BÉNASSY Camille, Louis

Par Justinien Raymond, Gilles Morin

Né le 25 février 1887 au Monteil-au-Vicomte (Creuse), mort le 26 mai 1958 à Royère-de-Vassivière (Creuse) ; commis à l’économat du lycée de Guéret ; militant et élu socialiste de la Creuse ; membre de la direction nationale des Étudiants socialistes (1914) ; secrétaire de la fédération socialiste (1922) ; maire de Royère (1919-1935, 1945-1958) ; maire d’Aubusson (1935-1940) ; conseiller général de Royère (1919-1928 ; 1945-1958) ; député (1924-1928 ; 1931-1936).

Camille Benassy
Camille Benassy
Député en 1932

Camille Bénassy était fils d’un instituteur qui fut directeur d’école publique et qui espérait le voir suivre sa voie. Mais, il se lança dans des études supérieures de lettres et de droit après des études secondaires au lycée de Guéret. Aussi dut-il subvenir à ses besoins : il le fit en donnant des cours d’allemand, en collaborant au journal Le Petit Limousin et en étant maître d’internat au lycée Lakanal à Sceaux où il fonda un syndicat avec son collègue Pierre Laval. Étudiant plutôt besogneux mais combatif, il fut facilement gagné au socialisme par la voix de Jaurès.

Dans sa profession de foi de candidat, en 1932, il déclara avoir adhéré au Parti socialiste SFIO à l’âge de dix-huit ans, en 1905, l’année de l’unité. Tout jeune, il apporta sa collaboration à la presse socialiste, au Prolétaire de l’Oise, mais surtout aux journaux de sa région d’origine : Le Travailleur du Centre, Le Travailleur de la Corrèze, Le Petit Limousin et Le Populaire du Centre. En 1909, il représenta la Fédération socialiste de la Creuse au congrès national de la SFIO à Saint-Étienne. Aux élections législatives de 1914, il fit bonne figure comme porte-drapeau de la Fédération socialiste dans l’arrondissement d’Aubusson, alors qu’il n’avait que vingt-sept ans : après avoir sillonné sa circonscription à bicyclette, tandis que son principal adversaire disposait d’une automobile, il recueillit 2 993 voix au 1er tour de scrutin (11,5 % des inscrits) et au 2e tour, 4 955 (19 %), son vainqueur, Connevot, ayant 5 245 suffrages. Au cours de cette campagne la presse le donnait comme avocat : il l’était plutôt en puissance qu’en fait.

Mobilisé comme soldat de 2e classe et probablement inscrit au carnet B, il termina la guerre avec de brillants états de service, lieutenant, quatre fois blessé, six citations, la Légion d’honneur et la Croix de guerre. Ce palmarès donnait plus de poids à ses attaques contre l’État-major pendant les campagnes électorales de 1919.

En 1919, Benassy passa avec succès le concours d’économe de lycée et fut commis à l’économat du lycée de Guéret. Les batailles électorales municipales, législatives et cantonales se sont succédées en novembre et décembre 1919. En novembre, il fut élu maire de Royère, chef-lieu du canton où il était né : il le demeura jusqu’au printemps de 1935. En décembre, les électeurs du canton l’envoyèrent siéger au conseil général, premier élu socialiste à pénétrer dans l’assemblée départementale. Il perdit ce mandat en octobre 1928, battu par le socialiste indépendant Clément Vialatou. Au sein d’une assemblée dominée par des radicaux et des "réactionnaires", Bénassy défendit ses positions avec vigueur et talent, et l’écho de cette action fit beaucoup pour la propagande socialiste qui allait conquérir le département. Pétillant d’esprit, d’une indépendance ombrageuse, orateur de talent, il sut se faire entendre. Le 5 mai 1920, alors que les grèves des cheminots, des mineurs et des dockers battaient leur plein, il s’opposa fermement à la demande du préfet d’envoyer les félicitations du conseil général au gouvernement de Millerand « pour son souci du maintien de l’ordre et de la suprématie des prérogatives de l’État » ; il défendit l’action de la CGT et demanda la nationalisation des services publics. Évoquant la puissance du mouvement en cours il s’écria : « Si vous essayez de vous y opposer par la force brutale, vous serez un jour emportés par la force brutale elle-même. » Au conseil général, Bénassy appartenait à l’importante commission de l’électrification.

