Par Frédéric Stévenot
Né le 5 juin 1899 à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord), mort en déportation le 19 mai 1945 à Sandbostel (Allemagne) ; comptable ; militant socialiste de l’Aisne ; résistant Libé-Nord ; commandant FFI ; mort en déportation 19 mai 1945.
Fils de Joseph Pierre Rault, 24 ans, perruquier à Saint-Brieuc, domicilié au 20 Côtes de Gouët, et Marie Françoise Le Gal, ménagère, son épouse.
Joseph Rault fut le deuxième enfant d’une famille modeste : il aidait son père en fin de semaine en rasant les dockers. Après son certificat d’études, il travailla comme clerc de notaire. En 1919, le registre matricule du bureau de recrutement militaire de Saint-Brieuc indique qu’il était alors dactylographe-comptable. Il est précisé que, le 29 janvier 1918, Joseph Rault s’engagea volontairement pour quatre ans au 102e régiment régional d’infanterie, où il arriva le 31 janvier. À la rubrique « campagnes », il est indiqué : intérieur (CS), du 29 janvier au 22 août 1918, puis aux armées du 23 août 1918 au 23 octobre 1919 (CD puis CS). Il fut affecté à la 6e compagnie de ce même régiment au 8 septembre 1918, puis à la 9e le 27 mars 1919. Il obtint le grade de caporal le 2 mars 1919, mais il en fut cassé le 27 mars et rétrogradé au rang de soldat de deuxième classe. Le 28 avril suivant, il fut incorporé au 3e régiment de zouaves (1ère compagnie, 2e section). Détaché comme secrétaire à la sous-intendance de la 37e division d’infanterie, il passa sous l’administration du 9e régiment de zouaves à Constantine le 25 août 1919, et redevint caporal le 1er mai 1920. Il fut ensuite réformé temporairement pour troubles respiratoires le 9 octobre 1920, à Saint-Brieuc, avec un état général déficient (peut-être une conséquence de l’interruption de sa campagne en juillet 1918). Il se retira à Saint-Brieuc, au 6 rue Saint-Jacques. Il passa au dépôt du 9e régiment de zouaves de Grandville le 1er janvier 1924.
Il fut décoré de la médaille de la Victoire (autorisation du 23/2/1920).
Le 10 janvier 1923, il se maria à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord) avec Marie Rose Walmacq (et non Wahnacq, comme l’indique l’état civil). Mais Joseph Rault partit seul dans l’Aisne pour travailler comme comptable à l’Union laonnoise des coopératives de reconstruction (ULCR), dont l’un des responsables est l’un de ses cousins : Louis Clorennec. Son changement de domicile est enregistré par l’administration militaire en date du 2 mai 1927, mais il s’établit d’abord à Chauny, au 15 passage Lequarreaux, à la mi-janvier 1923 (domicile déclaré à la gendarmerie le 14 mai 1923), où il occupait seul une chambre meublée. Sa femme Rose l’ayant rejoint, ils déménagèrent alors à La Fère, au 20 rue de la République, le 28 janvier 1924. C’est là que naquit un premier enfant, Jacques, le 21 mars 1924. Le 2 mai 1927, le couple déménagea au 18 place de l’Esplanade (qui était aussi le siège du bureau annexe de l’ULCR du canton de La Fère), où, le 30 janvier 1932, naquirent des jumeaux : Pierre (décédé deux mois plus tard) et Roger. Les opérations de reconstruction s’achevant, Joseph Rault devint alors intendant au préventorium de Proisy (Aisne). En même temps, il milita au sein de la SFIO : il participa à la campagne électorale d’Élie Bloncourt lors des législatives de 1936, et fut élu secrétaire de la section de La Fère en 1939.
Rappelé pour des périodes de service militaire au 28e régiment régional, du 24 septembre au 5 octobre 1938, Joseph Rault fut mobilisé le 25 août 1939 au 25e régiment régional, puis, après un court séjour à l’hôpital de Laon (octobre 1939), il passa au dépôt n° 21, avant de rejoindre la 24e régiment régional (1er bataillon, 4e compagnie de DP, détachement de Creil, rattaché au dépôt n° 22). Il fut finalement renvoyé dans ses foyers le 26 juin 1940, juste après l’armistice du 22.
Ses états de service militaire précisent qu’il appartint aux forces françaises de l’intérieur dans le secteur de Tergnier, au sein de Libé-Nord, du 1er janvier 1943 au 17 juin 1944, à la date de son arrestation. De fait, Joseph Rault participa à la création et au développement du mouvement dans l’Aisne sous la direction d’Henri Ribière. C’est ainsi qu’il assista à plusieurs réunions à Quessy (Aisne) chez Lionel Lefèvre, et à Tergnier (Aisne), dans le courant de 1941 et au début de 1942 qui regroupaient notamment les députés socialistes Marcel Levindrey et Élie Bloncourt, mais aussi de futurs responsables de Libé-Nord comme Robert Cadeau, André Baudez ou Marcel Thiéry.
Après l’arrestation et la déportation de Lionel Lefèvre, en novembre 1943, Joseph Rault lui succéda comme responsable départemental de Libé-Nord. Mais il fut lui aussi arrêté le 17 juin 1944, torturé à son domicile puis incarcéré jusqu’au 15 juillet 1944 à la prison de Saint-Quentin (Aisne). Sa femme fut elle aussi arrêtée et internée au même endroit ; ils purent communiquer autant que possible comme le montre le mot (écrit sur un papier hygiénique) qu’il réussit à lui passer, peut-être une quinzaine de jours après son arrestation.
