BÉNÉDITE Daniel [UNGEMACH, Daniel, Pierre dit]. Pseudonyme dans la Résistance : CORBLET, Marcel

Par Laurent Jeanpierre

Né le 27 janvier 1912 à Strasbourg, mort le 15 octobre 1990 à Paris ; fonctionnaire préfectoral, journaliste puis éditeur ; « socialiste révolutionnaire » dans l’entre-deux-guerres ; résistant à Marseille et dans le Var ; journaliste à Franc-Tireur après la Libération puis à l’hebdomadaire La Gauche ; participe au Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR).

« Socialiste révolutionnaire » proche du communisme libertaire, anti-stalinien précoce, Daniel Bénédite fit partie de ces étudiants tôt socialisés en politique qui participèrent aux engagements des oppositionnels de gauche des années 1930 et 1940, avant de disparaître dans l’oubli pendant la guerre froide.
Les parents de Daniel Ungemach ayant divorcé, il prit le nom de sa mère et se fit appeler Daniel Bénédite. Licencié en philosophie à la Sorbonne, il entra à la Préfecture de police en 1934 grâce à la recommandation de son oncle. Chargé de questions sanitaires et d’hygiène puis secrétaire du préfet Roger Langeron, il passa le concours de commis en 1936 puis de chef de cabinet de préfet.

Le statut de fonctionnaire n’empêcha pas Daniel Bénédite de militer activement parmi les « gauchistes » de l’entre-deux-guerres. Entré à la Ligue d’action universitaire républicaine et socialistes en 1929, aux Étudiants socialistes (où il précéda de quelques mois David Rousset en qualité de secrétaire administratif) puis aux Jeunesses socialistes et à la SFIO, Daniel Bénédite fréquenta également le cercle de socialistes révolutionnaires réunis autour de René Lefeuvre et de la revue Masses. Il y rencontra Colette Audry, Daniel Guérin, Paul Bénichou et son épouse Gina Bénichou, Simone Kahn, Michel Collinet, René et Hélène Modiano, Aimé Patri, Georges Soulès (Raymond Abellio), etc. Adhérent aux thèses de cette tendance (appelée aussi « Spartacus »), Daniel Bénédite rejoignit, comme la plupart de ses camarades, la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert puis le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) lors de sa création en juin 1938.

Pendant la Guerre civile espagnole il rendit visite aux anarchistes catalans de Gérone. Proche de certains membres du cabinet de Blum pour lesquels il servit de relais à la Préfecture de Police, Daniel Bénédite ne sera pas pour autant inquiété pour son militantisme découvert pourtant après le Front populaire.
Mobilisé en Lorraine en août 1939, sous-officier du régiment d’artillerie puis agent de liaison avec le corps expéditionnaire anglais, il décida de démissionner de la Préfecture après la défaite. En octobre 1940, à l’initiative de Mary-Jane Gold, une héritière américaine qui avait pris pension chez lui dans les années 1930, il fit la connaissance à Marseille de Varian Fry qui était chargé par plusieurs associations de la gauche libérale américaine d’organiser l’assistance et le sauvetage des artistes et des intellectuels antifascistes réfugiés en France, internés ou menacés d’être livrés aux Allemands en vertu de l’article 19 de la Convention d’armistice. Mobilisant ses compétences acquises à la Préfecture de police en matière de droits des étrangers ainsi que ses anciens réseaux professionnels et militants, Daniel Bénédite devint le plus proche collaborateur de Fry au sein du Comité américain de secours (CAS). Son épouse, Théo, d’origine anglaise, devint la secrétaire de l’Américain ; Jean Gemähling, rencontré pendant la guerre, travailla aussi pour ce dernier.
Daniel Bénédite occupa alors une position cardinale dans l’aide matérielle et financière aux réfugiés mais surtout dans l’émigration hors d’Europe de plusieurs centaines d’entre-eux pendant la Seconde Guerre mondiale. Chargé d’abord par Fry d’observer les camps d’internement de Vichy, dont il fut un des premiers témoins à rapporter les conditions de vie inhumaines, il mit en place une assistance régulière tout en s’opposant aux actions humanitaires d’associations comme la Croix-Rouge ou l’Œuvre de secours aux enfants qu’il jugeait inefficaces parce qu’elles ne critiquaient ni ne contournaient les dispositifs réglementaires du gouvernement de Vichy. Il incita également Fry à apporter une aide aux Alsaciens et aux Lorrains qui migraient en masse dans le Sud de la France. Proche des nombreux réseaux trotskystes, des anarchistes ou socialistes révolutionnaires et des antifascistes espagnols du POUM, il orienta les activités de soutien du CAS vers les militants et les leaders politiques de l’extrême-gauche. À la Villa Air-Bel, il fréquenta pendant plusieurs mois André Breton et Jacqueline Breton ou Victor Serge, et il côtoya les artistes surréalistes de passage. Il fut également proche de réfractaires comme Sylvain Itkine qui avait fondé une usine autogérée de pâte de fruits, les « Croquefruits », où se retrouvaient plusieurs étrangers, Juifs, opposants politiques poursuivis par Vichy et les Allemands et en quête de visas : parmi eux, l’écrivain Jean Malaquais, également proche de Fry.
Pendant cette période, Daniel Bénédite fut arrêté et emprisonné deux fois, à Marseille et à Banyuls, (la seconde fois en tentant de fuir vers l’Espagne) avant que Fry ne soit expulsé du territoire français en septembre 1941 par le gouvernement français avec le soutien de l’ambassade américaine. En dépit du retrait financier et logistique progressif de ses employeurs aux États-Unis, Daniel Bénédite parvint à maintenir l’activité du CAS jusqu’en juin 1942, avant d’être arrêté à nouveau par la Sûreté Nationale qui ferma le Centre considéré comme un « repère de la IVe Internationale ». Environ 1 200 personnes auront pu fuir, légalement ou clandestinement, grâce aux actions du CAS et 4 000 furent sous sa protection. À propos de l’action de Daniel Bénédite pendant cette période, Victor Serge lui écrivit à la fin de la guerre de Mexico qu’il a « accompli tenacement un travail bien dangereux auquel bien des hommes (dont je suis) doivent vraisemblablement la vie. [...] Ce fut un beau commencement ! Ce fut en vérité la toute première Résistance, bien avant que le mot n’ait apparu ».
Avec Roger Taillefer, un ouvrier parisien, et le médecin militant Paul Schmierer, un camarade des années trente, organisateur d’une filière d’évasion pour soldats alliés dès septembre 1940 et ancien collaborateur du CAS, Daniel Bénédite monta pour les syndicats américains AFL et CIO, puis pour l’OSS, un petit réseau de renseignements sur l’industrie française. Il envoyait aussi des informations aux États-Unis sur les déportations de Juifs en France qui se multiplièrent pendant l’été 1942. Défendus en justice par Gaston Defferre*, des proches du Centre (dont Pietro Tresso, l’ancien secrétaire du PCI, démissionnaire et anti-stalinien) furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité en octobre 1942. Daniel Bénédite vida alors les locaux et brûla des milliers de fiches avant de gagner Antibes où il rejoignit Paul Schmierer, désormais replié et en charge avec quelques autres de la mise en place du réseau de renseignements « Tartane-Masséna » qui regroupa jusqu’à 400 agents et qui, bien que dépendant de la France Libre, approvisionna aussi les services secrets américains.
De janvier à juin 1943, Daniel Bénédite s’initia au bûcheronnage et à la fabrication du charbon de bois à Chateaudouble, une forêt du Var, dans une exploitation dirigée par un réfugié espagnol. Il prit alors comme pseudonyme Marcel Corblet et aida quelques autres réfugiés à passer en Suisse. Grâce à une autorisation des Eaux et Forêts, il créa un chantier forestier à Régusse, dans la forêt domaniale du Pélenq, avec le soutien de Schmierer. Avec les fonds restant du CAS - 400 000 francs -, il parvient à y cacher et à y employer des réfugiés. Le personnel de la « colonie » autogérée comprenait des Espagnols et des Catalans, des réfractaires au STO, des réfugiés juifs, des bûcherons locaux. Au total une centaine d’hommes passèrent par le Pélenq et une quarantaine y travaillèrent en permanence. Daniel Bénédite contribua ainsi à mettre en place des caches de réfugiés en France et en Suisse qui furent actives pendant toute la période de la guerre, grâce aussi à Anna Grüss, une ancienne du CAS qui servit d’agent de liaison clandestine.
Les Eaux et Forêts servant aussi de cache à des officiers de l’armée d’Armistice et formant l’embryon de l’Organisation de résistance à l’armée (ORA), Daniel Bénédite entra en relations avec eux et intégra la résistance varoise. À partir du début 1944, il diffusa Franc-Tireur clandestin dans les zones de Draguignan et de Manosque. En mai, il reçut un parachutage d’armes, la colonie du Pélenq se transforma en maquis, mais il fut arrêté avec son bras droit, le poumiste Josep Rebull, quelques jours plus tard, et emprisonné à Brignoles, Draguignan puis à Marseille jusqu’au 16 août 1944 où il fut libéré par les FFI. À la Libération il fut désigné comme adjoint du capitaine commandant les FFI de l’arrondissement de Draguignan. Il participa à la constitution des unités FFI, s’engagea et participa en 1945 à l’occupation de l’Allemagne. Fin 1944, Daniel Bénédite avait remis sur pied le CAS à Paris, avec Paul Schmierer et son épouse, et rentra à nouveau en contact avec Fry et l’International Relief and Rescue Committee qui l’avait employé. Gemähling, qui fut chef du service de renseignements du MUR, Paul Schmierer et Daniel Bénédite, tous anciens collaborateurs de Fry, auront par conséquent constitué une « colonne » décisive dans la Résistance du sud de la France. Si bien qu’en 1951, Daniel Bénédite fut fait Chevalier de la Légion d’Honneur.

Après la Seconde Guerre mondiale, Daniel Bénédite devint journaliste et administrateur à Franc-Tireur. Il fut aussi un des responsables de l’éphémère Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR) créé en 1948 par David Rousset, Jean-Paul Sartre* et Georges Altman. Suivant les positions de ce mouvement, à la fois internationaliste et européenne, neutraliste et anticolonialiste, il collabora aussi à l’hebdomadaire qui en émanait, La Gauche. Antistalinien de gauche, il retrouvait dans ces réseaux de nombreux camarades rencontrés dans les années 1930 et 1940. Dans les années 1970, il fut éditeur chez Rombaldi d’une série d’ouvrages portant sur l’histoire des révoltes à travers les siècles. Atteint d’une grave maladie, il se donna la mort le 15 octobre 1990.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16229, notice BÉNÉDITE Daniel [UNGEMACH, Daniel, Pierre dit]. Pseudonyme dans la Résistance : CORBLET, Marcel par Laurent Jeanpierre, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 5 décembre 2020.

Par Laurent Jeanpierre

ŒUVRE : Trente étoiles et leurs ombres, visite aux Amériques et aux Américains, Paris, 1947, 247 p. — La filière marseillaise. Un chemin vers la Liberté sous l’occupation, préface de David Rousset, Paris, Clancier Guénaud, 1984, 352 p.

SOURCES : Varian Fry Papers, Columbia University, Rare Book and Manuscript Library, New York. — Victor Serge Papers, Beinecke Library, Yale University. — Archives du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, témoignage de Melle Patrimonio, le 24 novembre 1947 ; « Historique du Pélenq. Essai Résumé ». — Témoignages de Roger Taillefer recueillis par Jean-Marie Guillon (1979-1980). — Varian Fry, La liste noire, Plon, 1999 [1945]. — Mary-Jane Gold, Marseille année 40, Phébus, 2001. — Jean-Marie Guillon, La Résistance dans le Var. Essai d’histoire politique, thèse de doctorat d’État, Université de Provence Aix-Marseille I, 1989, vol. 2 et 3. — Denis Peschanski, Karel Bartosek, René Gallissot, De l’exil à la Résistance, Arcantère, 1989. — Jean Rabaut, Tout est possible ! Les « gauchistes » français, 1929-1944, Denoël/Gonthier, coll. Médiations, 1974. — Charles Ronsac, Trois noms pour une vie, Robert Laffont, 1988.

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