MASSEBŒUF Jean [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 12 décembre 1908 à La Rochelle (Charente-Inférieure/Maritime), mort le 24 avril 1985 à Constantine (Algérie) ; médecin en Algérie ; personnalité communiste de Ténès et de la région, candidat du PCA aux élections ; arrêté en juillet 1956 pour son soutien très actif à l’ALN et aux groupes communistes des Combattants de la libération ; à l’indépendance, ayant pris la citoyenneté algérienne, directeur des Services de santé à Constantine.

Jean Masseboeuf était le fils aîné de Maurice Masseboeuf, professeur d’école normale, devenu inspecteur primaire, et d’Angèle Lacore, institutrice, militants laïques, athées, qui s’étaient mariés uniquement civilement en 1906. Son frère cadet, Pierre Masseboeuf, était beaucoup plus jeune, né en 1920 à Calais, et devint plus tard professeur à Romans-sur-Isère (Drôme), militant communiste et syndicaliste du SNET puis du SNES.

Après ses études de médecine, le docteur Masseboeuf ouvre un cabinet médical au centre de la ville coloniale de Ténès accolée au Vieux Ténès historique et dominant le port qui exporte le minerai de fer des mines de Francis Garnier (Beni-Haoua) dans le Dahra et le vin des très denses vignobles coloniaux ; il y a encore dans les environs, des descendants de la famille Reclus qui avait implanté, à la fin du XIXe siècle, un phalanstère de fraternité anarchiste. Après 1945, le recul de l’exploitation minière, laisse le port et la ville stationnaires sous l’autorité du maire grand colon et dans une vie coloniale provinciale.

L’instituteur Gaston Donnat, nommé à l’école du Vieux Ténès, arrivant à la rentrée scolaire de 1954, alors que le tremblement de terre d’Orléansville a retenti jusque-là, trouve une section communiste peu active, comprenant une cellule très réduite dans le Vieux Ténès qu’il relance par des enseignants, une cellule totalement algérienne des dockers et mineurs syndicalistes autour de Rabah Benhamou, kabyle tenant une échoppe au marché, et la cellule de la ville, fort coloniale, mais illustrée par le docteur Masseboeuf.

Installé avant 1939, celui-ci est devenu un « vieux ténésien », parlant arabe dans ses visites médicales plus qu’à son cabinet, mais rayonnant par ses tournées ; son savoir est aussi mâtiné d’arabe plus classique, car il est familier des familles lettrées du Vieux-Ténès. Face à l’antisémitisme colonial, il a secouru les familles juives sous Vichy, gagnant des sympathies au PCA parmi les commerçants juifs et les employés. Mobilisé en 1944-1945, il a fait la campagne d’Italie avec l’armée d’Afrique du Nord. Aussi est-il le candidat idéal pour le PCA à toutes les élections, de 1945 au nom de La France combattante, à la dernière participation communiste aux élections cantonales d’avril 1955 ; il paye de sa personne en menant campagne, fréquemment en duo avec Mustapha Saâdoun pour le 2e collège, autre vétéran communiste ; le docteur Masseboeuf est membre du bureau régional du PCA de Blida.

Par son dévouement et sa notoriété de médecin, sa personnalité admise de marginal, le Dr Masseboeuf échappe en partie au piège de la société coloniale ; cependant Rabah Benhamou qui, dès novembre 1954, pense à organiser la lutte armée, dit les réserves des Algériens. « Il me parla du Dr Masseboeuf, rapporte Gaston Donnat, beaucoup trop introduit dans la société pied-noir et frayant avec des gens que les Algériens considéraient comme des colonialistes notoires. Je me souviens qu’il évoqua, avec une certaine indignation, des réceptions mondaines organisées par le maire de Ténès, dans sa propriété de Francis Garnier (Beni-Haoua), auxquelles assistaient le Dr Masseboeuf et son épouse… » Il est vrai que celle-ci n’a pu se détacher de la vie et du milieu colonial.

L’affirmation de la lutte de libération en 1955, fait basculer pleinement le communiste Masseboeuf dans le camp algérien. Son soutien aux clandestins et maquisards va d’abord aux partisans de l’ALN avec lesquels Rabah Benhamou a des contacts, plus encore après son arrestation et son évasion qui en font un clandestin. Le docteur Masseboeuf héberge et soigne des combattants dès la fin de 1955 appelant aussi à l’aide le Dr Martini, chirurgien à l’hôpital d’Orléansville ; il a la complicité de sa gouvernante, l’infirmière Kheïra, fille instruite que le Dr Martini fait aussi servir à la promotion sociale féminine à l’hôpital d’Orléansville. Dans sa maison en pleine ville coloniale, Masseboeuf peut se permettre d’abriter les passages et les réunions des responsables communistes, Odet Voirin* qui vient depuis Blida, Abdelkader Babou qui est chargé d’organiser les groupes de Combattants de la libération dans la vallée du Chelif.

Jean Masseboeuf est sceptique sur la formation du maquis voulue par le PCA. Selon Gaston Donnat qui, lui, comprend ce maquis comme purement symbolique, « Masseboeuf m’avait affirmé qu’il n’y avait aucune chance pour qu’un camarade européen puisse s’intégrer dans un groupe du type correspondant aux nécessités de la lutte armée dans les montagnes » ; le Dr Masseboeuf par contre est favorable aux petits groupes armés constitués dans le Dahra avec les militants algériens locaux, notamment avec les mineurs formés au syndicalisme à Francis-Garnier (Beni-Haoua). Comme le Dr Martini, il apporte néanmoins son concours à la mise en place du maquis rouge de l’Ouarsenis avec Maurice Laban et Henri Maillot dont le responsable politique est Mustapha Saâdoun.

Après la dislocation, c’est lui, avec le Dr Martini, qui font accueillir à l’écart par leurs infirmières et sous la garde de Keïra, les rescapés que sont Hamid Gherrab et M. Boualem, le syndicaliste docker d’Oran. Masseboeuf assite à la négociation d’entrée individuelle des combattants communistes à l’ALN, entre A. Babou et Si M’Hamed (Ahmed Bouguerra) qui se tient derrière l’école du Vieux-Ténès de Gaston Donnat ; cette solution sert de modèle à la conclusion fin juin 1956 des accords entre PC et FLN.

Le Docteur Masseboeuf est arrêté dès juillet 1956 ; en 1957, il est condamné à quarante ans d’emprisonnement. À l’indépendance, il demeure en Algérie prenant la direction des Services de santé à Constantine où, ayant épousé en 1962 celle qui fut plus qu’une assistante, Kheïra, il demeure jusqu’à sa mort.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article162051, notice MASSEBŒUF Jean [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 1er août 2014, dernière modification le 31 mai 2021.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. Wilaya d’Oran. — G. Donnat, Afin que nul n’oublie. L’itinéraire d’un anticolonialiste. Algérie-Cameroun-Afrique, L’Harmattan, Paris, 1986. — M. Martini, Chroniques algériennes. 1946-1962, Bouchène, Saint-Denis, Paris, 2002. — Arch. Dép. Charente-Maritime, état civil (note d’Alain Dalançon).

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