BERGER Denis, Jacques

Par Michael Löwy

Né le 11 juin 1932 à Paris (VIIe arr.), mort le 6 mai 2013 à Ydes (Cantal) ; instituteur puis universitaire ; militant communiste oppositionnel.

Denis Berger
Denis Berger

Denis Berger a exercé une influence souterraine importante sur l’extrême gauche française des années cinquante et soixante, en particulier à travers le journal La Voie communiste, dont il fut le principal animateur. Malgré la grande diversité de ses engagements politiques et organisationnels successifs et souvent éphémères, l’adhésion à un communisme de gauche, anti-stalinien, anticolonialiste et anti-impérialiste, donne le fil rouge de sa vie militante.

Son activité militante commença en mars 1950, quand il adhéra à la cellule étudiante du Parti communiste internationaliste, section française de la Quatrième Internationale (PCI-SFQI). Sa première action importante fut la participation à la brigade de travail « 14 juillet » – organisée par le PCI en solidarité avec la Yougoslavie – qui contribua à la construction d’une cité universitaire à Zagreb (été 1950). De retour à la cellule étudiante du PCI, il participa aux ventes du journal trotskyste La Vérité aux portes de la Sorbonne, et se trouva dans l’obligation de se défendre contre des attaques musclées de militants du PCF. Lors d’un meeting le 9 février 1953, il se confronta personnellement, à coups de gourdins, avec Le Pen et ses hommes, qui intervinrent aux cris de « Vive la réaction ! ».

Lors de la scission du PCI, il se solidarisa avec le courant de Pablo et Frank, et accepta de mettre en pratique l’orientation "entriste" adoptée par la majorité du Secrétariat International de la Q.I. (mais seulement la minorité du PCI). Il adhèra donc en 1953 au PCF, où il devient membre – et bientôt secrétaire – de la cellule "Saint Just", composée d’étudiants d’histoire, où il côtoya Alain Besançon, Claude Mazauric et Paul Boccara. Il reconnut, devant ses camarades du PCF, avoir été un "trotsko-titiste", et se trouva, pour cette raison, écarté du comité de section. Parallèlement, il devint un des responsables du "travail entriste" du PCI, et bientôt membre de son comité central et de son bureau politique (1955).

Devenu instituteur à Saint-Ouen en 1954, Denis Berger milita dans des cellules de banlieue du PCF. En 1956, suite au XXe congrès du PCUS et aux "événements" d’Hongrie, des courants dissidents apparurent au sein du PCF. Félix Guattari, psychiatre ex-trotskyste, proposa à des étudiants de la cellule de philo du Parti avec lesquels il était en contact -Lucien Sebag, Anne Giannini, et d’autres - la fondation d’un bulletin d’opposition interne : "Tribune de Discussion". Denis Berger rejoignit ce groupe, qui bientôt adhéra au PCI, et publia des prises de position radicales contre l’invasion soviétique en Hongrie. La "Tribune" entre peu après en contact avec un autre groupe de militants oppositionnels du PCF - Victor Leduc, Jean-Pierre Vernant, Yves Cachin, Gérard Spitzer - qui a des opinions plus ambivalentes sur les événements hongrois, et qui avait crée son propre bulletin : l’Étincelle. Certains intellectuels oppositionnels - comme Henri Lefebvre et François Châtelet - collaborèrent aux deux bulletins, qui finirent après quelques discussions, par fusionner au printemps 1957, en produisant une publication conjointe sous le titre Étincelle -Tribune de Discussion. La dénonciation de Denis Berger et de ses amis comme trotskystes par l’ex-militante du PCI (devenue pro-soviétique) Michèle Mestre provoqua le départ de Victor Leduc et de ses amis de "l’Etincelle" à la fin 1957.

