HUTINET Henri, Noël [pseudonymes dans la Résistance : MORVAN, ROSSEL Henri, VORAY Jean-Louis]

Par Jean-Pierre Besse, Thérèse Dumont, Jean-Marie Guillon

Né le 25 décembre 1920 à Bussières-et-Belmont (Haute-Marne), tué le 5 juillet 1944 à Castellane (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence) ; sous-lieutenant d’active ; Armée secrète (AS), puis Francs-tireurs et partisans (FTP), responsable militaire de maquis dans la Loire, camp Wodli, adjoint au commissaire interrégional aux opérations à Marseille (Bouches-du-Rhône), chef de maquis dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Castellane, stèle du col des Lèques
Castellane, stèle du col des Lèques

Fils d’un commerçant en chaussures, Isidore Hutinet, et d’une couturière, Jeanne Faivre, Henri Hutinet était issu d’une famille catholique et conservatrice qui, pendant la guerre, fit confiance au maréchal Pétain.
Après des études aux lycées de Vesoul (Haute-Saône) de Nancy (Meurthe-et-Moselle), puis d’Orléans (Loiret) – le lycée Pothier où il se lia d’amitié avec Raymond Carasso* -, il s’engagea volontairement le 15 mai 1940, après avoir réussi l’examen d’entrée à l’école de Saint-Cyr. Démobilisé, il fut incorporé en décembre 1940 dans cette école, alors repliée à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Membre de la promotion « Maréchal Pétain » 1940-1942, il se révéla passionné de sport : cavalier d’élite, il fut aussi champion des écoles militaires du 400 mètres. Mais il se fit aussi remarquer en criant « Sales boches » aux officiers de la commission d’armistice. Sorti sous-lieutenant en août 1942, il est affecté à sa demande au 5e RI parce qu’il stationnait à Saint-Étienne (Loire), ville ouvrière.
Entré dans la Résistance après l’occupation de la zone sud, il quitta rapidement l’AS pour passer aux FTP avec le pseudonyme de Morvan. Il dirigea l’attaque à la grenade contre l’hôtel du Forez, mess des officiers allemands à Saint-Étienne, le 13 mars 1943. Début avril, il rejoignit le camp Wodli avec un détachement de sept hommes. Il prit le commandement militaire du camp avec Augustin Ollier, des FTP de la Haute-Loire, comme commissaire politique et Alain Joubert comme commissaire technique. C’est sous son commandement que les maquisards s’entraînèrent au combat et au maniement des armes.
Avec ses hommes, il permit l’évasion de 26 prisonniers de la prison du Puy (Haute-Loire) dans la nuit du 24 au 25 avril. Après l’attaque de son maquis, il rejoignit Saint-Étienne, muni d’une carte d’identité au nom du communard Henri Rossel. Il fut arrêté le 8 mai par les GMR (Groupes mobiles de réserve) lors d’un ratissage. Il fut inculpé de détention d’armes et tentative de meurtre, puis, le 26 mai, de constitution de sociétés secrètes et reconstitution du parti communiste. Incarcéré à la maison d’arrêt de Saint-Étienne le 13 mai, il se fit hospitaliser en se blessant volontairement le 9 juillet, mais, s’étant disputé avec une infirmière pétainiste, il fut renvoyé en prison le 15 septembre. Il fut à l’origine de l’évasion dans la nuit du 25 au 26 septembre de ses 32 détenus. Envoyé à Villeurbanne (Rhône), il fut muté ensuite à Marseille (Bouches-du-Rhône, où la famille Carasso s’était repliée) vers novembre ou décembre 1943, auprès de l’interrégion FTP. Il y était l’un des adjoints du COIR, Henri Faurite*. Là, parlant très bien allemand, il aurait fait des relevés d’installations militaires allemandes sur la côte. Faurite et une partie de son équipe ayant été arrêtés le 18 mars 1944, il fut alors dirigé vers les maquis bas-alpin. Avec pour pseudonyme Jean-Louis Voray et pour matricule le numéro 63 000, il fit là l’instruction des compagnies FTP, dirigea le camp de triage d’Entrevaux (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence) au début mai 1944, puis le 2e détachement de la 2e compagnie FTP installée entre les villages d’Amirat et de Briançonnet (Alpes-Maritimes, à la lisière des Basses-Alpes). Toujours audacieux, il compta de nombreuses opérations à son actif. Un rapport FTP non daté indique qu’« habillé en officier boche, Jean Louis délivra les prisonniers blessés à l’hôpital de Barcelonnette ». Son action la plus notable fut l’embuscade tendue à la voiture d’Ernst Wolfram, chef de la Sipo-SD de Digne, le 6 juin, à Vergons (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence), au cours de laquelle Wolfram fut tué. Il prit alors la direction de la 5e compagnie FTP, créée à Saint-André-les-Alpes (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence), le 9 juin, et qu’il organisa en trois groupes (soit une cinquantaine d’hommes). Le secteur était alors en insurrection. Il établit son PC à l’Alpe Hôtel à Beauvezer et tint le col d’Allos (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence). Flamboyant, il circulait, armé jusqu’aux dents, en uniforme des chantiers de jeunesse, sur une moto allemande. Il multiplia les coups de main. Partageant les convictions radicales des FTP, il se disait marxiste et aspirait à la création d’un monde nouveau et d’une armée populaire. Il ne s’entendit pas moins avec les officiers de l’Organisation de Résistance de l’armée (ORA) qui contrôlaient une partie de la zone insurgée. Il agissait en particulier en concertation avec le capitaine Gérard Pierre-Rose Manfred* qui dirigeait le maquis Fort-de-France dans le secteur voisin de Mezel-Barrême (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence). C’est ensemble qu’ils établirent un plan de défense de Saint-André-les-Alpes et des routes qui y menaient. Alors que la direction régionale FTP devait lui confier la direction d’une école de cadres tandis que l’interrégion projetait de le nommer commissaire aux opérations régional (COR) dans les Alpes-Maritimes, Henri Hutinet fut tué le 5 juillet 1944, sur la route Napoléon, au col des Lèques (commune de Castellane), en se heurtant à une colonne allemande, de retour de mission, en moto avec Laurent Dol*, tué lui aussi. Les corps des deux maquisards furent transportés à la mairie de Beauvezer où une garde d’honneur FTP veilla toute la nuit. Ses obsèques eurent lieu dans ce village, le 6 juillet, en présence du capitaine Lécuyer, chef régional de l’ORA, qui avait été l’un de ses instructeurs et qui fit son éloge funèbre. Intervenant à son tour, Gérard Pierre-Rose*, qui, lui aussi, l’avait connu à Aix-en-Provence et qui sera assassiné peu après, dit que « profondément convaincu de l’importance du rôle social de l’officier, dépassant Lyautey dans l’élargissement de la personnalité du chef militaire… il était prêt à jouer son rôle dans la crise actuelle, à l’extrême pointe des idées et de l’action ». La cérémonie religieuse aurait été célébrée par l’abbé Robineau, fusillé le 15 août 1944 à Nice. La compagne d’Henri Hutinet dont il avait un fils fut arrêtée par les Allemands.
En février 1936, alors qu’il avait 16 ans, Henri Hutinet avait écrit dans une lettre : « La vie, me dites-vous, est un combat perpétuel certainement, et c’est ce qui en fait le sel, mais alors, si la mort arrête ce combat, je demande à ce que ma mort arrive en combattant dans l’action et en homme vrai que je m’efforce de devenir, je n’en aurai pas peur ».
Cité à l’ordre de la Région FTP comme un « entraîneur d’hommes remarquable, intelligent et dévoué, très aimé de ses F.T.P. et de la population qu’ils protégeaient », il fut homologué à titre posthume lieutenant-colonel des Forces françaises de l’Intérieur (FFI) et décoré de la Légion d’honneur, le 19 novembre 1945. En 1950, il fut inhumé à Jussey (Haute-Saône) où sa mère résidait.
À la Libération, la place principale de Beauvezer devint « place du capitaine-Jean-Louis ». La plaque fit inaugurée le 8 juillet 1945, en même que celle qui honorait, un enfant du pays, le capitaine René Bouscary, tombé à Cassino (Italie). Un monument fut érigé au col des Lèques et inauguré le 17 août 1950. Une plaque commémorative a été apposée au Lycée Pothier d’Orléans. Le nom d’Henri Hutinet est inscrit au mémorial de la Résistance à Vesoul et au mausolée d’Ambiévillers (Haute-Saône).
Le titre de « Mort pour la France » lui fut attribué.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article163808, notice HUTINET Henri, Noël [pseudonymes dans la Résistance : MORVAN, ROSSEL Henri, VORAY Jean-Louis] par Jean-Pierre Besse, Thérèse Dumont, Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 16 septembre 2014, dernière modification le 25 juin 2022.