Ma chère bonne [mamy ?]Je te demande d’abordpardon d’être involontairementla cause de ta détention. C’estmon gros souci. Je connais tonbon vieux cœur et la sensibilitéde notre petit, et je réalise notregrand chagrin. J’ai été pendules mains derrière le dos àla maison pendant que tuétais dans la voiture. J’aibien souffert mais j’ai tenubon. J’ai eu deux interrogatoires d’une heure lesdeux [ill.] samedi etdepuis 15 jours : rien. J’aila conviction que la victoireest affaire de jours et tu saisque je me suis rarement trompénous serons encore heureuxma petite Rosette entouréde nos enfants. J’ai basémon système de défensesur la politique. J’ai faitde la résistance mais cen’était qu’un prétexte ànotre seul objectif était laprise du pouvoir après ledépart des AllemandsJ’ai affirmé que tu ignoraistout de mon activité maisje crois que le fait d’avoirdonné à manger à l’agentde mistral a suffi pourte compromettreMerci pour les chaussuresqui me rendent grandservice. Sois prudente etméfiante. Je suis enbonne santé. J’ai trèsbon moral. Je n’ai guèrede linge mais je m’enmoque c’est un détailMaurin était dans lacellule à coté mais a étéchangé il y a q.q. tempsJe voudrais bien savoirce que devient mon Jacquesmais je ne me tourmentepas. ce sera un homme.Je t’entends chaquejour pendant les corvéeset cela me réconforted’entendre [effacé]rapide [eff.]à tes compagnes de celluleet le bonjour amical de [ou plutôt « à »]Mme Jacques en particulierMme [Leptaut ?]. Ne te tracassepas pour le [Leïca] j’en auraiun autre [eff.]que Roger n’est pas [abandonné ?]T’exprimer ma tendressema Rosette est impossibleJe te dis simplement que jesuis fier de toi et de mapart tu sais ce que cela veutdire. Je te serre bien fortsur mon vieux cœurJo
Envoyé au camp de Royallieu à Compiègne (matricule 45105), il fit partie du convoi I.250 du 28 juillet 1944 vers Neuengamme (matricule 39543) comme NN (Nacht und Nebel). Il fut très vraisemblablement incorporé aux Kommandos Osterort Kriegsmarine de la région de Brême et à celui de la construction du bunker Hornisse.
Évacué début avril 1945 jusqu’au Stalag X B de Sansbostel, atteint du typhus, Joseph Rault fut pris en charge par un hôpital de campagne anglais, mais il mourut le 19 mai alors qu’il était en instance de rapatriement.
Joseph Rault obtint deux citations pour faits de résistance, la première lui valant l’attribution de la croix de guerre avec étoile de bronze : « Résistant animé des plus belles qualités de patriotisme, qui a pris une part active à la lutte clandestine durant l’occupation ennemie. Arrêté puis déporté, est mort glorieusement pour son Pays et avoir supporté courageusement les plus pénibles épreuves ». La seconde citation porte « Joseph RAULT (Libération-Nord). Propagandiste gaulliste dès 1940. Officier F.F.I. animé des plus purs sentiments du devoir. Prend, en 1943, la commandement d’une important groupe de résistance, organise et effectue de nombreuses actions contre l’ennemi. Lutteur infatigable au courage exemplaire. Nommé chef départemental F.F.I. de l’Aisne en mai 1944, il continue de combattre avec acharnement. Arrêté le 17 juin 1944 ; interné, torturé, il est déporté en Allemagne d’où il n’est pas rentré. Magnifique figure du combattant clandestin. Proposé pour la médaille de la Résistance ».
Reconnu « mort pour la France » (AC 21 P 132206) à titre militaire, l’arrêté du 13 septembre 2013 (publié au JORF du 11/12/2013) autorise en outre l’apposition sur ses actes et jugements déclaratifs de décès de la mention « mort en déportation ».
Joseph Rault obtint à titre posthume la Légion d’honneur (par décret du 19 juin 1950 paru au JORF du 21/06/1950), la médaille de la Résistance (décret du 29 novembre 1955 : n° 8 406), la médaille commémorative de la guerre 1939-1945 avec barrette « Libération » (mention de son appartenance à Libération-Nord, groupe de la La Fère, secteur B1, attesté par le chef de groupe [signature illisible] et le secrétaire national, Henri Ribière).
Son nom figure sur une plaque en sa mémoire (inaugurée le 27 avril 2014), à La Fère, sur le monument aux morts et celui du cimetière de la même commune. Lors de sa séance du 29 octobre 1946, le conseil municipal de La Fère décida d’attribuer le nom de Joseph Rault à la rue des Canonniers, inaugurée le 11 novembre suivant.
Son fils, Jacques (Joseph) Rault, né le 24 mars 1924 à La Fère, participa également aux combats pour la libération du pays, comme agent P2 du réseau « Délégation générale » des FFC (à compter du 1/12/1942), puis dans l’état-major FFI à Londres à partir du 30/9/1944, puis dans d’autres unités militaires. Il fut démobilisé en 1950 avec le grade de sous-lieutenant de réserve.
Par Frédéric Stévenot
ICONOGRAPHIE. Site Internet : Généalogie Aisne.
SOURCES : Arch. dép. Aisne, J. 1461/12 (fonds Berthiault). Arch. dép. Côtes-d’Armor (état civil de Saint-Brieuc, 1899 ; registre matricule de Saint-Brieuc, 1919) — Site Internet : Fondation Mémorial de la déportation. Mémorial GenWeb ; Liste des membres de Libé-Nord. — Renseignements et documents (photographies, diplômes des médailles, etc.) fournis par Christine Rault, petite-fille de Joseph Rault.