Quelques mois plus tard Gérard Spitzer, qui avait rejoint le bulletin La Tribune de Discussion, convainquit le groupe à s’engager à fond dans le combat contre la guerre coloniale en Algérie. C’est à ce moment, début 1958, que Denis Berger décida, avec ses camarades, de lancer un journal, La Voie Communiste, qui se présentait toujours comme une opposition interne du PCF, mais s’adressait en fait à un public plus large. Soutenu financièrement pendant une (très) courte période par Jean-Paul Sartre, la publication eut comme principale ressource la clinique de Laborde, à Cour-Cheverny, où exerçait Félix Guattari.

Pendant ce temps, un débat s’ouvrit au sein du PCI : tandis que Denis Berger proposa que le parti rejoigne un regroupement large avec des oppositionnels du PCF, limitant l’activité trotskyste à une revue théorique, Pierre Frank et la majorité, soutenus par les dirigeants internationaux, Michel Pablo et Ernest Mandel, insistaient sur la construction du PCI comme noyau du parti révolutionnaire. La confrontation aboutit à la rupture et au départ fin 1958 de Denis Berger et ses camarades : Lucien Sebag, Anne Giannini, Gabriel Cohn-Bendit, Félix Guattari.

La Voie Communiste, qui s’était renforcé avec l’adhésion de Simon Blumenthal, Roger Rey et d’autres, décida de soutenir le FLN, et prit contact avec la Fédération de France du mouvement indépendantiste algérien. Arrêté le 5 décembre 1958 avec un groupe de militants français et algériens, dont Moussa Khebaïli, chef de la willaya Paris-périphérie, Denis Berger passa dix jours dans les caves de la DST, mais, contrairement aux militants maghrébins, ne fut pas torturé, et finit par être libéré par absence de preuves.

Exclu du PCI fin 1958 et du PCF en 1960 – il avait en fait cessé de militer dans ce parti – Denis Berger connut aussi des difficultés internes dans La Voie Communiste, où il se trouva, pendant quelques temps, marginalisé. Il se consacra essentiellement, avec certains amis, comme Roger Rey, à l’aide au FLN, en se spécialisant dans l’évasion de militants anticolonialistes.

Ainsi, le 7 janvier 1961, ils préparèrent, avec l’aide de Gérard Spitzer, lui aussi emprisonné à Fresnes, la fuite de Mohamed Boudiaf et deux de ses compagnons - Doum et Bensalem, mais seulement ce dernier réussit à partir. L’opération la plus réussie fut l’évasion de six femmes du réseau Jeanson – deux algériennes et quatre françaises (dont Micheline Pouteau et Hélène Cuénat) – de la prison de la Roquette en février 1961, et leur sortie clandestine de la France (vers la Belgique). En mai 1962, pendant les négociations d’Evian, les Algériens demandèrent à Denis Berger et Roger Rey d’aider à l’évasion de leurs principaux dirigeants, Ben Bella, Ait Ahmed et Mohamed Khidder, enfermés au château de Turquant près de Saumur. Denis Berger et ses amis trouvèrent une galerie souterraine qui menait aux caves du château, mais un coup de téléphone malencontreux de Ben Bella à Rabah Bitat (emprisonné à Fresnes) mit la police aux aguets et fit avorter la tentative.

Au moment de l’indépendance de l’Algérie, Denis Berger et ses amis de La Voie Communiste décidèrent de soutenir Mohamed Boudiaf et son Parti de la Révolution Socialiste, plutôt que Ben Bella. Le groupe suivit de près les événements en Algérie indépendante, mais s’intéressa aussi aux critiques chinoises à la politique soviétique, qui commençaient à s’exprimer à cette époque. Cette question provoqua des tensions internes, et en 1965 le groupe éclata, avec le départ de Felix Guattari et plusieurs autres. Denis Berger, avec quelques proches, continua à publier un bulletin, bien plus modeste, intitulé La Voie.

Pendant les années qui suivirent, il s’investit surtout dans le Comité Vietnam National et dans le Tribunal Russel contre les crimes de guerre au Vietnam, deux organisations où il exerça des fonctions de secrétaire. Il participa aux séances du Tribunal Russel à Stockholm et Copenhagen, ainsi qu’à une mission d’enquête - composée entre autres par le dirigeant noir américain Stokely Carmichael et Mehmet Ali Aybar du Parti Ouvrier Turc - envoyée par celui-ci au Vietnam en été 1967.

