Par Laure Pitti
Née le 11 janvier 1930 à Paris, morte le 13 décembre 2023 à Paris (XVe arr.) ; déléguée CGT du personnel aux usines Renault de Billancourt ; avec Henri Benoits, oppositionnelle du PCF en critiquant notamment les faiblesses du soutien à la guerre d’indépendance algérienne.
Clara Hesser est la 2e des quatre enfants de parents immigrants hongrois qui se se sont connus en France, vraisemblablement à Billancourt. Le père, Ignace Hesser, de famille juive, a été militant du parti social-démocrate de Hongrie avant d’émigrer après la Commune soviétique de Bela Kun en 1919. Ouvrier professionnel qualifié, il travaille dans la métallurgie, notamment à Renault, et se syndique rapidement à la CGT ; il y restera jusqu’à sa mort en 1953. C’est à Renault qu’il vit le Front populaire, occupant l’usine, y emmenant sa fille qu’une photographie de l’époque montre sur ses genoux, poing levé. La mère, née dans une famille catholique, est elle aussi arrivée en France dans les années 1920, munie d’un contrat de travail pour les filatures du Nord, à Roubaix-Tourcoing, avant de travailler comme dame de compagnie sur la Côte d’azur puis comme ouvrière dans les usines métallurgiques de la Seine, dont celle de Renault à Billancourt en 1923-1924. L’un et l’autre demanderont et obtiendront leur naturalisation après la naissance de Clara en 1930.
Clara Hesser grandit à Billancourt, à quelque 500 mètres des usines Renault. Bonne élève, elle est reçue au concours des bourses qui lui permet d’entrer à l’école primaire supérieure en 1943. Elle en suit les cours durant trois ans avant de tomber malade de la tuberculose en 1945 et de passer un an en sanatorium dans l’Ain de 1945 à 1946. À son retour, elle obtient son brevet primaire supérieur mais sachant son père malade, refuse de continuer des études pour pouvoir aider à subvenir aux besoins de la famille. Elle prépare un brevet commercial qu’elle obtient en 1947 et, après plusieurs mois de recherches infructueuses, finit par entrer comme dactylo chez Renault, au service Exportation, le 10 mars 1949. À 19 ans, avide de voyages et rêvant d’être reporter, elle pense n’être là que transitoirement. Elle vit à quelques encablures de l’usine, rue du Dôme, dans ce quartier de Billancourt peuplé aux lendemains de la Guerre, d’ouvriers étrangers.
Dès son entrée à l’usine, elle se syndique à la CGT ; elle y endosse rapidement des responsabilités, entrant au Comité exécutif du syndicat au début des années 1950. Elle est aussi une déléguée du personnel très active dans la grève de février 1950, à l’issue de laquelle elle est mutée au service des Informations techniques ; elle va y rester vingt-cinq ans. Réélue chaque année, elle est déléguée du personnel pendant vingt ans, de 1950 à 1970, puis déléguée Hygiène et Sécurité pendant cinq ans, de 1970 à 1975. C’est dans l’exercice de ses responsabilités syndicales que, jeune employée des bureaux, elle parcourt l’usine et fait la connaissance d’ouvriers algériens aux côtés desquels elle militera longtemps.
Très vite également, elle adhère au PC, après avoir fait partie de la délégation Renault au Festival mondial de la Jeunesse qui se tient à Budapest en 1949. Elle en reste membre jusqu’en 1968, au sein de la cellule Marcel Bec qui regroupe les mensuels de son secteur. Elle voit ses désaccords s’accroître avec la ligne du Parti, et pas seulement quand en 1955 la direction de la CGT doit imposer la signature contestée des « accords Renault ». Entre temps, lors de la grève de février 1952 et des campagnes de solidarité aux centaines de licenciés de l’usine (février-juin 1952), elle a rencontré Henri Benoits, militant trotskiste avec qui elle se mariera en 1963 au moment de la naissance de leur fille Sophie. Avec lui, elle discute de la politique coloniale française et des aspirations du peuple algérien, en particulier au lendemain de l’insurrection du 1er novembre 1954.
