BENS Marcel, Philippe, Henri

Par Gérard Leidet

Né le 2 février 1908 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 18 mars 1977 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) ; instituteur à Marseille ; militant du mouvement pédagogique Freinet ; militant du SNI, secrétaire général de la section des Bouches-du-Rhône du SNI (1938-1940), secrétaire fédéral de la FEN (1954-1956) ; militant de la SFIO.

Marcel Bens naquit à Marseille dans le quartier populaire de la Belle de Mai (rue Fortuné Jourdan, 3e arrondissement). Son père, Bonaventure Bens était gardien de la paix ; sa mère, Joséphine Sanyas était couturière.

Il fut d’abord nommé, au tout début des années 1930, instituteur à Cadolive, village du bassin minier de Provence situé près de Gardanne. Au côté de son épouse, Clotilde Bens, il y fit la rencontre d’ Eugène Costa. Tous trois commencèrent à expérimenter, dans l’école du village, les méthodes de l’éducation nouvelle que Célestin Freinet avait commencé à mettre en œuvre dans son école de Bar-sur-Loup. Marcel Bens intégra progressivement dans sa pratique de classe les principes, les techniques et outils de la Coopérative de l’Enseignement laïc (CEL) fondée par Freinet en 1928 : l’écriture libre, la promenade scolaire, l’imprimerie, le conseil des élèves…Avant la guerre, vers la fin de la décennie, il fut nommé instituteur à l’école de garçons de Saint-Pierre, quartier de Marseille, situé dans le 5e arrondissement.

Il militait au Parti socialiste SFIO à l’époque du Front populaire, notamment dans le canton de Roquevaire. Il fut élu membre de la commission exécutive de la Fédération SFIO des Bouches-du-Rhône au congrès d’Arles le 7 juillet 1935. Il y représentait le canton de Roquevaire.

Lors de l’assemblée générale de la sous-section marseillaise du SNI du 6 juillet 1937, Marcel Bens intervint sur la question concernant les modifications des statuts. Il y défendit le statu quo. Il pensait en effet que la représentation proportionnelle allait cristalliser les tendances et en créer de nouvelles. Ce dispositif allait faire naître, dans le syndicat, des divisions qui engendreraient la critique systématique. Il démontra que la minorité était déjà organisée puisqu’elle possédait son journal, L’Ecole Emancipée, qu’elle tenait des réunions, et que « les directives lui [étaient] même données par des circulaires confidentielles ». Il lut, à cet égard, plusieurs extraits d’une circulaire N°12, signée Marcel Valière. Il conclut en disant que ce n’était pas là la façon de faire progresser l’unité véritable. Par ailleurs, il indiqua que si d’autres tendances – du type « Instituteur national » - apparaissaient, il faudrait aussi pour celles-ci des représentants au bureau ; ce serait alors un grave danger démocratique qu’il faudrait éviter à tout prix. Ernest Margaillan, leader des Amis de L’École Émancipée déclara : « Bens, qui ne veut pas de tendance, est lui-même l’expression d’une tendance. ». Il défendait la représentation proportionnelle parce qu’elle représentait des avantages pour tous et qu’elle préservait l’unité. Lucien Bernard membre de la commission exécutive du syndicat, et militant communiste, exprima son accord avec Bens. Il rappela que la tactique de la minorité dans la CGTU avait été de créer des tendances ; il vota le statu quo. Le rapport fut mis aux voix : statu quo (99 voix), contre (32 voix). Jean Salducci, Albert Faraut, et Ruffin, représentants de l’École Émancipée au bureau annoncèrent alors leur démission de cette instance.

_En octobre 1937, Marcel Bens fut élu à la commission exécutive du Syndicat national des institutrices et instituteurs (SNI). Membre du bureau départemental du syndicat, secrétaire adjoint de Louis (Marius) Malosse, il était chargé, notamment, de la rédaction du bulletin. Il écrivit, alors, un article (« Tristes cérémonies ») dans lequel il évoquait un sujet douloureux, lorsque la mort d’un élève de l’école posait à l’instituteur laïque une question de conscience : devait-il entrer dans l’église avec ses élèves ? Selon lui, l’enseignant pouvait être tiraillé entre deux désirs, celui de respecter strictement la neutralité scolaire ; l’autre de céder humainement au vœu « inexprimé » de la famille et de l’opinion. Il intégra donc dans sa contribution à l‘attention des maîtres, la « circulaire (du 4 novembre 1936) sur la participation aux cérémonies religieuses », un texte équilibré et clair qui donnait satisfaction : en tant qu’homme privé, l’instituteur pouvait entrer dans une église ; mais pendant les heures de classe, il demeurait homme public, et ne pouvait, à ce titre, conduire dans un édifice religieux les enfants qui lui étaient confiés.

