PINAULT Georges, Emmanuel, Louis

Par Michel Pinault

Né le 8 juillet 1927 à Bezons (Seine-et-Oise), mort le 2 mai 1995 à Argenteuil (Val d’Oise) ; ajusteur-outilleur ; syndicaliste CGT ; militant communiste ; secrétaire de la section communiste d’Argenteuil.

Georges Pinault vivait à Bezons (ancienne Seine-et-Oise). Il était le fils unique, non baptisé, de Francis Pinault, originaire de Hédé (Ille-et-Vilaine), ouvrier puis chauffeur routier, et Marie Lecrosnier, originaire de Saint-Vaast-la-Hougue (Manche), employée de maison (« boniche », disait-elle) puis sans profession, membres du PCF. Marié, le 7 octobre 1950, avec Thérèse Garcia, ils ont divorcé, en 1983. Le couple a eu trois enfants, Michel, Josiane et Annie, qui sont professeurs et médecin.

Georges Pinault a écrit, plus tard : « Enfant d’émigrés,/ croisé Breton-Normand,/ je vois le jour rue des Belles Vues, à Bezons./ Je m’appelle PINAULT/ et je suis de Bezons./ Que le jour était beau/ que la nuit était belle/ que la Voie lactée était merveilleuse/ au-dessus de nos têtes émerveillées/ dans cette petite colline à peine habitée/ surplombant la vallée de la Seine,/ où vignes et moineaux avaient encore la partie belle. »

Enfant lors du Front populaire, Georges Pinault se souvenait qu’il allait, avec sa mère, porter la gamelle à son père qui occupait son usine d’aviation de La Lorraine. Puis ce fut la Guerre d’Espagne : « Tous les jours, nous écoutions les nouvelles de Madrid, en langue française », a-t-il écrit plus tard. Pendant l’occupation, il participa à quelques actions clandestines aux côtés de son père et de son oncle Louis Lecrosnier, actifs dans la résistance communiste bezonnaise. Un autre oncle, Eugène Lecrosnier fut déporté à Oranienbourg, pour sabotage dans une usine d’aviation d’Argenteuil, de janvier 1943 à avril 1945.

Georges Pinault était titulaire du brevet d’enseignement primaire supérieur et du brevet de capacité pour l’enseignement primaire (1945), et du CAP d’ajusteur (1946). Il aurait aimé et sans doute pu faire de plus longues études mais ses parents ne l’ont pas souhaité. Il occupa divers emplois d’ajusteur, à Argenteuil, généralement dans l’aéronautique. D’abord à la SNECMA, (novembre 1944-décembre 1947), puis, après l’interruption due au service militaire effectué en Algérie jusqu’en décembre 1948, comme mécanicien dans l’aviation, il se fait embaucher dans un garage (février-mai 1949), à la Cie des Lampes (juin-décembre 1949), chez Leduc Aviation (janvier 1950-avril 1951), à la SAGEM (juin 1951-janvier 1952), à la SNCAN (janvier-avril 1952), chez Dassault (mai 1952), à la SIPA (juin 1952-mars 1953). L’instabilité qu’on peut constater est essentiellement due à l’activité syndicale politique qu’il déploie dans les entreprises où il est embauché. Il quitta en général volontairement ces emplois, les certificats portant parfois comme motif : « salaire insuffisant ». Entré chez Dassault, l’entreprise qui donnait les meilleurs salaires de la région, il fut licencié pour fait de grève au bout d’une semaine, comme l’indique le certificat de travail : il était, monté sur l’établi, alors qu’il était en période d’essai, pour appeler à débrayer contre la venue du général Ridgway à Paris. Cet épisode marqua la fin d’une période de son engagement marquée par le sentiment de l’imminence de « la révolution » et par le choix de tout y sacrifier, carrière professionnelle et vie de famille y compris : n’avaient-ils pas, avec sa fiancée, vers 1949, envisagé de retarder leur mariage jusqu’après la prise du pouvoir ?... C’était le temps des « postes de responsabilité » auxquels on se trouvait vite « bombardé », des « ventes de masse » de l’Avant-Garde, des « tournées » et du « poste » de l’Huma, des prises de paroles pour la paix en Indochine aux entractes des séances de cinéma du Bezons-Palace, des actions syndicales « coup de poing », de la manifestation permanente, de l’urgence tous azimuts.