Il siégeait aussi au conseil départemental de l’instruction publique peut-être en raison de ses origines familiales, des contacts suivis qu’il entretenait avec le corps enseignant de par sa profession et par son épouse, institutrice.

Malgré son action précoce et féconde au bénéfice du socialisme dans la Creuse, Bénassy rencontra des réticences dans son propre parti, dans sa quête d’un mandat législatif. Au congrès de la Fédération socialiste, à Guéret, le 24 août 1919, il aurait été attaqué, selon le rapport du sous-préfet, en raison de « son attitude militariste ». Il désirait conduire la liste socialiste SFIO pour les élections législatives du 16 novembre 1919, mais il fut écarté de cette position ; il aurait alors songé à quitter le parti, mais n’en fit rien. La liste publiée le 15 octobre, le plaçait en seconde position. Il fut cependant le véritable animateur de la campagne électorale ; mieux armé qu’en 1914, il venait d’acquérir une voiture. Il condamna vivement l’intervention militaire en Russie. Le 16 novembre 1919, aucun socialiste ne fut élu dans la Creuse, mais, avec 11 464 voix sur 75 478 inscrits, Bénassy se classait en tête des candidats socialistes. Les élections passées, la vie interne du Parti socialiste dans la Creuse comme ailleurs fut dominée par le problème de l’adhésion à la IIIe Internationale. Bénassy se prononça contre cette adhésion et fut un des quatre délégués de la Creuse avec Desmoulins, Fougerol et Tixier au congrès national de Tours (décembre 1920) où se consomma la scission, la majorité de la Fédération creusoise (dix-neuf mandats sur vingt-six) se prononçant, comme la majorité du parti, pour l’adhésion.

Ainsi, dans la Creuse comme ailleurs, le Parti communiste emporta les forces vives de la fédération. Si la fédération maintenue de la SFIO remonta assez vite et bien la pente, c’est en grande partie à l’action de Bénassy qu’elle le dut. Il lui redonna un siège de député en conduisant au succès la liste « du Parti socialiste » aux élections législatives de 1924 : le 11 mai, Bénassy, « sous-économe au lycée de Guéret », selon le préfet, « économe » selon sa profession de foi, recueillit 15 568 voix sur 70 822 inscrits et fut élu au quotient.

Quatre ans plus tard, à la veille du renouvellement de la Chambre, L’Avenir(17 février 1928), évoquant sa candidature en Creuse assurait qu’il avait « réussi par une propagande tenace à faire du parti SFIO l’un des mieux organisés du département ». L’action du député Bénassy ne pouvait que servir le Parti socialiste dans la Creuse. Vice-président de la commission des comptes définitifs et des économies, secrétaire de la commission de l’Enseignement et des Beaux-Arts, il intervenait dans les grandes discussions intéressant l’agriculture, aspect essentiel de l’économie creusoise, et l’enseignement. En 1926 et en 1928, il demanda, pour les travaux ruraux, la libération anticipée du contingent. Il rédigea maints rapports et fut l’auteur d’une loi qui porta son nom et qui permettait aux jeunes bacheliers ou titulaires du diplôme de fin d’études secondaires d’accéder aux fonctions d’instituteurs dans l’enseignement public. Ses interruptions fréquentes étaient rapportées par la presse : ainsi, le 18 février 1925, un élu s’étant élevé contre l’évasion des capitaux, Bénassy s’écria : « La bourgeoisie manque à son devoir aujourd’hui comme elle y a manqué pendant la guerre. Embusqué pendant la guerre, déserteur pendant la paix, voilà le bourgeois. » S’appuyant sur un vœu du conseil d’arrondissement d’Aubusson du 3 août 1925, il suggéra par question écrite au ministre du Travail de déclarer le 1er mai, fête légale, dès 1926.

