Par Laure Pitti
Né en 1926 à Paris ; communiste trotskyste internationaliste, syndicaliste soutien de la cause algérienne et de l’AGTA, principalement aux usines Renault à Billancourt.
Né en 1926 à Paris, Henri Benoits est le dernier d’une famille de huit enfants. Son père, étudiant en médecine, s’est engagé dans l’armée en 1914 comme médecin auxiliaire. À son retour de la guerre, alors que les parents sont ruinés, déjà père de cinq enfants, il est tour à tour ouvrier tanneur chez Révillon, dont il est licencié. Commence alors ce que son fil appelle « la dégringolade » : chômeur en 1932, il trouve à s’employer comme balayeur, comme poinçonneur à la RATP puis comme laveur de vitres dans une entreprise travaillant pour le compte de la RATP où il restera jusqu’à sa retraite, en 1945. La mère d’Henri Benoits devient concierge en 1943 pour pallier aux besoins du ménage.
Henri Benoits obtient son certificat d’études primaires à l’âge de douze ans en 1938. ; il suit le cours complémentaire général puis industriel de 1938 à 1940. Il entre comme apprenti ajusteur chez Férodo (fabriquant de garnitures de freins et d’embrayage) à Saint-Ouen en juin 1941 tandis que son frère, de deux ans son aîné, entre comme apprenti chez Chausson à Asnières. Il prépare sur son temps de travail le CAP de dessinateur-calqueur qu’il obtient en juin 1944.
C’est de cette époque que date son engagement trotskiste. Par son frère, il rencontre Daniel Renard*, également apprenti chez Chausson, militant des Auberges de jeunesse clandestines et membre de la IVe Internationale. Sensibilisé à « un internationalisme qui [lui] a évité de sombrer dans le soutien à De Gaulle », il participe à des collages d’affiches la nuit, et des distributions de tracts aux sorties de métro et sur les chantiers de la SNCF au nord de Paris. Pendant l’insurrection de Paris, en août 1944, il est des barricades du XVe arrondissement puis traverse Paris à pied avec son frère, pour occuper l’usine Chausson à Asnières et celle de Férodo dans l’idée d’y reconstituer la CGT. Les adhésions affluent, qu’il consigne quotidiennement sur un carnet et qu’il dépose ensuite à la Maison des Métallos, rue Jean-Pierre Timbaud à Paris. Il s’engage dans les Gardes civiques républicaines. Il devient responsable chez Férodo de la commission Jeunes de la CGT. De 1944 à 1946, il est aussi responsable de l’Union locale des jeunes de la CGT à Saint-Ouen et forme différentes commissions de jeunes dans des usines comme Alsthom. C’est à cette époque qu’il adhère au Parti communiste internationaliste.
De novembre 1946 à septembre 1947, il part faire son service militaire en Allemagne dans le Palatinat, service raccourci parce qu’il est soutien d’une famille nombreuse. À son retour, il cherche un emploi proche du XVe arrondissement où il vit toujours et rentre chez Alsthom, place Balard, quelques jours avant le déclenchement des grandes grèves de l’automne 1947. Il prend une part active à la grève comme responsable du contrôle téléphonique. Mais il est rappelé le 3 décembre 1947, l’armée étant mise à contribution « pour lutter contre l’insurrection » et ce jusqu’en février 1948. À son retour, il est réembauché chez Alsthom où il travaille jusqu’en 1950 ; il y participe à la formation d’un syndicat autonome, né du refus de la scission entre la CGT et FO, aux côtés de militants marqués par l’anarcho-syndicalisme, avant de s’en éloigner au nom d’une conception confédérée du syndicalisme et en quittant Alsthom.
Il entre chez Renault le 15 septembre 1950, y connaissant l’existence d’une cellule du PCI et se refusant désormais à « travailler seul comme trotskiste dans une entreprise ». Il y retrouve Daniel Renard, ouvrier traceur à l’Outillage des Forges et membre du Comité central du PCI. Embauché comme dessinateur d’étude dans les bureaux d’étude Outillage-Tôlerie, il devient bientôt membre du secrétariat de la cellule Renault du PCI et participe au renforcement du mouvement trotskiste dans la « forteresse ouvrière » de Billancourt, qui s’accroît des déçus,- souvent jeunes ouvriers-, de la grève de février 1950 pour le rétablissement de la convention collective de la métallurgie.
