CGT.

Parlant familièrement l’arabe, il se perfectionne en autodidacte, et en 1953, est envoyé à l’Institut des Belles lettres arabes de Tunis (IBLA), pour acquérir l’arabe littéraire. En 1954, il rejoint tout avant l’insurrection de novembre, les prêtres de la Mission de France qui tiennent la cure de Souk-Ahras. Ceux-ci suscitent la colère des catholiques coloniaux pour avoir visité un douar et touché la misère des campagnes, au cardinal Tisserant, envoyé du Pape et à Mgr Duval, archevêque d’Alger, venus pour les fêtes du multicentenaire de la naissance de Saint-Augustin, l’enfant du pays.

Sous l’impulsion du père Augros, ancien directeur du séminaire de la Mission de France jusqu’à la fin de « l’expérience des prêtres ouvriers », est mise en place, en février 1955, une association Entr’aide fraternelle associant l’imam de Souk-Ahras et le rabbin de la communauté juive ; le père Mamet pense au rapprochement des hommes des trois religions monothéistes. Ces prêtres pratiquent le secours aux familles algériennes et sont en bonnes relations avec les militants nationalistes qui, derrière Mokhtar Badji, passent du MTLD à l’ALN ; M. Badji est un des vingt-deux qui lancent l’insurrection ; il est tué au maquis en janvier 1955. La région proche du massif de l’Ouenza, est un des foyers de résistance ; l’armée française lance des expéditions de répression collective, multiplie les exécutions et fait usage de la torture. À la haine des colons, y compris fidèles catholiques, les prêtres de Souk-Ahras vont ajouter l’hostilité des militaires.

Sont visés particulièrement les trois prêtres qui travaillent en fraternité avec les familles musulmanes et qui ne cachent pas leur approbation du mouvement d’indépendance : le père Augros, le supérieur, l’actif Jobic Kerlan et l’arabophone Pierre Mamet. Or ceux-ci ne cessent de distribuer les secours, soins et pharmacie, et ouvrent les dépendances de l’église comme lieux de refuges pour les victimes de la répression. En chaire, ils dénoncent représailles, exécutions collectives et tortures ; ils diffusent leurs sermons et leurs interventions, non sans soulever des échos en France parmi les chrétiens progressistes et les équipes de la Mission de France qui subissent alors l’épreuve de l’interdiction des prêtres- ouvriers. Leur référence en France est le bi-mensuel des catholiques progressistes La Quinzaine.

Une première menace d’expulsion est levée en juillet 1955 sur l’intervention à Alger de l’abbé Scotto, délégué pour l’Afrique du Nord de la Mission de France et qui a ses entrées au cabinet de Jacques Soustelle, alors Gouverneur général. Ensuite, au titre des « pouvoirs spéciaux » pour le maintien de l’ordre votés en mars au gouvernement de Guy Mollet, les militaires français obtiennent du préfet de Constantine la sanction des trois prêtres ; le 9 avril 1956, ils sont interdits du département de Constantine et le presbytère de Souk-Ahras est fermé. L’expulsion connaît des soubresauts d’autant qu’elle soulève des articles dans la grande presse en France.

Le gouvernement envoie Maurice Papon, inspecteur général de l’administration et ancien préfet de Constantine, en mission extraordinaire. Certes, il ne peut que constater qu’il n’y a pas de preuves matérielles d’atteinte à la sûreté et fait annuler la mesure d’expulsion (27 juillet 1956), mais arguant du « climat passionnel », il maintient l’interdiction de séjour dans la ville ; « la paroisse et le secteur de Souk-Ahras doivent être confiés à des prêtres autres que ceux de la Mission de France. Les prêtres quels qu’ils soient, ne pourront s’occuper que des chrétiens ». Jobic Kerlan se replie à Alger et devient aumônier du port.

Le père Mamet gagne Paris pour prendre d’abord place au sein de la paroisse du quartier latin de l’Église Saint-Sernin ; au titre de sa connaissance de l’Afrique du Nord et de la culture arabo-musulmane, il doit répondre aux étudiants de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) en forte effervescence et solidaire des protestations de rappelés. En fait, il retrouve l’équipe de la Mission de France qui se préoccupe de l’immigration algérienne et se joint au groupe de Jean Urvoas* qui soutient l’action de la Fédération de France du FLN et participe au Comité de Résistance spirituelle qui notamment publie, la brochure Des rappelés témoignent.

Il est ensuite affecté en septembre 1957 à la paroisse de Gennevilliers, au quartier des Grésillons, en plein milieu ouvrier nord-africain composé d’immigrants marocains et algériens largement liés à la CGT. En décembre 1959, il vient témoigner aux Assises de la Seine, au procès de Mohammed Ben Saddok, militant du FLN qui a abattu Ali Chekkal, ancien vice-président de l’Assemblée algérienne, élu et collaborateur colonial, au stade de Colombes près de Paris. Il expose son expérience ouvrière et pastorale en Algérie et affirme sa solidarité avec les colonisés.

Avec Bernard Boudouresques et Robert Davezies, il est un des missionnaires de l’action ouvrière de la Mission de France se mettant au service du réseau dit Jeanson. Quand le groupe est pourchassé et subi des arrestations après la tentative d’attentat contre Jacques Soustelle, Pierre Mamet se replie à Tunis en août 1958. Il se dévoue à l’assistance des réfugiés algériens et des blessés de l’ALN tout en nouant les contacts avec les syndicalistes, aussi bien de l’UGTA que de l’UGTT. Il accueille ainsi le père Davezies, abrité auprès de la direction de la Fédération de France à Cologne (RFA), pour son enquête au Kef auprès des réfugiés algériens. Il reste actif dans le milieu des soutiens français, étudiants rappelés insoumis, à l’indépendance algérienne.

Après les accords d’Évian en mars 1962, Pierre Mamet revient en France ; il vit à Toulouse ; puis il repart en Algérie, comptable dans une coopérative de Souk-Ahras. En mars 1965, il repasse en Tunisie pour mener l’action syndicale sur les domaines agricoles. Il est de retour en France pour prendre la direction de maisons de retraite pour travailleurs immigrés à Hyères (Var) et à Nangis (Seine-et-Marne). Il se retire en région parisienne et se marie (le mariage n’est pas inscrit à l’état civil). Il ne cesse de s’intéresser au Maghreb et de donner son avis sur le passé et sur son évolution.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article161966, notice MAMET Pierre [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 1er août 2014, dernière modification le 1er août 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Archives de la Mission de France et autres archives, témoignages et correspondances citées dans Sybille Chapeu, La Mission de France dans la guerre d’Algérie. Église, politique et décolonisation, Thèse de doctorat d’histoire, Université de Toulouse-Le-Mirail, 2002, 2 tomes, 602 p., publiée en volume réduit : S. Chapeu, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie. L’action de la Mission de France, L’Atelier, Témoignage chrétien, Paris, 2004. — R. Davezies, Le Front, Minuit, Paris, 1959, Le temps de la Justice, La Cité, Lausanne, 1961, Un temps pour la guerre, L’âge d’homme, Lausanne, 2002, et témoignage dans J. Charby, Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent, La Découverte, Paris, 2004. — Michel Martini, Chroniques des années algériennes, 1946-1962, Bouchène, Paris, 2002. — T. Cavalin et N. Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de France. La riposte missionnaire, 1941-2002, Karthala, Paris, 2007. — Arch. de la Mission de France sur le Constantinois et la Tunisie consultées par André Caudron pour la notice du DBMOMS, t. 8.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable