Par Alain Dalançon
Né le 5 mai 1925 à Nantes (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), mort le 26 octobre 2008 à la Teste (Gironde) ; professeur agrégé d’histoire ; militant du SNET puis du SNES, secrétaire général adjoint de la section académique du SNES de Bordeaux ; militant communiste puis socialiste ; militant associatif.
Son père, Victor Rabau, était commissaire de bord dans la Marine nationale. Il avait épousé Marika Anninos, une jeune femme grecque appartenant à une famille aristocratique de grands propriétaires terriens, d’intellectuels et d’artistes, qu’il avait rencontrée à Corfou où il était en mission durant la Première Guerre mondiale. Revenu avec elle en France, il l’installa en Vendée, tandis qu’il repartait naviguer. Maurice était le dernier de leurs trois garçons, après René, né en 1920, et Pierre, né en 1922.
À partir de l’âge de six ans, Maurice Rabau, ainsi que ses deux frères aînés, fut confié par son père à la garde de sa sœur, Marie-Louise, et de son mari, Gustave Daudon, un médecin originaire des Landes installé à Saint-Amand-sur-Sèvre (une bourgade des Deux-Sèvres à la frontière de la Vendée). Durant son enfance, il connut donc un peu plus son père que sa mère et n’apprit jamais le grec moderne. Beaucoup plus tard, dans les années 1950, il fut officiellement adopté par les époux Daudon, ce qui expliquait l’acquisition de son double patronyme. Et c’est encore plus tard qu’il vint en Grèce renouer les fils avec la famille de sa mère.
Maurice Rabau reçut une éducation bourgeoise catholique, non exempte cependant d’ouverture aux nouvelles tendances artistiques et littéraires, voire politiques – la révolution soviétique était évoquée sans animosité à la table familiale. Son père était un humaniste, aux idées plutôt sociales, mais qui, par goût de la provocation, se disait royaliste, et se voulait inclassable sur l’échiquier politique. Sa mère défendait l’œcuménisme chrétien et soutenait la monarchie grecque. Son oncle et sa tante qui l’élevèrent, se définissaient comme des radicaux-socialistes.
Il fut vite retiré de l’école privée catholique du village pour recevoir des cours particuliers. À 10 ans, il passa une année dans les Landes chez une grand-tante et découvrit l’école laïque et sa « gentille institutrice ». Il fit ensuite ses études secondaires au collège des Jésuites Saint-Joseph de Poitiers (Vienne) et y obtint le baccalauréat série philosophie. Tout au long de son adolescence, il s’engagea avec passion dans le scoutisme, jusqu’aux « Routiers », quasi-clandestins durant la guerre. Il crut longtemps aux discours du Maréchal, « la conscience engourdie » selon son témoignage, sans percevoir les actes de résistance de son oncle et de son père, en ignorant l’existence des maquis. Tout changea lorsqu’il apprit que les Allemands, si « corrects », avaient fusillé des otages durant leur retraite en 1944. Il fut alors envoyé apporter des renseignements aux FFI de Cholet. Ce fut une révélation : des drapeaux partout, des patriotes armés, un Commissaire de la République digne des Soldats de l’An II. Et, malgré la colère du curé, un bal public !
Après une année d’hypokhâgne au lycée Henri IV de Poitiers en 1943-1944 (où il eut pour condisciple Michel Foucault), dispensé du service militaire comme tous les jeunes gens de la classe 1945, il entama à la Libération des études de Droit à Paris. Parallèlement, il militait à la Jeunesse étudiante chrétienne et devint éducateur stagiaire dans un foyer pour jeunes délinquants. Licencié parce qu’il voulait fonder une section syndicale, il continua ses études – Droit et Psychopédagogie – mais cherchait un engagement politique qu’il trouva à l’Union de la Jeunesse républicaine de France, proche du Parti communiste français. Il se maria en 1947 avec Christiane Mongrédien et, après avoir obtenu une licence de Lettres, il partit au Maroc où il enseigna dans un établissement technique à Casablanca. Il avait adhéré avant son départ au PCF et prit sa carte au Parti communiste marocain, il était aussi adhérent du Syndicat national de l’enseignement technique.
Il rentra en métropole et commença à enseigner à la rentrée 1952 comme professeur de lettres-histoire au collège technique de Bordeaux (Gironde) devenu lycée technique Eiffel. Il divorça et épousa à Bordeaux, en juillet 1953, une de ses collègues, professeur de lettres-espagnol, Jeanne Salette (voir Jeanne Rabau-Daudon). Après avoir perdu un premier enfant, mort à la naissance, ils eurent deux filles : Catherine née en 1961, décédée à l’âge de deux mois, et Sophie, née en 1964, devenue maître de conférences en littérature comparée à l’Université Paris3.
Malgré ces épreuves, Maurice Rabau décida de reprendre ses études, s’orientant vers l’histoire. Il obtint le diplôme d’études supérieures et fut reçu à l’agrégation en 1964, grâce à l’aide de son épouse qui avait accepté de continuer à travailler, tandis qu’il avait pris un congé pour préparer le concours.