_En octobre 1938, Marcel Bens fut élu secrétaire général du SNI pour les Bouches-du-Rhône, succédant ainsi à Louis Malosse ; il était secondé dans sa tâche par la secrétaire générale adjointe, Irma Rapuzzi. Membre de droit du conseil syndical du syndicat départemental de l’enseignement des Bouches-du-Rhône - section de la Fédération générale de l’enseignement(FGE), il était secrétaire de section pour la catégorie instituteurs, et membre de la commission d’études pédagogiques avec Paul Lieutaud, militant du SPES (secrétaire de la commission), Mlle Perrenot ; Allemand, instituteur à Lambesc et délégué cantonal rural, Edmond Béros, économe à l’École normale d’instituteurs d’Aix, Laville, instituteur détaché, Millet, Peyron, Vailhen et Ernest Vollaire, secrétaire adjoint du SNI. Comme l’indique sa nécrologie, « Dans une conjoncture difficile, il sut préserver alors l’unité des instituteurs du département ».

Sur la question de la paix d’abord, Marcel Bens approfondit les réflexions menées par son prédécesseur et synthétisa celles du bureau du syndicat dans une tribune du bulletin de novembre 1938 intitulée "Après Munich". Il prit en considération les points de vues de ses deux oppositions, et ne souhaitait pas, visiblement, les remettre en cause fondamentalement : que ce soit celle qui souhaitait riposter à Hitler et faire la guerre "au moment où on pouvait la gagner" (syndicalistes communistes du SNI) ; ou bien, celle pour qui la guerre constituait un mal absolu que rien ne pouvait légitimer (Amis de L’École Émancipée. Toutes deux, exprimées respectivement par les partisans de la fermeté, ou par les pacifistes intégraux avaient, selon lui, une part de raison. Mais Bens se situait néanmoins dans la logique d’ André Delmas, secrétaire général du SNI (1932-1940), et soutenait les options de Neville Chamberlain, Premier ministre du Royaume-Uni qui avait mené (et incarné) une politique étrangère d’apaisement qui se traduisit notamment par la signature des accords de Munich. Bens écrivit alors : « Les accords n’ont pas fait la paix, ils nous donnent du temps… Munich, armistice avant le feu, pourrait donner une véritable paix… ». Pour le secrétaire départemental du SN, seul un essai de conciliation s’inspirant, notamment, des propositions de Roosevelt restait à envisager. En évoquant une suspension dans la course « folle » aux armements et la convocation d’une conférence internationale pour étudier les questions susceptibles de provoquer la guerre, il pouvait conclure ainsi : « Tant pis si c’est avec Hitler qu’il faut discuter… Ce n’est pas une conférence des peuples certes, mais devant le dilemme discuter avec un fou ou aller planter son couteau dans la chair d’un homme, il n’y a pas à hésiter… ». De tels propos, d’un pacifisme presque radical, entraînèrent un vif débat dans la section des Bouches-du-Rhône. Edouard Sicard, et Georges Cheylan, syndicalistes communistes, dénoncèrent, au nom des « ex-unitaires » les dirigeants du SNI comme Malosse et Bens qui avaient voté, lors du congrès départemental, contre le secrétaire général de l’UD-CGT des Bouches-du-Rhône Charles Nédelec (ex-unitaire) et la direction de la CGT, qu’ils accusaient d’avoir « voulu la guerre et d’avoir perdu son indépendance ».