En mai 1968 il prit part aux événements sans jouer un rôle particulier. Après l’éphémère tentative de publier la revue Front (avec le soutien du FLN algérien) en 1969-70, Denis Berger et ses amis de La Voie, dont sa compagne, Michelle Riot-Sarcey, décidèrent, en 1971, d’adhérer au Parti socialiste unifié, où ils s’intégrèrent dans le courant marxiste-révolutionnaire animé par Jean-Marie Vincent et Jacques Kergoat. Lorsque en 1972 la plupart des militants de cette tendance décidèrent d’adhérer à la Ligue communiste révolutionnaire, Denis Berger quitta lui-aussi le PSU, mais n’adhéra à l’organisation trotskyste que trois ans plus tard (1975).e
Devenu chargé de cours à temps plein au département d’économie politique de l’Université de Paris 8 (Vincennes) en 1972, il milita à la cellule de la LCR dans cette université, en compagnie de Jean-Marie Vincent et d’Henri Weber. Il participa au comité de rédaction de la revue de la Ligue, Critique Communiste, et contribua à la formation – avec Michel Lequenne – en 1977, d’un courant oppositionnel dans la LCR, la T-3 (Tendance Trois). Ses principaux désaccords avec la ligne de l’organisation concernaient la stratégie de construction du parti, et la conception trotskyste classique sur la nature de l’URSS. Lorsque Denis Berger, Michel Lequenne, Jean-Marie Vincent et d’autres rédacteurs de Critique Communiste condamnaient l’invasion soviétique en Afghanistan, ils se virent infliger un "blâme" par la direction de la Ligue. Lors du départ de plusieurs militants de la T-3 en 1985, il quitta de façon discrète la LCR, mais contrairement à la plupart de ces camarades, ne rejoignit pas le parti Vert.

À partir de cette date, Denis Berger n’appartint plus à aucune organisation politique, mais continua à avoir des activités politiques et syndicales (il était militant du SGEN depuis 1972). Devenu assistant au département de sciences politiques de l’Université de Paris 8 en 1982, il passa son doctorat en 1988 avec une thèse intitulée "Les partis politiques : essai méthodologique. Le cas du PCF", sous la direction de Jean-Marie Vincent et fut élu maître de conférences en 1989.

Si dans le passé ses écrits prenaient surtout la forme d’articles de revues et journaux, il publia à partir de cette date deux ouvrages qui eurent un certain retentissement dans l’opinion de gauche : Le spectre défait. Le fin du communisme ?, (1990) et, avec Henri Maler, Une certaine idée du communisme. Répliques à François Furet (1996). Il participa aussi à plusieurs ouvrages collectifs et fut un des fondateurs (1990) de la revue Futur Antérieur. Finalement, renouant avec son passé de communiste oppositionnel, il participa à la rédaction du journal du courant communiste refondateur du PCF, Futurs.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16326, notice BERGER Denis, Jacques par Michael Löwy, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 29 août 2021.

Par Michael Löwy

Denis Berger
Denis Berger

ŒUVRE : Le spectre défait. La fin du communisme ? Paris, 1990. — avec Henri Maler, Une certaine idée du communisme. Répliques à François Furet, Paris, 1996. — Participation aux ouvrages collectifs : traduction de Léon Trotsky, Défense du marxisme, EDI, 1972. — Que lire ? bibliographie de la révolution, EDI, 1975. — Marx ou pas ? réflexions sur un centenaire, EDI, 1983. — Permanences de la Révolution, La Brèche, 1989. — Femmes, Pouvoirs, Kimé, 1993. — Démocratie et Représentation, Kimé, 1995. — Marx après le marxisme, L’Harmattan, 1997. — Faire Mouvement, PUF, 1998.

SOURCES : Entretien avec D. Berger, novembre 1998. — Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les porteurs de valises. La résistance française à la guerre d’Algérie, Albin Michel, 1979. — Ali Haroun, La Septième Willaya, Seuil, 1986.

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