Ses adversaires ne ménageaient pas Bénassy. Comme il s’était installé à Paris où, au surplus, sa femme enseignait, après son élection de 1924, on l’accusa de spéculation immobilière jusque dans la campagne électorale de 1936. Il s’expliqua : il avait acheté à crédit, le 28 juillet 1927, un pavillon à Colombes, où exerçait son épouse. En octobre 1928, Mme Bénassy, nommée à Gennevilliers eut un logement de fonction ; alors il loua son pavillon de Colombes. Là n’est pas la raison de son échec aux élections législatives de 1928. Député sortant élu au scrutin de liste en 1924, il devait, en 1928, choisir une circonscription, le scrutin uninominal d’arrondissement ayant été rétabli. Il n’opta pas pour la solution de facilité. Il le dit plus tard ; « j’estime qu’un vrai militant doit surtout rechercher l’intérêt de ses idées sans se soucier de son intérêt personnel » et il se présenta crânement dans l’arr. de Guéret pour y éliminer un député sortant, modéré, Adenis qui portait l’étiquette « républicain de gauche ». La campagne fut très vive et, à son issue, Bénassy venait en tête des candidats avec 4 875 voix sur 16 691 inscrits et 15 341 suffrages exprimés, contre 4 652 au candidat radical Ferrand, 3 745 au député sortant Adenis, 1 723 au communiste Laboureur et 346 à un radical, Maingard qui se désista pour Ferrand. Adenis s’étant retiré, laissait le champ libre à Ferrand, tandis que le maintien du candidat communiste stérilisait 426 voix à gauche. Avec 6 294 suffrages, Bénassy fut battu par Ferrand (8 555). Cette défaite allait être suivie en octobre par la perte du mandat de conseiller général.

Les circonstances allaient offrir à Bénassy, l’occasion d’une revanche avant la prochaine échéance électorale. L’élection au Sénat du député radical-socialiste d’Aubusson, Connevot, lui permit d’enlever ce siège, au ballottage, en mai 1931, en posant sa candidature en accord avec Charles Lussy, le candidat de 1928. Dans sa profession de foi, Bénassy déclara : « J’habite à la frontière de l’arrondissement d’Aubusson. Mais si je suis votre élu, je prends l’engagement de prendre un domicile dans l’arrondissement. » Il mena une active campagne, épaulé par de nombreux élus socialistes, et, aux dires du préfet, modifia son style, son comportement : « Il paraît avoir quelque peu modifié son caractère, aujourd’hui moins cassant et beaucoup plus conciliant. » Le 26 avril 1931, Bénassy arrivait en tête avec 4 578 voix sur 18 817 inscrits. Avec 5 641 au second tour, il l’emporta à la faveur du maintien de deux candidats radicaux et de l’absence de candidat communiste. On remarqua sa percée dans la ville même d’Aubusson, 513, puis 636 voix. Tenant une promesse de sa campagne électorale, le nouveau député s’installa à Aubusson même et il s’y lia d’amitié avec le directeur de Mémorial de la Creuse qui lui ouvrit largement les colonnes de son journal. Bientôt, sa femme aura un poste d’institutrice à Aubusson. La ville de la tapisserie avait trouvé un défenseur fougueux, actif et dévoué et, son député, une cause populaire à défendre : la crise sévissait, en effet, et elle transformait les tapissiers en manœuvres employés à l’empierrement des routes.

Les passions déchaînées par la bataille électorale de 1931 étaient encore toutes chaudes quand s’ouvrit la campagne pour le scrutin de 1932. Le Mémorial de la Creuse appuyait le député sortant aux prises avec six adversaires agressifs, aux étiquettes parfois trompeuses. Le 1er mai 1932, Bénassy venait nettement en tête avec 6 332 voix, soit 33,9 % des 18 553 inscrits, devant Chaize, entrepreneur de travaux publics, « socialiste français », 3 114, Sourioux, ancien receveur de l’enregistrement, « républicain-socialiste », 1 374, Joulot, ingénieur, « radical-socialiste », 1 350, Hindermeyer, président de la Chambre de commerce, « radical-socialiste », 1 219, Ilbert, communiste, 615 et Tixier, négociant, « radical-socialiste », 424. Bénassy l’emporta au scrutin de ballotage, ses deux adversaires les plus favorisés restant candidats et les électeurs communistes malgré le maintien de leur candidat se portant en masse sur le candidat socialiste puisque Ilbert, ne conserva que 163 voix. La ville d’Aubusson en lui accordant une confiance accrue (694 et 786 voix), semblait l’inviter à se présenter aux élections municipales, ce qu’il fit, avec succès, en mai 1935. C’est lui qui fera construire l’actuel Hôtel de ville d’Aubusson, petite merveille d’élégance et cadre superbe pour les expositions de tapisseries. De 1931 à 1936, Bénassy retrouva ses commissions à la Chambre et mena une grande activité parlementaire. Il parla chaque fois que la situation de la tapisserie l’exigeait. Il intervint dans les discussions du budget de l’enseignement en 1933 et en 1935. En 1935, il interpella le gouvernement à plusieurs reprises sur le problème du chômage. En 1934 et en 1935, il appartint au « groupe interparlementaire français » et, en cette qualité, il participa à la XXXe et à la XXXIe Conférence interparlementaire où il intervint sur les problèmes monétaires, économiques et sociaux.