Sur la grève générale contre les décrets lois d’Edouard Daladier ensuite. Lancée le 30 novembre 1938, elle fut peu suivie chez les enseignants. Dans son rapport de décembre 1938, Marcel Bens annonça 312 enseignants grévistes dans les Bouches-du-Rhône. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay, qui avait décidé d’infliger une retenue de 8 jours sur le traitement de décembre, maintint sa position. Aussi une souscription émanant du Bureau national du SN fut-elle ouverte afin de venir en aide aux syndicalistes sanctionnés. Dans un tel contexte, compliqué, où le mouvement avait été en échec, le bureau départemental décida de se séparer des membres du CE qui n’avaient pas exécuté l’ordre de grève, et leur demanda de quitter le syndicat. Le débat fit rage dans les semaines qui suivirent. Le Conseil syndical, unanime, confirma l’exclusion des deux syndicalistes du bureau qui n’avaient pas fait grève : Léonce Michel et Jean Bernardini (trésorier du SN depuis 1932). Pour ce dernier, qui refusa avec fermeté la sanction du CS, notamment sa démission de membre du Conseil départemental, une "affaire Bernardini" allait opposer durablement ce militant au bureau départemental. Charles Nivière, trésorier-adjoint de la section, présenta le 1er mars 1939 le "bilan financier" de la grève : les 312 grévistes avaient été remboursés par la souscription permettant de recouvrer l’ensemble des journées de grève. Au total, l’échec du 30 novembre exacerba les luttes de tendances au sein de la CGT, notamment entre les ex-unitaires et l’équipe de Syndicats (regroupée autour de Delmas et Malosse). Marcel Bens, secrétaire général du SN des Bouches-du-Rhône, dans sa tribune libre ("Après la bataille") adopta une position plus centrale et se montra plutôt clément : “Ne portons pas d’anathème ou d’excommunications à l’encontre de ceux qui n’ont pas exécuté le mot d’ordre de la CGT. Si le gouvernement ne révoque pas, nous n’allons pas être plus sévères que lui. La plupart des camarades ont eu peur de la révocation, des réquisitions. Je comprends leur peur. L’absence de référendum avant la grève, réclamé par certains, n’est pas une excuse. La grève c’était notre devoir, celui de tous les syndiqués...”. Dans son rapport moral de juin 1939, il revint longuement sur cette journée de novembre 1938 et sur les raisons d’un échec : la grève était venue trop tard après les (trop) longues preuves de patience (et de « faiblesse ») démontrées par le mouvement syndical après « la pause » de février 1937 décrétée par Léon Blum. Selon lui, l’ordre de grève était venu en un moment où la protestation pouvait sembler être dirigée contre la politique extérieure du gouvernement. Enfin, il conclut ses réflexions en expliquant que « l’intervalle de cinq jours entre l’ordre de grève et l’exécution de cet ordre » avait été nuisible au mouvement.

Lors du congrès de la section départementale du SNI, enfin, qui se tint à Marseille le 22 juin 1939, en présence d’André Delmas, et de Marie-Louise Cavalier, secrétaire de la commission des affaires internationales du SNI, et membre du conseil supérieur de l’instruction publique, Bens réussit à neutraliser les attaques de Margaillan auquel il reprocha l’opposition systématique, quasi-scissionniste, de la minorité syndicaliste révolutionnaire (motion B), et de Lucien Bernard (syndicaliste communiste), rédacteur de la motion C, qui avait attaqué le Bureau national notamment sur l’Espagne. Concernant cette dernière question, douloureuse, Marcel Bens était cependant l’un des animateurs du comité marseillais chargé de collecter des vêtements pour les enfants d’Espagne, et à ce titre, il avait effectué une véritable tournée dans la région provençale. Le 12 février, avec son camarade du bureau du SNI, Agnius-Delord, il s’était rendu en camion à Digne, Sisteron et Manosque afin d’y effectuer une première collecte de vêtements ; le 16 il se rendit à nouveau à Digne avec Charles Nivière, trésorier de la section départementale, et Louis Malosse, secrétaire de la section départementale de la FGE ; les 19 et 22 février, il partit vers Sète, à nouveau avec Nivière. Au total, au plan national, 35 tonnes de vêtements furent récupérés. Par ailleurs, il salua les familles d’enseignants qui adoptèrent des enfants d’Espagne privés de leurs parents. S’adressant à ces dernières et pensant aux réfugiés espagnols, il écrivit, dans son rapport moral de juin 1939, ces mots à l’attention du gouvernement : « Vous leur avez permis aussi de ne pas juger le cœur du peuple de France d’après celui de quelques-uns de ses dirigeants officiels. ».

Marcel Bens luttait en même temps pour la défense des enseignants sanctionnés par les autorités académique et rectorale. Il collaborait à cette époque à l’hebdomadaire fédéral SFIO, Provence socialiste.