Par Jean-Pierre Besse, Thérèse Dumont, Jean-Marie Guillon

Beauvezer (Alpes-de-Haute-Provence), place Capitaine-Jean-Louis
Beauvezer (Alpes-de-Haute-Provence), place Capitaine-Jean-Louis
Castellane, stèle du col des Lèques
Castellane, stèle du col des Lèques

SOURCES : AVCC : AC 21 P 55747. Dossier Henri Hutinet (non consulté) .— SHD Vincennes : GR 16 P 300026. Dossier Henri Hutinet (non consulté) .— Arch. dép. Alpes-de-Haute-Provence 9 J 2 et 42 W 112. — Bulletin intérieur d’information des Francs-Tireurs & Partisans des Basses-Alpes n°1, juillet 1944. — Presse locale (La Marseillaise, 30 janvier 1946, Combattre, 22 avril 1946). — Site internet mémoire des hommes. — Fort de France, maquis des Basses-Alpes, Barrême, Amicale du Maquis Fort-de-France, 1984. — Jean Garcin, De l’armistice à la Libération dans les Alpes de Haute-Provence 17 juin 1940-20 août 1944, Digne, 1983. — Monique Luirard, La région stéphanoise dans la guerre et dans la Pais (1936-1951), Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1980. — Jean-Louis Michel, Résistance en Haut Allier 1940-1944, Polignac, Éditions du Roure, 2008. — Mémorial de la Résistance et des combats de la Seconde Guerre mondiale dans les Basses-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence), Digne, Secrétariat aux Anciens Combattants–CDIHP des Alpes-de-Haute-Provence, 1992. — Raymond Moulin, « Les opérations militaires dans le haut Verdon du 17 au 21 juillet 1944 », Annales de Haute-Provence n°311, 1er trimestre 1990. —témoignage Henri Faurite, avril 1981.— témoignage dactylog. Daniel Bessmann. — Souvenirs manuscrits de Mme Jacqueline Hoffmann (aimablement transmis par Gérard Guerrier). ⎯ renseignements Benoît Perrin et Jean-Louis Delattre. — État civil.

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