C’est en 1956, avec le vote par les députés communistes des Pouvoirs spéciaux pour le maintien de l’ordre en Algérie et avec la répression de l’insurrection hongroise, que ses désaccords avec la ligne du Parti s’accentuent. Elle le dit au sein de sa section, dès 1956 pour ce qui est de la Hongrie où les récits de ceux avec qui elle a gardé contact depuis le Festival de la jeunesse de 1949, ne cadrent pas avec la thèse d’une contre-révolution. Pour ce qui est de la lutte de libération nationale algérienne, elle écrit ses désaccords dans un rapport qu’elle présente à la conférence de la section Renault du Parti, le 16 février 1957. Elle y souligne les carences de la section lors de la grève du FLN fin janvier-début février 1957 (dite grève des huit jours), la nécessité d’« écouter davantage » les ouvriers algériens ; elle y marque son désaccord avec la ligne de « défense des intérêts de la France » et avec l’argument selon lequel « ce sont les impérialistes américains qui se substitueront aux impérialistes français » si la France venait à laisser l’Algérie ; et elle conclut : « Nous n’avons rien à perdre à nous prononcer sans équivoque pour l’indépendance algérienne » à un moment où le Parti milite pour la paix en Algérie. La réaction est brutale : Clara Hesser est désavouée par sa section, voire par certains camarades de sa cellule, dont un compte rendu d’assemblée générale, en mars 1957, signale qu’ils « sont intervenus pour démontrer que de telles considérations sont fondamentalement étrangères à la ligne du Parti et ont conseillé vivement à la camarade Clara de faire de gros efforts pour assimiler sérieusement la politique du Parti, notamment d’étudier les liens existant entre l’intérêt national et l’intérêt de la classe ouvrière. [... Ils] lui recommandent de travailler à mieux assimiler la politique de notre Parti en étudiant attentivement sa presse et ses publications et lui rappellent que la lecture de la presse étrangère au Parti, où s’étalent les thèses de divisions, risque de conduire à la confusion sur le plan idéologique ». Elle pense alors quitter le PC, mais y reste suite aux témoignages de quelques-uns de ses camarades de section qui prirent sa défense, et sur l’insistance d’Henri Benoits, désormais son compagnon. Elle quittera le PC, ou plutôt n’y renouvellera pas sa carte fin 1968, « après la Tchécoslovaquie ».
Avec Henri Benoits, elle soutient activement le FLN durant la guerre d’Algérie, prenant sur son temps de déléguée du personnel pour taper, reproduire et convoyer des tracts, collectant et organisant la diffusion d’El Moudjahid, organe clandestin du FLN, organisant un Comité de mensuels pour la Paix en Algérie qui diffusait Vérité-Liberté et Témoignages et documents et envoyant des mandats aux emprisonnés algériens dans les camps du Larzac, après que les premières discussions entre les émissaires du gouvernement du Général de Gaulle et du GPRA eurent permis aux Algériens d’obtenir l’envoi de mandats aux emprisonnés et assignés à résidence. Avec Henri Benoits encore, elle est l’une des premières que Laïfa Lattad informe de la constitution d’un noyau FLN à Renault, en avril 1956. Avec Henri enfin, elle est de celles et ceux que la Fédération de France du FLN charge d’observer la manifestation du 17 octobre 1961.
Après cette phase algérienne, son engagement est marqué par la cause des femmes, en particulier à partir de 1968 où elle participe au Groupe femmes de Renault, initié par Emmanuelle Dupuy*, dactylo comme elle, et au Mouvement pour la libéralisation de l’avortement et de la contraception (MLAC). C’est en 1975, année de la femme, que son engagement féministe la pousse à demander une formation qui lui est plusieurs fois refusée et qu’elle finit par obtenir, non sans mesures de rétorsion. À son retour en effet, son chef de service ne la réintègre pas ; elle est « mise à la disposition du personnel » pendant plusieurs années, mutée de service en service, mais se refuse à démissionner. En 1980, elle est affectée aux services après-vente au Plessis-Robinson, puis à la traduction (elle parle hongrois, italien et anglais), enfin à la Documentation générale où elle est nommée secrétaire et où elle termine sa carrière à Renault.
À partir de 1976, elle participe à l’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés (ASTI) d’Issy-les-Moulineaux. Elle continua à y donner des cours d’alphabétisation. À la retraite depuis 1985, elle vivait à Issy-les-Moulineaux.
Par Laure Pitti
SOURCES : Arch. privées de Clara Benoits dont Rapport à la conférence de section, 16 février 1957, 8 p., dactyl. — PCF, Fédération Seine-Ouest, Section Renault, Cellule Marcel Bec, Compte rendu d’assemblée de cellule, mars 1957, 1 p., dactyl. — Laure Pitti, Les travailleurs algériens de Renault, op.cit., thèse, et entretiens avec Clara Benoits, Issy-les-Moulineaux, 26 mars 1993 et 12 mars 2004. — Mémoires vives, URIF-CGT, octobre-décembre 2011, n° 18-19, p. 38.