Le 9 novembre 1940, le gouvernement de Vichy du maréchal Pétain dissolvait les centrales syndicales ouvrières et patronales ; le syndicat national des instituteurs l’était de fait. Marcel Bens aura donc été le dernier secrétaire général de la section du SNI des Bouches-du-Rhône pour cette période de l’entre-deux guerres.

Après la Libération, Marcel Bens combattit pour la défense de la laïcité en tant que membre du comité fédéral des AIL. Il était alors instituteur, chargé de Cours complémentaire à Saint-Marcel dans le 11e arrondissement de Marseille. Aux élections à la CE du « syndicat de l’enseignement » (section des Bouches-du-Rhône de la FEN) de novembre 1949, son nom figurait parmi les membres suppléants. Militant du SNI, délégué des Bouches-du-Rhône au congrès de Bordeaux du SNI (21-23 juillet 1955), il y fut membre de la commission des résolutions. Il devint ensuite secrétaire fédéral de la FEN pour les Bouches-du-Rhône de 1954 à 1956. A ce titre, il fut l’un des rares dirigeants du SNI de l’entre-deux guerres (le seul peut être) à intégrer, après la guerre, l’équipe dirigeante de la fédération, désormais dominée par les « cégétistes » (ex-unitaires).

Féru de pédagogie, Marcel Bens animait avec Eugène Costa, ancien secrétaire du SNI et militant pédagogique adepte des techniques de Célestin Freinet, les réunions des élèves-maîtres syndiqués de l’École normale d’Aix organisées par le syndicat. Dans ce cadre, il s’appuyait sur l’analyse et l’utilisation "raisonnée, personnelle", en classe, des fiches pédagogiques de l’École Libératrice l’hebdomadaire du SNI. Le corpus utilisé constituait selon lui un outil de formation professionnelle pour les institutrices et instituteurs (notamment) débutants.

Le 6 août 1929, Marcel Bens avait épousé à Marseille Clotilde Clémence (prénom d’usage) Francou, dont la sœur (ou la cousine ?), Fernande Francou, devait épouser plus tard Eugène Costa.
Le couple eut un fils devenu célèbre, l’écrivain et poète, membre de l’Oulipo, Jacques Bens, né en 1931 « de parents instituteurs à Cadolive, dans un de ces vallons obscurs qui séparent la chaîne de l’Étoile du Regagnas […] quand la poussière des puits de mines en endeuillait encore les fleurs » (J. Bens : Les Dames d’onze heures, p. 40)… Jacques Bens devait se marier ensuite avec Madeleine Freinet, fille unique d’ Élise Freinet et Célestin Freinet. Devenu le gendre de Célestin Freinet, il collabora lui aussi à la coopération du Mouvement de l’École Moderne et travailla à la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL). De ce fait, Marcel Bens devenait aussi parent par alliance du couple Freinet.

Directeur de CEG, puis retraité en 1963, Marcel Bens mourut à Aix-en-Provence le 18 mars 1977 et fut inhumé, le 21 de ce mois à Aubagne, près de Marseille. Il avait bien incarné avec Eugène Costa et quelques autres (Marie-Louise Isnard, Henri Pourpe, Jeanne Féraud)… ces militant.es passionné.es de pédagogie qui prolongèrent leur engagement d’éducateur, d’éducatrice, par un fort investissement syndical au sein du SNI.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16279, notice BENS Marcel, Philippe, Henri par Gérard Leidet, version mise en ligne le 28 décembre 2019, dernière modification le 26 février 2022.

Par Gérard Leidet

SOURCES : — Arch. com. de Marseille, listes électorales de 1959, état civil. — Marseille socialiste, 11 juillet 1936. — Provence socialiste, 10 février 1939 (article du militant) et 30 juin 1939. — Le Provençal, 21 mars 1977 (nécrologie) — Le Petit Provençal, 8 juillet 1935. – Notice par Antoine Olivesi, DBMOF – Gérard Leidet, « Entre Guerre et paix : les instituteurs syndicalistes marseillais. De la fin du Front populaire à la drôle de guerre (1938-1939) », La revue de PROMEMO n°20, octobre 2019. – Bulletin du syndicat unique des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône (section départementale du SNI), années 1937, 1938, 1939 ; 1949 et 1954 – Gérard Leidet, « Les instituteurs marseillais dans la grève du 30 novembre 1938 » (article à paraître dans la revue de PROMEMO en avril 2020). — Note de Jacques Girault et de François Walger.

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