Par Jean Puissant
Houdeng-Goegnies (aujourd’hui commune et arr. de La Louvière, pr. Hainaut), 30 mai 1902 − Evere (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 14 août 1969. Bouquiniste, éditeur et publiciste anarchiste.
Établi Montagne de la cour, Marcel Dieu, dit Hem Day, émigre vers la galerie du Passage en raison des travaux de modernisation du Mont des Arts à Bruxelles dans les années 1950. Sa bouquinerie « Aux joies de l’esprit », spécialisée dans l’anarchie mais ouverte aux joies du corps et de l’esprit, est, pendant trente ans, un véritable centre culturel libertaire, hébergeant les amis de passage, les mettant à contribution. Personnage truculent, amateur des choses de la vie, Hem Day qui pèse bien plus de cent kg, se consacre à son négoce en amateur éclairé et à ses convictions avec passion. Fils d’un boucher, il est végétarien. Son avocat, Paul-Henri Spaak* (1933), y voit l’amorce de ses oppositions. « On repérait immédiatement sa silhouette trapue et chevelue, sa lavallière noire et le chapeau de feutre de même couleur, cher aux socialistes romantiques. » (Voir DE MEUR J., 1970).
Marcel Dieu fait son service militaire en 1922. C’est ensuite, installé à Bruxelles, qu’il se rallie à la cause anarchiste, sans doute par l’intermédiaire de la Libre pensée. Sa pratique semble lier à son engagement. Il faudra établir la date de son installation. En 1927, il participe activement à la campagne en faveur de Sacco et Vanzetti, aux côtés de Émile Chapelier et Ledoux, puis à celle en faveur des anarchistes espagnols Ascaso, Durruti, et Jover. Il est aussi actif au sein du Comité international d’aide aux anarchistes (CIDA), dont il devient secrétaire trésorier en 1928, époque à laquelle il rencontre Léo Campion et en devient un ami intime. Il est initié à la franc-maçonnerie en 1932, à la loge Vérité du Droit Humain.
En 1933, avec Léo Campion, Hem Day participe à une vaste campagne en faveur de l’objection de conscience à travers « Le Rouge et le Noir » auquel ils collaborent tous les deux. Hem Day prend la parole neuf fois à la tribune du « Rouge et Noir », en particulier sur l’antimilitarisme et le pacifisme. Pour protester contre le projet de loi annoncé par le nouveau ministre libéral de la Défense nationale, Albert Devèze, les deux amis renvoient leur carnet militaire le 28 février 1933, lui « signifiant par ce geste leur intention formelle de se refuser dorénavant à toute intervention directe ou indirecte à la Défense nationale… ». « - Attendu que la guerre est un crime contre l’humanité. - Attendu que le gouvernement belge l’a implicitement reconnu en signant le pacte Briand-Kellog. - Attendu que le projet Devèze, interdisant toute propagande pacifiste intégrale, ne peut être admis par des hommes probes et libres ». Rappelés par mesure disciplinaire, ils refusent d’obtempérer et sont arrêtés pour désertion en juin 1933. Jusqu’alors l’objection de conscience est surtout de l’ordre du« pacifisme flamingant », du côté francophone, beaucoup moins important, de l’ordre du religieux. Le procès qui suit fait l’objet d’un important battage médiatique. Hem Day est condamné à deux ans de prison (dix-huit mois pour Léo Campion), nettement plus que le réquisitoire de l’auditeur militaire. Il est en effet considéré comme récidiviste (absence de nom d’éditeur, absentéisme électoral, injures et coups à agents des forces de l’ordre). En appel, après une grève de la faim, les peines sont réduites. Ils sont renvoyés de l’armée le 14 août 1933, ce qui est leur objectif. Une importante campagne de soutien en France et en Belgique réunit un moment toutes les tendances de la gauche comme le fait ensuite la lutte antifasciste à laquelle participe également Hem Day.
En 1937, Hem Day se rend en Espagne pour soutenir les anarchistes catalans. Il en revient convaincu que la violence n’accouchera d’aucune société meilleure bouquiniste, il est également éditeur de nombreuses publications périodiques, souvent précaires : L’Action rationaliste belge (1932), Ce qu’il faut dire (1934-1936), Rébellion (Bruxelles, 1937), Rossinante (1938). Plusieurs sont imprimées à l’imprimerie coopérative « Les Arts graphiques », créée par Jean De Boë. Il collabore à Combat, favorable au Front populaire des forces de gauche qui réunit des socialistes, communistes et anarchistes dans la perspective de la lutte antifasciste (Bruxelles, 1936-1939). Éditeur des cahiers de Pensée et action (1930) qui, plus qu’une revue, est un projet éditorial sur le long terme dont il est le contributeur principal, notamment sous la forme de biobibliographies d’écrivains et de penseurs libertaires, qui deviennent sa marque de fabrique jusqu’en 1968, ce volume consacré au procès qui l’a rendu célèbre. Dans les années 1960, il collabore à la revue Anarchisme et non-violence et reste actif à l’IRG-WRI (Internationale des résistant(e)s à la guerre - War resister’s international). Sa bouquinerie est toujours un lieu de réunion et de refuge pour nombre de compagnons et d’exilés.
« Marcel Dieu fut pour moi un ami incomparable. Nous avons été liés plus de quarante années et notre affection ne s’est jamais démentie. Nous avons cohabité longtemps, nous avions la même philosophie, la même idéologie, nous apprécions les mêmes joies terrestres, nous avons été en prison ensemble, nous avons fait la grève de la faim ensemble, et jamais au cours de cette longue période, jamais nous n’avons eu la moindre divergence, le moindre désaccord. Il fut vraiment mon Frère. » (CAMPION L., Le drapeau noir, l’équerre et le compas, Wissous, 1978, p. 140-141). Son importante bibliothèque sur l’anarchie a été léguée à la Bibliothèque royale à Bruxelles et au Mundaneum à Mons (pr. Hainaut, arr. Mons).
À consulter également : BEKAERT X. (notice revue par ENCKEL M.), HEM DAY (DIEU Marcel, dit), dans Dictionnaire des anarchistes, Site Web : maitron.fr.
Par Jean Puissant
SOURCES : Léo Campion et Hem Day, Autour d’un procès, Paris-Bruxelles, Éditions Pensée et Action, 1968 − CAMPION L., Le drapeau noir, l’équerre et le compas, Wissous, 1978 (bibliographie) − DE MEUR J., L’anarchisme en Belgique, la contestation permanente, Bruxelles, 1970 − SIMON-RORIVE M., La presse socialiste et révolutionnaire en Wallonie et à Bruxelles 1918-1940, Louvain-Paris, 1974, p. 42 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 42) − FÜEG J.-F., Le Rouge et le Noir, la tribune bruxelloise non conformiste des années trente, Ottignies-Louvain-la-Neuve, 1995 − Les anarchistes, Dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone, Paris, 2014.