Il avait en effet, dès 1945, adhéré au parti communiste, à la section de Bezons-Houilles-Carrières (ancienne Seine-et-Oise) et beaucoup milité à l’UJRF et au Parti. Il y avait rencontré, en 1948-49, sa future femme, qu’il épousa en octobre 1950. Il fut quelque temps secrétaire de section communiste à Argenteuil (Seine-et-Oise), au moment de l’affaire Marty (1952 et 1953). Il fut démis de ses responsabilités pour avoir demandé aux dirigeants présents, dont le secrétaire fédéral Michel Vandel et singulièrement Jacques Kahn, secrétaire particulier de Marty, d’expliquer pourquoi ils n’ont rien dit avant s’il y avait tant de reproches à faire à l’accusé. Son départ du bassin d’emploi d’Argenteuil pour la Thomson, à Asnières, s’explique par ses démêlés avec l’organisation communiste. Il adhéra désormais à la fédération de la Seine-Ouest du PCF et milita à la Thomson.

Traversant la Seine, il entra donc, comme ajusteur puis ajusteur-outilleur, à la Thomson-Houston d’Asnières, en avril 1953, et il y resta pendant trente années, marquées par le transfert, en 1963, de l’usine d’Asnières à Sartrouville (Yvelines), jusqu’à la retraite, en novembre 1982. Dès lors, il ne prit plus de responsabilités dans les organisations, se contentant d’être délégué du personnel et responsable syndical dans son entreprise, militant de l’Union locale de la CGT et, pendant longtemps, membre du comité de section du parti communiste, à Asnières (Hauts-de-Seine) puis à Sartrouville (Yvelines).

La période d’Asnières fut marquée par les mobilisations intenses de la guerre froide et de la guerre d’Algérie et par la prise du pouvoir par De Gaulle. De « gardes » des locaux du Parti et du syndicat - la bourse du travail d’Asnières fut la cible d’un attentat de l’OAS - en manifestations interdites, de l’animation du comité antifasciste local à la défense du siège de l’Humanité attaqué, en 1956, et à la manifestation de Charonne, en 1962, c’était le temps des fortes amitiés nouées par un petit groupe de militants du parti, amitiés fondées aussi bien sur leur profonde unité de pensée, la symbiose provoquée par les multiples réunions et actions militantes qu’ils vivaient ensemble, que sur l’identité de leurs conditions de vie, chiches et parfois sévères, tous tôt mariés et rapidement chargés de famille, et sur les dimanches vécus en bande au cours desquels, à nouveau, ils refaisaient le monde. Dans ce groupe, on trouvait le responsable de section d’Asnières, Pierre Lerat, un cadre commercial dont le pavillon servait de local de la section du PCF, son copain, ancien de la 2e DB et de la campagne d’Alsace comme lui, Guy Glacet, dessinateur chez Chausson depuis 1954, Lucienne et Robert Muller qui étaient comptable et administrateur à la Vie Ouvrière, et Georges Pinault, de la Thomson, et sa femme, Thérèse, permanente de l’UFF.

Les années Sartrouville furent marquées par des grèves répétées et puissantes à la Thomson, par la grève avec occupation des locaux de 1968, et aussi par les premières fêlures : les grandes certitudes se défaisaient, l’unité de pensée disparaissait.

Depuis toujours et contrairement à d’autres, Pinault refusa de jouer le jeu du paiement « au boni » c’est-à-dire au nombre pièces à l’heure, comme il refusa aussi les heures supplémentaires, le travail du samedi et toutes les formes de promotion ; il voulait être exemplaire quel qu’en soit le coût. Il était alors délégué et membre du bureau du syndicat. Dans cet établissement, il fallait composer avec une CFDT forte qui s’était emparée du Comité d’entreprise. Il fallait aussi s’ouvrir aux techniciens, voire aux ingénieurs, nombreux dans l’usine et apprendre à leur parler. En 1968, l’occupation avait commencé le 17 mai. Un comité de grève unitaire, dans lequel Pinault fut très impliqué, en assura l’organisation. La confrontation était quotidienne avec les « groupes gauchistes » présents aux portes de l’usine. Les grévistes obtenaient la compensation à 100% de la diminution du temps de travail et la mensualisation. C’était une victoire. Mais c’était aussi le moment où il fallait accepter de s’interroger sur les difficultés du PCF et de la CGT à répondre aux préoccupations qui s’exprimaient et, bien plus qu’on ne l’avait fait en 1956, au moment de Budapest, sur la signification du Printemps de Prague et de son écrasement. En tout cas, la jeune génération, autour de lui, s’interrogeait. Il était particulièrement témoin de ces évolutions en étant, pendant plusieurs années, membre du conseil d’administration du Théâtre de Sartrouville - une ville alors communiste dont il connaissait bien le maire, Auguste Chrétienne - où il noua d’étroites relations avec les « culturels » - régisseur, metteurs en scène, marionnettistes, animateurs, techniciens, souvent communistes eux aussi, qui animaient le théâtre.