Sur un plan syndical, c’est vers FO, syndicat majoritaire parmi les « mensuels » (employés), que la direction du PCI l’enjoint de se syndiquer, ce qu’il se résout à faire en 1951. Il est le seul syndiqué FO à signer l’appel à la grève générale que la CGT lance pour le 12 février 1952 ; convoqué par la Commission exécutive de FO qui désavoue sa signature, il rompt avec la centrale réformiste. Il prend une part active aux barricades du 12 février 1952, puis aux manifestations de solidarité avec les licenciés ; à cette occasion il fait la connaissance de Marius Apostolo*, licencié suite à cette grève, et rencontre celle qui deviendra sa femme en 1963, Clara Hesser. Dans le sillage de ces mobilisations, il adhère à la CGT sur les listes de laquelle il est élu délégué du personnel en 1954. Il le restera vingt ans, en prenant part à plusieurs grèves, en premier lieu celle des dessinateurs en 1956 dont il est une des chevilles ouvrières. Au sein de la CGT-Renault, il prend en charge de la section syndicale des mensuels.
Sur un plan politique, convaincu de la nécessité d’être « partie prenante du mouvement réel des masses », Henri Benoits prend parti pour Pablo (Michel Raptis*) dans la crise qui secoue le mouvement trotskiste en 1952 et s’engage dans le soutien aux mouvements anticolonialistes qu’il côtoie depuis 1945 notamment en défilant les 1er mai aux côtés des militants vietnamiens ou algériens. À Renault, il se lie avec les militants algériens de diverses obédiences, en particulier centralistes et messalistes. En 1955, ces liens se renforcent avec le FLN naissant en métropole qui le charge de participer à l’hébergement de militants frontistes, au collectage de fonds et à l’organisation de l’impression et de la diffusion de la presse, en liaison avec Cherchelli qui, à compter de 1956, a la charge de la presse avec Mohammed Harbi* au sein de la Fédération de France du FLN. Henri Benoits assume ces tâches jusqu’en septembre 1959, date à laquelle il a « des ennuis avec la DST ». Il cesse alors toute activité d’aide directe au FLN et se consacre à l’AGTA dont il aide à l’impression et à la diffusion des tracts au sein de l’usine.
En 1958, il adhère au Parti socialiste autonome né de la scission de la SFIO puis au Parti socialiste unifié deux ans plus tard, dont il devient le secrétaire de la section Renault. En octobre 1961, avec d’autres militants de Renault engagés dans le soutien à la lutte de libération nationale algérienne (Clara Hesser, sa compagne, militante communiste et syndicaliste CGT, Pierre Cadel et Georges Lepage, membres du PSU-Renault et syndicalistes CFDT), il est chargé par Mohammedi Sadek, coordinateur FLN de la région parisienne, d’être un des observateurs de la manifestation du 17 octobre. Avec Clara Hesser, il observe la manifestation depuis la place de l’Opéra tandis que Georges Lepage et Pierre Cadel sont postés du côté de la place de la République.
Ses liens avec le mouvement nationaliste algérien en France demeurent forts aux lendemains de l’indépendance : en juillet 1962, ses camarades de Renault, en liaison avec Boualem Bourouiba*, secrétaire de la Fédération UGTA des cheminots en Algérie, lui demandent de partir à Alger pour « faire un rapport sur les besoins en Algérie, sur l’état matériel et en prévision de l’aide dont l’UGTA pouvait avoir besoin ». Il y reste une semaine, transmet à son retour ses observations sur « l’état objectif de l’UGTA ». Mais celles-ci restent sans suite dans le contexte d’affrontement pour le pouvoir qui secoue le mouvement nationaliste à l’été 1962.
Après cette phase algérienne, ses engagements le portent de nouveau auprès des travailleurs immigrés, dont il suit attentivement les mobilisations en mai-juin 1968 et dans la première moitié des années 1970. Il participe, avec sa femme Clara, à l’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés (ASTI) d’Issy-les-Moulineaux à partir de 1976 et soutient activement les mobilisations des sans-papiers depuis leur émergence au début des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Militant d’Agir contre le chômage, il prend part également aux mouvements de chômeurs et précaires. En préretraite depuis 1984, il vit aujourd’hui à Issy-les-Moulineaux.
Par Laure Pitti
SOURCES : Laure Pitti, Les travailleurs algériens de Renault, op.cit., thèse, et entretiens avec H. Benoits, Issy-les-Moulineaux, 26 mars 1993 et 12 mars 2004. — Mémoires vives, URIF-CGT, octobre-décembre 2011, n° 18-19, p. 38.