Rien ne semblait devoir menacer, en 1936, le député sortant d’Aubusson, d’autant qu’il avait participé aux rassemblements régionaux, préludes au Front populaire. La confrontation était beaucoup plus claire qu’en 1932. Face à Bénassy, candidat socialiste, le candidat communiste Nival, même s’il progressait, ne pouvait le menacer. Mais un candidat radical-socialiste, unique cette fois, jouissait d’une forte assise personnelle : il était conseiller général d’Aubusson, et il était vétérinaire. À ce dernier titre, il semble avoir bénéficié, peut-être dès le premier tour de suffrages de paysans communistes qui le connaissaient bien. Mais surtout, dans un département devenu « rouge », être candidat radical-socialiste, sans enthousiasme pour le Rassemblement populaire, c’est en face d’un socialiste et d’un communiste, être assuré du plein des voix de droite. Chambonnet se classa en tête avec 7 094 voix sur 18 222 inscrits, devant Bénassy (5 139) et Nival (2 132). Seul candidat de Front populaire au second tour par le désistement de Nival, Bénassy, au vu des chiffres, avait une marge de sécurité de 177 voix. Or, le report des voix communistes s’étant mal fait, Bénassy perdit son siège avec 6 919 suffrages contre 8 247 à Chambonnet. Pourtant, la ville d’Aubusson ne l’avait pas abandonné (642 puis 813 voix) et il en resta le maire jusqu’à sa démission en 1940.

C’était la fin de la carrière politique nationale de Bénassy, dans la Creuse. Il ne tenta pas sa chance à l’élection partielle qui eut lieu en 1939 à Aubusson. Il reprit alors un poste d’économe au lycée Voltaire jusqu’en 1939, puis acheva sa carrière professionnelle au lycée Condorcet à Paris. Il devint chef de cabinet de son collègue de la Creuse, Albert Rivière, député de Boussac, devenu ministre des Pensions dans les gouvernements Blum et Chautemps, puis appartint au cabinet de Frossard, ministre d’État en 1938, comme chargé de l’étude de l’arbitrage des conflits sociaux et figurait encore dans le cabinet Frossard, ministre des Travaux publics puis de l’information, en mars 1940. Il sollicita en vain une nomination au grade de préfet pour ordre et demanda à Léon Blum d’intervenir pour obtenir le poste d’Inspecteur général des services économiques des lycées.

Il aurait démissionné de ses fonctions de maire d’Aubusson en 1940.

Après la guerre, Bénassy fut réélu en septembre 1945, conseiller général et maire de Royère où il avait fait ses premiers pas dans la vie politique, et le demeurera jusqu’à sa mort. Il présidait la Fédération ouvrière et paysanne des Anciens combattants en 1949.

Une rue de Royère porte son nom.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16206, notice BÉNASSY Camille, Louis par Justinien Raymond, Gilles Morin, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 16 novembre 2022.

Par Justinien Raymond, Gilles Morin

Camille Benassy
Camille Benassy
Député en 1932

SOURCES : Arch. Nat., F/7/15534, n° 5761 ; F/3228 ; F/1cII/270 ; F/1cII/276 ; F/1cII/305 ; F/1cII/308. F/1cIV/152. F/1dI/120. — Arch. OURS, lettre du maire de Royère, 21 août 1989. — Arch. Dép. Creuse, 3 M 302 ; 3 M 307 ; 3 M 310 ; 3 M 312 ; 3 M 313 ; 3 M 318 ; 3 M 321 ; 3 M 323. — M.-C. Bournand, Les Élections dans le département de la Creuse de 1889 à 1914, mémoire de maîtrise, Paris, mai 1970. — J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires, op. cit. — La Vie socialiste, 2 mai 1931, 14 mai 1932. — Qui est-ce, Ceux dont on parle, Éditions de la Vie moderne, Paris, 1934. — Les Cahiers d’Informations du militant, op. cit., n° 16, mai 1936. — Le Populaire, 28 mai 1958. — Parti socialiste SFIO, 18e congrès national tenu à Tours, les 25, 26, 27, 28, 29 et 30 décembre 1920, Paris, 1921. — Renseignements fournis par M. Broilliard et Jacques Girault.

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