Il militait toujours au PCF dans les années 1950. Il fut présenté sur la liste communiste aux élections législatives du 2 janvier 1956, dans la 1ère circonscription de la Gironde. Mais il quitta le Parti après l’intervention soviétique en Hongrie en 1956, en même temps que son ami et collègue philosophe, Pierre Fougeyrollas.
Il militait également au SNET, se reconnaissant dans le courant « Union pour une action syndicale efficace ». En 1966, après la fusion avec le Syndicat national de l’enseignement secondaire, il fut secrétaire général adjoint de la section académique (S3) du nouveau SNES pour l’ancien SNET, au côté de Claude-Jean Hourcau pour l’ancien SNES et de René Proust, secrétaire administratif. En 1969, quand la liste « Unité et Action » devint majoritaire dans l’académie sous la conduite de Renée Augé-Orcié, Maurice Rabau ne s’entendit pas avec la nouvelle secrétaire générale qui le fit remplacer par Serge Granger en tant que secrétaire académique adjoint.
En 1970, il devint assistant à l’Institut universitaire de technologie de journalisme de Bordeaux, où il termina sa carrière en 1986 au grade de maître de conférences. Il soutint une thèse de 3e cycle en 1978, La presse socialiste de la Gironde de 1905 à 1971, sous la direction d’André-Jean Tudesq. Il adhéra avec son épouse au nouveau parti socialiste, peu après le congrès d’Epinay et fut secrétaire de la section universitaire du PS jusqu’à sa retraite.
Ils poursuivirent ensemble leur militantisme laïque à la Ligue de l’enseignement et à la Ligue des droits de l’Homme. Ils créèrent, dès leur prise de retraite, l’association APTES (Association pour le travail des enfants dans la solidarité) dans un quartier proche de la gare Saint-Jean de Bordeaux. Elle avait pour but d’apporter une aide à la réussite scolaire des jeunes (scolarisés, mais en difficulté scolaire, et sortis du système scolaire, mais sans emploi). Les intervenants étaient des intellectuels « objecteurs de conscience » soumis à des activités civiles publiques pendant deux années et des enseignants retraités bénévoles. Les niveaux de référence retenus correspondaient au cursus de la sixième à la terminale ; la séance quotidienne était de trois heures avec des groupes limités à trois apprenants pour un formateur. Au terme de deux années de fonctionnement, des difficultés de gestion apparurent, dues au fait que les indemnités versées par l’Etat aux objecteurs de conscience parvenaient trop tardivement, ce qui conduisit la structure à mettre un terme à l’expérience.
Maurice Rabau-Daudon n’abandonna cependant pas le terrain et créa, avec son épouse, en 1994, l’association DEFI (Défense des exclus par la formation et l’information). Son but était d’apporter une aide aux chômeurs et aux personnes en difficulté, afin de résoudre leurs problèmes matériels mais aussi de contribuer à leur éducation politique, pour les détourner en particulier des discours démagogiques de l’extrême-droite : « parce que nous refusons que les totalitarismes, le racisme, ou son avatar actuel que sont les intégrismes fanatiques, prospèrent sur le terreau de la misère et de l’ignorance ! »
Jeannette Rabau-Daudon, tout en soutenant la démarche de son mari, s’engageait pendant ce temps au Cercle Condorcet dont elle devint la secrétaire générale. Elle fut à l’origine de la création d’INFO 2000 aînés, en 1999, association pour partager les savoirs réciproques des enseignants et des élèves, traverser les barrières entre les âges et les savoirs. Au décès de son épouse, la même année, Maurice Rabau-Daudon reprit et soutint ce projet jusqu’à ce que la maladie l’empêche lui-même de s’engager davantage.
Cependant l’association DEFI poursuivit son activité. En 2006, furent ouvertes des formations d’alphabétisation et de « français langue étrangère » et en 2008 des formations sur le concept de citoyenneté. L’accroissement des activités conduisit à rechercher de nouveaux locaux trouvés à Lormont, mis gracieusement à disposition par Domofrance mais l’association conserva son siège administratif à Bordeaux. En 2014, DEFI employait deux salariés, dont un dans le cadre de la « politique de la ville », et 20 bénévoles.
En tant qu’historien, Maurice Rabau participait aussi à l’activité de la Société des Amis du Bazadais, et écrivit des articles sur l’histoire du socialisme dans la Gironde.
Il fut inhumé à Luglon (Landes) au côté de son épouse.
Par Alain Dalançon
ŒUVRE : « Les républicains du Bazadais sous la Monarchie de Juillet », Cahiers du Bazadais n° 12, mai 1967. — « De l’anti-guesdisme à la Collaboration », Bulletin de la Société d’études jaurésiennes, n° 71 (octobre-décembre 1978). — « Onze ans en 1936 », Institut aquitain d’études sociales, bulletin n° 48, 2e semestre1986.
SOURCES : Arch. IRHSES. — Autobiographie « Mémoire d’un petit garçon bien élevé », déposé dans les archives de l’APA (Association pour l’autobiographie). — Lettre du cercle Condorcet de Bordeaux, n° spécial de septembre 1999 à la mémoire de Jeannette Rabau. — Un philosophe dans la Résistance, par Pierre Fougeyrollas interviewé par François George, Odile Jacob, 2001, p. 127. — Renseignements fournis par sa fille, René Proust et l’association DEFI.