À la fin des années 1970, il vit avec un désespoir violent la remise en cause puis l’écroulement progressif de ses convictions et de ses engagements. En mai 1978, il est signataire de la pétition, initiée dans Le Monde, par Michel Barak, dénonçant « les retards du parti communiste à se mettre à jour » (Michel Barack, Fractures au PCF, Aix-en-Provence, Édisud/Karthala, 1980, p. 260). Tout en prenant de plus en plus de distances avec ces organisations, il resta membre du parti communiste et de la CGT jusqu’à son départ en retraite, en 1982. Il s’en sépara alors complètement.

Crise de la cellule familiale, rupture des amitiés, dépression, scepticisme complet, SIDA puis cancer : la fin de vie de Georges Pinault fut douloureuse. Son ami Glacet a envoyé ces quelques lignes accompagnées du dessin ci-contre, à leur copain Pierrot Lerat, miné lui aussi par la maladie, quelques jours après que s’étaient retrouvés les anciens d’Asnières, Pinault, Muller et Glacet, auprès de lui. Installé dans l’Allier où il avait entrepris de restaurer l’abbaye Saint-Gilbert en ruines, celui-ci avait quitté « le Parti » l’année précédente : « Dimanche 9 novembre 1980. Après que Jojo Pinault a obtenu son visa pour l’Abbaye, le voilà parmi nous, situation non prévue d’être là, à quelques-uns des anciens de 58… La belle unité de pensée et d’action qui nous unissait alors n’est plus… L’amitié reste, que peut-elle devenir si elle ne continue pas d’être entretenue ? si certains désertent ? L’avenir n’est pas terrible… Nous t’avons offert avec Jojo le spectacle de nos divergences. Ce n’est qu’une petite perturbation dans ce bouillonnement de plus en plus confus des idées qui s’affrontent dans la plus belle des incohérences de notre planète. L’homme devenant trop compliqué ne pourra bientôt plus s’y retrouver. (…) Il me semble que c’est le point de vue développé par Jojo à son passage à l’Abbaye qui t’a relancé sur ce sujet du MOI. Jojo trop longtemps frustré de son Moi qu’il avait mis d’une part trop au service des autres, le reste étant accaparé par les préoccupations et responsabilités familiales à partir de petits moyens, absorbé finalement à part entière… réalisant aujourd’hui qu’il n’a pas existé à son compte… pour lui-même… réagissant avec sa nature entière pour vivre ce qui lui reste de temps à l’inverse de ce qu’a été sa vie jusqu’à ces dernières années. Dans son cas, aggravé par la maladie, c’est toute son existence qu’il a remise en cause, familiale et politique, subissant sa profession qui l’emmerde également. Arrivé à ce point et à son âge, je pense que cela devient dramatique, sa santé psychique a déjà subi de rudes à-coups. Cette recherche nouvelle intempestive pour se retrouver lui-même en brisant tous les liens ne me semble pas une évolution naturelle pour un mec. Il risque de finir dans la peau du type même auquel tu faisais allusion (si j’ai bien compris), recherchant la finalité dans la réalisation d’un Moi dégagé de nombreuses responsabilités encombrantes, se mettant de plus en plus en dehors du coup (…), sa démarche tardive ne lui permettant plus d’accéder à plus de savoir, à plus de possession, à plus d’autorité ; plus d’amour. Alors, dans ce cas, que reste-t-il ? »

Malgré une grève avec occupation de plusieurs jours, l’usine de la Thomson- Sartrouville est liquidée en septembre 1995, quelques mois après la mort de Georges Pinault, le 2 mai. Dans un article de Thérèse Fournier paru dans Options, la revue de l’UGICT-CGT, l’ancien secrétaire du syndicat CGT de l’usine, Claude Landry, parle de son « pote Pinault » comme d’un « père spirituel » : Il s’en souvient, lorsqu’en 1965 il a été « balancé secrétaire (de la CGT) » et qu’il a eu « une grève sur les bras » : « J’étais devant la grille. Je n’avais rien préparé. Je ne voulais pas parler. Mon pote Pinault m’a dit : "T’as rien dans l’buffet" et il m’a fait monter sur la margelle de la barrière, et là j’ai vu huit cent têtes. J’y suis allé. (Ensuite) je me suis donné corps et âme, en duo avec un secrétaire qui m’a apporté un état d’esprit révolutionnaire ». L’article dit que « Claude Landry est enraciné dans la mémoire de l’entreprise et celle du syndicat parce qu’il a su transmettre l’héritage de Pinault ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article163825, notice PINAULT Georges, Emmanuel, Louis par Michel Pinault, version mise en ligne le 11 septembre 2014, dernière modification le 3 novembre 2022.

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SOURCES : Presse militante. — Archives familiales.

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